dossier spécial fiscalité

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dossier spécial fiscalité
DOSSIER SPÉCIAL FISCALITÉ : LOI DE FINANCES, IMPACTS SUR LES PARTICULIERS ET LES ENTREPRISES...
L’ÉMIGRATION DES PERSONNES MORALES : « YES WE TAX »
Jacques TAQUET,
Avocat associé,
LANDWELL & Associés,
Co-Président de la Commission Droit Fiscal,
[email protected]
L
’alourdissement brutal de la fiscalité française conduit les présidents de Groupes à mettre
sous pression leurs directions fiscales pour « trouver des solutions » et payer « moins d’impôts ».
Parmi les solutions envisageables, vient en bonne place le « transfert du siège à l’étranger »,
de préférence, à l’intérieur de l’Union européenne, car beaucoup ont l’intuition que les « libertés »
garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permettront de trouver des
solutions favorables. C’est dans ce contexte que le Premier ministre britannique affirme qu’il est
prêt à « dérouler le tapis rouge » pour accueillir les entreprises françaises et leurs cadres. Un transfert
de siège social est une décision complexe qui entraîne de multiples conséquences juridiques,
sociales, fiscales et comptables.
LE SORT DES PLUS-VALUES LATENTES SUR ACTIFS
Fiscalement, la question de départ est de savoir si l’on peut quitter la France avec les « actifs
clés » de l’entreprise (brevets, marques, titres des filiales, incorporels) sans payer d’impôt.
Sur ce point, on sait qu’en fiscalité française, un transfert de siège entraine en principe les
conséquences d’une « cessation d’activité » conduisant à l’imposition immédiate des bénéfices
non encore imposés, des bénéfices en report et suris d’imposition et des plus-values latentes sur
les actifs (Art 221-2 du CGI).
Certes, depuis 2005, la France prévoyait que « le transfert de siège dans un autre Etat membre de
la Communauté européenne, qu’il s’accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique
en France, n’emporte pas les conséquences de la cessation d’entreprise » (ancien Art 221-2 alinéa
3). En particulier, l’impôt sur les plus-values latentes n’était pas dû à la condition – selon
l’administration – que les actifs restent inscrits au bilan d’un établissement stable français. Si tel
actif quittait ensuite la France, l’impôt était alors dû conformément aux principes de la territorialité
française.
La CJUE vient d’examiner ces questions d’exigibilité de l’impôt lorsque des actifs migrent entre
Etats membres dans un contexte de migration de siège social. Dans deux arrêts Commission c/
République portugaise (C-38/10 du 6 septembre 2012) et National Grid Indus BV (C-371/10 du
29 novembre 2011), la Cour confirme que dans l’hypothèse de migration d’actifs à l’intérieur de
l’Union consécutives à une migration de siège social, l’Etat membre de sortie conserve son droit
d’imposer la plus-value « née sur son territoire » dans le cadre de sa compétence fiscale avant
transfert, seul le recouvrement immédiat de l’impôt étant susceptible d’être répréhensible au regard
des libertés issues du Traité.
La France a donc souhaité réagir et tenter de mettre sa législation en conformité avec le droit
de l’Union. Le nouveau régime « d’exit tax » des personnes morales (3e LFR pour 2012) prévoit
désormais que « lorsque le transfert du siège ou d’un établissement … s’accompagne du transfert
d’éléments d’actifs », le contribuable n’est plus obligé de payer l’impôt immédiatement, mais
peut demander un paiement étalé sur 5 ans de l’impôt dû à raison des plus-values constatées
lors du transfert. Il s’agit donc d’une modification a minima car l’impôt reste exigible, seul son
paiement étant différé dans le temps.
La conformité avec le droit de l’Union du paiement étalé – qui n’est pas un véritable sursis
d’imposition éventuellement assorti de garanties et/ou d’intérêts de retard – est en débat. En
effet, un mécanisme similaire, applicable en
Allemagne et dont s’est inspiré la France, fait
l’objet d’une demande de décision préjudicielle
présentée à la CJUE par le Finanzgericht de
Hambourg le 3 avril 2012 (C-164/12). Le
principe du paiement étalé de l’impôt pourrait
donc être revu une nouvelle fois, le droit des
Etats membres d’imposer les plus-values
latentes « à la sortie » restant cependant acquis.
D’autres conséquences fiscales liées à un
transfert de siège, tout aussi importantes, ne
doivent pas être négligées.
LE SORT DE L’INTÉGRATION FISCALE
Si la société française qui transfère son siège
est la société mère d’un groupe d’intégration
fiscale, l’établissement stable qui subsistera en
France – et où figureront les actifs et passifs
de l’ancienne société française – va-t-il purement et simplement « continuer » l’ancien groupe, aux mêmes conditions de périmètre et de
report des déficits de groupe ?
Alternativement, conviendra-t-il de constater
une cessation du groupe et la formation d’un
nouveau groupe avec toutes les conséquences
que l’on sait sur l’imposition des opérations neutralisées et le sort des déficits de l’ancien groupe ? L’absence de création d’une personne morale nouvelle devrait faciliter le maintien de
l’ancien groupe. Sur ce point, les arrêts Cartésio (C-210/06 du 16 décembre 2008) et Vale
Epitési kft (C-378/10 du 12 juillet 2012) de la
CJUE ont permis petit à petit d’imposer le transfert de siège social avec maintien de la personnalité juridique, dès lors que les transformations de sociétés sont permises par le droit
interne.
En toute hypothèse, on rappelle que ce sont
les principes de non discrimination entre telle
ou telle forme d’établissement en France qui
ont permis aux succursales françaises de sociétés de l’UE de se voir octroyer l’avoir fiscal, l’application du régime mère-fille et la possibilité
de se constituer tête de groupe d’une intégration fiscale.
La cessation de l’intégration fiscale existante
semblerait donc disproportionnée, la France
conservant l’entièreté de ses droits d’imposition
(sinon peut-être la contribution additionnelle
de 3 %, la DGFIP entendant par voie de doctrine administrative en exonérer les succursales
françaises de sociétés de l’UE).
MARS 2013 • N° 123 • LA REVUE DE L’AVOCAT CONSEIL D’ENTREPRISES • 33
DOSSIER SPÉCIAL FISCALITÉ : LOI DE FINANCES, IMPACTS SUR LES PARTICULIERS ET LES ENTREPRISES...
L’IMPOSITION DES ACTIONNAIRES
L’autre enjeu fiscal lié à l’émigration d’une personne morale a trait à la fiscalité des actionnaires
et plus particulièrement à la question de l’éventuelle imposition des réserves entre les mains de
ces derniers.
A cet égard, l’article 111 bis du CGI dispose que :
« lorsqu’une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés cesse d’y être assujettie, ses
bénéfices et réserves, capitalisés ou non, sont
réputés distribués aux associés en proportion de
leurs droits ».
Ce texte du 12 juillet 1965 avait vocation à mettre
fin à une jurisprudence non stabilisée du Conseil
d’Etat quant aux conséquences fiscales liées à
la transformation d’une société de capitaux en
société de personnes non soumise à l’impôt sur
les sociétés. Le texte mettait fin à l’ambiguïté :
les réserves seraient clairement imposables entre
les mains des associés, lesdites réserves n’étant
plus imposables entre les mains des associés dans
le cadre du régime fiscal des sociétés de personnes. Or, il se trouve que le Conseil d’Etat a
également fait application de ce texte dans une
hypothèse de transfert de siège conduisant à une
cessation de fait de l’assujettissement à l’impôt
sur les sociétés.
L’imposition immédiate des réserves, si elle était
confirmée, aurait des conséquences financières
lourdes en matière d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés pour les actionnaires résidents,
de retenue à la source pour les actionnaires non
résidents et de taxe de 3 % quelle que soit la
résidence des associés (contribution additionnelle
à l’impôt sur les sociétés au titre des montants
distribués, Art 6 de la 2e LFR pour 2012).
A cet égard, on observe que l’ancien article 2212 alinéa 3 qui prévoyait l’exception selon laquelle : « (…) le transfert de siège dans un autre Etat
membre de la Communauté européenne, qu’il
s’accompagne ou non de la perte de la personnalité juridique en France, n’emporte pas les
conséquences de la cessation d’entreprise » a
désormais disparu du CGI ; subsiste en revanche
l’article 111 bis qui continue d’assimiler à une
cessation d’activité le fait pour une société de
cesser totalement ou partiellement d’être soumise à l’impôt sur les sociétés au taux de droit
commun.
D’où une interrogation si tous les actifs quittent la France et que la société qui émigre cesse
d’être soumise à l’impôt sur les sociétés en France.
L’imposition des réserves entre les mains des
actionnaires à l’occasion d’une migration de siège
social à l’intérieur de l’Union européenne faisait
partie des questions soulevées devant la CJUE
dans l’affaire Commission c/ République portugaise (C-38/10). Mais la Cour n’a finalement pas
examiné la demande pour des raisons de recevabilité, la Cour considérant que le lettre de mise
en demeure adressée par la Commission à l’Etat
membre, puis l’avis motivé émis par ladite institution, délimitent l’objet du litige, lequel ne peut
plus être étendu ultérieurement. Or, la lettre de
mise en demeure de la Commission ne comportait
précisément pas de grief autonome se rapportant à l’imposition des actionnaires.
On indiquera en conclusion que dans l’hypothèse
où la société qui transfère son siège dans un autre
Etat membre conserve un établissement stable
en France – et reste donc soumise à l’impôt sur
les sociétés – l’application de l’article 111 bis serait
a priori exclue. Néanmoins, la France perdrait son
droit d’imposer les réserves existantes entre les
mains des actionnaires non résidents. La France pourrait donc souhaiter maintenir son droit
d’imposer les sommes accumulées en tant que
réserves pendant la période de sa compétence
fiscale. Les entreprises doivent être vigilantes
compte tenu des obligations qui leur incombent
en matière d’IFU et des sanctions qui y sont attachées.
Sous réserve de confirmation par la CJUE que
l’imposition des réserves lors de la migration d’une
société participe bien de la compétence fiscale
légitime de l’Etat membre de sortie1, on peut penser que la Cour s’opposerait à une imposition
immédiate jugée disproportionnée et demanderait là-aussi a minima un mécanisme de sursis
d’imposition éventuellement assorti de garanties
ou d’intérêts de retard. Un tel mécanisme serait
néanmoins plus difficile à mettre en œuvre
notamment pour une société cotée dont l’actionnariat n’est pas stable. En outre, si l’Etat de
résidence de l’associé – non résident de France
– ne reconnaît pas le revenu réputé distribué lors
de la migration, les actionnaires non résidents
seraient confrontés à un risque de double imposition en cas de refus d’imputation de la rete-
1. La nature et le montant des réserves ne sont pas
liés à la « territorialité » au sens du 209-I du CGI.
34 • LA REVUE DE L’AVOCAT CONSEIL D’ENTREPRISES • MARS 2013 • N° 123
nue à la source prélevée en France lors de la
migration.
EMIGRATION DES PERSONNES MORALES
ET « ABUS DE DROIT »
Le Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) s’est
également penché sur les situations de transfert
de siège. On citera deux avis récents.
Dans l’affaire 2012-42 (séance du 25/X/2012),
le CADF conclut que le transfert de son siège
au Luxembourg par une société italienne, alors
que le processus de vente d’un immeuble situé
en France a déjà commencé, n’est justifié par
aucune considération autre que l’exonération fiscale prévue par la convention entre la France et
le Luxembourg.
Dans l’affaire 2012-47 (séance du 22/XI/2012),
le CADF examine la substance de personnes
morales étrangères. S’agissant de sociétés luxembourgeoises propriétaires d’immeubles situés en
France, il les répute interposées et dénuées de
substance et valide la démarche de l’administration tendant à imposer les plus-values de cession entre les mains de la filiale française du groupe qui s’occupait de tout le cycle allant de la
recherche des biens jusqu’à leur cession, sous couvert d’un mandat dont aucune reddition de
comptes n’attestait la réalité (période antérieure à l’entrée en vigueur de l’avenant du
24/XI/2006).
LES AVANTAGES FISCAUX
DU ROYAUME-UNI
Et pendant ce temps… le Royaume-Uni se fait
toujours plus accueillant ! Parmi les dispositions
qui sont susceptibles d’attirer un groupe international, on citera :
• un taux d’impôt sur les sociétés de 24 % bientôt réduit à 21 % à compter de 2014 (contre
un taux de 38 % en France y inclus la contribution additionnelle de 3 %),
• l’absence de retenue à source « à la sortie »
sur les dividendes, ce qui fait du RoyaumeUni une bonne porte d’entrée dans l’Union,
• la totale exonération des plus-values sur titres
de participation (contre une base imposable
de 12 % en France),
• la totale exonération des dividendes de filiales
(contre une base imposable de 5 % en France),
• et l’absence de réglementation spécifique en
matière de sous-capitalisation au-delà du seul
principe de pleine concurrence.