Alfredo Margarido ea revista “Latitudes”

Transcription

Alfredo Margarido ea revista “Latitudes”
Alfredo Margarido e a revista “Latitudes”
Nous avons du mal à parler d’Alfredo Margarido au passé, car
c’est au cours des derniers mois de sa vie, alors qu’il suivait un
traitement à Paris, en 2008-2009, que nous avons entretenu un
contact personnel plus intense. Il est aussi venu plusieurs fois au
siège de la revue, chez Manuel dos Santos Jorge, et en groupe
nous y avons passé des après-midi entières à échanger des
informations pertinentes, où sa vivacité d’esprit et son
irremplaçable vision personnelle ne manquaient pas de rejaillir.
Avec sa disparition, nous avons ainsi perdu, plus qu’un guide
intellectuel, un compagnon affectueux, plein d’idées et de
volonté.
I
Alfredo Margarido a été un des intellectuels qui ont oeuvré à la
création de Latitudes en 1996-97. Bien que résidant alors à
Lisbonne, il a été mis au courant du projet et l’a soutenu, car il a
toujours eu un intérêt intrinsèque pour la lutte des idées, par le
pouvoir de la parole écrite. Il lui attribuait un rôle démystificateur
de l’engrenage social et de ceux qui en profitent. Nos sujets de
conversation ont porté dès le début, presque uniquement, sur des
projets de publication, les articles écrits et à écrire, les livres
publiés et à publier.
1
Durant l’élaboration du projet, ses conseils et ses indications se
sont avérées précieux. Nous avons retenu parmi d’autres celle
portant sur la réalisation des numéros thématiques, qui a été
suivi continuellement avec succès.
Il avait une grande expérience de l’écriture destinée aux revues
et aux journaux et des contraintes de l’édition, comme nous
l’avons signalé dans un article du nº 24 de Latitudes qui lui est
consacré. Dès que la liberté d’expression a été rétablie au
Portugal, avec la Révolution des Oeillets, il se battait à coeur
joie publiant des articles dans les journaux dénonçant les vices
des politiciens et les détournements de la démocratie. Au cours
du gouvernement de l’alliance de droite (PSD-CDS), au début
de ce siècle, sa vigoureuse chronique hebdomadaire dans le
Jornal do Fundão et, après, dans les hebdomadaires O Ribatejo
et O Semanário, n’était pas sans rappeler les grands polémistes
portugais d’avant la dictature, par l’intensité de son démontage
des ruses du libéralisme économique et des aléas de
l’opportunisme politique.
Mais Latitudes s’insérait dans le contexte des lusophones
expatriés, situation que Alfredo Margarido avait connu durant
plus de trois décennies. Il avait souffert de la prison et de la
persécution sous le régime dictatorial et colonialiste de Salazar,
et, étant parti en exil, l’avait combattu dans une posture
2
radicale, comme d’autres membres de la rédaction de
Latitudes. En 1997, l’objectif était autre, ce qui a été bien
compris, étant donné l’orientation culturelle, artistique et social
de la revue. Ses recherches dans le domaine littéraire, surtout
en poésie, et en anthropologie et en histoire concernant les
pays de langue portugaise, en particulier les cultures africaines
et brésilienne, étaient irriguées en quelque sorte par la même
matrice et avant tout par un désir profond d’aller contre les
idées reçues. Le dynamisme provenant du marxisme est
accentué chez Alfredo Margarido par un positionnement
original qui est la marque de son hétérodoxie. Ses analyses
littéraires, par exemple, peuvent aller jusqu’aux motivations
traumatiques des auteurs, comme dans le cas de la poésie
érotico-masochiste de Cesário Verde et de Camilo Pessanha,
mais elles ne restent pas emboîtées dans le littéraire pur. La
dimension sociale et l’éclairage d’une signification au sein du
débat des idées lui semblent indispensables. Ses interrelations
dotent ses textes d’une richesse d’allusions qui, les reliant au
processus social, font apparaître avec une autre force les
racines de leurs manifestations esthétiques. On pouvait voir ici
l’empreinte laissée par son maître Pierre Francastel, à
l’EHESS, dont il aimait évoquer l’ambiance des séminaires.
3
II
Alfredo Margarido a été aussi un des membres du Comité de la
rédaction parmi les plus présents textuellement et des plus
réactifs. Il a maintenu une collaboration constante par ses
articles thématiques et ses comptes-rendus. À chaque parution,
il nous adressait une lettre détaillée avec ses considérations,
souvent débattues au sein du Comité de rédaction. Il nous
stimulait nous poussant à être exigeants dans la qualité
thématique et littéraire des contributions retenues, sans oublier
des remarques plus personnelles. Celles-ci se rapportaient, le
plus souvent, aux cultures africaines lusophones, qu’il
connaissait profondément, comme cela vient d’être mis en
lumière ici par notre camarade et ami Luiz Silva. En donnant
dans ce domaine, prioritairement, la parole aux africains
concernés, par rapport aux écrivains et essayistes occidentaux,
considérant que ceux-ci avaient prédominé pendant des siècles,
nous avions pris - à Latitudes – plus qu’une précaution, un
choix de justice. Et ainsi nous pouvions être plus libéraux sur
des sujets qui ne dépassaient pas le niveau informatif.
Alfredo Margarido nous disait fréquemment qu’il était un
« lecteur compulsif », lisant tout ou presque, car il rejetait les
livres qui n’atteignaient pas le niveau de la qualité littéraire.
Ajoutons qu’il était également un écrivant du même ordre,
4
compulsif, bien qu’exigeant envers lui-même, retravaillant
fréquemment ses textes. Il déposait un espoir sans nom dans
l’écriture. Étant donné ses divers compromis, parfois il était
surpris par notre régularité de parution, qui obéissait à nos
propres engagements, raison pour laquelle quelques uns de ses
articles ont paru décalés de la thématique respective.
Au-delà de l’explication factuelle, nous sommes convaincus
qu’un autre motif, ayant trait à sa personnalité, se cache
derrière cela : encore son caractère rebelle et volontaire. Cette
mésentente, purement chronologique, nous a valu d’être
accusés de garder ses articles dans le tiroir et d’autres élégantes
remarques qu’il appréciait nous adresser ne serait ce que pour
saler nos entretiens qui n’étaient jamais mornes, et, par contre,
toujours respectueux et amicaux.
Les polémiques engagées dans la revue – dont il a été le
champion – naissaient de son exigence de rigueur et du désir
d’aller plus loin. Car il a toujours accepté les répliques de
façon cordiale, sans rancune, semblant chercher plutôt à
provoquer ainsi une plus vigoureuse forme d´échange.
Rares sont les numéros de Latitudes qui ne comportent pas
d’articles signés de son nom. Même souffrant il pensait toujours
aux sujets qu’il aimerait publier et se battait avec sa vieille
machine à écrire qui accusait la fatigue de sa persistance. La
5
plupart de ces contributions, concernent le Cap-Vert et le Brésil,
dont la caractéristique métisse de ces formations sociales et de
leur expression culturelle a connu en Alfredo Margarido un de ses
principaux analystes. C’est ce que nous avons voulu signaler avec
l’élaboration du numéro 24 , de Latitudes consacré à son oeuvre,
sous l’intitulé : « Alfredo Margarido, un parcours à contrecourant ». Ajoutons que lui-même a gardé à ce propos la distance
la plus réservée, même vis-à-vis de l’élaboration de son immense
bibliographie que l’on a commencée à peine établir.
L’autre branche de ses contributions à Latitudes concerne la
présence des Portugais en France. Dans l’article Éloge du
Bidonville, paru dans le nº 5, A. Margarido présente un résumé
d’une de ses analyses les plus originales concernant le phénomène
migratoire. Il se distingue d’ailleurs comme étant un des rares
intellectuels Portugais exilés à se pencher sur le devenir de cette
population issue le plus souvent de couches sociales populaires,
amenées à exercer à l’étranger des activités manuelles peu
qualifiées. À l’inverse de la plupart des diplômés portugais, A.
Margarido ne négligeait pas les milieux populaires, ni leur rôle
dans le dynamisme social, restant fidèle en cela à son engagement
de la période anti-salazariste. D’ailleurs, à contre-courant des
sociologues portugais, il pointait d’autres rôles accomplis par les
migrants portugais dans la rapide évolution sociale du pays après
le 25 avril, au niveau de l’habitat, des moeurs, de l’introduction
6
de nouvelles technologies, etc. qu’il n’a pas eu le temps
d’élaborer.
Ses écrits publiés dans Latitudes resteront parmi les plus riches
édités dans les pages de la revue et nous savons que, tant sous la
forme papier qu’en ligne, à travers l’internet, ils accomplissent
depuis un certain temps leur fonction de communication sans
limite dans le temps, dépassant notre propre condition
existentielle.
Alors, devant l’incommensurable perte d’un de nos plus illustres
compagnons, reste à l’équipe de Latitudes le réconfort d’avoir
contribué à rendre la pensée et le nom d’Alfredo Margarido
immortels.
Novembre 2010
Daniel Lacerda
7
8