Emploi: les doutes de l`industrie après le 9 février

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Emploi: les doutes de l`industrie après le 9 février
DOSSIER FORMATION & EMPLOI
2 | EUROPA STAR PREMIÈRE | NO 1
Emploi: les doutes
de l’industrie après
le 9 février
Quelles seront les répercussions sur l’emploi dans
l’industrie horlogère suite à la votation contre
l’immigration de masse du 9 février 2014? Analyse.
RETO SCHNEIDER, FONDATEUR
ET CEO DE RS PARTNER, CABINET DE
CONSEIL EN RESSOURCES HUMAINES
SPÉCIALISÉ EN HORLOGERIE
Le 9 février 2014, le peuple suisse a accepté de justesse (50,34%)
l’initiative populaire «contre l’immigration de masse» lancée par
l’UDC. Comment l’industrie horlogère suisse réagit-elle? Cette votation a provoqué de vives réactions chez nos voisins et la remise
en question des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne. Le Conseil fédéral aura la
difficile tâche d’appliquer, dans un
délai de trois ans, les mesures préconisées avec la réintroduction de
contingents pour les étrangers qui
résident plus de quatre mois en
Suisse. Les modalités d’application
restent encore floues. Si l’immigration devrait être limitée, aucun
plafond n’a été fixé et le gouvernement suisse entend notamment
promouvoir la main-d’œuvre indigène, comme l’a précisé la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga
sur les ondes de l’émission Forum
de la RTS.
Le texte concerne également les frontaliers qui viennent travailler dans les
entreprises horlogères de l’Arc jurassien. Des quotas devront être instaurés, mais on ne connaît pas encore
l’impact que cela pourrait avoir sur
l’emploi. Selon les chiffres que nous
avons pu compiler, 36% des personnes avec expérience dans l’horlogerie et qui souhaitent travailler dans
l’industrie en Suisse vivent en France
voisine, 61% résident en Suisse et 3%
proviennent d’autres pays. Ces chiffres ressortent de la base de données que nous avons pu constituer
en quatorze ans d’expérience chez
RS Partner.
Davantage de
formations à l’interne
Une majorité des grands patrons
helvétiques a vu d'un mauvais oeil
le résultat de cette votation. A terme, cela risque de compliquer, voire de limiter leurs possibilités d’engager des personnes sans passeport
à croix blanche ou sans permis de
travail suisse, alors que le recrutement de personnel qualifié et souvent experimenté constitue déjà un
casse-tête pour nombre d’entreprises horlogères.
Interrogé par les quotidiens régionaux neuchâtelois «L’Express» et
«L’Impartial» sur les éventuelles
conséquences du vote du 9 février,
le CEO du Swatch Group Nick
Hayek a réagi sereinement: «Nous
allons trouver une solution, nous
ne devons pas nous laisser mettre sous pression par l'Europe. Le
DR
PAR
Le texte concerne également les frontaliers qui
viennent travailler dans les entreprises horlogères
de l’Arc jurassien. Des quotas devront être
instaurés, mais on ne connaît pas encore l’impact
que cela pourrait avoir sur l’emploi.
Swatch Group devra de toute façon
former davantage de personnel.
Mais pour moi la situation n'est pas
catastrophique.»
D’après nos observations, le Swatch
Group et d’autres acteurs horlogers
majeurs sont effectivement très dynamiques dans cette direction. Les
entreprises étudient la question de
manière pragmatique et intelligente.
Plusieurs sociétés horlogères mettent en place de nouvelles formations à l’interne. Cela prouve qu’il
s’agit d’un enjeu majeur. Il n’y a pas
assez de profils disponibles lorsqu’il
y a une reprise rapide. Les personnes qui résident en Suisse vont avoir
la primeur. Mais l’industrie horlogère recherche avant tout des collaborateurs de qualité et des profils
pointus.
Après des années records, l’industrie horlogère connaît aujourd’hui
un ralentissement. A nos yeux, il
s’agit en réalité surtout d’un «retour
à la normale». Lorsque l’économie
repartira vers des chiffres records,
le personnel de production représentera une proportion importante
des besoins. Or, plus d’un tiers des
collaborateurs viennent de France.
En Suisse, nous n’avons pas assez
de personnel qualifié ou spécialisé dans certaines filières de métiers
pointues ou exigeantes. C’est à ce
moment-là que les répercussions
de l’initiative pourraient se faire ressentir de manière plus conséquente, même si les inconnues restent nombreuses.
Selon nos chiffres précis, les catégories de métiers les plus demandées dans l’horlogerie helvétique
sont les professions de la mécanique, la micromécanique et le décolletage (15%), devant la construction horlogère, le R&D, les projets
techniques et l’industrialisation
(11%). En troisième position ex
æquo, on retrouve les horlogers à
proprement parler (10%) et la logistique, les achats et l’ordonnancement (10%). Autres domaines très
recherchés, les ventes, le service
clients, le marketing et la communication (9%), à égalité avec les opérateurs/trices et métiers spécialisés
de l’horlogerie (9%).
Leader mondial de la
compétitivité
La branche horlogère a toutefois plusieurs raisons de garder le sourire: en
effet, la Suisse affiche une compétitivité exceptionnelle. Selon le Forum
économique mondial (WEF), elle
reste leader mondial en la matière,
grâce à la transparence de ses institutions, à sa capacité d’innovation et
à la collaboration efficace entre public et privé. Le WEF souligne néanmoins que les difficultés à trouver
du personnel qualifié menacent sa
compétitivité future.
L’institut de management IMD, à
Lausanne, classe lui aussi la Suisse
première en termes de compétitivité dans son classement 2014
(sur 60 pays étudiés). Elle est ainsi
championne du monde de la main
d’œuvre qualifiée grâce à la qualité de son enseignement, à l’excellente collaboration entre le mon-
de académique et économique et à
sa qualité de vie. L’IMD précise que
la Suisse développe ses propres talents tout en attirant les étrangers
hautement qualifiés. L’ étude salue
également la capacité du système
éducatif à répondre aux besoins de
l’économie.
Comme sur le front de l’emploi, les
conséquences du vote du 9 février
au niveau de l’image de la Suisse à
l’étranger restent délicates à évaluer.
Les garde-temps helvétiques dépendent en effet fortement de la demande internationale. Toutefois, ces
questions politiques ne devraient pas
influencer outre mesure les acheteurs étrangers et le niveau des exportations, bien plus tributaire de la
conjoncture économique mondiale.
L’ aura du Swiss made et du savoirfaire horloger semble intacte et la
branche horlogère a déjà fait preuve par le passé d’une importante capacité d’adaptation. Elle risque d’en
avoir encore besoin.
IL Y A 20 ANS…
Le groupe SMH va délocaliser
La force du franc suisse est à l'origine de cette décision.
EUROPA STAR, MARS 1995
La force du franc suisse attire les foudres de Nicolas Hayek, patron de la
Société Suisse de Microélectronique
et d'Horlogerie (SMH – ndlr, ancêtre du Swatch Group). Il accuse la
politique monétaire de la Banque
nationale suisse d'être responsable
de ses reculs et de ses pertes. Début
mars, Nicolas Hayek a ainsi annoncé son intention de transférer une
partie des activités de son groupe en
France, en Thaïlande et en Chine.
C'est à ses yeux la seule manière de
pouvoir conserver sa compétitivité.
Nicolas Hayek estime que le ren-
chérissement du franc suisse face
aux monnaies européennes – soit
environ 15% pour la SMH – lui a
coûté 350 millions de francs suisses au cours de l'année fiscale 1994.
(…) Face à la passivité des autorités monétaires suisses, la décision
a été prise de transférer certaines
activités de production à l'étranger.
Réitérant son intention de sauvegarder des emplois en Suisse, la
SMH se dit néanmoins contrainte
de prendre une telle décision.
Concrètement ETA va investir
12 millions de francs en machines et 3,5 millions en construction
pour l'agrandissement de son site
thaïlandais. Certains sous-traitants
de Neuchâtel, du Jura, du Valais et
du Tessin verront leurs commandes
baisser. On estime le nombre
de pertes d'emploi à environ
200 personnes,
à moins que des
solutions de substitution ne soient
trouvées. 60 autres emplois seront
perdus suite à au transfert dans les
ateliers SMH de Malaisie d'opérations de pré-assemblage de systèmes
de télécommunication mobile.
La direction du groupe a par ailleurs
décidé que les activités liées à la manufacture de nouveaux produits et
de composants pour les marchés
chinois et indien allaient être réparties entre la nouvelle implantation
de production en Chine et les usines
de France et d'Italie.

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