Réapprendre à manger - Eki-Lib

Transcription

Réapprendre à manger - Eki-Lib
L’édito
Par Jean-Louis Servan-Schreiber
Réapprendre
à manger?
M
anger n’est peut-être plus le plaisir intense de notre vie, mais c’est bien
le plus fréquent. On ne fait pas l’amour trois fois par jour de sa
naissance à sa mort. Et quand le coup de rein se fait rare, il reste
toujours le coup de fourchette.
Nos ancêtres, pas si lointains, savaient en se réveillant le matin que leur priorité
était de se nourrir, eux et les leurs. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de trouver des
victuailles, mais d’y échapper. Elles nous guettent à tous les coins de rues, ou à
chaque rencontre. Après le « je pense donc que je suis » de Descartes, la
pensée philosophique de l’époque devient le « on est foutus, on mange trop »
de Souchon.
Et à notre culpabilité de manger trop s’ajoute maintenant celle de manger mal.
On finit par se demander si porter notre cuillère à sa bouche ne relève pas d’une
conduite à risque. Le doute plante : qu’est-ce qui est bénéfique ou nocif, sain
ou toxique, bien ou mal? De nécessité alimentaire, manger est devenu un
dilemme moral. On juge l’autre à son comportement à table – « il s’est resservi
de la mousse au chocolat… » - ou à son tour de taille.
Chacun d’entre nous vit une forme d’incertitude alimentaire. On n’est plus sûrs
de rien, ni de ce qu’il faut manger pour être en bonne santé, ni des proportions,
ni même de ce qui nous fait plaisir.
Et si, par exemple, moins manger était une forme d’épicurisme? Chacun de
nous peut en effet constater que les trois ou quatre premières bouchées d’un
mets réussi sont délicieuses. Au-delà, l’intensité des saveurs s’atténue souvent.
Épicure professait que l’excès d’un plaisir pouvait mener à la souffrance.
Manger moins pourrait nous garder en bonne santé et même faire de nous des
philosophes.
Ce numéro spécial a été conçu avec la collaboration de Thierry Marx, qui, aux
commandes de la cuisine du relais château de Cordeillan-Bages (dans le
Bordelais), a été élu meilleur chef de l’année 2006. Nous espérons qu’il vous
aidera à vous y retrouver dans la vague des informations contradictoires et des
injonctions péremptoires.
Se nourrir est à la fois un besoin et un plaisir naturels. Ce serait dommage que
nous finissions par le vivre comme un problème. Réapprenons cet art pour
mieux vivre.
1. apprendre
à manger juste
Comment concilier plaisir et santé,
sans renoncer à la gourmandise
ni céder à la tyrannie de contrôle
permanant? Manger juste, cela
signifie tout simplement retrouver
notre bon sens alimentaire
Sommaire
3 N’ayez pas peur de manger!
7 Dix conseils pour manger à sa faim… et pas
plus!
12 « A force de se priver, on finit par
manger plus »
15 Gourmandise, arrêtez de vous culpabiliser
20 Quatre exercices pour faire la paix avec vos
aliments tabous
24 Le goût, ça se cultive
28 Enfants, ados : les clés de l’équilibre
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Chasse au gras et au sucre, obsession du diététiquement
correct, tyrannie des régimes… Au secours, face à notre
assiette, nous sommes en train de perdre la tête! Il suffirait
pourtant de quelques grammes de réflexion et de bons sens
pour retrouver facilement le chemin de l’équilibre et du plaisir.
N’ayez pas peur
de manger !
Par Gérard Apfeldorfer
C
omment en est-on arrivé là?
Par ce « là », j’entends ce monde
d’abondance, de surabondance, et dans lequel cet excès devient
souffrance. J’entends aussi ce monde qui cherche son salut dans la
diététique, tout comme l’homme des XIXe et XXe siècles, encombré de sa
sexualité, cherchait le salut dans le rigorisme puritain. Ça ne marchait pas
vraiment, à l’époque où ce qu’on chassait par la porte se présentait à la fenêtre,
et où l’on fréquentait tout à la fois les lupanars, les confessionnaux, puis les
cabinets de psychanalystes.
Aujourd’hui, la sexualité, dépouillée de la plupart de ses interdits moraux, s’en
trouve à la fois libérée, et en même temps dépossédée d’une certaine frénésie,
de l’excitation que procure la transgression. En somme, la sexualité s’est faite
banale, ce qui ne signifie pas qu’elle soit dénuée de problèmes.
Les comportements alimentaires ont curieusement suivi le chemin inverse : ils
se sont moralisés, dramatisés, névrotisés. Il est désormais devenu très
compliqué de manger et on est toujours pris du sentiment, quoi qu’on fasse,
qu’on fait mal. Quand on mange, c’est déjà trop ; ou bien ce n’est pas assez
diététique, pas assez équilibré ; ou encore, c’est trop industriel, trop pollué, trop
trafiqué, pas assez pur, pas assez naturel. Et quand on vous dit qu’en plus il
faut que ce soit bon, un régal pour les papilles, que ce soit convivial, que ce
qu’on mange ait du sens, nous fortifie dans notre être, on ne fait qu’augmenter
le niveau d’exigence, qu’ajouter à la difficulté de manger.
Si bien qu’au lieu de s’efforcer de manger au mieux, simplement, sans chichis,
on essaie d’éviter de penser à cette chose bien trop compliquée, ce problème à
résoudre qui s’apparente à la quadrature du cercle : on avale alors à la va-vite
n’importe quoi, pour ne pas avoir à prendre conscience qu’on est coupable,
forcément coupable.
Les puritains du sexe perdent chaque jour du terrain, face aux orthorexiques,
ceux qui veulent manger droit, et qui ruminent leurs fautes alimentaires passées
et future au-delà de trois heures par jour.
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Du coup, voilà nos curées, nos père la Pudeur qui se voient supplantés par des
hordes de nutritionnistes et de diététiciens professionnels ou amateurs,
d’hygiénistes de tout poil, voire des politiciens et mal de pouvoir, qui tous,
s’efforcent d’occuper le rôle de directeurs de conscience.
Et que dire des cuisiniers ennoblis, des artistes de métiers de bouche, de
chantres télévisuels du bien manger? De quel côté sont-ils? De celui de la
bonne mère Nature, nous serinant que ce qui est bon au goût est bon pour le
corps?
VOUS ÊTES NATURELLEMENT CAPABLES DE MANGER JUSTE
Perdus comme nous le sommes, je vous propose de revenir à des questions de
base. Par exemple : à quoi cela sert-il de manger? Ou encore : sommes-nous
capables, par nature, de réguler nos prises alimentaires ou bien devons-nous
faire un effort conscient pour cela?
Attaquons-nous tout d’abord à cette question d’une fausse simplicité, la nature
des besoins que l’acte de manger est censé satisfaire. Pour le comprendre, il
convient de faire la synthèse des dernières avancées de la physiologie de
l’alimentation et des sciences humaines.
On mange en premier lieu pour satisfaire ses besoins énergétiques. Fait-on de
l’exercice, un travail de force, vit-on dans le froid, n’a-t-on pas mangé depuis
longtemps? Ou bien au contraire vit-on dans un cocon, toujours assis ou
couché, sans se priver? À l’évidence, on ne ressentira pas la faim et le
rassasiement de la même façon.
Certains de nos appétits sont spécifiques : on a parfois, par exemple, faim de
protéines, ou bien faim de zinc, ou bien faim de vitamine B. Pour satisfaire ces
appétits-là, il n’est nul besoin de connaître la diététique, puisque les rats et les
petits enfants d’hommes y parviennent sans se poser de question. Sans savoir
pour quelle raison, on a envie de tel ou tel aliment déjà mangé dans le passé,
on sent que c’est cela qu’il nous faut, là, maintenant. On en mange, on en est
contenté.
Nourrir le corps au mieux est loin d’être la seule fonction de l’acte alimentaire.
Tout d’abord, c’est à partir de l’acte alimentaire, qui leur sert d’étayage, que se
développent les premières relations affectives. On comprend que manger sur
un mode convivial, ensemble, soit un aspect indispensable des liens sociaux.
On mange par amitié, par amour, pour faire des affaires. Et comme nous
sommes bien faits, cette empathie qui naît du partage facilite notre régulation
alimentaire : voyant l’autre manger ce que nous mangeons, nous sommes
ramenés à nos sensations alimentaires. Nous avons donc impérativement
besoin, pour aller bien, de partager, ainsi que de disposer d’un temps suffisant,
d’un cadre rassurant et agréable.
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Nous avons aussi besoin de consommer des représentations, qui nous
confortent dans notre être, ou bien qui nous font découvrir d’autres semblables
différant de nous par tel ou tel aspect. En déclarant comestibles certains
aliments rituellement préparés et consommés d’une certaine façon, dans un
certain ordre, nous nous définissions. Nous devenons un peu plus musulmans,
juifs ou bouddhistes, ou bien Français ou Allemands, Auvergnats ou Bretons,
végétariens ou carnivores. Assurés de notre être, nous pouvons aussi voyager
dans nos assiettes, partir à la découverte de l’Italie savoureuse, de l’esprit
nippon, de la Chine éternelle.
Enfin, lorsque tout va mal, quand le stress nous domine, nous cherchons refuge
dans la nourriture. Des aliments riches, bien gras et sucrés, voilà ce qu’il nous
faut. Un bon repas pris avec des amis chers, ou une petite gâterie en douce
nous apaisent, nous font retrouver nos marques. Où est le mal quand cela nous
fait du bien?
OSEZ SATISFAIRE TOUS VOS BESOINS
Parvenus à ce point, il nous faut attaquer notre seconde question : comment
faire pour réguler ce bazar? Nous voilà avec toutes sortes de besoins, qui se
situent à des niveaux hiérarchiques fondamentalement différents, mais qui sont
tous indispensables à notre survie et à notre épanouissement harmonieux. Nous
avons des besoins énergétiques, des besoins en nutriments et en
micronutriments, nous avons faim de représentations, faim des autres, et nous
ressentons parfois le besoin d’utiliser nos comportements alimentaires pour
lutter contre des stresses, des pensées et des états émotionnels malvenus.
Nous voilà donc aux prises avec la complexité du monde, notre propre
complexité. Nous y faisons face de la façon habituelle, comme le font tous les
êtres biologiques pour tout ce qui relève de la complexité (et y a-t-il vraiment
des choses qui n’en relèvent pas?). Nous utilisons la méthode du bricolage
permanent.
Nous satisfaisons en premier lieu les besoins les plus criants. S’agit-il par
exemple d’un besoin pressant d’amitié et de chaleur humaine? Pourquoi ne pas
susciter une petite fête entre amis, où nous mangerons et boirons d’abondance?
Bien sûr, ce repas, qui nous nourrira d’émotions tendres, engendrera des
déséquilibres a d’autres niveaux. On boira trop d’alcool, on mangera une
nourriture trop riche en trop grande quantité. Mais qu’importe, puisque le
lendemain matin ou le surlendemain, son appétit diminué d’autant, la régulation
des besoins énergétiques prendra le dessus? On n’aura pas faim, ou alors pour
des choses légères, rafraîchissantes, par exemple un peu de verdure, quelques
bouchées de ceci ou cela. Sans qu’on s’en occupe rationnellement, simplement
en suivant ses appétits, l’équilibre naturel se rétablira de lui-même à l’échelle de
la semaine.
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AU JAPON, LA CUISINE SE REGARDE, SE MÉDITE ET SE MANGE.
Les orientaux ont conservé cette culture d’un plaisir partagé équitablement entre les cinq sens, cette
sérénité offerte par la satiété. Manger et cuisiner devraient être source de bien-être sensuel, mais aussi
émotionnel. La recherche du plaisir est source de curiosité. C’est un puissant moteur qui pousse à
expérimenter de nouvelles sensations. C’est une magnifique porte sur le monde. Il serait infiniment
triste que les générations futures ne sachent plus l’ouvrir…Nous, les restaurateurs, sommes parmi les
premiers à percevoir les modifications de comportement du consommateur. Le traditionnel « entréeplat dessert » a pratiquement disparu au déjeuner, au profit de plats uniques. La demande de plats à
emporter ou à consommer debout est de plus en plus forte. Il reste beaucoup à faire pour la satisfaire
avec qualité et variété. Si nous ne proposons pas rapidement des solutions de type cuisine de rue,
comme en Asie, les goûts et les habitudes se réduiront et s’uniformiseront. Il y a quantité de recettes
délicieuses et facile à adapter à ce type de restauration.
THIERRY MARX
Voilà le secret : n’ayez pas peur! N’ayez pas peur d’écouter vos différents
besoins les uns après les autres, à tour de rôle. N’aye pas peur de ce qui peut
apparaître comme un excès à un certain niveau, une nécessité à un autre.
N’ayez pas peur de manger à votre faim, c’est-à-dire beaucoup quand elle est
de loup, et peu, voire rien, quand elle n’est pas au rendez-vous. N’ayez pas
peur de déséquilibrer vos repas, tout en étant attentifs à ce que votre corps ou
ce que votre psyché réclament. Car à l’échelle de la semaine, de la quinzaine,
par un jeu de compensations, un équilibre naîtra de la somme de ces
déséquilibres.
ÉCOUTEZ VOS SENSATIONS
N’ayez pas peur, mais soyez attentifs! Car tout bricolage demande du savoirfaire, de l’ingéniosité, de la créativité pour parvenir à un résultat satisfaisant
avec les éléments dont on dispose. Il faut tout d’abord savoir être à l’écoute de
tous ses besoins, et pour cela, certaines conditions doivent être remplies : il faut
disposer de temps, de calme, d’un certain savoir-faire alimentaire. Du temps,
du calme? Nous l’avons dit : l’écoute de ses sensations et de ses émotions
alimentations ne peut pas se faire dans la précipitation. Le soulagement de la
faim, le contentement ne sont perceptibles que si les conditions alimentaires le
permettent.
Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas qu’avaler un sandwich SNCF à toute
vitesse pose le moindre problème. Ce que je dis, c’est que, à un moment ou à
un autre, on doit pouvoir écouter ses besoins, tous ses besoins, et laisser les
équilibres se rétablir. Quand au savoir-faire, je ne prendrai ici qu’un seul
exemple : savoir régulariser ses apports, il faut connaître intimement ce qu’on
mange. C’est le cas lorsqu’on se nourrit d’une cuisine familière, ou bien
lorsqu’on fait confiance à une série limitée d’aliments industriels. Ce n’est plus
le cas si on mange continuellement des aliments inconnus, qu’il est nécessaire
d’éprouver en permanence.
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Bâtir des savoir-faire alimentaires consiste donc à mettre en place des repères
suffisamment stables, par là même rassurants, qui permettent d’anticiper les
besoins et leur satisfaction.
TROUVEZ VOTRE HARMONIE ALIMENTAIRE
En somme, ce dont il s’agit, c’est d’aboutir à une harmonie alimentaire. Cette
harmonie est compromise lorsque la satisfaction d’un besoin l’emporte en
permanence sur la satisfaction des autres. C’est par exemple le cas lorsqu’on a
besoin de manger souvent beaucoup d’aliments riches afin de s’anesthésier.
Cette stratégie visant à rétablir l’homéostasie émotionnelle compromet d’autres
équilibres, en particulier l’équilibre énergétique. Manger trop souvent pour
lutter contre des stresses internes et externes finit par faire grossir! On a un
gros problème, cause d’une dysharmonie. Rétablir l’harmonie passera alors par
la recherche d’autres solutions, sans doute meilleures, pour trouver la paix de
l’âme : on rétablira l’harmonie alimentaire à partir d’un travail sur soi-même, sur
ses discours intérieurs, ses émotions.
Si, autrefois, les affres de la vie sexuelle étaient souvent le symptôme d’un malêtre plus général, c’est au comportement alimentaire que revient aujourd’hui
cette tâche de sentinelle.
Une alimentation qui s’équilibre harmonieusement toute seule est le signe d’une
bonne santé physique et mentale. À l’inverse, une alimentation dérégulée doit
conduire à se poser des questions : qu’est-ce qui ne va pas chez moi, dans ma
vie? Que puis-je faire pour (r)établir l’harmonie?
Dix conseils
pour manger à sa faim…
et pas plus!
Par Flavia Mazelin Salvi
En finir avec les excès sans renoncer
au plaisir? C’est possible avec cette
méthode à suivre pendant dis jours…
puis à s’appliquer toute sa vie!
L’
expression « avoir les yeux plus gros que le ventre » illustre avec
éloquence ce comportement qui fait que l’on se dit souvent à la fin d’un
repas, comme le corbeau de la fable, que l’on ne nous y prendra plus.
Une promesse qui ressemble aux résolutions du 1er janvier, sincère et
vertueuses, mais rarement tenues.
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Pourtant, en matière de comportement alimentaire, la modération est la seule
alternative sérieuse aux ravages des régimes draconiens ou à l’insouciance qui
autorise tous les excès, dangereux pour la santé.
Pratiquer la modération passe par une étape clé : reprendre contact avec ses
sensations corporelles.
Ce qui signifie être capable de faire la différence entre deux sortes de faim : la
faim physiologique et la faim psychologique. La première est un besoin de
nourriture pour le corps (d’énergie, de nutriments) ; la seconde, une envie de
manger qui agit comme un mécanisme de défense contre des émotions
incontrôlables, négatives ou positives. Il est indispensable de savoir faire la
distinction entre les deux pour manger de manière juste. Sans excès ni
frustration. Une fois la faim physiologique identifiée, reste à repérer son seuil
de rassasiement, ce point d’équilibre entre le plaisir de manger et la satisfaction
des besoins de notre organisme. Soyons honnête : si les principes à respecter
sont simples, leur application au quotidien exigera de vous, dans les premiers
temps, des efforts et surtout de la patience. Ce programme proposé par le
psychiatre Gérard Apfeldorfer s’étale sur dix jours et repose sur dix point clés.
L’originalité de cette méthode? Vous rendre seul juge de votre confort et de
votre bien-être alimentaire.
1. Ressentez la faim
Essayez de ne rien manger pendant quatre heures. Si cette idée vous
effraie, c’est que vous avez peut-être peur d’avoir un malaise. Vous pouvez
vérifier concrètement qu’il ne se passe rien de dramatique! Si vous ne ressentez
jamais la sensation de faim, vous mangez sûrement « en avance », c’est-à-dire
que vous surmangez pour juguler votre peur du manque ; il se peut ainsi que
vous ayez totalement perdu le contact avec vos sensations alimentaires. Si, à
l’inverse, vous avez tout le temps faim, vous confondez peut-être faim
physiologique et faim psychologique.
Les manifestations de la faim diffèrent d’une personne à l’autre. Parmi les plus
fréquentes : une sensation de faiblesse (manque d’énergie, petits vertiges) et
un trouble de l’humeur (irritabilité).
• Le conseil : le but de nouer une relation sereine à la nourriture. Pendant
ce petit jeûne, vaquez à vos occupations sans guetter les signaux de votre
corps, mais en les laissant venir à vous.
2. Installez une routine
Pour ressentir physiquement la faim puis la satiété, vous devez en faire
régulièrement l’expérience. Prenez vos repas à heure fixe et le même petit
déjeuner tous les matins.
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Après dix jours, vous devriez ressentir la faim juste avant l’heure de manger,
mais aussi mieux percevoir votre seuil de rassasiement.
• Le conseil : évitez les saveurs nouvelles. Il est plus facile de repérer son
seuil de satiété avec des aliments familiers.
3. Concentrez-vous sur le goût
Prêtez attention aux premières bouchées. Ce sont elles qui nous
renseignent sur la saveur de l’aliment : est-il salé? Trop sucré? Amer? Fondant?
Est-il bon ou médiocre? Cet « arrêt sur saveur » est essentiel car nous
fantasmons le goût des bouchées suivantes. Ce qui explique que l’on puisse
avaler jusqu’à la dernière bouchée un gâteau au chocolat médiocre parce qu’on
le fantasme délicieux. Contrairement à notre sens gustatif, notre imaginaire ne
connaît pas de lassitude. Lorsque l’on prête réellement attention au goût, vient
le moment où il y a fléchissement du plaisir à manger. Le goût a changé, on
peut s’arrêter.
• Le conseil : Prenez de petites bouchées. Utilisez vos dents, votre langue et
votre palais. Posez vos couverts pendant que vous mastiquez.
4. Ralentissez
Il faut à notre organisme entre quinze et trente minutes pour que les
signaux de rassasiement soient perçus et enregistrés. Le message entre
estomac et cerveau n’est pas instantané, certains enzymes impliqués dans le
déclenchement de la satiété ne sont libérées qu’une trentaine de minutes après
le début du repas. En mangeant trop vite, on a toujours tendance à surmanger.
• Le conseil : Étirez votre repas sur un au moins une demi-heure. Que votre
nourriture soit bonne ou médiocre, dégustez-la en gastronome, avec lenteur.
5. Faites une pause au milieu du repas
Interrogez-vous. Avez-vous toujours très faim, moyennement faim, presque
plus faim? Pour vous aider, utilisez l’échelle de rassasiement (lire encadré page
15). Si vous vous sentez repus, arrêtez-vous là. Même si vous pensez qu’il
vous reste de la place pour le gâteau au chocolat. Dites vous que vous
l’apprécierez encore davantage plus tard (vous ne vivez pas au milieu du désert,
il y a des pâtisseries partout !). En revanche, si la faim vous tenaille encore,
poursuivez votre repas.
• Le conseil : Interrogez-vous couverts posés et bouches vide. Le meilleur
critère indiquant que l’on est modérément rassasié est le plaisir que l’on
prend à manger : quand il commence à faiblir, c’est que l’on a assez mangé.
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6. Chassez les parasites
Le zen dit : « Quand vous mangez, mangez! Quand vous lisez, lisez! »
Cette philosophie, fondée sur l’importance du moment présent, trouve toute sa
pertinence ici. Vous êtes à table, devant votre assiette. Chassez les parasites
aux dessus de vous. Ne lisez pas le journal, ne regardez pas la télé, ne vous
lancez pas dans un débat politique passionné. Soyez ce que vous faites :
simplement manger. Évidemment, si vous déjeunez en groupe, pas question de
vous isoler comme un bénédictin.
• Le conseil : Pratiquez des pauses régulièrement. Un temps pour parler et
écouter, un autre pour vous nourrir : peu à peu, cette alternance se fera
naturellement.
7. Pratiquez la modération
Il existe trois moyens simples pour manger avec mesure et
conscience.
Mangez de tout, lentement, en vous concentrant bien sur la saveur des
aliments, et laisser l’excédent de nourriture dans votre assiette.
Réduire la taille de vos portions de départ et vous interroger en cours de
route sur vos besoins.
Réduire le nombre de plats du repas (cela vaut surtout pour les gros
mangeurs) ou ne prendre qu’une seule portion de chaque plat (pour les
grignoteurs).
• Le conseil : Acceptez les temps morts entre les plats.
8. Identifiez vos envies
Vous êtes à deux doigts de vous jeter sur un paquet de
biscuits…Pourquoi pas? Mais avant de passer à l’acte, interrogez-vous : est-ce
de l’envie ou de la faim.
Si c’est de la faim, mangez. Sinon, demandez-vous ce qui motive votre envie. À
ce moment précis, êtes-vous triste? Stressé? En colère? Euphorique? Avez-vous
besoin de réconfort?
En effet, nos pulsions et nos fringales sont souvent le signe d’une perturbation
d’ordre émotionnel : nous mangeons pour éviter d’être trop envahis par une
émotion, qu’elle soit positive ou négative. Laissez venir les réponses sans les
trier. Ensuite, buvez un verre d’eau, allez faire un tour, passez un coup de fil. Il
s’agit de mettre votre envie à l’épreuve. Si elle perdure, mangez ces biscuits
avec plaisir, sans culpabilité. Il y a de fortes chances pour que le travail
préalable sur vos émotions vous aide à respecter dans les limites du
raisonnable.
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Le conseil : À chaque « crise de tentation », essayez de noter sur le même
carnet les émotions qui y sont associées, sans les censurer. Peut-être finirezvous par remarquer que ce sont souvent les mêmes qui reviennent.
9. Ne mangez pas pour plus tard
La peur du manque, la crainte des lendemains poussent à manger
comme si l’on faisait des provisions « au cas où »…Cette peur, caractéristique
des tempéraments anxieux, souvent induites par les régimes. Leur violence
pour le psychisme et l’organisme est telle que l’on s’en défend en accumulant la
nourriture, en surmangeant.
• Le conseil : Revenez au moment présent, demain est un autre jour. Ici et
maintenant, quel est votre degré de faim? Mangez uniquement en fonction
de cette donnée. Souvenez-vous, il y a des pâtisseries partout…
10. Soyez seul juge de vos besoins
Manger pour faire plaisir, se resservir pour ne pas vexer, engloutir son
assiette sans lever le nez pour se protéger d’un climat agressif…Le groupe fait
facilement émerger des comportements dysfonctionnels. C’est pourquoi il est
primordial de rester branché sur ses besoins réels. Ne tenez pas compte des
injonctions des uns et des autres, gardez votre cap. Évaluez votre satiété,
arrêtez ou continuez même si vos compagnons font l’inverse. Quoi qu’il arrive,
restez toujours centré sur vos sensations corporelles.
• Le conseil : Si vous avez envie, une fois de temps en temps, de faire un
vrai repas de banquet, duquel vous ressortirez avec la sensation d’avoir
effectivement trop mangé, faites-le sans hésitation! Vous êtes dorénavant
dans une dynamique qui vous permettrez de vous réguler les jours suivants.
Avant de manger, puis tout au long du repas, écoutez votre faim en vous situant sur l’échelle suivante :
De 1 à 3 : vous pourriez dévorer un bœuf !
De 3 à 5 : vous avez faim mais sans plus.
De 5 à 7 : vous pourriez vous arrêter là.
De 7 à 10 : vous n’avez plus faim mais il vous reste un peu de place…
À partir de 10 : votre ventre va éclater !
Si vous êtes à 3, vous n’avez probablement plus besoin d’un volume important.
À 4 et 5, essayez de ne plus vous resservir, une dernière bouché savourée « en conscience » devrait vous permettre de
vous arrêter en douceur.
A partir de 6, vous êtes en surconsommation, mais ne culpabilisez pas, il faut du temps pour remettre les pendules à
l’heure. À un moment donné, on peut avoir faim ou bien juste avoir envie de manger. Il n’est pas toujours facile de faire
la part des choses. Le besoin de se réconforter avec un peu de nourriture est légitime, le but n’est pas de devenir une
machine parfaitement huilée, mais une personne plus consciente, et dont plus libre dans ses choix.
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« A force de se priver, on finit par manger
plus »
Obsédées par quelques kilos
en trop, elles mettent leur
alimentation sous haute
surveillance, elles comptent
les calories, s’angoissent face
à la balance, finissent par
grignoter en douce, puis
culpabilisent et dépriment.
C’est le cercle vicieux des
régimes. Explications du
nutritionniste Jean-Philippe
Zermati.
Propos recueillis par Hélène Huret
Psychologies : Serions-nous toutes victimes d’une « grosse » névrose
alimentaire ?
Jean-Philippe Zermati : Malheureusement oui. Aujourd’hui, la plupart des
femmes – et les hommes s’y mettent! – se trouvent grosses, à tort ou à raison,
et ne parviennent pas à maigrir durablement malgré un état de régime
permanent. Un phénomène paradoxal que les psychologues désignent sous le
terme de « restriction cognitive », une attitude inconsciente qui pousse à limiter
ou à tenter de limiter ses prises alimentaires. Le comportement alimentaire
n’est plus régulé par les sensations – la faim, les goûts, la satiété - , mais
dominé par l’intellect.
Dogmes et croyances – manger équilibré, boire beaucoup d’eau, ne pas sauter
de repas, etc. – gouvernent la façon de manger. Schématiquement, la
personne en état de restriction – ou mangeur restreint – classe les aliments en
deux catégories : ceux qui font grossir (le gras, le sucre, etc.) et ceux qui font
maigrir (les légumes, le poisson, etc.)
Pourquoi est-ce un problème ?
Parce qu’à force de nier sa faim et sa satiété, ses goûts et ses dégoûts, le
mangeur restreint ne les perçoit plus! Et sa relation à la nourriture devient
problématique, car penser à manger moins ou autrement, paradoxalement, c’est
d’abord penser à manger!
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Cet envahissement de la pensée par la sphère alimentaire s’accompagne
toujours d’une résistance acharnée pour ne pas succomber aux tentations. Mais
plus la résistance s’intensifie, plus les obsessions s’amplifient…
Et comme la volonté n’est pas inépuisable, un jour ou l’autre, on perd le
contrôle et on finit par craquer! En guerre perpétuelle contre la nourriture, le
mangeur finit par ne plus savoir ce qu’il doit manger. « Ce qui fait le moins
grossir ou ce qui fait le plus plaisir? Existe-t-il des aliments qui fassent plaisir
sans faire grossir? Mais si je commence, saurai-je m’arrêter? »
Ici, la
spontanéité, la liberté n’ont plus de place.
Quelles sont les répercussions psychologiques ?
Au début, tout va bien. On a le sentiment de pouvoir influer sur le cours des
choses, de contrôler ses appétits. Malgré les privations, il y a une sorte
d’exaltation à tout mettre en œuvre pour retrouver un « corps de rêve ».
Maîtriser son corps, c’est alors montrer que l’on ne se laisse pas aller, que l’on
est volontaire. Mais cette euphorie s’estompe au fil du temps pour laisser la
place à une irritabilité et une hypersensibilité, parfois difficiles à supporter pour
les proches. De manière générale, les mangeurs restreints sont plus anxieux,
plus sensibles au stress et à la déprime. Et quand la restriction alimentaire est
vraiment sévère, elle peut entraîner des troubles de la concentration, perturbant
la vie scolaire ou professionnelle. Enfin, les pertes de contrôle sont suivies d’un
sentiment de honte, de culpabilité écornant l’estime de soi.
Ces pertes de contrôle sont-elles inéluctables ?
Certains mangeurs restreints réussissent longtemps – un an, dix ans, vingt ans,
boire plus! – à les éviter. Ils organisent leur vie autour de celle lutte et
développent des stratégies d’évitement face aux aliments interdits : ils refusent
des dîners entre amis, sont persuadés de détester le gras ou le sucre… Ils sont
convaincus que cette résistance ne leur coûte rien, alors qu’ils passent leur
temps à construire des remparts contre leur envie de manger!
Pourquoi perd-on le contrôle ?
La frustration, l’angoisse de craquer, la peur de grossir sont des émotions qui
poussent à manger. L’alimentation est source de réconfort. Or, la restriction
génère un trouble du réconfort. Comment accepter, quand on vit dans un état
de régime permanent, que du chocolat ou du fromage, aliments ennemis à la
ligne, puissent faire du bien ? Quand, face à une angoisse ou un stress, le
mangeur restreint craque pour un carré de chocolat, il ne se sent pas mieux.
Au contraire, il va culpabiliser. Du coup, il a davantage besoin de réconfort,
qu’il s’obstine à chercher de nouveau dans le chocolat. Très vite, il dévore avec
avidité l’aliment convoité, qu’il s’interdira dès le lendemain.
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Comment s’en sortir ?
C’est difficile, mais pas impossible. Certains s’en sortent seuls, décidant, face à
l’inefficacité et à la souffrance, de moins se surveiller et d’arrêter la spirale.
D’autres n’y arrivent pas. Leur obsession pour la nourriture les dévore. Croyezmoi, ils supplient que l’on les en délivre. Quand les problèmes psychologiques
aggravent la restriction, il vaut mieux s’adresser à un spécialiste et opter pour
une thérapie cognitive. Grâce à des exercices d’observation du comportement,
ces thérapies permettent de distinguer la faim et l’envie, de repérer les
circonstances où l’on mange plus qu’à sa faim, mais aussi de réintroduire des
aliments interdits, d’éduquer le goût, d’accepter le réconfort de certains
aliments. Le travail sur les émotions, et notamment la peur de grossir, peut
alors libérer de la lutte incessante contre les kilos.
Si l’on cesse de se surveiller, comment perdra-t-on du poids?
On a pu calculer que, par rapport aux besoins énergétiques d’une personne, un
excès de vingt-cinq calories par jour (soit un morceau de sucre!) se traduit, au
bout de dix ans, par neuf kilos supplémentaires! Or, nous connaissons tous des
personnes qui n’accumulent pas neuf kilos de graisse chaque décennie.
Comment s’y prennent-elles? Elles ne savent pourtant ni ce qu’elles dépensent
(il n’existe aucun moyen simple permettant de mesurer ses dépenses
énergétiques) ni ce qu’elles consomment – il faudrait peser en permanence tout
ce qu’elles mangent – et pourtant elles ajustent leur alimentation, en moyenne
et sans jamais se tromper.
Quel est leur secret? Elles se laissent guider par leurs sensations alimentaires et
savent quelles quantités leur sont nécessaires. La régulation sonne le glas des
angoisses perpétuelles face à l’assiette. En la cultivant, le mangeur restreint
renouera avec son poids d’équilibre. Ce poids sera peut-être sans rapport avec
le poids prescrit par les médecins, et encore moins avec celui socialement
suggéré par les photos de mode. Mais il sera le sien, un poids physiologique
génétiquement déterminé, et qu’il faudra accepter.
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Êtes-vous victime de restriction cognitive?
Menu 1 : crudité, poisson et carottes à la vapeur et yaourt à 0%.
Menu 2 : salade de tomates, poisson frit et mousse au chocolat.
Selon vous, lequel de ces menus fais grossir?
Vous avez répondu que le menu 2 fait plus grossir que le menu 1? C’est faux. Les quantités n’étant pas
indiquées, il est impossible de répondre.
Sachant que chaque menu apporte 750 calories mais qu’il n’y a ni gras ni sucre dans le premier, lequel fait
le plus grossir?
Les deux menus sont équivalents, car ils contiennent le même nombre de calories. Pourtant 90% des personnes
qui ont répondu à ce test persistent à incriminer le menu 2. Les 10% restants considèrent les menus
équivalents…mais optent pour le premier pour perdre du poids.
Morale :
On a la sensation que le menu 1 ne fait pas grossir, donc que l’on peut se resservir et manger plus que les 750
calories de départ sans prendre un gramme! À l’inverse, le menu 2 contient du gras et du sucre, donc fait grossir,
même si on se limite à 500 calories. Contre toute logique, on en arrive à penser que 1000 calories de carottes
font moins grossir que 500 calories de chocolat! On peut arguer que le gras et le sucre se stockent te que les
carottes comptent peu de calories pour continuer à penser que 500 calories de chocolat doivent faire plus grossir
que 1000 calories de carottes. En poussant le raisonnement à l’extrême, on se persuade qu’un saladier de carottes
ne fait pas plus grossir qu’une cuillère de carottes, et qu’un carré de chocolat fait plus grossir qu’un saladier de
carottes!
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Gourmandise : arrêtez de culpabiliser
Par Flavia Mazelin Salvi
Ne confondez plus gourmandise et gloutonnerie, raison
et privation. Être gourmand et serein, ça s’apprend.
À condition de ne pas rester prisonnier de ses croyances
erronées et de ses idées reçues. Connaissez-vous les vôtres?
En collaboration avec le psychiatre Gérald Apfeldorfer
E
lle déguste lentement un fondant au chocolat, un fondant dont elle avait
très envie et qu’elle savoure à chaque bouchée, sans qu’un gramme de
culpabilité ne vienne parasiter ce moment 100% plaisir. Pour elle, ce
fondant n’est pas diabolique, il ne menace ni sa silhouette ni son équilibre
émotionnel, il n’est entaché d’aucun fantasme de transgression, car elle ne le
considère pas comme un aliment tabou (voir page (à mettre)). Elle ne se punira
pas en dînant d’un bouillon, pas plus qu’elle ne sera tentée de reprendre un
second dessert.
Si vous avez lu ces lignes en poussant un soupir d’envie (« Comme j’aimerais
être à sa place ! ») ou d’accablement (« Je n’y arriverai jamais… »), cette leçon
de gourmandise est faite pour vous. Particulièrement si vous muselez vos désirs
gourmands ou, au contraire, si vous les comblez sans modération mais avec
beaucoup de culpabilité.
Nous avons recueilli six affirmations ou croyances, parmi les plus répandues, qui
traduisent notre difficulté à allier gourmandise et sérénité. En découvrant les
conseils du psychiatre Gérald Apfeldorfer, vous allez comprendre ce qui vous
empêche de vivre pleinement vos désirs gourmands et vous allez apprendre à
modifier votre relation à ces aliments que vous considérez encore comme
dangereux.
« Je sais que je ne devrais pas, mais… »
Ce qui se joue dans votre tête
« Je ne devrais pas » indique que vous vous référez à un double code : moral
(je ne devrais pas : transgresser, manquer de volonté…) et d’hygiène
alimentaire (c’est gras, c’est sucré, donc c’est mal). Cette phrase soufflée par
votre petite voix intérieure renvoie à l’idée, largement répandue et entretenue
par les « gendarmes » de la nutrition, que certains aliments seraient
grossissants tandis que d’autres pourraient être consommés en grande
proportion et sans risques, du fait de leur faible valeur calorique.
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La piste du changement
Au moment où vous vous sermonnez tout en vous apprêtant à « craquer »,
posez-vous ces questions : « Ai-je assez d’appétit pour apprécier ce chocolat
maintenant? Pourrais-je y prendre un véritable plaisir gustatif ? » Si vous
répondez aux deux questions, accordez-vous sereinement cette pause plaisir. Si
vous répondez non, passez votre tour. Tout à l’heure, demain, bientôt, le
chocolat sera l’aliment qu’il vous faudra, mais pas maintenant.
Cette décision est vraiment la vôtre, vous n’en ressentirez aucune frustration.
Cet exercice a pour objectif de vous mettre face à votre vrai besoin. C’est lui
qui doit être le moteur de votre décision.
« Quand je commence, je ne peux plus m’arrêter »
Ce qui se joue dans votre tête
C’est un bel exemple de la logique implacable du « tout ou rien ». L’aliment
désiré est alors assimilé à un péché : ou bien l’on reste « pur » et l’on se tient
éloigné de la tentation ; ou bien, si l’on succombe, autant dévaler la pente
jusqu’au bout.
L’interdit transgressé me en situation d’urgence : vous voulez profiter tout de
suite et intégralement de la transgression, laquelle apporte davantage de plaisir
que la consommation de l’aliment. Le prix à payer est lourd, c’est évidemment
celui de la culpabilité.
La piste du changement
Banalisez l’objet de votre désir. Cette boîte de chocolat ou ce foie gras qui
brillent d’un éclat maléfique et tentateur gagneraient certainement à être
consommés plus souvent pour perdre de leur puissance fantasmatique. En
manger chaque fois que vous en ressentez l’envie – si, si! - vous permettra de
vous réconcilier avec ces aliments que vous désirez et haïssez tout à la fois.
Concentrez-vous sur la dégustation de manière à repérer plus facilement le
point culminant du plaisir. Avec la pratique, c’est à ce seuil que vous
apprendrez progressivement à vous arrêter, naturellement et sans frustration.
« Je préfère ne pas m’en approcher »
Ce qui se joue dans votre tête
« Là où ça m’entraînerait, je ne pourrai plus faire face », vous dites-vous.
Comme vous doutez de votre capacité à résister à ces « aliments ennemis »,
vous jugez plus sage d’exercer votre volonté à vous en tenir éloigné plutôt qu’à
les consommer avec sérénité et modération.
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Ce comportement traduit la peur de perdre le contrôle, donc la peur de son
désir.
La piste du changement
Il vous faut apprivoiser l’aliment tabou (voir page 20), cesser d’en avoir peur
pour le mettre à une place juste. Vous pouvez vous exercer de la façon
suivante : consommez pendant plusieurs repas exclusivement de cet aliment de
manière à vous prouver qu’il n’est pas grossissant en soi.
Par exemple, pendant trois jours, ne mangez que du chocolat, sur le mode de
dégustation lente, à l’un de vos principaux repas, de préférence le déjeuner, en
vous arrêtant dès que vous vous sentez rassasié. Il s’agit de bien repérer le
moment où vous n’avez plus faim, où vous êtes satisfait, et de vous arrêter
avant l’écœurement. Et vous verrez que vous ne grossirez pas…
« Si je craque, je me mets à la diète »
Ce qui se joue dans votre tête
Vous vous autorisez le plaisir à condition qu’il soit suivi d’une punition! Ce mode
de pensée dichotomique, en apparence rationnel et équilibré, est en réalité
aussi trompeur que toxique. Il ne fait que renforcer l’idée selon laquelle
certains aliments sont mauvais et d’autres bons.
Et, de fait, il accroît l’appétence pour les aliments interdits et le dégoût des
« aliments punition ». Voilà une bonne façon de se conditionner à désirer
encore davantage de chocolat et à détester encore plus les légumes verts!
La piste du changement
Privez-vous de diète ! Faites-vous confiance, écoutez simplement votre appétit.
Il est rare que l’on enchaîne sans désagréments physiques les repas lourds et
riches. Attendez paisiblement que la sensation de faim revienne naturellement
et laissez-vous guider à ce moment-là par votre envie. Si vous avez l’impression
d’avoir abusé d’un aliment, ne le diabolisez pas, son attrait va s’estomper
naturellement pendant un moment. Quand il vous fera à nouveau envie,
savourez-le.
« Je choisis les gourmandises les moins calories »
Ce qui se joue dans votre tête
Votre plaisir vient du contrôle que vous pensez exercer sur votre désir en le
trompant! En ne consommant que des ersatz, vous n’êtes pas dans le plaisir
sensuel, mais dans le plaisir intellectuel, celui de la maîtrise.
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Vous pensez également que c’est la quantité qui fait plaisir et non la qualité.
Or, ce raisonnement est à la source des comportements boulimiques, que l’on
encourage indirectement en faisant la promotion du light ou des aliments dits
non grossissants.
La piste du changement
Affinez vos papilles. Découvrez la saveur des vrais aliments et vous prendrez
conscience de la fadeur de leur pâle copie. Pourquoi ne pas vous offrir une
petite séance de dégustation comparative, entre, par exemple, une vraie
brioche au beurre et sa cousine dégraissée? En éduquant votre goût, vous ne
serez plus tenté de combler votre frustration par la quantité (une tablette de
chocolat light plutôt que deux truffes). En savourant pleinement un aliment de
qualité, vous apprendrez à vous arrêter lorsque vous êtes satisfait.
« Je dévore quand je ne vais pas bien »
Ce qui se joue dans votre tête
La nourriture n’est pas un plaisir en soi mais une forme de protection contre des
émotions non identifiées et mal gérées. C’est le sachet de bonbons que l’on
engloutit en pensant à autre chose, la razzia sur un plat qui tient au corps pour
se réconforter. Inconsciemment, vous pensez que souffrir vous donne le droit
de transgresser.
La piste du changement
Prenez conscience de vos émotions. La nourriture est un écran qui vous
empêche d’y faire face. Si votre besoin de réconfort passe, dans ces momentslà, par la consommation de certains aliments, n’ajoutez pas de la culpabilité à
votre souffrance. Autorisez-vous à vous faire du bien, mais revenez ensuite sur
ce qui s’est passé.
Étiez-vous en colère, triste, angoissé, stressé?
Identifiez avec précision
l’émotion qui vous a conduit à vous apaiser ou à vous consoler avec des
aliments. Progressivement, vous cesserez d’étouffer par ce biais l’émotion qui
vous déborde e vous y ferez face sans la fuir. Vous gagnerez en autonomie
intérieure et remettrez la nourriture à sa juste place : un plaisir et non un
bouclier.
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Parce qu’aucun aliment n’est mauvais en soi
et que l’on finit toujours par consommer
avec excès si l’on s’interdit, nous vous
proposons quatre exercices pour apprendre
à manger sans frémir (ni grossir) du pain,
du chocolat, du beurre, du fromage…
4 exercices pour faire la paix avec vos aliments
tabous
Par Flavia Mazelin Salvi
L
a liste des aliments tabous s’allonge en même temps que les régimes
miracles censés nous protéger des assauts des lipides et des glucides.
Mais que l’on ne s’y méprenne pas, ces aliments ne concernent pas
uniquement les forcenés de la restriction alimentaire. Ils sont aussi au menu
des « bons vivants », c’est-à-dire de ceux qui n’essayent pas de se modérer car
ils s’en sentent incapables. Sont donc tabous tous les aliments auxquels on
s’interdit de touche en temps ordinaire, mais que l’on dévore lorsqu’on
« craque ». C’est un cercle vicieux : plus les interdits sont puissants, plus les
dérapages sont dévastateurs. C’est pourquoi il est essentiel de comprendre
qu’aucun aliment n’est en soi grossissant, mais que tout dépend de la relation
que nous entretenons avec lui.
Le but des exercices que nous vous proposons est donc de rétablir un équilibre,
en apprenant à banaliser les aliments que l’on s’interdit de manger et à modérer
la consommation de ceux qui font l’objet d’une attirance irrépressible.
Ces exercices du docteur Gérald Apferdorfer1 sont pratiqués en thérapie. Ils
demandent de la persévérance et des efforts, comme tout travail en profondeur
sur soi. Aussi, ne vous découragez pas s’ils vous paraissent hors de votre
portée. Il faut du temps pour manger avec sérénité, délesté de sa culpabilité et
de sa peur du manque.
1. Classez vos aliments en quatre catégories
Vos aliments tabous absolus
Ce sont les aliments avec lesquels vous appliquez la règle du « tout ou rien ».
Soit vous n’y touchez pas, soit vous les consommez en grande quantité lors de
« crises de boulimiques ». Vous vous épuisez à les tenir éloignés de vous, à ne
pas y penser. Bref, ils vous obsèdent.
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Vos aliments tabous partiels
Dans certaines circonstances, vous vous autorisez à manger ces aliments en
quantité raisonnable. Mais, à d’autres moments, vous « craquez » et les
consommez en excès. Ces aliments jouent parfois le rôle de déclencheur : en
les consommant, ils ouvrent une brèche dans vos défenses et vous enchaînez
en mangeant des aliments classés « tabous absolus ». Ce qui explique votre
méfiance à l’égard de ces tabous partiels. Un exemple d’enchaînement : un
fruit (tabou partiel) puis deux (ce n’est pas si grave) puis chocolat (tabou
absolu)…
Vos aliments obligatoires
Dans vos croyances alimentaires, ils occupent le rôle du « C’est bon pour ma
santé » ou « C’est bon pour ma ligne ». Si vous n’en consommez pas, vous
vous sentez coupable. Exemples : les légumes verts cuits à l’eau ou à la vapeur
ou les viandes blanches.
Mais cette croyance comporte un effet pervers : la consommation d’aliments
tabous entraîne la plupart du temps la surconsommation d’aliments obligatoires.
« Je dois m’infliger du colin vapeur au dîner puisque j’ai mangé deux pains au
chocolat au goûter ! » À moins que l’on ne décide de se serrer la ceinture et de
ne rien manger du tout pour réparer l’excès. On saute alors le repas du soir et
on récolte une double ration de culpabilité!
Vos aliments neutres
Ces aliments ne vous posent pas de problème particulier, ils ne sont pour vous
ni tabous ni obligatoires. Vous les consommez avec modération et, pour tomber
dans l’excès, il faudrait que vous n’ayez vraiment rien d’autre à vous mettre sou
la dent. Il peut s’agir de certains fruits ou légumes, de certains laitages ou de
certaines viandes.
2. Intégrez un aliment tabou dans votre alimentation quotidienne
Sélectionnez un aliment tabou partiel
De préférence un aliment que vous avez du mal à manger avec modération
mais qui vous paraît le moins dangereux (un morceau de fromage plutôt qu’une
mousse au chocolat) et qui peut se consommer au cours d’un repas.
Remplacez, totalement ou partiellement, un aliment obligatoire ou
neutre par cet aliment.
Exemple : vous remplacez votre fromage blanc ou la moitié de vos haricots
vapeur par un morceau de camembert. L’objectif : banaliser l’aliment tabou et
désacraliser l’aliment obligatoire.
21
Préparez-en à l’avance une petite portion
C’est-à-dire nettement plus petite que la normale (la moitié ou le tiers d’une
portion courante). Exemple : une moitié de portion de camembert + une demitranche de pain, dans une petite assiette posée sur la table au début du repas.
Consommez-le en fin de repas
Ce timing est important car, en fin de collation, on a moins faim, et les risques
de perte de contrôle sont moindres. Consommez votre aliment tabou tous les
jours et n’en changez que lorsque la sensation d’angoisse ou de culpabilité aura
disparu. Dégustez votre aliment à petites bouchées, que vous garderez en
bouche longtemps afin de vous imprégner de son goût, de repérer sa texture,
de percevoir ses arômes. Concentrez-vous sur vos sensations gustatives : cela
est-il aussi bon que prévu? Le plaisir se maintient-il au fur et à mesure des
bouchées? Cela signifiera que cet aliment s’est banalisé.
Passez à un nouvel aliment tabou
Par exemple, deux biscuits chocolatés à déguster en fin de repas (ils seront
posés sur une assiette disposée sur la table au début du repas), qui pourront
être remplacés ensuite par un morceau de chocolat.
3. Jetez un aliment tabou
Jeter volontaire de la nourriture est un geste radical, violent, qui peut choquer –
la moitié de la planète ne souffre-t-elle pas de la faim? – mais, dans cet
exercice, jeter n’est pas gaspiller avec désinvolture.
Il s’agit de faire
l’expérience consciente de la perte. Car apprendre à jeter dans un premier
temps, c’est apprendre à consommer ensuite de manière juste et modérée. Si
je garde la moitié de mon croissant dans mon sac, je sais que je pourrais le
consommer, je reste lié à lui, donc j’en suis dépendant. Notre peur nous
conduit à stocker, à trop consommer par crainte d’une future pénurie (par
exemple, celle due à l’instauration d’un régime), s’en affranchir implique de
prendre le risque du manque.
Sélectionnez un aliment tabou
Vous pouvez commencer par choisir des aliments que vous auriez fini par jeter
plus tard (restes de plats cuisinés, fruits défraîchis, la dernière part de
camembert…). Choisir un aliment qui n’occasionnera que peu de regrets rend la
tâche plus facile.
Choisir le bon moment
En fin de repas, le geste est évidemment plus aisé que lorsque l’on est affamé.
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Jetez-le vraiment !
C’est-à-dire de manière à ce qu’il soit irrécupérable. Pas question de jeter une
barre de chocolat emballée dans une corbeille à papier! Ni vous ni personne (ni
même votre chien!) ne doit pouvoir le récupérer.
Il faut qu’il soit
irrémédiablement perdu, pour tout le monde.
Recueillez-vous
L’expression vous paraît excessive? Peut-être, mais chaque perte réveille en
nous des émotions intenses sur lesquelles il est nécessaire de s’arrêter un
instant pour mieux comprendre notre relation à la nourriture. Soulagement,
culpabilité, regret, colère, fierté, angoisse? Que ressentez-vous?
Jetez le même aliment tous les jours…
…ou des aliments équivalents pour vous symboliquement. Jetez, jusqu’à ce que
l’émotion négative associée à ce geste s’émousse et disparaisse.
Passez à l’aliment tabou absolu
De quoi s’agit-il pour vous : de la charcuterie, du chocolat, du pain? Poursuivez
l’exercice jusqu’à ce que le pain au chocolat sombre corps et bien dans la
poubelle de votre immeuble, sans que cela vous fasse frémir d’horreur!
4. Mangez un peu… et jetez le reste
Sélectionnez un aliment tabou
Commencez par les aliments modérément tabous et choisissez plutôt un
moment où vous n’êtes pas trop affamé.
Séparez-le en deux parts inégales
Vous l’avez deviné, vous mangerez la plus petite part et jetterez l’autre. Le bon
timing : commencez par jeter (on a dit : jeter vraiment!) la plus grosse par pour
ne pas être tenté, et observez un moment de recueillement.
Prenez le temps de déguster
Concentrez-vous sur les arômes, la texture, le goût.
aliment.
Savourez vraiment cet
Tous les jours, mangez votre (petit) portion d’aliment tabou et jetez le reste
Peu à peu, le sentiment de perte devient supportable, la petite part devient
moins frustrante et plus savoureuse, votre sentiment de culpabilité d’avoir jeté
s’estompe. Consolez-vous, vous en aurez à nouveau une petite portion demain.
23
VOUS AVEZ AMORCÉ UNE NOUVELLE DYNAMIQUE, BRAVO!
Certes, si vous estimez avoir des kilos à perdre, ils ne vont pas fondre comme
neige au soleil. Mais sachez que la modération alimentaire fait maigrir
lentement, dans la mesure où l’on ne mange plus au-delà de ses besoins réels.
Surtout, elle pacifie notre relation à la nourriture et nous aide à faire de vrais
choix conscients
1. Exercices extraits de Maigrir, c’est dans la tête de Gérard Apferdorfer (Odile Jacob, 2004)
Le goût, ça se cultive
Nous sommes tous gourmets!
À condition de s’engager dans
une relation plus sensible à la
nourriture, à nous-même et aux
autres. Leçons d’éveil pour
enrichir son répertoire gustatif.
Et ouvrir son esprit…
Par Agnès Rogelet
tes-vous un « mangeur heureux »1? Pas ce « mangeur inquiet », adepte de
la nutrition raisonnée (aliments santé, anti-âge, amaigrissants…). Ni cet
« insouciant » avalant n’importe quoi, n’importe comment grâce à sa
génétique et son mode de vie privilégiés (temps de loisirs, budget, etc.). Le
mangeur heureux est à la fois attentif à lui-même et imperméable aux
injonctions extérieures. Il cultive le goût et jouit de la vie. Car explorer la mise
en bouche d’une confiture de coings vous renvoie à vos souvenirs, votre envie
d’inconnu, mais aussi à vos bons et mauvais choix, à vos mots et à vos maux…
« Une chose n’a pas de goût! C’est vous et l’environnement de votre repas qui
lui en procurent », affirme Jacques Puisais, vice-président de l’Institut du goût, à
l’origine d’une méthode d’éveil pour les enfants. Plutôt qu’une séance de
dégustation « yeux bandés », l’approche moderne fait écho à la définition du
goût que donnait déjà Denis Diderot au XVIIe siècle : « Une facilité acquise par
des expériences réitérées à saisir le vrai et le bon, avec la circonstance qui le
rend beau, et d’en être promptement et vivement touché. » Voici donc les
ingrédients d’un véritable art de vivre, mijotés après la 4e Rencontre annuelle du
GROS. Groupe de Réflexion sur Obésité et le Surpoids2. Mixez les tous et
savourez, y compris avec vos gastronomes en culottes courtes!
Ê
24
Familiarisez-vous avec les aliments
Pourquoi ? « Le goût sert à savoir si le pot-au-feu de la veille a tourné »,
affirme Annick Faurion, neurophysiologiste à l’INRA (Institut national de la
recherche agronomique). Mettre un aliment en bouche stimule successivement
notre système sensoriel (notamment au niveau gustatif, olfactif, tactile,
thermique), le cortex (on reconnaît ce qu’on mange) puis les zones souscorticales (celles du plaisir, de la mémoire…). Par ce chemin, le goût informe le
cerveau de la dangerosité ou non pour l’organisme d’ingérer un « intrus » venu
de l’extérieur. Ce caractère comestible s’ancre dès le plus jeune âge : on
apprend qu’un savon parfum abricot ne se mange pas, qu’un poulet à la chair
rouge est suspect. Mais au-delà de cet aspect sécuritaire, s’habituer permet de
distinguer des subtilités (ainsi, un Japonais discrimine plus de sortes de riz qu’un
Occidental), et d’accroître sa sensibilité à la nouveauté.
Notre proposition : vous privilégiez probablement certains produits que vous
vous procurez toujours aux mêmes endroits.
Et si vous repériez leur
singularité? Goûtez dans une même séance plusieurs sortes de pommes, de jus
d’orange, d’huiles d’olive pour assaisonner votre salade, de fromages râpés dans
les pâtes ou encore différentes marques de tablettes de chocolat noir. En
vacances, achetez votre rouget directement au pêcheur ou vos tomates chez le
producteur.
Cuisinez le désir
Pourquoi ? À vouloir manger « tout, tout de suite », on fait l’impasse sur le
goût. Pour Bernard Waysfeld, psychiatre et nutritionniste, on redevient un peu
le nourrisson apaisé immédiatement par sa mère alors qu’un temps de réponse
raisonnable entre les cris et le biberon permet de développer un univers
émotionnel.
Adulte aussi, cette attente déploie l’imaginaire, car on se
représente mentalement l’objet de son désir. Moins enclin à l’engloutir, on le
ressent avec acuité et on sait si on l’aime un peu, beaucoup…pas du tout. Ne
plus se précipiter aide également à manger jusqu’à satiété, pas plus, pas moins.
Notre proposition : appréciez d’abord…l’emballage. Regardez-le, sentez-le.
Vous donne-t-il envie d’aller plus loin? Ouvrez-le comme d’habitude. Face à
l’ingrédient, exercez encore vos quatre autres sens : observez sa couleur ou son
éclat, son toucher (collant, rugueux…), humez-le, écoutez-le quand vous le
manipulez. Il vous tente? Prenez aussi le temps de manger, même des frites
dans un fast-food! Et demandez-vous ce qui vous ferait plaisir après chaque
bouché ou plat consommé.
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Fiez-vous à votre ressenti
Pourquoi ? Notre éducation tend à nous occuper de nos sensations en nous
dictant qu’il faut finir notre glace ou débuter un repas par une entrée. Plus tard,
on se persuade d’aimer les légumes-vapeur, de ne pas digérer les sauces, de
préférer la baguette de telle boulangerie même si le boulanger a changé trois
fois. Par nostalgie ou souci de santé, on mange avec culpabilité, honte ou
tristesse…et on s’éloigne de soi. Or, même physiologiquement, le goût est
personnel : certains doivent sucrer leur café pour le percevoir avec la même
intensité que leur voisin qui le boit sans sucre. Se concentrer sur son ressenti
au lieu de « penser son alimentation » permet de vérifier si l’on mange avec
plaisir, d’oser affirmer sa différence et de retrouver une bonne estime de soi.
Notre proposition : affrontez vos idées reçues en essayant d’en détecter
l’origine. Est-ce que l’aliment que vous excluez ou préférez évoque un goûter
d’enfance, une couleur trop « rouge comme le sang », le spectre de grossir, le
plat préféré de votre père…? Puis laissez place aux sensations purement
physiques en vous concentrant sur ses arômes et saveurs. Et réévaluez votre
opinion. Incitez aussi les enfants à goûter des cerises blanches et pas rouge, à
savourer une carotte crue puis cuite…
Cultivez le goût des autres
Pourquoi ? « Le premier verre de vin ou de bière est rarement perçu comme
séducteur »3, note l’anthropologue David Le Breton. Goûts et dégoûts évoluent
en fonction de l’entourage auquel on s’identifie, de souvenirs (Ah! la purée de
maman…), de sa région et de son pays (« mangeurs de grenouilles », les
Français, « rosbifs », les Anglais…), de son niveau socioculturel…Ça n’est pas
figé! D’ailleurs, la mondialisation impose des goûts standardisés ou nouveaux
que l’on adopte, comme le Coca-Cola… « En emplissant sa bouche uniquement
de ce que l’on connaît, on se replie sur soi au lieu de communiquer avec les
autres », souligne le sociologue Jean-Pierre Corbeau.
Notre proposition : Ne refusez rien par principe ou antipathie. Même la
fadeur est une saveur pour les Chinois! Rendez-vous avec des amis dans un
restaurant exotique. Car le savoir-faire du chef, la déco, l’ambiance ou la
présentation des plats enrichissent la dégustation. Un tour de table des
expériences gustatives de chacun apprend à mieux se connaître et à se
respecter. Et quand vous testez un fromage corse, goûtez un peu aussi la
saveur du maquis, des biquettes, de l’accent, des criques secrètes et des
villages perchés…
26
Enrichissez votre vocabulaire
Pourquoi ? « La bouche est le carrefour des mots et des mets », observe
Gisèle Harrus-Révidi, psychanalyste. Quand on en arrive à parler d’un plat que
l’on aime, il devient encore plus savoureux.
Notre proposition : pour chaque aliment, retenez son nom précis comme
« poire » ou « araignée » pour les morceaux de viandes. Cherchez à définir sa
couleur, son état (liquide, émietté, trouble, soufflé…), son odeur, son caractère
thermique (salé, sucré, acide, amer), ses nuances (« un peu » ou sucré-salé…),
sa texture (crémeux, pâteux, grumeleux, filandreux, visqueux…), la sensation
qu’il provoque (pétillant, piquant, irritant, collant, écœurant…), sa sonorité
(aquatique, crunch, crisp…), le souvenir précis auquel vous l’associez (un goût à
la fraise ou le pain d’épice de votre grand-mère), le rêve qu’il éveille…Décrivez
par le détail l’évolution d’un fondant au chocolat dans votre bouche, des papilles
à l’estomac : son arrière-goût, sa constance, sa température…Racontez à vos
convives comment était la dernière blanquette de veau que vous avez adorée.
Et délectez-vous de pages d’auteurs bien inspirés!
1. Selon Jean-Paul Laplace, président de l’Institut français pour la nutrition (in « Oui, mais…Réflexions
libres d’un nutritionniste à propos de politiques nutritionnelles », Lemangeur-ocha.com).
2. « À quoi sert le goût? », 1er décembre 2006 (www.gros.org).
3. in La saveur du monde, une anthropologie des sens (Métailié, 2006).
Ça joue aussi sur le goût
• Boire dans un verre en cristal ou en plastique.
• Dresser une jolie table (nappe, service en porcelaine…).
• Manger dans le bruit ou dans le silence.
• Partager un repas convivial face à face ou un plateau-télé côte à côte.
• Disposer harmonieusement les ingrédients dans un plat puis dans chaque assiette
suivant leur couleur, leur forme, leur consistance, leur découpe…
• Respecter la saisonnalité des fruits et légumes.
• Cuisiner régulièrement, surtout avec ses enfants.
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Enfants, ados :
Les clés de l’équilibre
Bien manger ne se réduit pas au seul choix du contenu de l’assiette
de nos enfants. Quelles sont les bonnes habitudes à leur transmettre ?
Comment enrichir la palette de leurs goûts et faire des repas un
moment de partage et de plaisir? Les conseils de nos spécialistes.
Par Odile Chabrillac, avec la collaboration du docteur Laurent Chevallier1, nutritionniste et
phytothérapeute, et du docteur Paule Nathan2, nutritionniste et endocrinologue.
Enfants
C’est entre 1 et 10 ans que se mettent en place, en famille, les bonnes habitudes et
les bons comportements alimentaires.
SOYEZ FERMES !
Guider les enfants dans leurs choix alimentaires, cela veut dire leur donner des
repères concrets : manger à heures fixes et goûter à tout. Basique, ces
conseils? Sans doute. Pourtant, nos spécialistes constatent un laxisme
croissant de la part des parents, qui veulent à la fois éviter les conflits et faire
plaisir aux enfants.
Cette forme de démission commence souvent au
supermarché. Selon le nutritionniste Laurent Chevallier, un enfant sur deux
influence les achats alimentaires de leurs parents. Résultat : les menus sur
commande transforment les enfants en tyrans du foyer et appauvrissent leur
palette gustative ; et les repas décalés favorisent le grignotage.
ÉTEIGNEZ LA TÉLÉ PENDANT LES REPAS
Toujours d’après Laurent Chevallier, trop d’enfants regardent la télévision en
mangeant.
Cette mauvaise habitude fait de nous des « analphabètes
sensoriels », incapable de profiter pleinement de la saveur des plats. Une
habitude encore plus préjudiciable pour les tout-petits qui, distraits ne mangent
plus mais gobent les aliments. Conséquence : ils ne ressentent plus les signaux
de satiété envoyés par leur corps et mangent trop. Ce n’est pas un hasard si les
spécialistes ont noté que tous les enfants en surpoids mangeaient trop vite.
Comment bien agir? En donnant le bon exemple : mangez en savourant le
moment présent. Vos enfants vous imiteront.
SOLLICITEZ LEURS CINQ SENS
Apprenez-leur à manger d’abord avec les yeux, à respirer les parfums de leur
assiette, à bien mâcher les aliments pour sentir leur consistance, à reconnaître
les différentes sensations (pétillant, croquant, fondant…), à différencier les sons
(croquer une carotte crue ou cuite), en, enfin, explorer toute la gamme des
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goûts (sucré, salé, amer, doux…). Et n’oubliez pas de leur faire commenter
leurs différentes expériences sensorielles, parfois même les yeux fermés.
DÉDRAMATISEZ
Chez les enfants aussi, il y a des petits et des gros mangeurs. Inutile d’essayer
de forcer leur nature, vous perdriez votre temps et vous les fâcheriez avec la
nourriture. Si vous êtes vraiment inquiet, consultez un pédiatre. Sinon,
patientez jusqu’à l’adolescence. À la puberté, en général, les petits mangeurs,
surtout les garçons, se rattrapent et les gros mangeurs se calment.
SOYEZ PATIENT
Rares sont les enfants qui aiment d’emblée ce qu’ils goûtent la première fois.
Les néophobies alimentaires (phobies de la nouveauté) touchent de nombreux
enfants et elles persistent en général jusqu’à 7 ans. Les refus catégoriques sont
souvent passagers, sauf si l’aliment proposé l’a déjà rendu malade. La
solution : préparez l’aliment différemment et proposez-lui régulièrement à
l’enfant jusqu’à ce qu’il lui devienne familier. Autre astuce : s’il admire un
« grand » - frère, sœur, cousin, ami – et que celui-ci consomme l’aliment
« maudit », l’enfant l’imitera avec enthousiasme.
MANGEZ POUR LE PLAISIR
La santé, c’est un argument d’adulte, pas d’enfant. Entre 2 et 10 ans, ils
mangent parce qu’ils ont faim et parce que ça leur plaît. Le discours santé sera
davantage entendu à partir de 12 ou 13 ans, lorsqu’ils commencent à prendre
conscience de l’image de leur corps et de ce que signifie être en bonne santé.
Mauvaise idée aussi : la récompense pour faire digérer les légumes. Cela ne
sert qu’à renforcer leur image négative. En revanche, en mettant un peu de
fantaisie dans leur présentation - mini-légumes, par exemple - , le refus se
transforme progressivement en curiosité, puis en attrait.
FAITES-LES PARTICIPER
À partir de 2 ans, emmenez-le avec vous au marché pour qu’il puisse regarder,
toucher, sentir ce qu’il mangera au déjeuner ou au dîner. L’idée c’est
d’organiser, en famille, une visite découverte dans une ferme ou dans un
potager, pour qu’il comprenne toute l’histoire du produit. Dans le même esprit,
amusez-vous à préparer les repas avec lui. Laissez-les mettre la main à la pâte,
en les guidant un peu bien sûr : effiler les haricots verts, écosser les petits pois,
mettre les quartiers de pomme dans le fond de pâte…Leur fierté aiguisera leur
appétit et les poussera à goûter ce qu’ils ne connaissent pas.
VEILLER SUR LEUR SOMMEIL
Oui, vous avez bien lu, sommeil et nutrition sont liés. La gréline, secrétée par
l’estomac, est un enzyme qui favorise les pulsions alimentaires. En cas de
sommeil insuffisant, elle est surproduite par l’organisme et occasionne, dans la
journée, des fringales ravageuses.
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Ados
À partir de 10-12 ans, les goûts s’affirment et les ados sont censés manger de tout
ou…presque! Mais le véritable enjeu des repas, c’est ce qui se passe autour de
l’assiette.
PAS DE PRESSION !
Faut-il le rappeler, un repas c’set un moment de partage. Sont donc malvenus
tous les sujets de « polémiques » et stressants : travail scolaire, sorties,
fréquentations…Faites du repas une vraie pause, pour décompresser ensemble,
rire, échanger. Si l’atmosphère est tendue, n’invitez pas votre colère à table.
Profitez du moment où vous préparez le repas ou mettez le couvert pour créer
un sas de décompression : vous ferez baisser la tension et deviendrez plus
disponible.
Mettez les formes. Une jolie nappe, deux bougies…il suffit de peu pour
transformer un simple repas en fête du quotidien. Les adolescents sont
sensibles aux marques d’attention : ils se sentent reconnus, même s’ils ne
l’expriment pas toujours. Lors des fêtes de famille, mettez, avec eux, les petits
plats dans les gras et invitez-les à participer à l’élaboration du menu comme à
l’organisation.
TRANSMETTEZ VOS HISTOIRES
Cuisiner, même des plats tout simples, c’est raconter sa famille, sa région, ses
traditions…Nous avons tous une recette de lapin à la cocotte ou de fondant au
chocolat hérité d’une grand-mère. Les ados, comme les plus petits, sont
sécurisés par les rites familiaux, et s’ils les rejettent un temps, c’est pour mieux
se les réapproprier plus tard.
NE DIABOLISEZ PAS LEUR COMPORTEMENT
Ils veulent manger avec les doigts? Préparez-leur, un soir, un hamburger avec
une salade. Ils sont plus pâtes que légumes? Ne les forcez pas à en avaler
coûte que coûte. S’opposer systématiquement à leurs envies n’est pas une
carte à jouer. Un ado peut boycotter un gratin de courgettes chez lui et dévorer
ce même plat une semaine plus tard chez un copain. Votre mission à vous,
c’est de lui proposer de tout, mais en respectant ses préférences. Reconnaître
ce qu’il aime, c’est reconnaître qui il est : une personne à part entière, donc
différente de vous.
DÉVELOPPEZ LEUR ESPRIT CRITIQUE
Publicités, packagings…On le sait, tout est étudié pour emballer nos jeunes
consommateurs. Pour les aider à prendre de la distance face à un discours
souvent formaté, demandez-leur comment ils reçoivent ces messages : sont-ils
convaincus, tentés, amusés…? Lisez aussi avec eux les étiquettes et aidez-les à
les décrypter.
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SOYEZ À L’ÉCOUTE
Elle n’avale plus rien parce qu’elle se trouve trop grosse, il ne veut manger que
des protéines pour se fabriquer des muscles…Décodez leur comportement face
à leur assiette et n’hésitez pas à consulter un nutritionniste, un médecin
généraliste ou encore un thérapeute pour faire le point. Un adolescent accorde
souvent plus de valeur à un discours extérieur qu’à un discours familial.
Expliquez-lui les changements qui modifient son corps et son comportement.
S’il a tendance à prendre du poids ou à en perdre trop, parlez-en ensemble puis
proposez-lui de consulter un professionnel.
VARIEZ LES PLAISIRS
On parle beaucoup de la nécessité d’une alimentation diversifiée pour les toutpetits, mais elle est aussi importante pour les ados qui ont tendance à toujours
manger la même chose. Cette « monomanie » favorise les intolérances
alimentaires, notamment celle au gluten, à cause de la consommation excessive
de blé (pain, pâtes, pizzas, viennoiseries, tartes…). Une information à partager
en famille, qui les aidera peut-être à sortir des sentiers battus. Pourquoi ne pas
jouer à celui qui fera les courses et étonnera les autres avec un nouvel aliment
(les crosnes, par exemples…), une nouvelle marque, un nouveau produit, une
nouvelle recette…Évidemment, vous courez le risque qu’il revienne du
supermarché en vous donnant triomphalement la dernière pizza aux dix-huit
fromages!
1. Auteur de L’Alimentation des p’tits loups (Poche, 2006)
2. Auteur du Guide de l’alimentation pour les familles (Odile Jacob, 2005)
Vos ruses pour faire passer les fruits et légumes
La moitié des parents que nous avons interrogés sur psychologies.com ont
recours à des astuces pour augmenter la part des fruits et légumes dans
l’alimentation de leurs enfants. La plus utilisée : le mélange des genres…
Opération camouflage
• « Je mélange les légumes qu’ils n’aiment pas trop dans un aliment qu’ils
aiment beaucoup. Par exemple, dans une purée, je mets une demicourgette, je ne dis rien et je vois comment ils réagissent. Ensuite une part
entière, etc. »
• « J’ajoute un légume dans la sauce tomate des spaghettis, dans une
quiche…Les fruits, je les mélange à du fromage blanc. »
• « Je fais des raviolis aux légumes; les fruits, je les présente en salade. »
• « Les clémentines sont transformées en petit train avec leurs wagons, les
bananes sont écrasées en purée pour être mangées entièrement. Pour les
épinards, le chou, les carottes, etc., je fais une purée de deux légumes,
j’ajoute une noisette de beurre et je monte un dôme dans l’assiette, c’est
plus appétissant. »
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• « Je découpe des pommes en forme de frittes. Appelés les « frites de
pommes », ça passe tout seul. »
• « Mes filles détestaient les épinards. Je leur ai préparé de jeunes pousses
d’épinards en salade, sans leur dire. Elles ont adoré. »
L’appel à la raison
• « J’en mange pour donner l’exemple, et j’explique, inlassablement, leurs
bienfaits. »
• « Ils ont été très vite habitués à manger des légumes et des fruits, car je
leur ai expliqué qu’il était nécessaire de manger cinq fruits et légumes par
jour pour être en bonne santé grâce aux vitamines qu’ils contiennent. »
• « Je leur dit que c’est bon pour grandir! »
Nature et découvertes
• « Je l’emmène à la cueillette : les fruits et les légumes sont meilleurs quand
on les cueille et qu’on les cuisine. »
• « J’ai un petit potager en été et je récolte avec eux les tomates cerise… »
• « Ils m’aident à préparer les repas. Parfois, je demande aux plus grands de
le faire tout seuls! »
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