Point de vue historique L`éphémère, ou si le temps m
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Point de vue historique L`éphémère, ou si le temps m
Point de vue historique L’éphémère, ou si le temps m’était « conté » Et si l’histoire en racontait. Pour une fois, le point de vue historique s’écarte un peu de la rigueur qu’on pourrait être en droit d’attendre de lui pour parler Pony Express, sms, physique quantique ou encore Tour de France. Dans tous les cas, il s’agira de voir comment notre société tend aujourd’hui vers une recherche de rapidité laissant de moins en moins de place au temps, sacrifiant le plaisir à long terme pour des bonheurs éphémères. Je ne vais pas vous parler de l’essor de l’éphémère, ou vous en proposer une histoire, pas plus que je ne vais vous exposer les raisons ou les situations qui font que, principalement au cours du dernier siècle, toute notre société semble s’être tournée vers des objectifs de plus en plus rapidement satisfaits et qui nous permettent de passer à l’activité suivante avec la plus grande rapidité sans considération pour le temps qui passe. En effet, j’aurais pu insister sur l’émergence et l’importance de notre société de consommation dans laquelle, à mesure que l’industrie évolue, nos attitudes se modifient également. Il aurait été possible, de la même façon, de s’attarder sur les « facilités » de divorcer et les raisons qui rendent ces séparations envisageables (importance de la religion en baisse, possibilité de subvenir, plus ou moins, à ses propres besoins sans être uniquement dépendant(e) de l’apport financier de son conjoint, etc). Mais non, dans le présent article, il sera question de deux phénomènes qui, pour moi, représentent ce que notre société a, aujourd’hui, d’éphémère. Tout d’abord, je m’intéresserai à l’accélération du rythme des communications qui tend à bientôt ne plus laisser de traces, si ce n’est celles d’un échange plus qu’éphémère d’informations. Puis, presque corrélativement, il sera question de dopage et surtout de cette quête de gloire, souvent éphémère, qui mène, dans le sport ou ailleurs, certains à se détruire physiquement, psychiquement ou socialement. Le rapport de l’homme aux communications est étroitement lié à la relation qu’il entretient avec l’espace qui l’entoure. En effet, le besoin de trouver des moyens pour communiquer avec des personnes éloignées n’intervient qu’une fois que l’ailleurs de ces hommes est considéré. Il peut s’agir de migration, de déménagement, d’éloignement. Mais les premières grandes communications, et les voies nécessaires à leur propagation, ont souvent et surtout été mises en place pour des visées expansionnistes ou pour parlementer avec d’éventuels envahisseurs. Bien qu’il existe déjà des traces bien attestées de communication entre « états » ou entre cités presque dès le début de l’écriture, (ou des exemples de messagers célèbres, tel le coureur de la bataille de marathon qui aurait couru la distance désormais mythique de 42,195km pour délivrer son message [1],) je vais m’attarder sur la première mise en place, à mon sens, d’un système de communication presque étatique. Il s’agit du Cursus publicus mis en place par l’empereur Auguste pour que les informations concernant son empire puissent lui parvenir au plus vite. Le bon fonctionnement de ce système ne put pas être possible sans la mise en place, parallèlement, d’un réseau monumental de circulation : les voies romaines. Ces dernières permettent de relier, en ligne droite dans la mesure du possible, la plupart des territoires de l’empire autour d’un système de routes pavées ou au moins balisées, et de poste relais permettant aux messagers de se reposer, de se sustenter ou plus sûrement de changer de monture pour bénéficier d’animaux plus frais afin d’optimiser les temps de trajet. Presque deux millénaires plus tard, malgré les progrès évidents de la science, on retrouve plus ou moins le même procédé. Fondé officiellement le 3 avril 1860, le célèbre système de communication entre l’Est et l’Ouest des Etats-Unis, le Pony express repose exactement sur le même système. Pour traverser les Rocheuses dans un temps raisonnable et suppléer les voies fluviales à la rapidité contestée, on met en place ce système de poste à cheval. A nouveau, on retrouve les mêmes infrastructures, des chevaux, des relais pour changer de monture etc. Toutefois, dans une époque où le progrès marche déjà à grand pas, le Pony express ne supporte pas la concurrence à venir du train transcontinental, achevé en 1869 et plus encore l’émergence du télégraphe, sans oublier l’absence de soutien réel qui l’empêche d’être rentable. Si le télégraphe a bouleversé notre façon de communiquer, il n’était que le point de départ du vaste système à venir dans lequel nous évoluons maintenant pleinement. Il ne m’est pas possible de développer le changement effectué en 150 ans, mais alors qu’un même système pouvait revoir le jour à deux millénaires d’intervalle, nous avons assisté en un temps très court à un véritable « boum » de la communication : mise en place de services postaux liés à des moyens de transport de plus en plus performants et rapides, et essor des communications à distance, télégraphe, puis téléphone, jusqu’au sms, tweet et snapchat [2] du genre, en passant par le courrier électronique ou d’autres encore. Si le folklore ou la nostalgie laissent encore une place dans les esprits à la grande odyssée de l’Aéropostale [3], tout tend dorénavant à prôner l’efficacité et l’immédiat. Corollaire logique, là où l’attente, la difficulté et les coûts rendaient l’échange rare et précieux, la facilité d’aujourd’hui le rend passager, parfois futile, et éphémère. De la même façon, le support de transmission, par son évolution, participe à ce passage vers une « éphémérisation » de la communication. En effet, si les pierres sur lesquelles furent gravées de nombreux traités ou accords entre les cités antiques ont pu parfois subsister jusqu’à nous, en sera-t-il de même de nos communications modernes ? Celui qui, hier, conservait toutes les lettres qu’on lui envoyait fera-t-il l’effort d’archiver ces courriels ? J’en doute. Il ne s’agit pas là d’émettre un constat conservateur, réfractaire au progrès ou juste aigri, mais simplement de pointer du doigt le fait que notre relation aux communications continue d’évoluer, la rendant chaque jour un peu plus absente, fragmentée, éphémère, concentrée sur le prochain tweet en attendant déjà celui qui le suivra. Partant de notre même relation au quotidien comme une suite d’événements à venir, où ce qui intéresse est toujours ce qui viendra ensuite, je voulais m’attarder un peu sur les quêtes de gloire qui mènent certains à tout sacrifier pour être un jour sur le devant de la scène et à la chute encore plus vertigineuse qui les attend, malheureusement souvent, à la tombée du rideau. Que ce soit dans le sport ou dans d’autres disciplines, ou même dans de nouveaux domaines, telle la téléréalité, tout semble amener à cette quête d’une gloire rapide pour laquelle tous les moyens sont bons. Il ne convient pas ici de faire le procès de tel ou tel sport – je considère d’ailleurs que le cyclisme a plus que payé son dû pour l’image du « tous dopés » qu’il a pu parfois renvoyer – mais malgré tout, le cyclisme offre un exemple intéressant des moyens qui peuvent être utilisés pour réussir. S’il serait facile de parler des grands dopés de ces dernières années, il ne faut pas oublier que nombreux sont les sportifs à avoir succombé aux démons du dopage et ce, à n’importe quelle époque. Si, il y a longtemps de cela, ce dopage pouvait prendre la forme d’une gorgée d’alcool fort, il visait déjà à offrir au gagnant une gloire instantanée, immédiate. Malheureusement, ces moments de gloire, éphémères, sont vite remplacés par des chutes beaucoup moins glorieuses. Si Tom Simpson, mort sur les pentes du Ventoux lors du Tour de France 1967 symbolise bien, presqu’à lui seul, les conséquences de cette recherche du succès, nombreux cas de sportifs aux fins moins tragiques exemplifient également cette futilité du dopage. Certains acquièrent quand même une reconnaissance planétaire dans la durée, Lance Armstrong, pour ne citer que lui, mais la plupart retombe aux oubliettes, à peine leur exploit effectué. Qui, à part les passionnés ou les spécialistes se souvient de Bernhard Kohl, pourtant vainqueur du maillot à pois de meilleur grimpeur et 3e du Tour de France 2008 avant d’être déclassé, ou encore de Michael Rasmussen lui aussi contrôlé positif lors de la dernière décennie ? Le succès, encore plus lorsqu’il est acquis de cette manière s’estompe dans cet éphémère. Le principe étant d’avoir fait rêver un instant des dizaines, parfois des milliers de spectateurs à la recherche d’un plaisir lui aussi éphémère. Ainsi, pour changer un peu de sport, si le succès de l’Afrique du Sud lors de sa coupe du monde de Rugby en 1995 a tout du conte de fée, qui se soucie aujourd’hui de la « malédiction » qui semble toucher la plupart de ses joueurs qui, pour permettre de transmettre le message fort d’unité dont Mandela et le pays, tout juste sorti de l’apartheid, avaient besoin, n’ont pas hésité à fragiliser leur santé pour ce succès aux conséquences désastreuses dans un temps plus long ? Un des aspects, parfois cruel, du sport consiste à toujours vouloir chercher la future star, le futur grand ; combien la France compte-t-elle de « futur Zidane » [4] ? Sans doute presqu’autant que de jeunes stars du football qui ont un jour démontré des aptitudes avec un ballon. Notre époque ne permet plus ou trop rarement à un sportif de s’épanouir tranquillement ou de rester au sommet sans lasser. Corollaire de l’essor des communications développé ci- dessus, tout circule à une vitesse impressionnante et tout est analysé dans le but d’un bonheur éphémère et d’un profit immédiat. Cette quête de profit participe à cette accélération des transmissions : un autre Pony express, celui de la Nouvelle-Ecosse visait à diminuer les temps de trajet des communications transatlantiques au XIXe siècle afin d’optimiser les transactions de Wall Street, de la même façon qu’il existe aujourd’hui des sociétés prêtes à payer des millions pour utiliser la physique quantique afin de gagner un temps infime pour maximiser les profits potentiels. Je ne souhaite pas délivrer une vision pessimiste de ce rapport que nous avons au temps, ni même critiquer les conséquences que peuvent entraîner notre considération de l’éphémère. Je voulais uniquement offrir une trace des histoires qui nous ont amenés là, des impacts qu’elles ont eus sur tout un chacun et de la réalité que représente actuellement notre monde : un monde où nombreux sont ceux qui peuvent accéder à une gloire éphémère de différentes façons, un monde où la communication n’a jamais été aussi centrale malgré sa fragmentation. Même si, dans un monde où il s’agit de tout savoir, de tout entendre, il faut aussi et surtout ne pas oublier l’importance de la gratification que l’on peut, parfois, trouver dans l’éphémère même. Alexis Jornod Notes : [1] Au-delà de l’aspect historique où la distance courue fait encore débat, cette marque n’a rien d’officiel, ayant été fixée pour des raisons diplomatiques lors des jeux olympiques de Londres de 1908, après plusieurs courses aux distances aléatoires, mais toujours aux alentours des quarante kilomètres. [2] Il s’agit peut-être de l’application symbolisant le mieux ce nouveau rapport de l’homme à l’éphémère de l’information : le contenu envoyé disparaissant quelques secondes après sa réception. [3] Service postal aérien actif suite à la première Guerre mondiale et jusqu’en 1933 qui, s’appuyant sur les améliorations de l’aviation pendant la guerre, permet de rallier l’Amérique et l’Afrique dans des délais plus que raisonnables. Sous d’autres termes et de façon moins épique, ce système fonctionne toujours. [4] Sans oublier les enfants Zidane eux-mêmes, dont le suivi médiatique dépasse le seul talent footballistique : http://rmcsport.bfmtv.com/football/bleus-apres-enzo-voila-luca-zidane588871.html; http://www.sports.fr/football/equipe-de-france/articles/Ca-senflamme-deja-autour-de-luca-zidane-1237618/