Daniel Charles (Université de Nice/Sophia Antipolis et Centre de
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Daniel Charles (Université de Nice/Sophia Antipolis et Centre de
Daniel Charles (Université de Nice/Sophia Antipolis et Centre de Recherche d'Histoire des Idées) A la recherche des harmoniques perdus La décomposition de n'importe quelle fréquence sonore en une somme de fréquences multipliant la fréquence de base par des nombres entiers rangés selon une progression arithmétique ascendante, ainsi se présente ce que les classiques dénomment la série harmonique ; celle-ci est perceptible dans des cas précis, au moins en partie (quand on lève les étouffoirs d'un piano, quand on fait résonner une cloche etc.) ; encore faut-il que l'oreille soit exercée, et qu'elle consente à «ouvrir» le timbre, c'est-àdire à ne pas le boucler sur ses propres limites en l'isolant de son contexte propre pour le fondamentaliser. Mais on s'est imposé, après Rameau (Génération harmonique, 1737), de justifier l'accord parfait majeur à partir de la série harmonique ; or d'une façon générale, aucun des sons de la série harmonique, sauf l'octave, ne figure exactement dans notre système tempéré. On s'est bien sûr rendu compte de cette déperdition des harmoniques: sans même parler ici des efforts de Von Thimus (1868) et Hans Kayser (1950) pour restaurer le labyrinthe des «harmoniques inférieurs», le recours à la résonance «juste», ou «naturelle», et aux innombrables ressources de la microtonalité, était dès lors inéluctable, et a donné lieu, au 20ème siècle, à des recherches extraordinairement variées, qui vont des multiphonies instrumentales (pour ne citer qu'un seul exemple: l'«archet courbe» du violoncelliste Michaël Bach, succédant à l'«archet de J.S. Bach» introduit - en 1900 – par le Dr Schweitzer) aux reconstitutions vocales du proto-grégorien dans les églises romanes (Iégor Reznikoff), ou aux expériences d'avant-garde de John Cage et Demetrio Stratos (cf., de ce dernier, les enregistrements des Mesostics Re Merce Cunningham et de Cantare la voce). Tout se passe comme si les musiciens de notre époque tissaient, au niveau d'un «hors temps» bio- et même géo-logique, une trame secrète et cependant follement éloquente, qui permet en quelque sorte aux tard-venus que nous sommes d'essorer le temps. (Le 18 novembre 2003.)