L`entretien, Alain Blanchet et Anne Gotman

Transcription

L`entretien, Alain Blanchet et Anne Gotman
L’enquête et ses méthodes
L’entretien
Alain Blanchet et Anne Gotman, Armand Colin 2010
Résumé par Léa Billen
1. Les conditions de validité
Définition :
1) fait de parole par lequel A obtient une info de B contenue dans la biographie de B.
Biographie car caractère vécu de l’info recueillie = assimilée et subjectivée ≠ info
recueillie en direct sur un événement.
2) Produit à l’initiative de A au profit de sa communauté de recherche ≠ sollicité par B
Entretien = instrument de l’exploration des faits dont la parole est le vecteur principal. Ces
faits concernent :
 Les systèmes de représentation (pensées construites)
 Les pratiques sociales (faits expérimentés)
Les pensées construites
Idéologie = « organisation d’opinions, d’attitudes et de valeurs, une façon d’envisager
l’homme et la société » (Adorno et al., 1950, p.2).
1) Versant anthropologique – Activité sociale qui consiste à se fabriquer une image de la
vie en société. Rencontre entre une expérience individuelle et des modèles sociaux :
l’idéologie n’est pas un concept ou une théorie (rationalisation seconde) mais une
image-croyance chargée d’affectivité et d’irrationalité. N’est pas seulement le reflet
déformé du réel : la représentation est la vérité en acte, la vérité telle que pratiquée
par les individus sociaux.
2) Versant politique – Les représentations orientent l’activité sociale dans le sens du
maintien de l’ordre existant (Wirth, 1936). Mais ne pas considérer l’activité
idéologique comme le fait des groupes dominants, dont la production (l’imagecroyance) serait consommée comme telle par les groupes dominés : tous les groupes
sociaux sont mis à contribution. L’activité idéologique est ce qui permet à chacun de
rendre le monde propre à vivre, et pas seulement à conforter l’ordre existant : pas
seulement déguisement des rapports de domination mais également construction
d’une raison.
Entretien pertinent pour analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques.
Les faits expérimentés
Entretien permet de saisir la traduction personnelle des faits sociaux que l’on veut interroger.
ATTENTION : Si l’interviewé ressent une gêne à évoquer certains faits, ce n’est pas
forcément révélateur d’un processus de refoulement psychique : cela peut tenir plutôt à la
structure même de l’entretien. L’entretien l’oblige à expliciter l’implicite, l’interviewé
transforme son expérience, prend du recul par rapport à elle. Suivant le système idéologique
qui est le sien, il chercha à exprimer son expérience de façon à ce qu’elle entre en
cohérence avec les normes sociales qu’il s’est approprié. Pour expliquer un fait, il ira
chercher des raisons « socialement valables », qui s’inscrivent dans la logique de l’idéologie.
Enquêtes sur les représentations
Entretiens centrés sur les conceptions, les raisonnements et les logiques subjectives de
l’interviewé  Discours modal = qui vise à traduire l’état psychologique du locuteur.
Enquêtes sur les pratiques
Interviewé considéré comme un informateur : interrogé sur ce qu’il sait et non sur ce qu’il
croit.  Discours référentiel = discours qui décrit l’état des choses. Organisation
chronologique : fait appel au désir de raconter chez l’interviewé.
Enquêtes sur les représentations et les pratiques
Vise à connaître un système pratique = les pratiques elles-mêmes et ce qui les relie
(idéologies, symboles…).  Discours modal ET référentiel.
2. La préparation de l’enquête
Avant préparation de l’enquête, opération de construction de l’objet :
 Formulation de la question : rupture avec les prénotions
 Choix de la problématique : inscription de la question dans une perspective théorique
 Formulation d’hypothèses : réponses provisoires
Enquête vise à soumettre les hypothèses à l’épreuve des faits.
2.1.
L’opportunité du recours à l’enquête par entretien plutôt que par questionnaire
 Entretien s’impose chaque fois qu’on ignore le monde de référence ou qu’on ne veut
pas décider a priori du système de cohérence interne des infos recherchées.
 Entretien n’exige pas de classement a priori des éléments déterminants
 Entretien convient à l’étude de groupes restreints
 Entretien ne fait pas apparaître les pourquoi (questions causales) mais les comment
(processus). ≠ Questionnaire permet d’établir un lien de causalité probable
(statistique) entre caractéristiques descriptives et comportements.
2.2.
L’enquête par entretien à usage principal
Enquêtes dont l’entretien constitue le mode de collecte principal de l’info. Suppose que les
hypothèses aient été dégagées. Plan d’entretien organisé de telle manière à ce que les
données produites puissent être confrontées aux hypothèses.
3. La conception de l’enquête
3.1.
Population et corpus : qui interroger ?
Définition de la population
Suppose de déterminer les acteurs dont on estime qu’ils sont en position de produire des
réponses aux questions que l’on se pose.
Une population concernée peut être décomposée en sous-populations, chacune étant
susceptibles d’apporter des infos spécifiques. Parfois, interviews de délégués ou de
représentants de groupes sont obligatoires pour accéder aux membres du groupe. Face à ce
type de personnes, difficile de le convaincre qu’on cherche à connaître son point de vue et
non le point de vue officiel de l’administration du groupe. Mais toujours se dire que même le
point de vue « officiel » énoncé par un délégué apporte un autre type d’infos que celles
divulguées par des textes administratifs ou la presse.
Constitution du corpus
Taille du corpus plus réduite que dans le cas d’un questionnaire car validité de l’entretien
repose sur le contexte et non sur la probabilité d’occurrence.
Corpus diversifié de façon à ce que la plupart des caractéristiques de la population soient
prises en compte, sans nécessité d’une stricte représentativité (car en général, pas assez
d’interviewés). Il faut que le corpus soit révélateur, pas strictement représentatif.
3.2.
Les modes d’accès aux interviewés
Méthode de proche en proche : demander à un premier interviewé potentiel de jouer le rôle
d’intermédiaire vers un autre interviewé, et ainsi constituer une chaîne. Suppose de
connaître la relation qui lie l’intermédiaire à l’interviewé pour éviter relations de domination et
effets de censure.
3.3.
Le plan d’entretien
Le guide d’entretien
= ensemble organisé des thèmes que l’on souhaite explorer.
Traduction des hypothèses en indicateurs concrets et reformulation des questions de
recherche (pour l’interviewer) en questions d’enquête (pour les interviewés). Structure
l’interrogation mais ne dirige pas le discours. Série de thèmes qui permettent à l’interviewer
d’improviser des relances pertinentes sur les différents énoncés de l’interviewé. Permet de
concilier discours librement formé et réponse aux questions de recherche.
Stratégies d’interventions
= types de discours attendus et modes de relance (intervention de l’interviewer, paraphrase
ou commentaire de l’énoncé précédent de l’interviewé)  maximiser l’information obtenue
sur chaque thème.
4. La réalisation des entretiens
4.1.
Les paramètres de la situation d’entretien
L’environnement matériel et social
Programmation temporelle : critère de la disponibilité de l’interviewé, mais aussi inscription
de l’entretien dans la quotidienneté. Influence des actions et représentations liées à la
dernière activité faite par l’interviewé.
Définition des lieux et configuration des places : chaque lieu communique des significations
susceptibles d’être mises en acte dans le discours de l’interviewé. Situation commande des
rôles et des conduites spécifiques (ex : domicile/bureau).
Le cadre contractuel de la communication
L’interviewer doit annoncer à l’interviewé les motifs et objets de sa demande et informer
l’interviewé sur ce qui sera fait de son témoignage après l’enquête. Répondre implicitement à
2 questions : 1) Pourquoi cette recherche ? 2) Pourquoi cet interviewé ?
Si le thème est familier à l’interviewé, se place en position d’expert : les représentations et
raisonnements qu’il communique font appel à une pensée déjà élaborée et à une
mémorisation active  Discours pré-construit. Si le thème est peu familier, le discours se
construit au fil de l’entretien, contradictions internes possibles, dépendance vis-à-vis de
l’interviewer.
Thème extensionnel/concret (type : Décrivez moi votre quartier) appelle exigence de vérité.
Thème non extensionnel/abstrait (type : Dites moi ce que vous ressentez dans l’amitié)
appelle exigence de sincérité.
Les interventions de l’interviewer
Ecoute productrice de significations. Opération de sélection, d’inférence, de comparaison par
rapport aux objectifs de l’entretien. Ecoute dirigée vers les objectifs, guidée par les
hypothèses : travail permanent de redéfinition des hypothèses, de retour réflexif sur ses
présupposés.
Stratégies d’intervention :
 Contradiction : l'interviewer s’oppose au point de vue développé précédemment par
l’interviewé. Contraint l’interviewé à argumenter. Mais danger : l’interviewer donne
des infos à l’enquêté sur ses opinions, quitte statut de neutralité.  Tendance de
l’interviewé à radicaliser ses opinions.
 Consigne / question externe : l’interviewer introduit un thème nouveau. Importance de
la consigne inaugurale : doit être assez large. Si représentation « parlez moi de ce
que X représente pour vous », si pratique « dites moi comment X se passe ».
Chaque consigne introduit une question thématique nouvelle. Traduit à l’interviewé la
part de structuration que l’interviewer introduit dans son discours.
 Relance : s’inscrit dans la thématique développée par l’interviewé.
4.2.
L’interaction des discours et des interventions
3 types de discours dans un entretien :
 Narratifs : rendre compte d’évènements passés
 Informatifs : faire part d’une croyance, d’un désir, d’une opinion
 Argumentatifs : organiser le discours
Réitération = pour l’interviewé, confirmation d’écoute et demande d’explicitation. Marche
pour les discours informatifs (pas pour les narratifs).
 Réitération écho : « X est y » : remet en cause la valeur de vérité en soi de la
proposition réitéré. Agressif.
 Réitération reflet : « vous pensez que X est y » : déplace le problème de la véracité à
la sincérité. Le regard se porte sur l’origine énonciative et non le contenu. Attention :
remet en cause la sincérité de l’interviewé.  Discours hésitant.
 Contradiction à écarter. Consigne à utiliser avec modération (baisse de la prolixité
discursive de l’interviewé). Relances à exploiter, mais en sachant qu’elles ne sont pas
neutres.
5. L’analyse des discours
2 types d’analyse de contenu :
 Entretien par entretien : proche du résumé. Rendre compte pour chaque entretien de
la logique du monde référentiel décrit par rapport aux hypothèses. Repose sur le
principe que chaque singularité est porteuse du processus sociologique qu’on veut
analyser. Se justifie lorsque qu’on étudie des modes d’organisations individuels en
tant qu’ils sont révélateurs.
 Analyse thématique, découpage transversal du corpus : analyser les différents
traitements d’un même thème chez tous les entretiens. Recherche d’une cohérence
inter-entretiens. Se justifie lorsqu’on veut mettre en oeuvre des modèles explicatifs de
pratiques ou de représentation, pas de l’action. Pour identifier les thèmes
transversaux, lecture préalable (et neutre, « passive ») de chaque entretien + mise en
correspondance avec les objectifs de l’enquête.  Production d’une grille d’analyse
définissant les thèmes transversaux (≠ grille d’entretien qui vise à la production de
données et pas de résultats). Possibilité d’élaborer cette grille sous forme de
questionnaires : questions dont on spécifie d’avance les différentes modalités (qui
doivent couvrir tous les entretiens).
Discussion des résultats
Pour l’analyse thématique :
 Repérage des variations et tentative d’explication
 Elaboration d’une typologie : mise en évidence du fait que se manifeste dans un
entretien un type de raisonnement et non seulement une individualité (même si
individu seul à représenter ce type de raisonnement).