politiques financieres

Transcription

politiques financieres
STRATEGIES NATIONALES DE
DEVELOPPEMENT
UN DESA
NOTES D'ORIENTATION
POLITIQUES
FINANCIERES
C.P. Chandrasekhar
Professeur
Centre for Economic Studies and Planning
School of Social Sciences
Jawaharlal Nehru University
New Delhi, Inde
NATIONS UNIES
DEPARTEMENT DES AFFAIRES ECONOMIQUES ET SOCIALES
(UNDESA)
-2007-
Remerciements
L’auteur souhaite remercier pour leurs commentaires sur les versions précédentes de
ce document Sylvie Illana Cohen, Randall Dodd, Khay Jin Khoo, Jomo K. S., Jan
Kregel, Paul Ladd, Kamal Malhotra, Isabel Ortiz, Harry Shutt et Josef Stiglitz.
New York, juin 2007
Tous droits réservés © Département des affaires économiques et sociales des Nations
Unies
Cette note d’orientation vise à encourager la prise en compte et la discussion de
différentes options pour la préparation des Stratégies nationales de développement.
Les analyses, évaluations et données y afférentes ont été initialement élaborées par les
auteurs du rapport puis revisitées en réponse aux commentaires récoltés en retour par
différents réviseurs. Elles ne représentent pas nécessairement les vues du Département
des affaires économiques et sociales des Nations Unies, et les auteurs des citations
doivent être dûment mentionnés.
2
Préface
Le document final du Sommet mondial des Nations Unies de 2005 a appelé les pays
participants à préparer des stratégies nationales de développement qui prennent en
compte les objectifs de développement internationaux convenus dans les sommets et
les conférences des Nations Unies ces vingt dernières années. Pour aider les pays à
réaliser cette tâche, le Département des affaires économiques et sociales des Nations
Unies (DESA) a commandé une série de notes à l’intention des décideurs et des
théoriciens, au gouvernement et dans la société civile, portant sur les principaux
domaines associés à la formulation de stratégies nationales du développement :
politique macroéconomique et politique de croissance, politique commerciale,
politiques d’investissement et de technologie, politiques financières, politique sociale
et réforme des entreprises publiques. La préparation de ces notes a largement
bénéficié d’un généreux financement de la part du Programme des Nations Unies
pour le développement (PNUD). Nos collègues du PNUD nous ont également fourni
des suggestions utiles et des commentaires judicieux sur ces notes.
Ces notes d’orientation ont été rédigées par des experts spécialistes de leur discipline.
Elles s’inspirent des expériences et des dialogues récoltés par les Nations Unies dans
les domaines économique et social, complétés par des connaissances extérieures à
l’Organisation. Les notes présentent des suggestions concrètes sur les moyens de
réaliser, sur le plan national, les objectifs de développement convenus au niveau
internationa l et résumés dans le Programme de l'ONU en matière de développement.
Elles sont destinées à fournir à ceux qui forgent et définissent les politiques nationales
une palette d'alternatives possibles aux politiques standard qui ont prévalu durant les
deux dernières décennies, sans privilégier de mode d’action spécifique. Elles servent
à aider les pays à développer et exploiter pleinement les possibilités qui leur sont
accordées pour l’élaboration de politiques, et qui leur autorisent une marge de
manœuvre effective dans la formulation et l'intégration de politiques économiques,
sociales et environnementales à l'échelon national.
J’encourage les lecteurs à considérer ces notes comme des contributions
complémentaires au débat national sur les défis posés par le développement et les
politiques requises pour relever ceux-ci. Les questions choisies sont des éléments
cruciaux de la mosaïque constituée par l’ensemble des politiques sous-jacentes aux
stratégies de développement national, lesquelles sont ultimement cons acrées à la
réalisation de la croissance économique durable avec ses corollaires obligés
d’inclusion sociale et de protection environnementale.
José Antonio Ocampo
Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales
Nations Unies
New York, juin 2007
3
Table des matières
Page
I.
II.
III.
Introduction : OBJECTIFS............................................................................. 6
Né cessités e t contraintes liées a l’intervention dans la sphère financière .... 7
Définition du champ d’application d'une stratégie financière ................... 10
Est-ce que « plus » vaut « mieux » ? ............................................................... 12
IV. La finance au service de la croissance via les banques de développement13
Elaboration de ratios « crédit-dépôt » cibles .................................................... 14
Mise en place de crédits à long terme .............................................................. 14
Garantir une répartition sectorielle adéquate ................................................... 16
Exploitation des apports de capitaux pour influencer les décisions
d’investissement et les performances ............................................................... 17
Rôle des taux d’intérêts différentiés.................................................................18
V.
Politiques financières pour promouvoir l'équité et le développement
humain........................................................................................................................ 21
Garantir l’inclusion financière ......................................................................... 23
Promouvoir l’accès aux banques .............................................................. 23
Prévenir la migration du crédit ................................................................ 24
Prévenir la concentration du crédit.......................................................... 24
Le crédit dirigé.......................................................................................... 25
Sauvegardes institutionnelles.................................................................... 25
Assumer la promotion de l’offre................................................................ 26
Les arguments en faveur de l’appropriation publique ..................................... 26
L’innovation financière en faveur du développement...................................... 28
Le rôle de la banque de politiques sectorielles......................................... 28
Les coopératives........................................................................................ 30
Les institutions de microfinancement (IMF)............................................. 31
Tirer les leçons des expériences passées .......................................................... 38
VI. Autonomie et réglementation ........................................................................ 39
Prévenir la fragilité financière.......................................................................... 39
Contrôle et régulation du secteur financier .............................................. 41
VII. De la libéralisation des systèmes financiers .................................................. 42
VIII. L’épargne étrangère et ses conséquences ..................................................... 49
Flux de capitaux et fragilité financière ............................................................ 51
Gérer la dette externe et les flux de capitaux ................................................... 52
IX. Conclusions ..................................................................................................... 56
X.
Références........................................................................................................ 58
4
Encadrés
Encadré 1 Libéralisation financière et politique macroéconomique ........................... 11
Encadré 2 Un secteur financier non réglementé peut être inapproprié ...................... 13
Encadré 3 Le financement du développement au Vietnam ......................................... 16
Encadré 4 L’exclusion financière en Inde avant la nationalisation............................. 23
Encadré 5 Prévenir la migration du crédit ..................................................................24
Encadré 6 FarmerMac : Le système de crédit fermier aux Etats-Unis ...................... 25
Encadré 7 Propriété publique et système financier accessible à tous en Inde ........... 27
Encadré 8 Les coopératives de crédit aux Etats-U nis................................................. 30
Encadré 9 Le développement de la microfinance ....................................................... 32
Encadré 10 Les stratégies financières peuvent conduire au rationnement du crédit ..44
Encadré 11 Les conséquences structurelles de la libéralisation financière................. 47
Encadré 12 Libéralisation financière et exclusion financière ..................................... 48
Abréviations, sigles et acronymes
BNDES
Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Sosial (Banque de
Développement Brésilienne)
FAD
Fonds d’aide au développement (Vietnam)
PBI
Produit national brut
IMF
Institutions de microfinancement
ONG
Organisation non gouvernementale
APD
Aide publique au développement
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
VPSC
Vietnam Postal Service Savings Company (Compagnie des services
d'épargne postale du Vietnam)
5
I.
INTRODUCTION : OBJECTIFS *
Le succès du développement ne dépend pas seulement de la croissance de la
produc tivité et du PIB par habitant. En effet, il nécessite que la croissance soit de
nature inclusive, qu’elle permette une amélioration de la qualité de vie et contribue à
l’avancement du développement humain. Une Stratégie nationale de développement,
dont les orientations s’appliquent nécessairement aux spécificités et aux rôles des
différents secteurs et en tiennent compte, doit façonner ces politiques de sorte à
réaliser les objectifs de croissance et de développement humain. La présente note
d’orientation traite des différentes politiques financières susceptibles d’influencer, de
compléter et de réguler les activités des agents financiers afin de réaliser ce double
objectif.
Le secteur financier joue un rôle significatif de catalyseur de la croissance, en
agglomérant l’épargne de différents agents aux potentiels économiques variés, et en le
répartissant entre des demandes de financement concurrentes. Etant donné le produit
marginal du capital généré à partir d’une seule unité d’investissement, la croissance
sur une période donnée dépend de la part du revenu national consacrée aux
investissements. De multiples facteurs influent sur les incitations à investir et, par
conséquent, sur le niveau et la structure des investissements prévus. Cependant,
certaines de ces intentions, voire la plupart d’entre elles, risquent de demeurer lettre
morte, même lorsqu’elles sont potentiellement viables, en raison de l’inaccessibilité
au capital nécessaire au financement de ces investissements ou pour défaut
d’assurance permetta nt de se prémunir contre les risques imprévus y afférents. Ceci
entraîne évidemment des conséquences notables au niveau de la croissance.
Mais cela affecte également la réalisation des objectifs de développement humain.
L’accès aux marchés financiers est déterminé, d’une part, par les perceptions des
créanciers, des investisseurs financiers et des assureurs relatives à la réputation et aux
profils de risque de leurs clients, et d’autre part, par l’adéquation aux exigences de
garantie requises que ces dernie rs sont en mesure de fournir. Ainsi, ce sont les pauvres
et les individus les moins dotés en capital qui se voient le plus souvent refuser l’accès
à ces marchés, ce qui réduit leur contribution à la croissance ainsi que les avantages
qu’ils tirent de celle-ci. Par conséquent, le principe d’inclusion est un défi
fondamental à relever dans le cas du secteur financier. Il constitue un objectif qu’il
faut impérativement prendre en compte lorsque l’on cherche à combler les failles
structurelles de ce secteur, guider le comportement de ses acteurs et influencer les
résultats de ses opérations.
L’impact des opérations financières est très différent selon les groupes, les régions et
les individus concernés, même dans les périodes de rigueur et/ou de crise endogènes
au secteur financier. Comme nous le verrons plus loin, certaines caractéristiques
inhérentes au secteur financier et à ses activités rendent celui-ci fragile et sujet à des
crises. Lorsqu’une telle fragilité survient et engendre une crise partielle ou
systémique, ses effets ne sont pas seulement préjudiciables à la croissance, ils
affectent également, et en premier lieu, les individus qui ont peu ou pas d’accès au
secteur financier, et qui sont les moins armés pour y faire face. Les individus qui
souffrent d’exclusion financière ne sont pas à l’abri des conséquences de la fragilité
*
Cette note d’orientation a été préparée par C.P. Chandrasekhar, Professeur au Centre for Economic
Studies and Planning, School of Social Sciences, Jawaharlal Nehru University, New Delhi, Inde. Les
commentaires et les questions s'y rapportant doivent être envoyés à l’adresse [email protected].
6
financière. Il est donc nécessaire d’intervenir pour identifier et atténuer cette fragilité
afin de prévenir les crises.
Enfin, puisque le secteur financier comprend des institutions et des agents
intermédiaires agissant sur l’afflux de capitaux et d’épargne étrangers, les pratiques
de ces derniers ont des implications sur le volume et la structure de l’apport de
capitaux étrangers. Si le volume, la structure et les délais de remboursement de ces
flux ne sont pas régulés, ceux-ci pourront notamment accentuer la vulnérabilité vis-àvis de l’extérieur et déclencher une crise monétaire ou financière, comme l’attestent
les épisodes récurrents de crise dans bon nombre de pays en voie de développement.
Les politiques financières doivent donc obligatoirement prendre en compte de tels
risques potentiels.
Cette note d’orientation identifie les politiques susceptibles d’aider à transformer les
agents financiers et les marchés en instruments de croissance inclusive, tout en
veillant à ce que leur présence et/ou leurs opérations ne fragilisent pas le système dans
lequel elles s’inscrivent ni ne le rendent sujet aux crises à long terme.
L’élaboration de ces politiques doit être guidée par les qua tre lignes directrices
suivantes :
1. Assurer la disponibilité des financements à des coûts proportionnels aux
rendements prévus, en termes de développement, au niveau des principaux
secteurs, projets et agents concernés.
2. Veiller à ce que la structure financière n’exclut pas des secteurs importants de
l’économie ou de vastes groupes de la population, lorsque cet accès est
nécessaire au financement d’investissements productifs viables et de besoins
de consommation d’urgence.
3. Minimiser les risques induits par le comportement des agents financiers
susceptibles d’occasionner des pertes pour les épargnants détenant des actifs
financiers ou ayant effectué des dépôts.
4. Prévenir les pratiques financières qui provoquent la fermeture de sociétés
financières, augmentent la fragilité du système financier dans son ensemble et
entraînent une instabilité macroéconomique.
II.
NECESSITES ET CONTRAINTES LIEES A
L’INTERVENTION DANS LA SPHERE
FINANCIERE
Les politiques d’intervention sont justifiées pour les raisons suivantes :
a) Les marchés ne produisent pas toujours les résultats nécessaires à
l’avancement des objectifs de croissance et d’équité.
b) Les marchés contribuent souvent à élargir le fossé entre les résultats effectifs
et les objectifs recherchés.
Les politiques financières sont né cessaires parce que les marchés financiers ne sont
pas identiques aux marchés sur lesquels s’échangent d’autres biens et services. Un
prêt ou un contrat d’assurance n’est pas un échange contemporain, mais un paiement
effectué par l’une des parties en contrepartie d’un rendement réel ou contingent dans
le futur (Stiglitz 1991).
7
L’information est cruciale pour le fonctionnement des marchés financiers. Les
épargnants ont besoin d’informations sur la viabilité et la nature des activités des
intermédiaires fina nciers ; les intermédiaires doivent évaluer la santé financière et les
motivations des entités auxquelles ils accordent des prêts ; et les emprunteurs
cherchent à connaître les options dont ils disposent lorsqu’ils sollicitent un crédit.
Dans les faits, les informations ont tendance à être incomplètes et asymétriques dans
leur répartition, ce qui entraîne les conséquences notables suivantes :
•
Les emprunteurs ne présentent pas tous les mêmes risques de défaillance, mais
les banques ne peuvent pas parfaiteme nt préjuger de la probabilité de défaut
de paiement de chaque débiteur séparément. L’octroi de prêt ne peut donc pas
être dicté par le choix du meilleur projet, mais il implique plutôt une
estimation rapide, fondée sur des informations incomplètes.
•
Les informations asymétriques et incomplètes rendent également difficile
toute tentative de contrôle. Cela peut, par exemple, encourager les managers à
transformer les bénéfices en avantages indirects et détourner les
investissements en matière de gestion et de compétences au profit
d’orientations susceptibles de renforcer leurs propres positions sur le marché,
plutôt que de servir les intérêts des bailleurs et des actionnaires.
•
D’une manière conventionnelle, l’on considère que ces problèmes aggravent
les risque s d’antisélection, d’aléa moral et de fragilité financière. 1
Confrontées à de tels problèmes, les banques peuvent rationner les prêts et les
investisseurs financiers freiner le crédit ou les placements en action. Ces derniers ont
également la possibilité de hausser les taux d’intérêt en cas de prêts à haut risque, ce
qui aboutit, d’une part, à l’exclusion de certains emprunteurs, et d’autre part, à
l’inclusion d’investisseurs dans des projets risqués promettant des rendements élevés.
Les marchés financiers sont aussi sujets à des défaillances, en raison du caractère de
« bien public » associé aux informations que les agents doivent acquérir et traiter
(Stiglitz 1993, Rodrik 1998). Une fois récoltées, les informations peuvent être
utilisées simultanément pa r tous, et il est difficile d’en interdire l'accès complètement
à d’autres acteurs sans en payer le prix. Les actionnaires individuels ont tendance à
s’abstenir d’investir du temps et de l’argent dans l’acquisition d’informations relatives
aux équipes de direction, en espérant que les autres actionnaires le feront à leur place,
tout en sachant que l’ensemble des actionnaires, dont eux-mêmes, bénéficie des
informations collectées.
Il peut résulter de ce mécanisme un investissement inadéquat au niveau de
l’information et des contrôles de mauvaise qualité, aboutissant à des décisions
risquées et des fautes professionnelles. Les sociétés financières qui souhaitent réduire
1
Citons Arestis (2005) : « L’antisélection qualifie une situation dans laquelle le choix opéré est
susceptible de produire des résultats contraires aux effets désirés. Sur le marché du crédit, par exemple,
ce problème fait référence aux emprunteurs qui ne sont pas en mesure de rembourser leurs prêts, et qui
utilisent ceux-ci pour entreprendre des investissements extrêmement risqués alors que les prêteurs
n’ont aucune connaissance de la situation de leurs débiteurs, par manque d’informations à leur sujet.
L’aléa moral décrit une situation dans laquelle l’emprunteur agit de façon «immorale », c'est-à-dire
d’une manière qui n’est pas dans le meilleur intérêt du bailleur, lequel détient des informations
incomplètes sur son débiteur. A titre d’exemple, les épargnants, par manque d’information parfaite, ne
sont pas conscients des risques élevés que les banques peuvent être amenées à prendre, ce qui
encourage des comportements non scrupuleux ».
8
ou supprimer les frais de contrôle et d’évaluation se contentent parfois de suivre
l’exemple d’autres entreprises, notamment les firmes majeures, dans leurs choix
d’investissement, ce qui crée un « instinct grégaire » typiquement mis en évidence
chez les acteurs financiers. Ce phénomène ne contribue pas seulement à limiter
l’accès au financement pour certains agents, mais conduit également à l’octroi
excessif de prêts à d’autres entités, dont la défaillance risque d’entraîner des effets
systémiques. La prédominance d’externalités informationnelles aggrave certains de
ces problèmes. Les irrégular ités pratiquées par une banque donnée peuvent susciter
les craintes des épargnants dans d’autres banques et provoquer un retrait massif de
dépôts au sein de celles-ci.
Enfin, des perturbations risquent de se produire du fait que les retours sur
investissement prévus dans le privé diffèrent des rendements sociaux dans de
nombreuses activités. Ceci peut mener à une situation où le marché prend des risques
inutiles, en quête de profits élevés. Les crédits relatifs aux domaines de
l’investissement en actions ou l’immobilier illustrent bien cette tendance. En effet, les
prêts accordés à ces secteurs se concluent parfois à des taux d’intérêt relativement
élevés car les rendements y sont particulièrement volatiles et atteignent souvent de
très hauts niveaux. Puisque les banques acceptent des biens immobiliers et des titres
boursiers en garantie, l’emprunt destiné à financer les investissements spéculatifs en
actions ou en immobilier s’emballe aisément. Ce type d’activité se développe en
raison de la croyance selon laquelle les pertes éventuelles sont transférables au prêteur
en cas de défaut de paiement, et les bailleurs assurés du soutien du gouvernement lors
de la survenue d’une crise. Ce processus alimente un enchaînement spéculatif, lequel,
à son tour, mène à l’éclatement de la bulle et à la faillite des banques.
Il résulte de tout cela que les caractéristiques propres aux marchés financiers ont pour
conséquence presque inévitable un décalage entre les résultats réels et les objectifs
souhaités. Il s’avère donc né cessaire de mettre en œuvre une combinaison de
réglementations visant à corriger les dysfonctionnements du marché alliée à la
création d’institutions spécialisées. Néanmoins, bien que l’intervention du
gouvernement soit une réponse appropriée, il n’est pas toujours aisé d’en déterminer
les modalités. Les gouvernements ont beau être les agents les plus aptes à gérer les
problèmes de marchés incomplets et les échecs de coordination, les difficultés liées à
l’évaluation des clients et au contrôle des responsables, même gouvernementaux,
demeurent entières. De plus, les décideurs en tant qu’individus peuvent être mus par
des incitations personnelles et alléguer la poursuite d’objectifs sociaux pour couvrir
de mauvaises appréciations ou des pratiques irrégulières. Le favoritisme politique et
la corruption ont également un impact négatif non négligeable sur ces phénomènes.
Par exemple, bon nombre de banques de développement instaurées pour diriger leurs
crédits vers des secteurs spécifiques ou des groupes cibles ont prêté leurs capitaux à
des projets non rentables ni commercialement ni socialement ou ont mal rempli leur
mandat. Même une banque de développement apparemment prospère comme la
BNDES a été accusée d’accorder des prêts principalement aux grandes entreprises.
Parfois, de tels incidents résultent de certaines erreurs d’appréciation. Mais l’abus de
pouvoir ou tout simplement la corruption ont aussi un rôle important dans ce
processus puisque les organisations étatiques sont de ce fait utilisées au profit de
l’accumulation de capitaux privés, par la redistribution des richesses du
gouvernement et/ou des pauvres aux riches et/ou à une puissante élite.
9
Cependant, étant donné les arguments qui justifient l’intervention des pouvoirs
publics en premier lieu, un pur retour au marché n’est pas toujours la meilleure des
alternatives. Si le choix d’un mélange approprié entre l’intervention et le marché
s’avère nécessaire, les problèmes de gouvernance publique ne pourront être résolus in
fine que par la création de structures institutionnelles transparentes et participatives,
permettant le contrôle public des contrôleurs par le parlement et d’autres organismes
démocratiques.
III.
DEFINITION DU CHAMP D’APPLICATION D'UNE
STRATEGIE FINANCIERE
Etant donné les objectifs précédemment détaillés, il est nécessaire d’élaborer des
politiques financières susceptibles d’effectuer ce qui suit :
•
Définir les contours des structures financières (en termes de marchés,
d’institutions ou d’instruments).
•
Réglementer les activités des agents et des entités du secteur financier.
•
Utiliser les éléments mêmes de la structure pour réaliser des objectifs
prédéterminés
Cette définition de la sphère de la « politique financière » exclut explicitement
certaines formes d’intervention financière de nature macr oéconomique et non
sectorielle, qui sont traitées dans la note d’orientation intitulée Politique
macroéconomique et politique de croissance de la présente série. Par exemple, le
gouvernement est considéré comme le grand intermédiaire financier au sein d’une
économie, dans la mesure où il absorbe une partie des revenus monétaires par le biais
de l’imposition et peut recourir, par l’emprunt, à l’épargne du secteur privé, en partie
transférée aux entités à la recherche de financements à des fins d’investissement. De
cette façon, le gouvernement cherche à atteindre les objectifs des taux d’épargne
cibles dans le secteur financier ainsi que l’affectation souhaitée de cette épargne.
Néanmoins, le gouvernement n’est pas un intermédiaire financier à proprement parler
ni un agent cherchant à tirer des bénéfices de la différence entre le coût des fonds et
les rendements de transferts ultérieurs. Ainsi, la question de savoir dans quelle mesure
le gouvernement peut ou doit avoir recours à une telle « intermédiation » est
considérée comme relevant du domaine de la politique fiscale et non financière. S’il
est nécessaire de coordonner les politiques fiscales et financières, celles-ci sont
conceptuellement et concrètement très différentes l’une de l’autre.
10
Encadré 1
Libéralisation financière et politique macroéconomique
Au cours des deux ou trois dernières décennies, bon nombre de pays en voie de
développement ont, dans la perspective d’attirer des capitaux étrangers, libéralisé les
politiques régissant la présence et les activités de sociétés financières étrangères au sein de
leur secteur financier national. Une des conséquences probables de cette évolution qui a
monopolisé l’attention des observateurs concerne l’augmentation de la fragilité financière et
du risque de crises monétaire et financière qu’elle induit. Par contre, son impact sur les
politiques budgétaire et monétaire n’a pas été suffisamment mis en lumière.
Considérons un pays qui réussit, après un épisode de libéralisation financière, à attirer de
larges apports de capitaux étrangers. Lorsque l’économie ne parvient pas immédiatement à
absorber ces flux, il y a une offre excessive de devises sur les marchés intérieurs, qui peut
entraîner l’appréciation de la monnaie locale et la diminution conséquente de la compétit ivité
des produits nationaux à l’exportation.
Pour enrayer ce risque, les banques centrales achètent souvent des dollars (à titre d’exemple),
et les accumulent sous forme de réserves. Cette pratique accentue la demande sur les devises
et atténue les pressions de réévaluation de la monnaie nationale. Cependant, elle entraîne
également le renforcement des actifs de la banque centrale en devises, avec comme corollaire
celui de son passif, ce qui induit une augmentation de la masse monétaire. Pour annuler les
effets de l’accroissement de ses actifs en devises, la banque centrale choisit souvent de
diminuer ses avoirs en instruments de crédit nationaux. Puisque ces derniers prennent
essentiellement la forme de dette publique, le résultat net est une réduction du montant de la
dette publique détenue par la banque centrale.
Pour appuyer la nécessité de réduire les actifs en monnaie nationale résultant de
l’augmentation des actifs en devises, trois politiques de soutien sont menées :
i. l’on cherche à réduire le déficit budgétaire du gouvernement, afin de diminuer son besoin
d’emprunter ;
ii. dans la mesure où le gouvernement choisit d’emprunter, il lui est nécessaire d’avoir de
plus en plus recours à un crédit sur le marché libre plutôt que d’emprunter auprès de la
banque centrale ;
iii. l’on cherche à isoler la banque centrale des développements budgétaires, en la rendant
autonome du gouvernement, en ce qu’elle n’est plus tenue de répondre favorablement à
l'émission de nouvelles demandes de crédit par le gouvernement.
Cependant, la banque centrale n’est pas réellement « autonome », puisqu’elle est obligée
d’acquérir les entrées de devises dans le pays, afin de prévenir l’appréciation de la monnaie
nationale. Une fois que le stock disponible des titres d’Etat est épuisé par ces manœuvres, il
apparaît clairement que les actifs et passifs de la banque centrale, et par conséquent le volume
de la masse monétaire, sont en réalité influencés par les mouvements de capitaux étrangers.
Cette perte de contrôle sur la masse monétaire implique une perte de souveraineté monétaire.
De même, le comportement de création de crédit au sein du système bancaire dans
son ensemble et la structure des taux d’intérêt que celui-ci adopte en pratique ne sont
pas considérés comme relevant strictement du « secteur financier », mais plutôt des
questions de politique monétaire. Dans cette note, nous limiterons nos considérations
relatives aux politiques financières à celles qui affectent directement le comportement
des entités financières, bien que celui-ci s oit limité par la « politique monétaire » de la
banque centrale. Cependant, il n’existe pas de délimitation nette séparant la politique
financière de la politique monétaire. Ceci s’applique également aux mesures
afférentes aux mouvements de capitaux en provenance de l’étranger, tels qu’imputés
au titre du compte de capital de la balance des paiements sous forme de dette, de flux
d’investissement de portefeuille ou d’investissement étranger direct. Bien que ces
11
orientations soient déterminées par les politiques relatives au compte de capital du
gouvernement, tout ou partie de ces flux ont tendance à influencer le fonctionnement
du système financier et des liquidités disponibles.
L’explication précédente suggère que les politiques budgétaire et monétaire du
gouvernement ainsi que ses orientations en matière de flux transfrontaliers de
capitaux nationaux et étrangers constituent un préalable aux politiques financières et
devraient inspirer et façonner celles-ci. Tel, néanmoins, n’est pas nécessairement
l’enchaîn ement séquentiel des faits dans la pratique. Très souvent, les gouvernements
commencent par introduire des modifications dans les mesures financières, lesquelles
requièrent, à leur tour, des ajustements au niveau des politiques monétaire et
budgétaire (voir Encadré 1). Par conséquent, cette discussion suggère certaines
implications pour l’élaboration d’un cadre de politique macroéconomique approprié.
Est-ce que « plus » vaut « mieux » ?
Souvent, lorsqu’ils élaborent leurs politiques d’intervention financière, les
gouvernements sont conscients du fait que le développement financier mesuré par le
niveau d’approfondissement financier (le rapport de la richesse financière à la
richesse matérielle) et/ou le degré d’intermédiation financière (la part des actifs
financiers des institutions financières dans la valeur de l’ensemble des actifs
financiers) sont des avantages non qualifiés. Ceci implique que tout schéma
d’intervention restreignant la prolifération des marchés, des institutions et des
instruments liés au secteur financier est inapproprié.
Cependant, il n’y a aucune raison de s’attendre à une relation linéaire et positive entre
l’approfondissement financier et l’augmentation de l’intermédiation financière d’un
côté, et la croissance et l’équité de l’autre. L’approfondissement financier et
l’augmentation de l’intermédiation financière ont certes leur utilité lorsque les
économies se développent et se complexifient, mais ces deux évolutions ne sont pas
des vertus en soi. Dans tout système économique, la prolifération financière tire sa
valeur de sa capacité à faciliter les transactions et les investissements, et à orienter les
ressources financières vers les projets susceptibles de produire les meilleurs
rendements sociaux. Ce processus implique qu’il existe des systèmes et des politiques
financières capables de façonner ces caractéristiques de la manière la mieux adaptée à
chaque pays, selon les étapes spécifiques du développement de celui-ci. Les systèmes
financiers mis en place de manière autonome ne sont pas forcément les plus
appropriés, puisqu’ils reflètent parfois les imperfections et les inégalités de la couche
économique de laquelle ils émergent (Encadré 2). Cette remarque est particulièrement
pertinente dans la mesure où les intermédiaires financiers privés sont contrôlés par
des entités qui risquent une part infime de leur propre capital pour profiter de l’effet
de levier sur des volumes importants d’épargne « extérieure », qu’ils ont ensuite la
charge de répartir. Ceci rend impérative l’action du gouvernement pour garantir que
les ressources mobilisées par les intermédiaires financiers soient destinées à la
meilleure utilisation possible d’un point de vue social, et non purement privé, et que
les systèmes financiers soient relativement sûrs pour les investisseurs.
12
Encadré 2
Un secteur financier non réglementé
peut être inapproprié
En pratique, il existe un certain nombre de raisons qui justifient l’inadéquation, en matière
de développement, d’un secteur financier non réglementé, ayant évolué de façon autonome.
Par exemple, des structures financières informelles dans des économies peu développées, à
dominante agraire, reflètent la distribution inégale des richesses et du pouvoir économique.
Etant donné l’interdépendance du marché foncier, du marché du travail et de celui du crédit,
le mode de fonctionnement de ces structures aboutit à des pratiques de prêt usurières,
dommageables à l’investissement productif. De la même manière, il est notoire que les
structures financières développées de manière autonome qui révèlent une étroite
interconnexion entre un secteur industriel oligopolistique et un très petit nombre
d’intermédiaires financiers sont de nature à générer une concentration excessive de crédit. Il
en résulte également des choix d’investissement influencés par des considérations mettant en
péril les placements des épargnants non informés. Selon Diaz-Alejandro (1986 : 13-14),
« entre 1975 et 1982, le Chili est passé d’une économie financièrement peu profonde, dans
laquelle l’inflation avait fait disparaître la vraie valeur de la dette, à une économie
excessivement profonde où les créditeurs possédaient une très grande part de la richesse
réelle, un cas manifeste de ‘trop de dette et pas assez de participation au capital’ ». Ceci était
dû au fait que les transactions « entre les banques et les entreprises sans lien de dépendance
étaient responsables du taux d’endettement particulièrement élevé des entreprises privées.
Ainsi, à la fin de l’année 1982, les sociétés privées au Chili étaient plus endettées que les
entreprises publiques, et au sein du secteur privé, l’endettement extrême se trouvait du côté
de celles qui contrôlaient les banques ». Les deux plus grands groupes du pays étaient aux
commandes dans les principales compagnies d’assurance et maisons de courtage, les fonds
mutuels et les fonds de pensions privés les plus importants ainsi que les deux plus
prestigieuses banques commerciales privées. Bon nombre de banques avaient prêté un quart
de leurs ressources au minimum à leurs affiliés. De telles concentrations de crédit dans des
entreprises apparentées provoquent généralement l’exclusion de tous les autres emprunteurs
potentiels et génèrent des pratiques de crédit mues par des critères autres que les rendements
économiques ou mêmes sociaux, qui induisent une surexposition pouvant mener à la
défaillance.
IV.
LA FINANCE AU SERVICE DE LA CROISSANCE
VIA LES BANQUES DE DEVELOPPEMENT
Le but recherché devrait donc être de veiller à ce que l'expansion financière s'inscrive
dans le cadre d’une politique capable de l’utiliser pour réaliser un ensemble
d’objectifs divers et variés tels qu’une croissance accélérée à l’assise élargie ou le
développement humain. En particulier, l’offre de crédit consentie à des clients ciblés,
à des montants adéquats et des taux d’intérêt appropriés, est cruciale à cet égard. Ceci
s’explique par le fait que dans les pays en développement, et particulièrement les plus
pauvres d’entre eux, le système bancaire pris au sens large du terme constitue le
principal segment du secteur financie r formel. 2 En outre, même sans escompter que la
disponibilité du crédit en soi dynamise l’investissement par la simple attraction de
l’offre, dès lors que l’incitation à investir et la demande de crédit subséquente
2
Ce segment inclut non seulement les banques commerciales mais également les organismes de crédit
coopératif, les banques de développement spécialisées, chargées d’encourager l’investissement dans les
petites et moyennes entreprises, les micro-entreprises et les exploitations agricoles, les institutions
spécialisées dans le refinancement, et plus récemment les institutions de microfinancement.
13
existent, l’inaccessibilité au crédit risque d’empêcher la pleine réalisation du potentiel
d’investissement et de croissance.
Elaboration de ratios « crédit-dépôt » cibles
Ainsi, le premier objectif d’une telle politique devrait être d’assurer la disponibilité du
crédit pour tous les projets ba ncables ayant suscité l’intérêt des investisseurs. Un
problème fondamental qui découle de l’inévitable processus d’intermédiation
financière des banques et autres institutions financières concerne l’asynchronisme des
échéances (périodes prédéterminées à te rme fixe) et les caractéristiques de liquidité
(possibilité d’encaissement) des passifs relatifs aux intermédiaires financiers d’un
côté, et les demandes de prêt auxquelles ceux-ci font face de l’autre. Il en résulte que
les entreprises financières peuvent restreindre leur offre de crédit et démontrer une
préférence pour l’investissement dans des valeurs de premier ordre, comme les
obligations d’Etat, plutôt que dans la fourniture de crédit. Cette tendance pourrait
s’aggraver du fait des exigences de garantie de la part de bailleurs trop
précautionneux, que les emprunteurs risquent d'être incapables d'honorer. En somme,
il pourrait y avoir un processus de rationnement de crédit, indicateur d’une
insuffisance de l’offre globale de crédit.
Par conséquent, tout régime de politique financière visant à la croissance doit garantir
un degré adéquat de disponibilité du crédit. Un instrument important pour réaliser cet
objectif est la détermination de ratios de «crédit-dépôt » cibles que les banques sont
dans l’obligation d’atteindre, ce qui suppose un degré d’intermédiation approprié du
point de vue du développement. Ceci inciterait également les banques à réduire leurs
coûts d’intermédiation, afin de s’adapter à la diminution des marges associées aux
prêts plus importants. Le contexte macroéconomique, comme par exemple une
conjoncture de récession, peut à l’occasion contraindre l’octroi de crédit par les
banques. Le cas échéant, de faibles ratios de crédit-dépôt devraient servir de signal
d’alarmes et inciter à l’adoption de politiques visant à redynamiser l’économie, car les
banques ne sauraient être amenées à assumer la responsabilité de circonstances
échappant à leur contrôle.
Mise en place de crédits à long terme
Les banques commerciales mobilisent des capitaux via l’épargne et les dépôts à terme
et acquièrent des passifs de faible valeur individuelle, à courte échéance et de nature
très liquide, qui sont protégés contre les risques de revenu et de capital. Cependant,
les crédits nécessaires à la plupart des proje ts sont généralement de grande envergure,
sujets à des risques de revenu et de capital, et essentiellement de nature non liquide.
Par conséquent, les banques commerciales se concentrent traditionnellement sur la
fourniture de crédits d'exploitation au secteur industriel, garantis par les stocks de
matières premières des entreprises concernées, de leurs produits finaux et de leurs
produits en cours de fabrication. Ces apports de crédit relativement importants sont
certes associés à des risques de revenu et de capital élevés et à un certain degré
d’illiquidité, mais ils induisent une moindre discordance entre délais de
remboursement et liquidités que les prêts affectés à l’investissement de capitaux. De
ce fait, les banques deviennent moins adaptées à l'octroi de crédit destiné à ce type
d'investissement.
Comme il a été noté ailleurs (Nations Unies 2005), laissés à eux-mêmes, les marchés
financiers privés dans les pays en voie de développement ne parviennent
généralement pas à fournir suffisamment de capitaux à long terme pour entreprendre
14
les financements nécessaires au développement économique et social. Il en résulte
que les entreprises dans ces pays ont tendance à détenir une part plus faible de leur
dette totale en instruments à long terme que les entreprises dans les pays développés.
Or il arrive que les institutions privées s’avèrent incapables de fournir de tels
capitaux, en raison des risques de défaillance élevés y afférents et de l’impossibilité
d’en assumer la couverture par des primes de risques, de tels taux n’étant pas
économiquement viables. Dans d'autres cas de figure, les défaillances proviennent
parfois du refus des agents financiers de prendre certains types de risques, du fait que
les profits prévus pour les agents privés sont bien moindres que les rendements
sociaux associés aux investissements concernés (Stiglitz 1994).
Ceci aboutit à une pénurie de capitaux pour l’investissement à long terme. Une façon
de traiter ce problème est d’encourager le développement de marchés des actions.
Cette option est attrayante car, contrairement à l’emprunt, le risque est ici partagé
entre l'investisseur financier et l’entrepreneur, ce qui augmente la viabilité de
l’entreprise en cas de récession. Cependant, les données démontrent que même dans
les pays développés, les marchés des actions jouent un rôle relativement faible dans la
mobilisation des capitaux pour de nouveaux investissements.
C’est pour couvrir le manque de financement nécessaire aux investissements à long
terme que les pays en voie de développement ont créé des banques de développement,
qui ont pour mandat la prestation de crédit à long terme à des conditions de prêt
rendant de tels investissements viables. Selon une estimation de l’OCDE citée par
Eshag (1983), 340 banques de développement étaient en activité dans 80 pays en voie
de développement dans le milieu des années 1960. Près de la moitié de ces banques
étaient publiques et financées par les ministères des Finances des pays concernés, le
reste étant de statut mixte ou privé.
Handicapé par l’héritage colonial, les inégalités internationales et d’autres types de
biais systémiques, ce type d’institutions est néanmoins indispensable aux pays en voie
de développement. Toute stratégie de modernisation dans le cadre d’une économie
mixte doit ainsi comporter la création d’institutions de ce genre. Néanmoins, il est
préférable de créer des banques de développement distinctes, spécifiquement
consacrées à la fourniture de capitaux à long terme à des taux proches des taux
commerciaux et des « banques de politiques sectorielles », destinées à l'octroi de
crédit à des secteurs précis comme l’agriculture ou les petites entreprises, où les taux
d’intérêt sont subventionnés et les délais de grâce plus longs. Cette distinction permet
d’appliquer des critères dif férents pour évaluer les performances des banques, la
profitabilité étant un facteur de moindre importance dans ce dernier cas.
Par conséquent, les banques de développement prennent le relais des banques
commerciales en s'acquittant des fonctions non assumées par celles-ci. Financées par
l’Etat, elles disposent de fonds plus conséquents mais présentent des risques d'octroi
de prêt à des projets qui ne sont ni commercialement viables ni socialement
profitables, pour des raisons ne relevant pas de simples erreurs de jugement. Par
conséquent, il s'avère crucial de mettre en place des mécanismes de gouvernance
garantissant la transparence des procédures, la divulgation des informations
appropriées et la surveillance participative comprenant l'assurance d'un suivi effectué
par des corps démocratiquement élus. De tels mécanismes ne devraient pas être
affaiblis ou contournés sous prétexte qu’ils sapent l’autonomie décisionnelle des
dirigeants.
15
Garantir une répartition sectorielle adéquate
La croissance exige non seulement un volume suffisant de crédit, mais également une
distribution adéquate de celui-ci. Ainsi, certains secteurs, notamment l’infrastructure
qui en constitue l’exemple le plus frappant, sont -ils caractérisés par des externalités à
l’échelle de l’économie. Cela signifie que leur existence est à la fois un préalable et
un stimulant pour la croissance dans d’autres secteurs. Cependant, le secteur des
infrastructures se démarque habituellement par des investissements massifs, des
périodes de gestation importantes, un risque plus élevé et des profits plus faibles. Les
banques sont méfiantes vis-à-vis de ce type de projets, étant donné le décalage des
échéances et des liquidités qui s'en suit. Ceci est d’autant plus vrai dans les économies
dotées d’un système bancaire à dominante privée. Si les rendements privés, plutôt que
sociaux, déterminaient l’allocation de l’épargne financière, ces secteurs ne recevraient
pas suffisamment de fonds, alors que leur intensité capitalistique requiert qu’une part
disproportionnée du capital leur soit attribuée. Etant donné les externalités à l’échelle
de l’économie entière associées à de telles industries, des investissements inadéquats
Encadré 3
Le financement du développement au Vietnam
Au Vietnam, même après l’adoption de politiques de libéralisation financière, le
gouvernement a poursuivi sa politique d'octroi de prêts ciblés, affectés à certains secteurs
spécifiques. Cela a impliqué en 2000 la création d’un Fonds d’aide au développement (FAD)
spécial, distinct du système bancaire commercial, doté des objectifs suivants : (i) octroi de
prêts d’Etat subventionnés pour des investissements à moyen et long terme dans des secteurs
prioritaires tels que l’infrastructure, l’industrie lourde et les services publiques ; (ii) soutien
aux taux d’intérêt et provision de garanties d’investissement pour certains projets ; (iii)
fourniture de crédits à court terme pour la promotion des exportations. Des appuis de cette
nature s'appliquent aussi bien aux entreprises privées que publiques et tiennent compte des
critères commerciaux et des spécificités relatives aux orientations du gouvernement, tels que
l’encouragement à l’investissement dans les zones sous-développées, les secteurs
préférentiels ou les projets liés à la santé, l’éducation, la culture et le sport. Le FAD dispose
de succursales dans chacune des soixante et une provinces du pays, avec un capital nominal
de cinq milliards de dongs vietnamiens (326,8 millions de dollars des Etats-Unis). Avant
2002, l'allocation de ce fonds était déterminée par les services du Premier ministre. Les
capitaux provenaient du Fonds d’assurance sociale, du Fonds d’amortissement, de la
Compagnie des services d'épargne postale (VPSC),3 du budget du gouvernement, du
remboursement d’emprunts et de l’Aide publique au développement (APD). Depuis 2002, le
FAD est tenu de mobiliser ses propres ressources mais il continue à faire appel aux fonds
provenant des sources mentionnées ci-dessus par le biais de négociations. Lorsque les
capitaux sont affectés au sein du budget du gouvernement, cela implique en général
l’émission de bonds d’investissement.
Les encours de crédit du FAD de 2001 à 2002 et les décaissements de prêts de 2002 à 2003
ont augmenté beaucoup plus rapidement que l’ensemble du crédit national par rapport à
l’économie. Par conséquent les sorties de fonds via le FAD ont totalisé une part croissante du
crédit national, atteignant 24 pour cent en 2002, soit 3,3 pour cent du PIB. Au fil du temps, le
FAD est devenu l’intermédiaire financier principal au Vietnam pour l’acheminement de
capitaux nationaux et étrangers vers des activités d’investissement (Weeks et al. 2003).
3
La VPSC a été fondée en 1999. En 2002, elle comptait déjà 539 à 600 succursales réparties dans tout
le pays, et a constitué un mécanisme efficace à forte croissance pour mobiliser l’épargne rurale. Elle
totalise près d’un demi million de comptes en dépôt, pour un dépôt total de 3,8 milliards de dongs
vietnamiens (environ 250 000 millions de dollars des Etats-Unis).
16
dans les infrastructures limiteraient évidemment le taux de croissance. Ainsi, des
banques spécialisées consacrées au développement de politiques gouvernementales
sont-elles nécessaires, à condition qu’elles bénéficient de sources de financement
autres que les dépôts de petits épargnants (Encadré 3). Si ces institutions sont
financées par le gouvernement ou la banque centrale, la garantie des emprunts de ces
entités par le gouvernement sera également nécessaire pour mobiliser les capitaux
requis.
Des banques de développement de ce type sont susceptibles de résoudre le problème
posé par les industriels locaux ne disposant pas de fonds suffisants pour investir à la
hauteur demandée par les industries plus intensives en capital, caractérisées par des
économies d’échelle importantes. Grâce à leurs pratiques de prêt et d’investissement,
elles assurent la promotion de ces entreprises et proposent souvent une assistance
technique à leurs clients. Etant donné le développement insuffisant de marchés de
capitaux et de crédits à long terme dans les pays en voie de développement, ces
institutions deviennent rapidement une source importante de financement externe
pour le secteur privé.
Exploitation des apports de capitaux
pour influencer les décisions d’investissement et les performances
La nécessité de disposer d'une politique financière axée sur la croissance, susceptible
d'étendre l'octroi de crédits à certains secteurs, tels que l’infrastructure, est une
composante essentielle d'une exigence plus importante dans les économies
caractérisées par la prédominance des investissements et des décideurs issus du
secteur privé, qui consiste à s’assurer que le modèle de production soit orienté vers
l'optimisation de la croissance. Dans les économies où les agents privés jouent un rôle
important dans les décisions d’investissement, les signaux émis par le marché
déterminent l'affectation des ressources pour l’inves tissement, et par conséquent la
demande et l’allocation de l’épargne par l'intermédiaire des sociétés financières. Cela
peut engendrer différent types de logiques à court terme, entraînant un investissement
insuffisant dans des secteurs aux effets «externes » significatifs et au potentiel à long
terme du point de vue de la croissance. De plus, une allocation de l’épargne et de
l’investissement strictement conduite par le profit privé pourrait orienter
l’investissement vers des secteurs capitalistiques et à forte intensité d'importations,
affectant ainsi négativement la balance des paiements et la flexibilité de l'emploi liée
à la croissance de la production. Ceci pourrait restreindre le rythme de la croissance et
remettre en cause l’effort de réduction de la pauvreté ou son efficacité.
La réalisation d'un modèle de production orienté vers la croissance exige que
l’allocation de l’investissement soit dirigée par l’Etat. Les décideurs ne possédant pas
individuellement la vision globale et « sociale » nécessaire pour entreprendre cet
effort de coordination et de ciblage, il appartient à l’Etat de jouer son rôle pour
dépasser les dysfonctionnements du marché découlant d’une coordination
insuffisante. Une des façons d’y parvenir est d’utiliser le secteur financier comme un
instrument de coordination et de ciblage de l’investissement. Même dans les pays en
voie de développement qui font le choix de stratégies orientées vers l’extérieur ou qui
sont forcés d’opter pour une stratégie de croissance plus mercantiliste, fondée sur
l’acquisition rapide de parts plus importantes sur le marché mondial des produits
manufacturés, de tels segments doivent être identifiés par des organismes autres que
les entreprises individuelles. L’expérience montre que c’est l’Etat qui a la capacité
17
d’évaluer et de faire correspondre les opportunités internationales avec les capacités
de l’économie nationale.
Ainsi, à travers ses politiques financières, l’Etat doit-il garantir à ces entités un flux
adéquat de crédit à des taux d’intérêt favorables, afin qu’elles puissent non seulement
investir dans des technologies de pointe et des niveaux de production
internationalement compétitifs, mais également disposer des moyens nécessaires pour
subvenir à leurs besoins durant la longue période d’expansion de leur part de marché.
L’Etat ne doit pas se limiter à un simple rôle de coordinateur d’investissements, mais
utiliser le système financier dans son ensemble comme un moyen d’orienter
l’investissement vers les secteurs et les technologies aux échelles de production
appropriées. Les placements en actions et les crédits dirigés sont des instruments
importants dans une telle trajectoire de développement menée ou influencée par les
pouvoirs publics.
Pour mener à bien cette tâche, il est nécessaire d'exploiter le crédit pour influencer les
décisions d’investissement et contrôler les performances des emprunteurs. Ainsi, les
institutions financières dans des pays peu développés doivent-elles assumer des
fonctions entrepreneuriales, comme la détermination de l'échelle de l'investissement,
le choix des technologies et les marchés à cibler par secteur ainsi que des fonctions
étendues, telles que l’offre d’assistance technique à la communauté agricole.
Autrement dit, bien que les politiques financières ne permettent pas directement
d’augmenter le taux d’épargne et de garantir l’investissement de l’épargne disponible
ex ante, elles servent à influencer la structure financière de manière à garantir que les
prêts soient utilisés pour des investissements productifs, qui accélèrent la croissance
et rendent ce type de prêts viables.
Les banques de développement et les banques commerciales peuvent également
contrôler la gouvernance et la performance des entreprises pour le compte de
l’ensemble des parties prenantes, plutôt que de se fier à un système d’évaluation et de
suivi indirect résultant de la rigueur imposée par les menaces de reprise sur le marché
des actions, particulièrement prévalentes aux Etats -Unis et en Grande Bretagne.
Cependant, l’efficacité de cette dernière option est limitée. En outre, elle est
indisponible dans la majorité des pays en voie de développement où les marchés des
actions sont peu développés et la plupart des entreprises non cotées.
En pratique, les banques de développement ne font pas toujours usage de leur rôle de
prestataires de fonds pour intervenir efficacement dans la gestion des différents
contextes en jeu. Dans certains pays, bien qu'elles s'acquittent correctement de leurs
responsabilités en tant que fournisseurs de crédit, les banques de développement
adoptent une attitude passive vis-à-vis des décisions prises par les emprunteurs privés
en matière de technologie et de gestion, et évitent d'assumer le rôle qui leur incombe
habituellement à cet égard. Cela signifie la perte d’une occasion, non seulement de
tirer parti d’économies d’échelle associées à l’investissement dans des compétences
spécifiques, mais aussi de saisir l’occasion de coordonner les décisions
d’investissement au sein de systèmes dominés par des prises de décisions
essentiellement privées.
Rôle des taux d’intérêts différentiés
L’un des objectifs de ces mesures étant d'orienter l’investissement vers des secteurs
choisis, le taux d’intérêt des prêts accordés à ces secteurs privilégiés doit parfois être
plus faible que le taux le plus favorable offert aux meilleurs emprunteurs, jugés selon
18
leur solvabilité. Ceci revient à dire que des différentiels de taux d’intérêt soutenus par
des subsides ou des subventions croisées font partie d’un régime de crédit dirigé.
Les politiques financières ont joué un rôle important dans les stratégies menées par
des pays comme la Corée du Sud et Taiwan pour gagner le pari de la compétitivité
(Wade 1991 et Amsden 1989). Elles comprenaient des mesures telles que les
différentiels de taux d’intérêt ou le financement des investissements privés par les
banques, résultant de la canalisation du financement d’entreprises par le biais d'un
système bancaire encore largement réglementé.
Le Tableau 1 récapitule certaines des principales options de politique financière
susceptibles de servir à accélérer la croissance.
Tableau 1
Quelques options de politiques financières pertinentes pour promouvoir la croissance
Politique
Objectif
Dangers
Implications
Ratios de
S’assurer que les
a. Prêts non
a. Directives claires pour
crédit-dépôt
banques créent
discriminants
présélectionner les clients
cibles
suffisamment de
pour atteindre
b. Accent clairement mis sur les
crédit à partir des
les objectifs,
rendements sociaux plutôt que
dépôts qu’elles
entraînant une
sur la profitabilité dans les
récoltent, plutôt
antisélection
évaluations de performance
que d’investir
b. Ecarts faibles, c. Flexibilité dans la
dans des
diminuant la
détermination des taux
instruments à
profitabilité
d’intérêt pour permettre les
faible risque, tels
pratiques de subventions
que les titres de
croisées
l’Etat ou les billets
d.
Refinancement à des termes
de trésorerie, et de
concessionnaires pour le prêt à
rationner le crédit
des groupes cibles donnés
Créer et/ou
Pallier au manque Prêter à des
a. Adoption de critères de
renforcer les
de fonds
projets qui ne
performance alternatifs
banques de
disponibles dans
sont ni
b. Mise en œuvre de procédures
développemen les banques pour
commercialement
transparentes et de
t
l’investissement à viables ni
mécanismes de gouvernance
long terme
socialement
participative
profitables
Séparer les
a. Définir
banques de
clairement les
développemen
objectifs de
t des
l’institution,
« banques de
tels que le
politiques
crédit à long
sectorielles »
terme plutôt
que le crédit à
des termes
privilégiés
b. Appliquer
différents
critères de
Contourner la
possibilité
d’utiliser des
subventions
croisées pour
différents
segments
19
Systèmes d’évaluation du degré
de concessionnalité et du volume
de subventions appropriés pour
les « banques de politiques
sectorielles » dans les différents
domaines
Tableau 1
Quelques options de politiques financières pertinentes pour promouvoir la croissance
Politique
Objectif
Dangers
Implications
performance
Prêts dirigés
Encourager la
Dangers
a. Offre de garanties
pour les
croissance
identiques à ceux
gouvernementales pour le
secteurs
des banques de
crédit demandé par ces entités
caractérisés
politiques
b. Création de banques/vecteurs
par de fortes
sectorielles
de développement
externalités,
spécialisé(e)s pour la
notamment les
réalisation de cet objectif
externalités à
l’échelle de
l’économie
Utiliser la
prestation de
capitaux pour
influencer les
décisions
d’investissem
ent et en
évaluer les
performances
Taux d’intérêt
différentiels
ou
discriminatoir
es
a. Dépasser les
échecs de
coordination et
les logiques à
court terme
b. S’assurer que
les
investissement
s incorporent
les techniques
issues des
meilleures
pratiques, à
l’échelle
appropriée
c. Influencer les
politiques de
marché et de
fixation des
prix,
particulièremen
t pour les
marchés
mondiaux
d. Evaluer la
gestion et les
performances
d’entreprise
Réaliser les
objectifs de crédit
dirigé et rendre le
programme viable
a. Possibilité
d’échec du
gouvernement
menant à des
décisions
inadéquates
b. Possibilité de
mauvaises
décisions
influencées
par des
conflits
d’intérêt, la
corruption,
etc.
Mise en œuvre de procédures
transparentes et de mécanismes
de gouvernance participatifs
Dangers
identiques aux
précédents
a. Possibilité de subventions
croisées
b. Offre de subventions des taux
c. Mise en œuvre de procédures
transparentes et de
mécanismes de gouvernance
participatifs
20
V.
POLITIQUES FINANCIERES POUR
PROMOUVOIR L'EQUITE ET LE
DEVELOPPEMENT HUMAIN
Lorsqu’un gouvernement élabore les politiques qui déterminent ses structures
financières et influencent le comportement des agents financiers nationaux,
l’accélération de la croissance n’est pas sa seule préoccupation. Il est tout aussi
important de s’assurer que le développement dispose d'une base élargie. Une
condition prérequise évidente pour ce faire concerne la couverture géographique des
prêts et des services de surveillance et de développement du secteur financier, qui doit
obligatoirement inclure la quasi-totalité du territoire national. La création d’un secteur
financier inclusif, défini comme fournissant un accès au crédit pour les particuliers et
les entreprises « bancables », une assurance aux particuliers et aux entreprises
« assurables » et des services de dépôt et de paiement pour tous (Nations Unies 2006 :
1), devrait compter parmi les objectifs premiers d’une politique financière.
En pratique, l’accès au secteur financier est limité dans beaucoup de pays en voie de
développement. Selon des estimations récentes (Nations Unies 2006), 89,6 pour cent
de la population en moyenne dans les
Tableau 2
15 pays de l’Union européenne disposent
Part de la population détenant un
compte d’épargne dans une sélection d’un compte bancaire ou d’un compte
de pays en voie de développement ou chèque postal. Le chiffre comparable aux
Etats-Unis s’établit à 91,0 pour cent. Par
de lieux géographiques
contre, dans un ensemble de dix pays en
%RW
V
Z DQD
47,0
voie de développement ou de grandes
Brésil (urbain)
43, 0
villes situées dans des pays en
Colombie (Bogota)
39,0
développement, ces statistiques varient de
' M
L
ERXW
L
24,8
6,4 pour cent à un maximum de 47 pour
cent (Tableau 2 ). Ces résultats sont
/ HVRW
KR
17, 0
préoccupants, puisque l’accès à un
9 LOOHGH0 H[LFR
21,3
système
financier
qui
fonctionne
1 DP LELH
28,4
correctement est susceptible d’émanciper
$ I ULTXHGX6XG
31,7
des personnes, en particulier des pauvres,
sur le plan économique et social, leur
Swaziland
35,3
permettant ainsi de mieux s’intégrer à
Tanzanie
6,4
l’économie de leur pays, de contribuer à
Source : Nations Unies 2006 : 2
son développement et de se prémunir
contre des chocs économiques (Nations Unies 2006 : 4). Il est indiqué dans La situation
économique et sociale dans le monde 2005 (Nations Unies 2005 : 26) que ce manque
d’accès au financement est devenu une préoccupation liée au développement dans son
contexte élargi, en raison des liens étroits existants entre les systèmes financiers plus
profonds et inclusifs d’une part, et le développement économique et l’atténuation de
la pauvreté de l’autre.
L’accès au crédit est plus difficile pour les femmes que pour les hommes. En effet, des
études ont montré que les femmes entrepreneurs sont souvent victimes d’une
discrimination sexiste qui leur est fortement préjudiciable pour contracter des prêts
commerciaux. Pourtant, les données montrent que le taux de remboursement de
l’emprunt des femmes est supérieur à celui des hommes. Les femmes rencontrent plus
de difficultés à fournir les garanties requises pour l'octroi de prêts, souvent en raison
21
de désavantages sociaux et légaux, comme par exemple des revenus moins élevés ou
des restrictions dans l’accès à la propriété (CNUCED 2001 : 38).
La répartition insuffisante des crédits au niveau de la région, de la couche sociale ou
de l’unité économique est souvent le produit d’une attribution guidée par des
considérations de profit privé plutôt que par les rendements sociaux des projets
concernés. L’allocation de crédit dictée par les rendements privés peut aggraver la
tendance, inhérente aux marchés, qui consiste à concentrer les fonds susceptibles
d’être affectés aux investissements dans les mains d’un petit nombre d’acteurs
intervenant dans les secteurs promettant des taux de profits élevés, et de recentrer
l’épargne autour des secteurs de l’économie déjà bien développés. Non seulement
cette concentration de flux financiers conduit à l’exposition excessive de certains
secteurs et segments, mais elle est surtout à l’encontre du principe même d’ un
développement élargi (Encadré 2). En effet, les politiques financières visent souvent à
garantir un flux adéquat de capitaux aux secteurs les moins développés de l’économie
et aux groupes les plus défavorisés de la population.
Ainsi, l’exclusion financière ne concerne pas uniquement le manque d’accès au
crédit, relatif aux seuls individus. Le problème se pose également au niveau de
secteurs entiers, tels que l’agriculture ou la petite industrie. Cette exclusion implique
que les flux financiers peuvent considérablement aggraver les biais de développement
causés par la distribution inégale des richesses. Un tel mécanisme s’explique, d’une
part, par la différence existant entre les rendements privés et publics selon les
secteurs, et d’autre part, parce que les profits privés ont tendance à être plus élevés
dans les secteurs où les rendements sociaux sont faibles (comme par exemple,
l’immobilier et le marché des actions). Un tel processus se produit aussi du fait que
les intermédiaires financiers concentrent dans leurs mains l’épargne des ménages, soit
une part relativement importante de l’épargne totale à l’échelle du système. Si la
répartition de l’épargne est déterminée par les préférences individuelles de ceux qui
contrôlent ou gèrent ces intermédiaires, le s écarts systématiques dans l’allocation
pourront être significatifs mais pas nécessairement efficaces du point de vue social.
De plus, dans les pays pauvres où la structure de la demande effective est
considérablement influencée par l’ampleur des inégalités, des signaux de marché
seraient susceptibles de diriger le crédit vers les secteurs capitalistiques et à forte
intensité d'importations, dont l’expansion pourrait avoir des effets limités sur
l’emploi, les revenus et la réduction de la pauvreté.
De ces tendances résultent un certain nombre de faiblesses, qui affectent le système
bancaire dans les pays en voie de développement, notamment ceux qui sont dotés de
systèmes financiers relativement plus développés, comme dans le cas de l’Inde
(Encadré 4). Celles-ci incluent :
•
une couverture insuffisante de la population, mesurée par le ratio des
succursales bancaires, dépôts et crédits par rapport à la population ;
•
la concentration urbaine ;
•
des inégalités significatives dans l’allocation sectorielle de crédit ;
•
un contrôle excessif des banques par des intérêts industriels et commerciaux.
22
Encadré 4
L’exclusion financière en Inde avant la nationalisation
Des éléments caractéristiques de l’exclusion financière étaient visibles en Inde avant la nationalisation
de certaines grandes banques en 1969 et la promotion d’une politique de réorientation sociale.
D’abord, la couverture du réseau bancaire était trop faible par rapport à la taille de la population,
représentant, en moyenne, une succursale pour 65 000 habitants, contre la norme d’une succursale
pour 8 000 habitants dans les pays développés.
Deuxièmement, l’orientation urbaine du système bancaire était manifeste. A la fin du mois de juin
1969, seules environ 1 832 succursales sur 8 262 (soit 22,2 pour cent) étaient situées en zone rurale.
Ces chiffres avaient pourtant été atteints suite à l’adoption d’une politique d’ouverture accélérée de
succursales par la State Bank of India (Banque nationale indienne), qui a établi 629 succursales dans
des zones rurales.
T roisièmement, la concentration des banques était excessivement élevée dans certaines zones
urbaines. En Avril 1969, 617 villes étaient dépourvues de succursales de banques commerciales,
parmi lesquelles 444 ne bénéficiaient d’aucun service bancaire. Cinq villes métropolitaines (Bombay,
Calcutta, Delhi, Madras et Ahmedabad) regroupaient 46 pour cent du total des dépôts bancaires et 65
pour cent du crédit bancaire total à la fin de l’année 1967.
Quatrièmement, l’aspect le plus inquiétant de cette structure bancaire était la distribution sectorielle
du crédit bancaire. La part de l’agriculture dans l’ensemble des avances bancaires en 1951 était de 2,1
pour cent, atteignant 0,2 pour cent en 1965-66. Par contre, dans le cas de l’industrie, la part du crédit
bancaire passa de 30,4 pour cent en 1949 à 52,7 pour cent en 1961, et atteignit 62,7 pour cent en mars
1966.
Enfin, les intérêts financiers des actionnaires dans les banques étaient négligeables. Pour les
principales banques, le capital versé ne constituait qu’un pour cent environ du total des dépôts
bancaires (ICBP 2006).
Garantir l’inclusion financière
C’est pour répondre aux résultats liés au fonctionnement des systèmes financiers
« organisés par eux-mêmes » que les politiques financières visant à garantir
l’inclusion financière doivent constituer une composante importante des stratégies
nationales de développement. En général, dans les pays en voie de développement qui
adoptent un système d’économie mixte où l’investissement et l’initiative privés sont
significatifs, le secteur financier joue un rôle dominant au sein d’un système de
« financement inclusif », accessible à tous, en orientant le crédit à des taux d’intérêts
raisonnables vers les agents et entités concernés, afin de garantir un certain équilibre
dans le déboursement des crédits entre les zones urbaines et les zones rurales, les
différents secteurs, les régions, et les diverses tailles des soldes de comptes d’actifs.
En particulier, il est nécessaire de s’assurer que les flux financiers touchent des
secteurs et des segments qui seraient autrement délaissés ou négligés.
Promouvoir l’accès aux banques
Une des exigences de base pour une telle inclusion financière est d’élargir
l’accessibilité aux dispositifs de dépôt et de crédit, proposés par les banques, les
postes et autres institutions financières. Bien que la poste puisse jouer un rôle partiel
certain à cet égard, l’augmentation du nombre d’agences bancaires et l’extension de
leur couverture sont déterminantes. La plupart des pays en voie de développement
sont mal desservis en termes du nombre de succursales de banques pour mille
habitants. Les gouvernements devraient adopter une stratégie d’octroi de licence pour
garantir les prestations de services bancaires dans les zones les plus mal desservies,
ou spécifier un ratio de succursales par millier d’habitants à maintenir dans les zones
mal desservies, urbaines et rurales.
23
Prévenir la migration du crédit
Bien que l’amélioration de l’accès aux
établissements bancaires dans les zones
défavorisées serve à mobiliser les dépôts
dans les institutions du secteur financier
formel, ceci ne garantit absolument pas
la répartition équilibrée du crédit au
niveau régional. Les dépôts mobilisés
dans les zones rurales ou reculées
peuvent être utilisés par des banques
bénéficiant
d’une
implantation
géographique diversifiée pour fournir
des crédits à leurs clients des zones
urbaines ou plus développées. Une
stratégie d’extension de la couverture
bancaire doit donc s’accompagner de
consignes visant à lutter contre la
migration excessive du crédit des
régions les moins avancées vers les
zones les plus développées.
Prévenir la concentration du
crédit
Encadré 5
Prévenir la migration du crédit
En 1977, les Etats-Unis ont adopté une loi
dite Community Banking Act, qui oblige les
banques à accorder des crédits dans les
quartiers où elles prélèvent des fonds via les
comptes de dépôt. L’application de cette
mesure est contrôlée par la collecte des
données que les banques sont tenues de
consigner, par zone postale, concernant la
source de leurs dépôts et la destination de
leurs prêts, baux et autres lignes de crédit.
D’autres lois bancaires interdisent aux
banques de refuser des emprunts pour cause
de race, d’origine ethnique ou de sexe.
Soumise au contrôle des régulateurs de
banque et contrôlable par le biais des procès
intentés par des particuliers pour dommagesintérêts, cette prohibition explicite de la
discrimination contribue à promouvoir le
crédit accordé aux membres défavorisés de la
société. Les lois bancaires encouragent les
politiques de financement inclusif. Elles sont
étayées par le fait que la discrimination est
considérée comme un tort, et que les banques
ne devraient pas drainer l’épargne d’une zone
géographique spécifique, mais au contraire
prendre en charge la mobilisation de
l’épargne et sa transformation en crédit pour
l’investissement et la consommation.
Etant donné le caractère incomplet de
l’information disponible aux créditeurs,
l’adage selon lequel « on ne prête
qu’aux riches » a tendance à se vérifier.
Les agents entretenant d’anciennes et de
solides relations avec les banques et
dont l’historique est positif et la santé financière robuste peuvent être favorisés et se
voir offrir une part disproportionnée du crédit disponible. Cette tendance se traduit par
l’attribution d’importants contrats de prêt individuel à de tels clients conjointement à
l’approbation de plusieurs demandes de prêt émanant d’un même client. Il en résulte
une exclusion de projets bancables relatifs aux plus défavorisés. Alors qu'il faut
veiller à ce que les gros emprunteurs solvables ne subissent pas de discrimination
excessive à cet égard, il est également nécessaire de prendre des mesures susceptibles
d’empêcher que les succès passés de ceux-ci n’entravent pas l’accès au crédit pour
d’autres clients. Une façon simple de gérer cette éventualité est d’instituer un « plan
d’autorisation de crédit », obligeant les banques à obtenir l’autorisation préalable
d’une autorité désignée, pour la fourniture de crédit à un client individuel au-delà
d’une certaine somme, afin d’aligner la politique de crédit sur les objectifs de
développement. L’autre manière de procéder consiste à établir des seuils très stricts
pour les crédits accordés aux entreprises liées, contrôlées par une seule autorité, ce
qui contribue également à réduire les risques d’échec d’un groupe donné d’agents.
24
Le crédit dirigé
Les politiques visant à réserver le crédit bancaire à certains secteurs ciblés, tels que
l’agriculture et la petite industrie, sont au cœur d’une structure financière accessible à
tous. Cette appropriation peut prendre la forme d’une règle énonçant qu’une certaine
proportion
des
prêts
doit
être
Encadré 6
spécifiquement consentie à ces secteurs. En
FarmerMac
:
outre, les banques sont incitées à réaliser de
Le
système
de
crédit
fermier
tels objectifs grâce aux mécanismes de
aux Etats -Unis
refinancement proposés. Par ailleurs, les
programmes de crédit dirigé devraient être Une leçon pour les pays en voie de
assortis d’un régime de taux d’intérêt développement, tirée de l’expérience d’un
différentiels garantissant les demandes de pays développé est la politique financière
crédit émanant des secteurs ciblés par la des Etats-Unis visant à assurer des flux de
diminution du coût de l’emprunt. Les pays crédit adéquats pour son secteur agricole.
La loi du Federal Farm Loan Act de 1916
en voie de développement ont encore a mis en place un système de crédit
actuellement recours à ces pratiques fermier national, un réseau de
(Encadré 6).
coopératives de crédit, qui s’est avéré une
L’affectation du crédit aux dépenses source sûre de financement pour les
financées par l’endettement au profit de fermiers, les propriétaires de ranchs et les
professionnels de la production aquatique,
certains secteurs peut également être
en situation de bonne comme de mauvaise
directement exploitée par l’Etat. Mise à part
conjoncture. Ce système comprend 12
la garantie des ratios de réserves de banques agricoles régionales, dont le
trésorerie, la banque centrale exige, dans capital initial a été essentiellement fourni
bon nombre de cas , la détention d’une partie par le gouvernement. Deux entreprises
des dépôts du système bancaire sous forme publiques de financement apparentées ont
de titres spécifiques, dont les titres de l’Etat. levé des capitaux sur le marché financier
Ceci garantit l’investissement des banques, en émettant des titres. Ces fonds ont
à hauteur d’un volume spécifique, dans les ensuite été prêtés au réseau de banques et
dettes émises par les organismes publics. de coopératives de crédit, à des taux
Cette dette peut servir à financer les d’intérêt reflétant le faible coût d’emprunt
dépenses liées à la stratégie de du gouvernement. Les sommes ainsi
collectées ont servi à financer des prêts
développement globale du gouvernement, accordés aux producteurs et propriétaires
notamment sa composante de « réduction de ruraux. Ce mécanisme s’est avéré à faible
la pauvreté ». Cependant, au-delà d’un coût, stable et non cyclique.
certain point, ces attributions doivent être
dissociées de celles des banques commerciales traditionnelles et reléguées à des
institutions spécialisées.
Sauvegardes institutionnelles
La nécessité de garantir l’inclusion peut être acceptée par les responsables, les
managers et les directeurs, mais il est possible que la motivation pour réaliser ces
objectifs fasse défaut, causant des dérapages. Il est donc crucial de prévoir des
mécanismes institutionnels pour veiller à la reconnaissance et la poursuite de ces
objectifs lors de la prise de décision en matière d’accord de prêt. Un tel mécanisme
peut prendre la forme d’une exigence statutaire d’établissement de conseils
d’administration au sein des banques commerciales, représentant les parties
prenantes, notamment les secteurs habituellement délaissés par la fourniture de crédit,
afin de veiller à l’inclusion financière et d’en assurer le contrôle.
25
Assumer la promotion de l’offre
Enfin, les institutions mandatées pour garantir une « inclusion financière » ne doivent
pas se contenter d’accepter ceci comme un simple objectif et d’attendre paisiblement
que des emprunteurs solvables se présentent à elles. Les petits emprunteurs pauvres et
sans expérience préalable de crédit n’ont pas forcément connaissance des options de
financement disponibles, et ne bénéficient pas toujours de la capacité d’élaborer un
projet réussi et digne de crédit. Par conséquent, les services bancaires accessibles à
tous requièrent des institutions susceptibles d’assumer la promotion de l’offre, en
identifiant les entrepreneurs potentiels proposant des projets bancables et en aidant
ceux-ci dans les phases de préparation et d’évaluation de leur demande de crédit, puis
en garantissant la mise en œuvre réussie et opportune de ces projets dans les délais
impartis. Cette collaboration ne devrait d’ailleurs pas s’arrêter là. L’institution
prêteuse devrait exploiter l’influence dont elle dispose par son soutien pour surveiller
le fonctionnement des petites et moyennes entreprises, afin de les rendre productives
et financièrement viables.
Les arguments en faveur de l’appropriation publique
Un système financier accessible à tous implique l’extension des systèmes financiers
formels à des zones caractérisées par une faible densité de clients et des coûts de
transactions élevés. En outre, l’assimilation durable des prêts par les groupes
défavorisés requiert que les taux d’intérêt exigés diffèrent de ceux du marché. Un tel
régime de taux d’intérêt différentiels ou discriminatoires nécessiterait de faire appel à
des politiques de subventions croisées, voire à des subventions publiques afin
d’assurer la viabilité des intermédiaires financiers concernés. Une intervention de
cette nature suppose un degré important de « contrôle social » sur les banques
commerciales et les banques de développement.
Elle implique que la « banque soc iale » marque une rupture avec les indicateurs
conventionnels de performance financière tels que les coûts et la profitabilité, et exige
la création de systèmes de régulation pour veiller à ce que ces institutions n'abusent
pas du statut spécial qui leur est conféré. En somme, un système financier inclusif ou
accessible à tous est un régime défini tant par la structure financière en place que par
les politiques en vigueur, telles que le crédit dirigé ou les taux d’intérêt différenciés.
En particulier, ce ré gime implique une importante régulation sociale du secteur
bancaire.
Si les instruments de contrôle social mentionnés ci-dessus se révèlent incapables de
garantir le respect des lignes directrices d’un système financier accessible à tous, les
gouvernements pourront recourir (comme il l’ont déjà fait) à l’arme de l’appropriation
publique d’une part significative des institutions des secteurs bancaire et financier
pour assurer la réalisation des objectifs de développement et de répartition.
Lorsqu’un système bancaire prédominant doit jouer un rôle prédominant dans
l’orientation de l’épargne et la transformation du système financier en une
infrastructure accessible à tous, l’appropriation et/ou la structure de la régulation du
secteur bancaire doivent obligatoirement être envisagées.
26
Ce mécanisme a identifié par les
gouvernements de nombreux pays
d’Europe, après la deuxième guerre
mondiale, lorsque le développement
bancaire a pris en compte les
différences vitales entre la banque et
les autres secteurs de l’industrie.
Reconnaissant le rôle potentiel de
l’industrie bancaire, bon nombre de
pays capitalistes ont jugé utile de
nationaliser
leurs
banques
ou
d’assujettir celles-ci à une surveillance
stricte et à un contrôle social
rigoureux. La France, l’Italie et la
Suède illustrent parfaitement cette
tendance. Globalement et jusque dans
les années 1970, l’Etat possédait 40
pour cent des actifs des banques
commerciales et des banques de
développement principales dans les
pays industrialisés (Nations Unies
2005). A partir de 1969, l’Inde a offert
un exemple réussi de transition vers un
secteur financier accessible à tous
grâce à la nationalisation d’une partie
importante de son système bancaire
(Encadré 7).
Les objectifs déclarés de la détention,
par le gouvernement, d’une certaine
part dans les ins titutions bancaires
concomitante au contrôle social du
secteur bancaire sont les suivants :
Encadré 7
Propriété publique et
système financier accessible à tous en
Inde
Les succès enregistrés par l’Inde dans le
développement de son système financier après
la nationalisation de son secteur bancaire sont
remarquables. En effet, ce pays a connu une
augmentation substantielle de la couverture
géographique et sectorielle de son secteur
bancaire, qui s’est traduit par la présence de
près de 62 000 succursales de banques sur le
territoire en mars 1991, dont 35 000 (plus de 58
pour cent) en zone rurale. Une augmentation
stable de la part des zones rurales dans les
dépôts et les crédits agrégés a accompagné cette
expansion du réseau bancaire. De 6,3 pour cent
en décembre 1969, la part des dépôts ruraux est
passée à 15,5 pour cent en mars 1991, et la part
rurale du crédit a augmenté de 3,3 pour cent à
15,0 pour cent. De façon plus significative, avec
une cible crédit-dépôt (C-D) établie à 60 pour
cent, les ratios C-D des succursales rurales ont
atteint les 64 à 65 pour cent sur la base de
sanctions. Sur le plan sectoriel, un des
accomplissements majeurs de l’industrie
bancaire dans les années 1970 et 1980 s’est
traduit par un changement clair dans le
déploiement de crédits en faveur du secteur
agricole. De niveau extrêmement faible durant
la nationalisation du secteur bancaire, la part de
crédit du secteur est passé à presque 11 pour
cent dans le milieu des années 1970, pour
atteindre un pic de 18 pour cent (ce qui était la
cible officielle) à la fin des années 1980 (ICBP
2006).
•
Assurer
une
couverture
territoriale plus large du réseau
de succursales.
•
Garantir une meilleure mobilisation de l’épargne financière par le secteur
formel à travers les dépôts bancaires.
•
Réorienter le déploiement du crédit en faveur de groupes jusque là négligés ou
défavorisés de la population, grâce à la restriction du monopole exercé par
quelques entités privées.
La propriété publique des banques sert également à réaliser un certain nombre
d’objectifs généraux :
•
La propriété publique garantit la circulation et l’accessibilité des informations
requises pour prévenir la fragilité du système, en réduisant considérablement
les incompatibilités au niveau des incitations entre les banquiers d'une part et
les responsables chargés de la surveillance et la régulation de ce secteur de
l’autre.
27
•
En subordonnant l’objectif de profit à des objectifs sociaux, la propriété
publique permet au système d’exploiter le potentiel des subventions croisées
afin d’orienter le crédit, malgré les coûts élevés induits, vers les secteurs ciblés
et les groupes défavorisés de la société à des taux différenciés. Cette approche
autorise la mise en place d’un système financier inclusif, accessible à tous,
capable de réduire substantiellement l’exclusion financière.
•
L’influence ainsi acquise par l’Etat sur le processus d’intermédiation
financière offre également au gouvernement la possibilité d’utiliser le secteur
bancaire comme un levier pour promouvoir l’effort de développement. En
particulier, cela rend possible la mobilisation des compétences techniques et
scientifiques capables d’assurer un appui à la fois financier et technique à
l’agriculture et au secteur de la petite industrie.
Le rôle polyvalent des banques contrôlées par l’Etat place le crédit au centre de
l’activité économique dans un certain nombre de secteurs, de régions et de segments
de la population. Cela revient à établir une structure financière en anticipation des
activités sectorielles réelles, particulièrement dans les régions sous-bancarisées d’un
pays.
L’innovation financière en faveur du développement
Le rôle de la banque de politiques sectorielles
L’inclusion financière requiert non seulement le contrôle social des banques
commerciales mais également la création d’institutions spécialisées telles que les
banques de développement orientées vers des politiques spécifiques, les organismes
de crédit coopératif et les institutions spécialisées dans l’offre de services financiers
en zone rurale. Elle peut également exiger des directeurs de ces établissements des
objectifs quantitatifs précis.
Une banque de politiques sectorielles est essentielle, du fait que les créditeurs privés
ne sont concernés que par les retours sur investissement qu’ils perçoivent, ainsi que
nous l’avons expliqué précédemment. D’un autre côté, le rendement total d’un projet
inclut le surplus (ou profit) additionnel qui revient à l’entrepreneur ainsi que les
retours sociaux non pécuniaires bénéficiant à la société dans son ensemble. Les
projets qui offrent le meilleur retour sur investissement au prêteur ne sont pas
forcément ceux qui promettent les rendements totaux les plus avantageux. Il en
résulte que certains projets judicieux risquent d’être ainsi écartés, ce qui justifie la
nécessité de mesures telles que la banque de développement ou le crédit dirigé
(Stiglitz 1994).
En pratique, les intermédiaires financiers cherchent à faire correspondre la demande
de crédit qui leur est adressée et leurs fonds disponibles en ajustant non seulement les
taux d’intérêt, mais aussi les conditions d’octroi du crédit. Les prêts sont ainsi liés au
nantissement, et la nature et la quantité de ces garanties adaptées au profil de
l’emprunteur et aux conditions de l’offre et de la demande sur le marché du crédit.
Ainsi, selon le volume et le coût des capitaux dont disposent les intermédiaires
financiers, le marché a-t-il tendance à rationner le crédit en fonction des emprunteurs.
Or les emprunteurs exclus, considérés comme étant « à risques », ne sont pas
nécessairement situés en bas de l’échelle sociale.
28
Les banques de politiques sectorielles sont censées se concentrer sur des secteurs
spécifiques, tels que la petite industrie, fournir à ces derniers des financements à long
terme et des fonds de roulement à des taux d’intérêt subventionnés ainsi que des
délais de grâce plus longs, et leur proposer des formations et de l’assistance technique
dans des domaines comme le marketing. De la même façon, les banques de
développement agricole, dont la plupart sont financées et appuyées par le
gouvernement, accordent au secteur agricole des prêts à des taux subventionnés,
notamment aux petits agriculteurs et aux exploitants agricoles des régions
défavorisées, dépourvus des moyens nécessaires pour entreprendre des
investissements pourtant essentiels. Etant donné leur faible degré de solvabilité, ces
agriculteurs sont exclus des prêts proposés par les banques commerciales et doivent
recourir à des sources « informelles » de crédit, telles que les prêteurs, les
propriétaires fonciers et les négociants professionnels, qui pratiquent des taux
d’intérêt nettement supérieurs à ceux des banques commerciales.
Ces institutions ne doivent pas être perçues comme des mécanismes de ponction sur
les finances publiques, sauf lorsqu’elles ne fonctionnent pas selon les normes
convenues. En effet, le crédit dirigé a des conséquences positives d’un point de vue
budgétaire. Contrairement aux subventions, de tels crédits réduisent la demande de
revenus propres du gouve rnement. Le crédit dirigé est ainsi une option avantageuse
pour les pays en voie de développement en proie à des difficultés budgétaires
chroniques qui limitent leur capacité à utiliser les subventions pour atteindre une
allocation spécifique en termes de ressources disponibles pour l’investissement.
Pour répondre à ces problèmes, les pays doivent incorporer les éléments suivants à
leurs stratégies nationales de développement :
i. Créer et/ou renforcer les banques de politiques sectorielles afin de fournir du
crédit à des clients spécifiques (souvent dans des quantités spécifiées), à des
taux d’intérêt que ceux-ci peuvent raisonnablement payer étant donné les
rendements attendus.
ii. Obliger les banques de politiques sectorielles à intervenir dans le
fonctionnement des entités auxquelles elles accordent des prêts, par la
désignation de membres au conseil d’administration, soutenus par un appui
technique à la gestion assuré par les agences des banques de développement.
iii. Autoriser les banques de politiques sectorielles à encourager les banques
commerciales, normalement concernées par le crédit à court terme destiné à
financer les fonds de roulement, à accorder également des crédits à long terme.
Ceci peut s’effectuer grâce à l’offre de garanties et de solutions de
refinancement à des taux d’intérêt raisonnables pour les prêts à long terme
concédés par les banques commerciales. En réduisant les risques de défaillance
et de liquidité des banques commerciales, de tels arrangements permettent à
celles -ci de jouer également un rôle sur le marché des capitaux à long terme.
iv. Offrir aux banques de politiques sectorielles des formes de soutien financier, tels
que les capitaux à long terme accordés par les banques centrales (financés par
les « profits » de celles-ci), les prêts à long terme ou les contributions en actions
du gouvernement, les prêts provenant des organismes multinationaux et
bilatéraux garantis par le gouvernement, et des concessions telles que
l'exemption d’impôts, afin de garantir la viabilité de ces institutions et
l’efficacité de leurs opérations. Ces mesures sont nécessaires du fait que, compte
29
tenu du rôle que les banques de développement sont censées jouer, il leur est
difficile d’entrer en compétition avec les banques commerciales et d’autres
intermédiaires financiers pour mobiliser les capitaux disponibles sur le marché.
Le coût et l’échéance à court terme de ces dettes rendraient plus difficile la
réalisation des objectifs pour lesquels ces institutions ont été établies en premier
lieu.
v. S’assurer que les banques de développement profitent des prêts qu’elles
accordent à leurs clients pour surveiller ceux-ci et les conseiller dans l’adoption
de technologies, de pratiques de gestion et de stratégies de marketing
susceptibles de renforcer leur viabilité.
Les coopératives
Un autre moyen de fournir du crédit via
un système de financement accessible à
tous est constitué par la banque
coopérative, établie avec l’aide de l’Etat et
le soutien de subventions publiques,
comprenant
des
membres
des
communautés ciblées. Les coopératives
ont une longue histoire, qui dénote de
belles réussites dans de nombreux
contextes. Elles ont aussi joué un rôle
important dans les pays développés,
comme l’illustre le mouvement des
coopératives de crédit aux Etats-Unis
(Encadré 8).
Encadré 8
Les coopératives de crédit aux EtatsUnis
Les coopératives de crédit ont joué un rôle
important en termes de développement aux
Etats-Unis. Les coopératives de crédit sont
des organismes appartenant à leurs
adhérents, qui fournissent des taux d’intérêt
plus élevés sur l’épargne et plus faibles sur
le crédit par rapport aux offres proposées
par les banques commerciales au public.
Ces coopératives versent en fin d’année à
leurs adhérents tous les profits réalisés, et
fonctionnent selon le même principe que les
associations à but non lucratif qui ne paient
pas d’impôt sur les gains reversés à leurs
membres. Le statut d’exemption d’impôts a
ainsi contribué à l’expansion et au
développement de ces coopératives, malgré
la compétition des banques commerciales.
La promotion des banques coopératives
vient notamment du fait que les systèmes
et
les
procédures
des
banques
traditionnelles sont déterminés par les
besoins de financement des industries et
des commerces urbains, ce qui rend ces institutions inappropriées pour la couverture
du « dernier kilomètre » en zone rurale. Ces méthodes ne sont pas toujours adéquates
pour le financement des activités des plus pauvres, qui implique une relation intensive
entre la banque et ses clients, rendant possible l’utilisation de garanties sociales.
Dépendant largement d’évaluations reposant sur des documents écrits, elles sont
incongrues dans des environnements où l’emprunt doit reposer sur la confiance et
l’estimation de la production attendue. Cela rend la banque coopérative, qui incorpore
des membres des groupes ciblés, un bien meilleur intermédiaire pour fournir du crédit
aux petits agriculteurs et à ceux qui ne possèdent que peu ou pas de biens de
production. Il est donc impératif d’avoir une composante de type banque coopérative
dans un système de financement inclusif, accessible à tous.
Cependant, bien qu’en théorie les coopératives soient des institutions démocratiques à
gestion participative, contrôlées par des groupes de pairs, elles subissent la
domination de fait de puiss ants groupes d’intérêt ruraux, résultant des hiérarchies
sociales locales et des structures de patronage en présence, qui exercent de fortes
pressions sur la direction de ces établissements. Puisque la constitution et la structure
de ces derniers les rendent moins susceptibles de rendre compte aux organismes de
surveillance du secteur bancaire formel, cela peut aboutir à d’importantes défaillances
30
en termes de gouvernance. Ceci influence largement leurs décisions de prêt,
conduisant même à accorder des crédits à l’extérieur de la région. En Inde par
exemple, il est notoire que les banques coopératives ont financé des investissements
douteux en bourse, occasionnant des pertes considérables.
En outre, puisque ces institutions sont des moyens commodes pour canaliser les
budgets et les subventions affectées par les pouvoirs publics au développement, elles
deviennent le théâtre privilégié de la fuite des dépenses destinées aux groupes
défavorisés. Elles servent également de courroies de distribution au favoritisme
politique, qui se traduit souvent par la présence dominante d’hommes politiques au
sein des conseils d’administration des banques coopératives.
De tels problèmes ne justifient toutefois pas le fait de se dispenser des coopératives et
du rôle que celles-ci sont susceptibles de jouer. Les gouvernements doivent adopter
des lois qui garantissent juridiquement la nature participative de la direction dans ces
institutions et évitent que des conflits d’intérêt ne perturbent leurs cadres dirigeants et
leurs pratiques. Ils sont également tenus d’établir des organismes spéciaux de
régulation pour contrôler ces institutions, afin de garantir l’utilisation appropriée des
fonds et la viabilité de leurs finances.
Les institutions de microfinancement (IMF)
Les banques de développement et les coopératives traditionnelles ne sont pas
forcément des sources de financement adaptées aux plus pauvres. Ainsi, une stratégie
souvent préconisée pour promouvoir l’inclusion est-elle l’encouragement du
microcrédit à travers les institutions de microfinancement. La microfinance a été
définie comme la prestation de services financiers divers (crédit, épargne, assurance,
remises, transferts d’argent, baux) aux pauvres et aux personnes à faibles revenus. Les
avantages de la microfinance proviennent du fait que :
•
même en cas d’application d’une politique bancaire inclusive, la probabilité
que les très pauvres soient concernés par le système bancaire formel (dont les
coopératives) est faible ;
•
ainsi, les plus pauvres se retrouvent dépourvus de crédit ou dépendants du
crédit provenant de sources informelles, à des taux limitant le recours au
crédit dans les situations d’urgence ;
•
l’accès au microcrédit à l’échelle de l’individu et du ménage peut être vital
pour assurer des opportunités de revenus à tous, puisque l’offre d’emplois
salariés dans l’agriculture et le petit commerce est insuffisante pour répondre
aux besoins de subsistance, particulièrement dans les zones rurales ;
•
la microfinance permet la création de groupes d’entraide, souvent constitués
de femmes, ce qui peut ainsi être un moyen efficace de mobilisation sociale et
d’autonomisation des femmes.
31
Encadré 9
Le développement de la microfinance
A la fin de 2004, il y avait 3 044 institutions de
microfinancement (IMF) dans les pays en vo ie
de développement, accordant des prêts à plus
de 92 millions de clients. De ceux-ci, 66,5
millions comptaient parmi les plus pauvres et
55,6 millions parmi les femmes les plus
pauvres. Bien que les clients étaient
essentiellement concentrés en Asie (qui
représentait 88 pour cent des clients de prêts
déclarés dans les pays en voie de
développement), un nombre important de ces
institutions opéraient ailleurs : il y en avait 994
en Afrique, 388 en Amérique Latine et dans les
Caraïbes, et 34 au Moyen-Orient. Les
institutions de microfinancement ayant
généralement tendance à prêter de petites
sommes, il n’en reste pas moins qu’il peut
aussi s’agir de grands organismes. Huit
institutions individuelles et trois réseaux
servaient individuellement un million de
clients au minimum. En ajoutant les 41
institutions individuelles regroupant entre
100 000 et un million de clients, l’on parvient à
un pourcentage global de 84 pour cent de tous
les clients pauvres bénéficiant de ces
prestations. Les 3 000 institutions de
microfinancement restantes comptaient dans
leur grande majorité moins de 2 500 clients
chacune.
Ainsi, la microfinance devrait-elle être
encouragée comme un complément au
financement fourni par le secteur
formel et un substitut aux sources
informelles de crédit dans les zones
urbaines et rurales. Cependant, il est
nécessaire de prendre en compte les
problèmes auxquels le mouvement de
la microfinance a été confronté à
travers les pays en voie de
développement.
Nous assistons à une véritable
explosion
des
programmes
de
microcrédit depuis les années 1990,
mis en œuvre par une série
d’arrangements
institutionnels
et
menés par des ONG, et de plus en plus
par des organismes gouvernementaux,
souvent soutenus par une assistance
financière et/ou technique bilatérale ou
multilatérale (Encadré 9). Bon nombre
de ces expériences se sont substituées
aux pratiques de créditeurs usuriers en
vigueur dans le secteur privé informel,
en répondant à la demande de crédit
pour la consommation et les dépenses
d’urgences, et, dans certains cas,
même pour les petits investissements.
Ces programmes ont souvent été
Source : Nations Unies 2006 : 13-15.
salués pour leurs effets bénéfiques sur
les pauvres. Ils ciblent en effet des
secteurs spécifiques à forte proportion de pauvres, fournissent du crédit sans exiger de
nantissements sur la base de garanties d’un groupe de pairs, et, à l’occasion,
combinent crédit et autres services techniques. Au Bengladesh par exemple, le
microcrédit a été considéré comme le meilleur moyen alternatif d’offre de crédit aux
pauvres. Ce pays a été un pionnier dans l’utilisation du microcrédit pour répondre au
manque d’accessibilité des pauvres au crédit, généré par la libéralisation financière.
La Grameen Bank est ainsi devenue un véritable modèle pour des expériences
similaires dans d’autres pays en voie de développement. Le remboursement annuel
moyen de crédits issus de ces programmes a été estimé supérieur à 5 000 crores taka
(0,9 milliard de dollars des Etats-Unis), dépassant de loin le montant total des
opérations menées par les banques nationalisées et les institutions bancaires
spécialisées en milieu rural. Impressionné par la croissance du mouvement, le
gouvernement a même tenté de centraliser les flux de microcrédit à travers une
organisation publique créée spécialement à cet effet, appelée la Palli Karma Sahayak
Foundation (PKSF) (Osmani et. al. 2003).
Avec le recul, il est clair que malgré les succès enregistrés, il existe un certain nombre
de problèmes qui entravent la partique du microfinancement dans les pays en voie de
développement. Par delà le décalage entre l’ampleur de la pauvreté rurale et la
32
contribution de ces projets à l’atténuation de la pauvreté, les difficultés les plus
courantes sont les suivantes :
•
taux d’intérêt excessifs, qui rendent presque impossibles les prêts destinés à
des investissements productifs ;
•
incapacité à toucher les vrais pauvres, d’une façon financièrement viable ; 4
•
dépendance envers les donateurs ;
•
manque de viabilité financière.
Les taux d’intérêt élevés s’expliquent en partie par les coûts de transaction
considérables associés aux projets de microfinancement. Il est largement admis
(Nations Unies 2006) que le coût de décaissement, de gestion et de collecte des
échéances de multiples petits prêts, souvent à intervalles fréquents, est nettement plus
élevé que celui d’un nombre inférieur de prêts portant sur des montants plus
importants. De plus, la prise de contact avec les clients pauvres requiert plus de temps
de la part du personnel et des interactions plus fréquentes, ce qui induit des coûts
supplémentaires. En effet, les heures travaillées par le personnel augmentent à cause
de l’illettrisme, du besoin d’expliquer les obligations et les responsabilités respectives
du créditeur et de l’emprunteur, et en raison des distances à parcourir sur des
infrastructures inadaptées. En outre, la banque ciblant les pauvres est une activité à
hauts risques, étant donné la vulnérabilité et le taux d’échec important des activités
mises en place par de tels emprunteurs.
Malgré les coûts de transaction plus élevés, l’encouragement de la microfinance est
justifié car les institutions de microfinancement sont à même de fournir le type
d’accompagnement et de soutien de proximité que les institutions financières
classiques ne peuvent pas se permettre d’offrir. Les institutions de microcrédit jouent
de fait le rôle de micro banques de développement, capables de proposer l’extension
de leurs services aux pauvres, et servent d’instrument efficace pour introduire les
pauvres analphabètes d’origine rurale dans l’économie monétaire, en leur apprenant
les bases de la gestion et de la rigueur financières. C’est précisément le manque de
discipline qui perpétue l’opinion selon laquelle le crédit accordé aux pauvres n’est
qu’une forme de donation, conception fondée sur les exemples d’échecs ou de
manque de viabilité liés aux mécanismes de crédit rural financés par le gouvernement
ou des donateurs opérant via des banques.
Cependant, il serait utopique de penser que le rôle des institutions de
microfinancement pourrait être étendu de telle façon à offrir des crédits à tout projet
viable sur une base d’autofinancement. Les coûts de transaction élevés devraient être
couverts par une combinaison de taux d’intérêt supérieurs à ceux du marché et de
subventions ac cordées aux taux élevés pratiqués. Plus la subvention est importante et
les taux d’intérêt peu élevés, plus le microcrédit est susceptible de servir au
4
En outre, selon les Nations Unies (2006 : 37), bien qu’ayant joué un rôle fondamental, la révolution
du microcrédit n’a pas permis d’offrir la gamme complète de produits de crédit dont les pauvres
auraient besoin. Le crédit de trésorerie « standard » se caractérise par des conditions inflexibles, des
cycles de prêt rigides et des montants uniquement adaptés à des micro-entreprises réalisant un chiffre
d’affaires élevé ou produisant des flux de trésorerie hebdomadaires ou mensuels réguliers. Le manque
de souplesse de ce produit limite son utilité pour les personnes qui poursuivent des activités marquées
par des flux de trésorerie irréguliers ou qui ont besoin de montants plus importants (ou plus faibles)
pour financer leur entreprise. Les clients risquent alors d’utiliser un produit de crédit inadéquat, de ne
pas réunir les conditions pour en bénéficier ou tout simplement de décider de ne pas emprunter.
33
financement de projets nécessitant des investissements fixes. Mais, puisque le
microcrédit est aussi utilisé à des fins non productives, la présence ou l’étendue de la
subvention devrait être calibrée en fonction de l’affectation de ce crédit. L’évaluation
par des groupes de pairs peut contribuer à ce calibrage. Ceci servirait également à
décourager l’emprunt excessif à usage non productif. C’est aussi pour exploiter la
contribution potentielle du microfinancement au bien-être social que l’Etat et la
communauté des donateurs devraient envisager de soutenir cette pratique au moyen
de subventions. Si aucune subvention de l’Etat ou d’autres donateurs n’est disponible
de sorte à transformer les services de microfinancement en une source de capital
viable pour l’investissement productif, il pourra sembler difficile d’agrandir l’échelle
des expériences en la matière, menées par les donateurs.
Le microfinancement doit être perçu comme une forme de banque de développement
à petite échelle, exigeant des subventions importantes et efficaces même en cas
d’imposition de taux d’intérêt relativement élevés, et non comme un service lié aux
banques commerciales. Soutenues par quelques donateurs, certaines banques
commerciales ont cherché à édulcorer le rôle des institutions de microfinancement,
considérées comme une source potentielle de concurrence, en présentant celles -ci
comme un canal de prestations de crédit distinct et complémentaire, doté d’exigences
propres. Elles ont ainsi encouragé l’idée que les institutions de microfinancement
devraient, à terme, évoluer vers un statut de sociétés financières non bancaires plus
diversifiées ou servir de mécanismes de distribution du système financier formel sous
une nouvelle forme d’agences bancaires. Ainsi, les prestataires de services financiers
commerciaux ont-ils commencé à proposer des services à ce marché, et certaines
banques ont inauguré des opérations de microfinancement proprement dites. Il n’est
pas surprenant de constater que de nombreuses ONG de microfinancement
bénéficiant de ressources insuffisantes ont souvent recours à des prêts bancaires, et
qu’un certain nombre d’entre elles ont emprunté à des niveaux qui mettent en péril
leur viabilité. Cependant, comme nous l’avons noté plus haut, les institutions de
microfinancement et de microcrédit doivent être perçues comme complémentaires
mais distinctes des institutions financières formelles, et non comme des formes
embryonnaires d’institutions financières formelles.
Les institutions de microfinancement peuvent toutefois bénéficier des institutions
formelles et adopter certaines de leurs pratiques professionnelles. Par exemple, de
nombreuses institutions de microfinancement ne sont pas suffisamment équipées pour
entreprendre des évaluations de risques appropriées et nécessitent une formation
adéquate pour ce faire. Les systèmes de remontée de l’information sont également
peu fiables, ce qui pose notamment problème en raison de l’inexistence de
l’obligation de rendre compte dans bon nombre de groupes de microfinancement. Il
incombe à l’Etat d’apporter son soutien pour l’amélioration des procédés de gestion et
de comptabilité au sein de ces structures.
Mis à part ces problèmes affectant les institutions de microfinancement, les données
suggèrent que les pauvres peuvent bénéficier des prestations adéquates grâce à des
techniques innovantes en matière d’organisation et de gestion, malgré le coût élevé
des transactions à petite échelle. Les données suggèrent aussi que l’utilisation des
technologies de l’information et des communications peut réduire le coût d’un grand
nombre de transactions, et même le différentiel de coût lié au service des clients
pauvres (Nations Unies 2006). En outre, alors que bon nombre de prestataires en
microfinance sont ou ont été subventionnés d’une manière ou d’une autre, certains
d’entre eux sont autonomes et opèrent indépendamment de toute subvention.
34
Cependant, alors qu’il est nécessaire de poursuivre les efforts visant à améliorer le
microcrédit comme deuxième canal de financement, il n’existe pas d’alternative au
renforcement du système de crédit formel pour faire face aux défis des économies en
voie de développement essentiellement rurales, caractérisées par une haute incidence
de pauvreté. Le but de l’intervention financière n’est pas d’empêcher la création d’un
secteur financier moderne. Son objectif principal est d’étendre l’accessibilité au
secteur financier formel, afin de permettre à l’Etat d’utiliser la structure financière
comme un instrument de développement. C’est pour cette raison que les
professionnels du développement appellent de plus en plus à un changement de
paradigme, qui déplacerait l’accent de la microfinance vers la finance inclusive
(Nations Unies 2006).
Le Tableau 3 récapitule certaines des principales options de politiques susceptibles de
réaliser une croissance équitable, à large assise.
Tableau 3
Quelques politiques financières pertinentes pour promouvoir l’équité
Politique
Objectif
Dangers
Implications
Etablir des cibles de
Fournir un accès
a. Possibilité de
répartition relatives aux
élargi aux services
subventions croisées
succursales,
bancaires dans le
b. Fourniture d’un
particulièrement dans les cadre d’une
appui financier de
zones mal desservies
stratégie de finance
l’Etat
inclusive
Emettre des directives
Garantir que la
Distribution
a. Possibilité de
pour prévenir la
création de crédit à
des crédits à
subventions croisées
migration excessive du
partir des dépôts
des projets non b. Fourniture d’un
crédit des régions sousrécoltés dans les
viables à cause appui financier de
développées aux zones
zones rurales ou
de
l’Etat
les plus avancées du
reculées n’est pas
l’insuffisance
pays
entièrement
de la demande
déroutée vers les
émanant
régions
d’emprunteurs
développées ou
dignes de crédit
urbaines
Mettre en place un
Eviter la
Identification d’un
« programme
concentration du
organisme de
d’autorisation de crédit » crédit dans les
régulation approprié
visant à contrôler les
mains de quelques
restrictions de crédit au- emprunteurs
delà d’un certain niveau
à un acteur donné
Imposer des limites aux
Eviter la
crédits accordés à des
concentration du
entreprises liées,
crédit dans les
contrôlées par une seule
mains de quelques
et même autorité
emprunteurs
35
Tableau 3
Quelques politiques financières pertinentes pour promouvoir l’équité
Politique
Objectif
Dangers
Implications
Affecter par anticipation a. Garantir l’accès Effets négatifs
a. Adoption de critères
le crédit bancaire à des
à des secteurs
sur la
de performances
secteurs spécifiques
jusque là
profitabilité des
alternatifs
comme l’agriculture et la
négligés
banques
b. Possibilité de
petite industrie :
b. Maintenir le
subventions croisées
a. Spécifier une certaine
coût du crédit à
c. Fourniture d’un
proportion des prêts
des niveaux
appui financier de
dirigés vers ces
viables, étant
l’Etat
secteurs;
donné les
rendements
b. Fournir des crédits à
potentiels dans
des taux inférieurs à
ces secteurs
ceux du marché
Exiger la représentation
de toutes les parties
prenantes concernées au
sein des conseils
d’administration des
banques
Créer des institutions
financières susceptibles
d’assumer la promotion
de l’offre de crédit :
a. Identifier les
entrepreneurs
potent iels disposant
de projets bancables
b. Aider ces
entrepreneurs dans
les phases de
préparation des
projets et
d’évaluation du crédit
c. Garantir une mise en
œuvre réussie des
projets,
conformément aux
échéances
d. Profiter de la
prestation de l’offre
de crédit pour évaluer
le fonctionnement des
projets
Garantir ou renforcer la
propriété publique dans
les banques/banques de
développement
a. Permettre
l’accès à des
secteurs jusque
là négligés
b. Garantir la
transparence et
la gouvernance
participative.
Gérer les
problèmes liés à la
demande qui
occasionnent un
faible recours au
crédit
a. Dépasser les
obstacles à la
« banque
sociale »
36
Allocation de
crédit reposant
sur la
corruption et le
favoritisme
Mise en œuvre de
procédures
transparentes et de
mécanismes de
gouvernance
participative
Allocation de
crédit reposant
sur la
corruption et le
Mise en œuvre de
procédures
transparentes et de
mécanismes de
Tableau 3
Quelques politiques financières pertinentes pour promouvoir l’équité
Politique
Objectif
Dangers
Implications
b. Augmenter la
favoritisme
gouvernance
compatibilité
participative
entre les
objectifs des
régulateurs et
des banquiers
afin de renforcer
la régulation
Créer des « banques de
a. Garantir la
politiques sectorielle »
clarté des
distinctes des banques de
objectifs
développement
b. Eviter
généralistes
l’utilisation
abusive des
conditions de
fonctionnement
des banques de
politiques
sectorielles pour
justifier de
mauvais
résultats
c. Evaluer et
garantir une
utilisation
efficace de
l'aide ou des
subventions
gouvernemental
es
Promouvoir la création
a. Garantir la
Les banques
Amener les banques
de banques coopératives
mobilisation de coopératives
coopératives dans la
et dynamiser les
l’épargne locale risquent de
sphère d’une structure
établissements de ce type b. Garantir la
servir les
de régulation spéciale
qui existent déjà
intérêts
locaux
qui évalue la gestion et
participation
et
renforcer
le
les performances
dans l’allocation
favoritisme
des crédits
politique
c. Développer un
moyen adéquat
pour diriger le
crédit et le
soutien financier
en faveur des
petits
emprunteurs
Lancer et/ou encourager a. Atteindre les
a. Coûts de
a. Considérer la
le mouvement de la
vrais pauvres
transactions
microfinance
microfinance
élevés
et
comme un système
b. Garantir la
taux
de banques de
mobilisation
37
Tableau 3
Quelques politiques financières pertinentes pour promouvoir l’équité
Politique
Objectif
Dangers
Implications
sociale
d’intérêt le
développement à
prêt
à
usage
petite échelle
c. Développer un
productif
moyen d’offrir
b. Fournir des
des services
b. Absence de
subventions pour
d’appoint aux
viabilité
soutenir les prêts à
microfinancière
usages productifs
entreprises
accordés à des taux
c. Dépendance
d’intérêt plus faibles
vis à vis des
donateurs
c. Utiliser les
technologies de
d. Gouvernanc
l’information pour
e inefficace
réduire les coûts des
transactions
d. Rassembler les
institutions de
microfinancement
au sein d’un
système de
régulation unique,
qui contrôle
également la gestion
et les performances
des banques
coopératives.
Tirer les leçons des expériences passées
Les politiques visant à garantir un flux d’épargne financière à des secteurs clé du
point de vue du développement ne sont pas issues des pays en voie de développement.
Les structures financières dans les pays au développement industriel tardif tels que
l’Allemagne et le Japon ont émergé ou ont été façonnées pour répondre aux difficultés
liées à l’industrialisation tardive. Les exigences de capital pour pénétrer sur la plupart
des marchés étaient très élevées, du fait que la technologie nécessaire à la production
industrielle était devenue à plus forte intensité en capital qu’elle ne l’était au début de
la révolution industrielle. La concurrence entre les producteurs internationaux déjà
établis signifiait que les entreprises devaient être financièrement soutenues et
protégées pour survivre aux longues périodes de faible utilisation de leurs capacités,
indispensables pour percer sur les marchés nationaux et internationaux et accéder au
statut de producteurs concurrentiels. Il n’est pas surprenant que les architectes de ces
industrialisations tardives aient créé des marchés financiers extrêmement réglementés
et même majoritairement contrôlés par l’Etat, destinés à la mobilisation de l’épargne
et à l’utilisation de la fonction d’intermédiaire pour influencer la taille et la structure
des investissements. En dépit de leurs différences, le système de la hausbank en
Allemagne, le système de chef de file du pool bancaire au Japon ainsi que le système
financier de la République de Corée ont assumé précisément ce rôle. Ces systèmes
financiers étaient caractérisés par des politiques de crédit dirigé et de taux d’intérêt
38
différenciés, et par une offre de soutien à l’investissement dans le secteur de
l’industrie naissante sous forme de participations, de crédit et de faibles taux d’intérêt.
Partant du rôle joué par le Crédit Mobilier en France et les « banques universelles »
en Allemagne, Gerschenkron (1962 : 13) affirme que la création « d’organisations
financières destinées à construire des milliers de kilomètres de lignes de chemin de
fer et de mines, ériger des usines, creuser des canaux, édifier des ports et moderniser
les villes » a nettement contribué à la transformation de ces pays. Les sociétés
financières reposant sur des capitaux traditionnels étaient typiquement de nature
rentière, et se limitaient aux emprunts gouvernementaux et aux opérations de change.
Les nouvelles sociétés financières étaient « consacrées à la construction de lignes de
chemins de fer et à l’industrialisation du pays », et, ce faisant, ont influencé le
comportement des capitaux traditionnels.
La fonction de ces institutions mérite d’être soulignée. Selon Gerschenkron, les
banques servaient à palier l’absence de certains éléments essentiels à
l’industrialisation : « En Allemagne, les diverses incompétences des entrepreneurs
individuels étaient compensées par la répartition de la fonction entrepreneuriale : les
banques d’investissement allemandes – une invention puissante, comparable dans son
effet économique à la machine à vapeur – servaient, grâce à leur fonction d’apport de
capitaux, à compenser l’insuffisance de la richesse existante délibérément mise à la
disposition des entrepreneurs. Mais elles compensaient également les déficiences
entrepreneuriales. De leur position centrale de contrôle, les banques participaient
activement à la prise de décisions des entreprises individuelles, aussi bien pour les
questions importantes que pour les affaires de moindre envergure. C’étaient elles qui
planifiaient souvent les trajectoires de croissance des entreprises, concevaient des
plans à long terme, décidaient des innovations techniques et géographiques majeures,
et s’occupaient des fusions et des augmentations de capital. » (Gerschenkron 1968 :
137).
Du point de vue du développement, cette expérience indique que les institutions
financières ne doivent pas se limiter à orienter le crédit à des taux prédéterminés, mais
qu’elles sont également tenues d’assumer un rôle proactif dans la prise de décisions
des entités qu’elles financent. Pour y parvenir elles doivent mobiliser les meilleures
compétences en matière de technologie, de direction et de marketing, pour faciliter la
conversion de l’épargne canalisée vers les exploitations agricoles, les entreprises et
les individus en un investissement dans des avoirs productifs, à haut rendement social.
A ce titre, les intermédiaires financiers gravissent un échelon supplémentaire et
passent du rôle de simple réservoir d’épargne, tels qu’ils sont habituellement
considérés, à celui d’un réservoir de connaissances et de compétences, qui leur permet
de surmonter les échecs de coordination dont souffrent les décideurs individuels da ns
les systèmes fondés sur le marché.
VI.
AUTONOMIE ET REGLEMENTATION
Prévenir la fragilité financière
Par delà la poursuite des objectifs de croissance et d’équité, les politiques financières
devraient être orientées vers la garantie de la stabilité et la via bilité du système
financier. Les échecs des marchés financiers affectent non seulement les institutions
concernées, mais aussi d’autres secteurs de l’économie. Dans certains cas, ils peuvent
39
être accompagnés d’effets systémiques. Ainsi, lorsque les bulles spéculatives mènent
à des crises financières, elles réduisent considérablement les liquidités, entraînent des
ventes précipitées d’avoirs et conduisent à la déflation, ce qui exerce un impact
négatif sur l’emploi et le niveau de vie. Pour prévenir de tels effets, les
gouvernements ont souvent recours à des opérations de sauvetage onéreuses, qui ont
aussi des implications en termes de croissance et d’équité.
Bien qu’il est soit impossible d’éliminer complètement les risques de défaillance au
sein du système bancaire, la réglementation de ce dernier peut néanmoins contribuer à
réduire la fréquence des crises en son sein. Le meilleur modèle de réglementation
demeure le système adopté aux Etats-Unis, en réponse à la vague de défaillances
bancaires de 1920-1932. Son point d’ancrage était la loi dite du Banking Act de 1933
(connu sous le nom de Glass-Steagall Act), dont le cadre réglementaire strict a évolué
au cours du temps, comportant à terme cinq dimensions :
•
Ce cadre a permis de créer la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC),
une institution consacrée à l’assurance fédérale des dépôts, qui a permis aux
petits épargnants de considérer l’ensemble des banques comme étant
équivalentes et parfaitement sûres, indépendamment de l’état de leur bilan.
•
Deuxièmement, ce cadre a défini des limites en matière de paiement d’intérêts
sur les dépôts. Les intérêts étaient prohibés pour les dépôts à vue, et des
plafonds ont été introduits concernant les intérêts des dépôts à terme et les
dépôts d’épargne. Ces restrictions ont empêché les principaux intermédiaires
financiers d’attirer les épargnants en leur payant des taux d’intérêt plus élevés,
de telle façon qu’il n’y avait plus aucun impératif direct pour investir dans des
actifs offrant des rendements importants, mais risqués et sujets à la
défaillance.
•
Troisièmement, avec la loi dite McFadden-Pepper Act de 1927, la loi du
Glass-Steagall Act a érigé des barrières à l’entrée, restreignant la concurrence
« excessive » autorisée par le précédent système bancaire libéral. Ceci a
contribué à renforcer l’autorité des différents Etats en matière de restriction
sur les opérations bancaires inter-états et à limiter le pouvoir des sociétés de
portefeuille bancaire et autres instruments de concentration.
•
Quatrièmement, cette loi a restreint les opérations bancaires. Il existait déjà
certaines limites sur les investissements susceptibles d’être entrepris par les
banques, lesquelles étaient principalement confinées aux offres de prêts et à
l’achat de titres de l’Etat. Il y avait également des prohibitions concernant le
type d’activités que les banques ou leurs affiliés pouvaient entreprendre, avec
l’interdiction d’émettre des titres, de souscrire des assurances et de s’engager
dans des activités commerciales. Les restrictions incluaient également une
limite de 10 pour cent sur l’encours de risque par emprunteur ainsi qu’une
limite de prêt aux secteurs sensibles tels que l’immobilier.5 Ceci visait
clairement à éviter que l’aléa moral associé à l’assurance de dépôts ne mène à
des investissements trop risqués, et à prévenir la pratique de financement des
pertes ailleurs dans le secteur financier via les capitaux propres des banques.
5
Les prêts immobiliers garantis par les premiers privilèges ne pouvaient pas excéder le total des dépôts
d’épargne d’une banque, et le cas échéant, son capital entièrement libéré net d’obligations ainsi que le
surplus.
40
•
Enfin, un système de régulation de la solvabilité a été mis en place, impliquant
un examen périodique des archives financières des banques et des directives
informelles relatives à la proportion de capitaux détenus par les actionnaires
dans les avoirs totaux.
Ce modèle a été utilisé avec succès aux Etats-Unis pendant plus de trois décennies.
Malgré les développements macroéconomiques intervenus à partir des années 1970,
qui ont conduit à une période « d’innovation financière » accélérée ayant nécessité la
remise en cause de ce modèle, celui-ci demeure extrêmement pertinent pour les pays
en voie de développement. Les gouvernements de ces pays gagneraient à s’en inspirer
aussi fidèlement que possible.
Si les circonstances nécessitent de s’en éloigner, des mesures spéciales devront être
prises pour faire face aux risques encourus. Celles-ci devraient inclure les éléments
suivants :
•
Restrictions sur le crédit et les investissements en titres consentis par les
banques aux entreprises au sein desquelles les propriétaires/directeurs de
banque détiennent des intérêts.
•
Restrictions sur le volume des prêts accordés aux secteurs sensibles tels que la
bourse ou le marché immobilier et limitation de la part de risques encourus en
conséquence.
•
Contrôle et réduction des écarts importants entre les taux de dépôt et les
rendements des prêts ou des investissements, qui indiquent une concurrence
limitée ou des investissement excessivement risqués.
De telles mesures modèrent la tendance à prendre des risques inutiles pour obtenir des
rendements élevés. Un exemple typique de ce phénomène est le crédit pour
l’investissement en actions ou dans l’immobilier. Les prêts à ces secteurs se concluent
à des taux d’intérêt extrêmement élevés, car les rendements y sont particulièrement
volatiles et peuvent rapidement atteindre des sommets. Puisque les banques acceptent
les biens immobiliers et les titres boursiers à titre de garantie, l’emprunt destiné au
financement d’investissements spéculatifs en actions ou dans l’immobilier est
susceptible de s’emballer. Ce type d’activités a tendance à prospérer du fait de l’idée,
largement véhiculée, que les pe rtes éventuelles sont transférables au bailleur en cas de
défaut de paiement, alors que les bailleurs comptent eux-mêmes sur l’appui des
pouvoirs publics en cas de crise. Ce processus nourrit une escalade spéculative,
susceptible de provoquer l’éclatement de la bulle et la faillite des banques.
Ces tendances doivent être réfrénées, entre autres parce qu’elles affectent
l’investissement réel. Dans la mesure où les rendements maximaux de
l’investissement productif dans l’agriculture et l’industrie sont plafonnés, il existe une
limite à ce que les emprunteurs sont prêts à payer pour financer de tels
investissements. Ainsi, en dépit du fait que le rendement social des investissements
dans l’agriculture et l’industrie est supérieur à l’investissement en bourse ou dans
l’immobilier, et malgré les contributions que de tels investissements apportent à la
croissance et à la lutte contre la pauvreté, le crédit disponible risque de ne pas être
proposé au taux requis.
Contrôle et régulation du secteur financier
Outre ces dernières mesures, les pouvoirs publics doivent appliquer des règlements
stricts en matière de comptabilité, de normes de divulgation et de structures de
41
gouvernance. Ils doivent également mettre en place des organismes responsables de la
réglementation prudentielle des marchés, prenant en charge à la fois la surveillance
des transactions individuelles, la vérification de l’adoption de systèmes de gestion des
risques appropriés, le contrôle de routine des comptes des entreprises, la mise en
application des directives permettant de prévenir les conflits d’intérêt et l’évaluation
de la conformité des entreprises aux normes d’adéquation des fonds propres. Il
convient toutefois de souligner que ces formes de réglementation ne préviennent pas
totalement la fragilité du système. Les partisans de marchés financiers plus libres et
plus ouverts prétendent que les normes d’adéquation des fonds propres et les
réglementations prudentielles sont à même de traiter ces problèmes. Cependant, les
périodes d’instabilité fina ncière accrue et périodique suggèrent le contraire, tout
comme les données croissantes relatives aux conflits d’intérêt, aux fraudes
comptables et aux manipulations de marché, même au sein d’un marché aussi
développé et ostensiblement transparent et bien réglementé que celui des Etats-Unis.
Les systèmes financiers reposant sur le marché sont fragiles et sujets aux défaillances,
et la réglementation ne suffit pas pour remédier à cet état de choses. Les systèmes de
réglementation et de contrôle sociaux tirent profit du fait que la réglementation est
une partie intégrante de la structure servant à promouvoir le développement. Mais
même dans ce cas, les agents nommés par le gouvernement étant responsables de la
surveillance et du contrôle, la sempiternelle quest ion de designer celui qui doit
contrôler le contrôleur demeure entière. Il suffit que certains agents abusent de leur
position ou se laissent aller à des pratiques de corruption ou de favoritisme pour que
la réglementation mise en place par les pouvoirs publics échoue. Cependant, la
meilleure façon de gérer ce problème ne consiste pas à revenir tout bonnement au
système basé sur l’économie de marché avec toutes ses déficiences, mais plutôt à faire
évoluer les mécanismes institutionnels de sorte à contrôler les agents du secteur
public. La gouvernance participative et l’obligation de rendre compte à des
organismes démocratiquement élus doivent être au cœur de ces mécanismes.
VII. DE LA LIBERALISATION DES SYSTEMES
FINANCIERS
Les conclusions relatives aux mesures à prendre qui émergent de la discussion cidessus ne sont pas seulement pertinentes du point de vue de l’élaboration proactive de
politiques financières, elles doivent servir également à corriger ou éviter les politiques
qui militent contre les objectifs de croissance, d’équité et de stabilité financière.
Cependant, ces dernières années, certains processus de libéralisation financière dans
les pays en voie de développement ont remis en cause bon nombre de caractéristiques
propices au développement, afférentes aux systèmes financiers. Ces processus sont
habituellement justifiés par le fait que les politiques financières interventionnistes
adoptées par les pays en voie de développement pour accélérer la croissance,
améliorer la distribution et éviter la fragilité ont engendré une « répression
financière » impliquant des taux d’intérêt faibles, voire négatifs, ainsi que des
distorsions éloignant les flux financiers des meilleurs projets aux rendements élevés
(McKinnon 1973; Shaw 1973).
Les politiques interventionnistes sont perçues comme ayant négativement affecté la
croissance de multiples façons (Fry 1997). Tout d’abord, les faibles taux d’intérêt
imposés par la réglementation pèsent lourdement sur le niveau de l’épargne, et par
conséquent sur l’investissement, en encourageant la consommation actuelle.
42
Deuxièmement, les faibles taux d’intérêt proposés par les intermédiaires financiers
sont de nature à encourager les épargnants à l’investissement en direct plutôt qu’à
travers des intermédiaires. Etant donné les économies d’échelle associées à la mise en
commun des ressources et la capacité renforcée des intermédiaires financiers à
identifier les meilleurs projets et contrôler le fonctionnement des emprunteurs, ce
processus d’intermédiation financière réduit l’efficacité de l’allocation des
investissements. Troisièmement, les faibles taux d’intérêt pratiqués augmentent le
nombre de demandes de projets de financements, entraînant le risque de voir
sélectionner bon nombre de projets de piètre qualité au détriment de projets plus
judicieux. De plus, les projets ont généralement tendance à être de nature plus
intensive en capital du fait des coûts de financement réduits, causant des effets
négatifs sur l’emploi. Ceci revient à dire que de faibles taux d’intérêt peuvent susciter
des choix inférieurs en termes d’investissement. Enfin, le rendement des créditeurs
étant inférieur et souvent fixe, les pratiques de prêt ne sont pas motivées par les
retours sur investissement potentiels des projets financés, mais par des facteurs
exogènes tels que les pressions politiques, la taille du prêt ou les bénéfices privés des
banquiers.
Certains soutiennent que les effets défavorables que ces facteurs exercent sur la
croissance sont aggravés par le fait que les politiques financières « répressives »
limitent l’ampleur de l’approfondissement financier et de l’intermédiation. Ces
résultats sont considérés comme étant à l’encontre du développement, au vu de la
relation étroite, forte et positive entre l’approfondissement ou l’intermédiation
financière et la croissance (Levine 1997).
43
Encadré 10
Les stratégies financières
peuvent conduire au rationnement du
crédit
En Inde, à la suite des réformes du secteur
financier, le ratio credit-dépôt des banques
commerciales dans leur ensemble a décliné
substantiellement, en passant de 65,2 pour
cent en 1990-1991 à 49,9 pour cent en 20032004, malgré une augmentation importante de
la capacité de création de crédit des banques
via la réduction périodique des ratios de
réserve. Ceci peut avoir été causé par le
déclin de la demande de crédit de la part
d’emprunteurs dignes de crédit. Cependant,
un fait semble remettre en question cet
argument : la baisse du ratio credit-dépôt a
été
accompagnée
par
l’augmentation
correspondante de la proportion des titres
d’Etat sans risque dans les principaux actifs
productifs des banques, tels que les prêts, les
avances et les investissements. La part
d’investissement du système de banques
commerciales en titres d’Etat dans les actifs
productifs totaux était de 26,13 pour cent en
1990-1991. Mais elle a augmenté pour
atteindre 32,4 pour cent en 2003-2004. Ceci
montre que le crédit au secteur commercial
peut avoir été déplacé vers des
investissements en titres d’Etat offrant des
rendements relativement élevés, à des risques
presque nuls (Chandrasekhar et Ray 2005).
Il découle de l’argument relatif à la
répression financière un corollaire
logique selon lequel les taux d’intérêt,
les marchés et les institutions du secteur
financier devraient être libéralisés, et les
marchés
autoris és
à
déterminer
librement l’allocation du crédit. Comme
il a été démontré par nombre
d’économistes (Stiglitz et Weiss 1981;
Arestis 2005), les bases conceptuelles
de ces arguments sont discutables. En
effet, ceux-ci sont fondés sur
l’hypothèse que la libéralisation
favorise la « compétitivité » sur les
marchés financiers, entraînant une
concurrence entre les institutions
financières pour attirer l’épargne et
identifier les emprunteurs les plus
fiables. Cependant, les marchés
concurrentiels ne produisent pas
toujours les résultats escomptés. En
effet, ce qui importe n’est pas tant le
nombre d’entreprises acceptant les
dépôts, mais leur volonté de proposer du
crédit, et ceci peut être limité pour
d’autres raisons, malgré la présence
d’un grand nombre de banque s au sein
d’un pays (Encadré 10).
En pratique, la libéralisation aboutit à
des résultats non anticipés. En 1985,
Diaz-Alejandro
(1986)
a
tenté
d’expliquer les raisons pour lesquelles les efforts menés par les pays d’Amérique
Latine dans les années 1970 pour suivre les recommandations des opposants à la
répression financière, qui revendiquaient le bannissement de « l’usure sur les marchés
des capitaux nationaux ainsi que d’autres distorsions gouvernementales présumées »,
avaient «produit, dès 1983, des secteurs financiers nationaux caractérisés par des
faillites à large échelle, des interventions gouvernementales massives et des
nationalisations systématiques d’institutions privées (pour sauvegarder les entreprises
financières et anticiper les effets négatifs éventuels), et de faibles niveaux d’épargne
nationale ».
Plutôt que d’encourager la concurrence, ces mesures ont entraîné le renforcement du
pouvoir oligopolistique à travers les fusions d’intermédiaires financiers et les
associations entre intermédiaires financiers et entreprises non financières. Les
intermédiaires financiers appartenant à ces conglomérats attribuaient le crédit de
manière préférentielle aux entreprises membres du même groupe, ce qui était loin de
44
constituer un système d'allocation plus efficace que celui qui aurait pu prévaloir en
vertu des politiques publiques de crédit dirigé. 6
De plus, la libéralisation financière n’a pas entraîné d’intermédiation d’actifs
financiers à longue échéance, mais un mouvement de dépôts et de prêts de moins de
six mois. L’expérience du cône sud ou de la zone de libre échange des pays du sud
menée à la fin des années 1970 et au début des années 1980 suggère que la
dérégulation n’a pas stabilisé les taux d’intérêt, qui sont restés généralement très
élevés, à des valeurs largement supérieures aux « estimations raisonnables des taux
d’intérêt réels de référence, jugés optimaux d’un point de vue social ».
Enfin, les courtes périodes d’essor qu’ont connu les marchés boursiers n’ont pas
permis de mobiliser de nouve aux capitaux ni de drainer des apports pour de nouveaux
projets. En fait, les petits investisseurs ont eu tendance à se retirer des marchés à
cause des allégations de manipulation et de fraude, entraînant l’arrêt des
investissements à long terme soutenus par l’Etat. Si la libéralisation financière a
encouragé de nouvelles formes d’épargne financière, elle n’aura certes pas entraîné
une augmentation significative du volume total de l’épargne nationale, et l’expansion
de l’épargne financière disponible s’est avérée être en réalité le résultat des entrées de
capitaux étrangers.
Malgré la récurrence de ce type d’expérience à travers les pays en développement
depuis le début des années 1970, de nombreux pays en voie de développement ont
opté pour des politiques similaires, soit parce qu’ils y étaient contraints pour se
conformer aux conditions imposées par les donateurs qu’ils sollicitaient pour le
financement d’urgence de leur balance de paiements, soit volontairement dans
l’espoir d’attirer d’importants apports de capitaux. Par conséquent, il existe une forte
corrélation entre la dépendance inévitable ou consentie envers les mouvements de
capitaux et les processus de libéralisation financière.
Ces processus vont à l’encontre de toutes les mesures financières favorables au
développement et démantèlent même les structures financières adaptées au
développement, comme nous l’avons précédemment expliqué. La libéralisation
financière entraîne trois effets majeurs :
•
Elle ouvre le pays à de nouvelles formes de mouvements financiers
internationaux, à des volumes plus conséquents, afin d’attirer une partie des
flux de capitaux considérables dirigés vers les « marchés émergents », en
constante augmentation depuis la fin des années 1970.
•
Pour faciliter ces apports de fonds, ce processus libéralise, de manière
variable, les conditions gouvernant les sorties de devises étrangères sous la
forme de paiements des revenus d’investissements de compte courant et de
transferts du compte de capital pour les transactions autorisées.
•
Pour attirer ces capitaux, elle transforme la structure du secteur financier
national, ainsi que la nature et les opérations des sociétés financières
nationales de telle sorte que le marché financier puisse ressemble au modèle
adopté, lors de ces trois dernières décennies, à des niveaux de développement
6
En Inde, la nationalisation des plus grandes banques commerciales en 1969 était en partie motivée par
le besoin d’éviter la diversion de l’épargne des ménages vers des compagnies liées aux banques ou à
leurs directeu rs.
45
largement plus avancés, dans des pays comme les Etats-Unis et le RoyaumeUni.
Il est désormais largement convenu que les deux premiers effets, impliquant la
libéralisation des contrôles sur les entrées et sorties de capitaux, ont accru la fragilité
financière des pays en voie de développement, les rendant sujets à des crises
financières et monétaires récurrentes. L’analyse systématique de certaines de ces
crises a révélé que leur nature et leur timing étaient liés au passage à un régime
financier plus libéral et plus ouvert. De plus, ces crises ont rarement conduit à des
contrôles sur les entrées de capitaux ou à une réduction de la dépendance à leur égard.
Au contraire, les stratégies d’ajustement ont accéléré le processus de libéralisation,
entraînant ainsi une suite de déconvenues du secteur financier.
Cependant, ce sont les effets structurels (traités dans l’encadré 11) d’une telle
libéralisation sur la capacité d’un pays à utiliser le système financier comme un
instrument de politique de développement national qui doivent être soigneusement
analysés. Il apparaît ainsi de ce qui précède que l’expérience empirique de la
libéralisation financière révèle que celle-ci entraîne les conséquences suivantes :
•
•
chute des ratios crédit-dépôt ou baisse des provisions de crédit ;
« déviation » du crédit vers des secteurs sensibles, tels que le marché boursier
ou l’immobilier, ainsi que le crédit à la consommation ;
•
prédilection pour les investissements sous forme de titres d’E tat ou certificats
de dépôts émis par des entreprises ;
•
préférence pour les revenus issus des commissions et des frais plutôt que pour
les rendements provenant des écarts entre taux d’intérêt ;
• refus des banques d’assumer la responsabilité qu'il leur incombe
principalement au sein du système, en matière de prise de risque et préférence
marquée du marché pour l’utilisation d’instruments innovants afin de
transférer le risque de crédit à des institutions et des investisseurs pourtant
bien moins équipés pour évaluer ces risques ;
• accentuation de l’exclusion financière, avec une concentration croissante du
crédit et des investissements autour de certains secteurs favorisés et une nette
préférence pour l'allocation du crédit aux clients importants.
Les résultats des études par pays sur la situation en Afrique sub-saharienne conduites
par Cornia et Lipumbia (1999) pour le compte de l’UNU/WIDER révèlent qu’après
plus d’une dizaine d’années de libéralisation financière, l’élimination de la répression
financière n’aura pas augmenté le volume de crédit disponible aux petites entreprises
en milieu urbain et aux zones rurales, malgré l’augmentation du nombre de banques
privées et de la part du crédit alloué au secteur privé, et la diminution des prêts
consentis aux entreprises publiques. Qui plus est, les taux réels du crédit se sont
considérablement accrus, alors que les taux de dépôt ont baissé, entraînant un net
approfondissement des écarts. De ce fait, les taux d’épargne et d’investissement n’ont
pas progressé. L’augme ntation du nombre de banques n’a pas réduit de manière
significative la concentration des dépôts et des avoirs bancaires et des actifs. La
plupart des prêts continuent d’être à courte échéance, finançant essentiellement le
commerce. Aucun financement à long terme ne semble être disponible pour le
développement agricole et industriel. La majorité de la population travaillant dans les
petites exploitations agricoles et les petites et moyennes entreprises n’ont pas accès au
crédit. Du fait de la surveillance limitée exercée par des banques centrales en sous 46
Encadré 11
Les conséquences structurelles de la libéralisation financière
La mise en œuvre de la libéralisation financière comporte différents aspects et entraîne des
conséquences diverses. Tout d’abord, elle implique la réduction ou la suppression des contrôles sur les
taux d’intérêt ou les taux de rendement perçus par les agents financiers. Ceci encourage la concurrence
entre les sociétés financières pour attirer les déposants, d’une part, et les emprunteurs potentiels de
l’autre. Non seulement cette concurrence se manifeste au niveau des prix, mais elle exerce également
une forte pression à la baisse sur les écarts, obligeant les entreprises à augmenter les ventes pour
réaliser leurs profits. Cette tendance éloigne souvent l’activité des sphères socialement pertinentes mais
moins profitables en termes de gains.
La deuxième caractéristique de la libéralisation financière est qu’elle réduit, voire supprime, les
contrôles qui président normalement à l’entrée de nouvelles sociétés financières sur le marché, tant que
celles -ci respectent certaines normes prédéterminées en matière d’investissement de capitaux. Cet
aspect de la libéralisation financière s’applique inévitablement à toutes les entreprises financières,
nationales ou étrangères, et les taux plafond pratiqués pour les actions des entreprises nationales
susceptibles d’être détenues par des investisseurs étrangers sont progressivement augmentés ou
supprimés. Or des conditions d’entrée aisées ne stimulent pas systématiquement la concurrence dans le
sens conventionnel du terme. En effet, la libéralisation implique également, pour les acteurs nationaux
et étrangers, la liberté d’acquérir des sociétés financières et permet à des investisseurs institutionnels
étrangers, des fonds de pension et des fonds spéculatifs d’investir sur les marchés des actions
ordinaires et les marchés des capitaux. Ceci déclenche souvent un processus de consolidation, qui crée
ou rétablit les liens entre les grands acteurs oligopolistiques et les intermédiaires financiers, avec toutes
les implications y afférentes.
Troisièmement, la libéralisation induit une réduction des contrôles sur les investissements entrepris par
les agents financiers. Ceux-ci peuvent se voir autoriser d’investir dans des domaines auxquels ils
n’avaient pas précédemment accès. La plupart des systèmes financiers réglementés veillent à maintenir
une séparation entre les différents segments du secteur, tels que les services bancaires, les services
bancaires d’investis sement, les fonds communs de placement et l’assurance. Les agents d’un segment
donné ne sont pas autorisés à investir dans un autre segment afin d’éviter les conflits d’intérêt
susceptibles d’exercer un impact négatif sur les pratiques commerciales. La libéralisation financière
implique l’abolition des réglementations servant de cloisons entre ces secteurs, menant, in fine, à
l’émergence de «banques universelles », ou de «supermarchés financiers ». La capacité des agents
financiers à combiner divers types d’activités financières est de nature à intensifier les relations entre
les différents marchés financiers, de sorte que les évolutions intervenant sur un marché spécifique
risquent ainsi d’affecter l’ensemble des marchés bien plus qu’auparavant. Outre le renforcement des
probabilités de défaillance, cela influence également les pratiques de prêt et d’investissement d’une
manière qui nuit au développement .
Quatrièmement, la libéralisation atténue les restrictions sur les règles gouvernant les types
d’instruments financiers autorisés à être émis et acquis. Les instruments financiers permettent aux
agents de partager les gains et les risques financiers à des degrés divers, les gains étant tirés des
revenus et de l’évaluation du prix des actifs, et les risques englobant les défauts de paiement des
intérêts, l’amortissement, les fluctuations des taux d’intérêts et la dévaluation de la valeur des actifs.
Ces actifs peuvent être émis soit directement par ceux qui sollicitent des capitaux pour des
investissements productifs soit par des intermédiaires exigeant une partie des revenus en échange du
partage de risque. Ceci ne fait qu’aggraver les tendances évoquées précédemment.
Cinquièmement, dans de nombreux contextes, la libéralisation opère le désengagement de l’Etat de
l’intermédiation financière, la conversion des « banques de développement » en banques ordinaires et
la privatisation du système bancaire public, au motif que la présence de ces institutions publiques ne
favorise pas le rôle dominant des signaux de marché dans l’allocation de capital.
Sixièmement, la libéralisation financière facilite la participation des entreprises et des investisseurs au
marché boursier. En effet, elle simplifie ou supprime les conditions d’admission en bourse, en
autorisant le libre choix du prix des nouvelles émissions, en permettant une liberté plus grande aux
intermédiaires tels que les courtiers, et en relâchant les restrictions liées aux conditions de prêt garantis
par les titres et aux investissements de capitaux empruntés sur le marché.
Enfin, plutôt que d’avoir recours à la réglementation via une intervention directe, la libéralisation
induit une transition vers un régime d’adhésion volontaire à des directives statutaires sur l’adéquation
des fonds propres, les normes comptables et autres pratiques associées, le rôle de la banque centrale se
limitant à la supervision et au contrôle.
47
effectif, intervenant dans des cadres très peu réglementés, la création rapide de
nouvelles institutions financières a aggravé l’instabilité du système, provoquant une
prolifération de faillites bancaires. Il apparaît clairement que ces politiques entraînent
des résultats identiques, quels que soient la taille du pays ou son degré de
développement.
Au vu du rôle d’intermédiaire assumé par les forces du marché pour aboutir à ces
résultats, les politiques de libéralisation financière, souvent adoptées sous prétexte
que la prolifération financière résultant d’une telle libéralisation est un avantage
absolu, sont susceptibles d’aggraver l’exclusion financière (Encadré 12).
Encadré 12
Libéralisation financière et exclusion financière
L’expérience d’un petit pays en développement sans littoral comme le Népal illustre parfaitement
bien comment la libéralisation financière peut avoir pour conséquence l’exclusion financière. Après
la libéralisation du système financier au Népal, les données (Deraniyagala et. al. 2003) font état d’une
multiplication par huit de la mobilisation des dépôts par le secteur bancaire dans les années 1990 (de
22 milliards de roupies népalaises en 1990 à 181 milliards de roupies népalaises en Juillet 2001). 7 La
mobilisation des dépôts par les sociétés financières a également augmenté de manière significative.
En ratio du PIB, les dépôts bancaires ont progressé de 19 pour cent en 1985 à 43 pour cent en 2001.
Les dépôts dans les institutions financières non bancaires sont également passés de 0,5 pour cent du
PIB en 1995 à 4,6 pour cent en 2001. L’augmentation de l’intermédiation financière qui en a résulté
est reflétée dans le fait que le ratio des actifs financiers par rapport au PIB a évolué de 29,3 pour cent
en 1985 à 32,5 pour cent en 1990, pour atteindre le chiffre impressionnant de 84,3 pour cent en 2001.
Il apparaît clairement que l’approfondissement financier et l’augmentation de l’intermédiation
financière ont considérablement renforcé le volume du crédit fourni par le système financier. Quant
au crédit alloué par les banques commerciales au secteur privé, il a représenté 8,7 pour cent du PIB
en 1985 et 29,4 pour cent en 2001.
Cependant, ce processus n’a pas été accompagné d’une offre adéquate de crédit aux secteurs les plus
concernés par la pauvreté. Du crédit fourni par les banques commerciales en 2001, seule une
proportion de 9 pour cent a été allouée au secteur agricole, alors que 80 pour cent de la population du
pays participait à la culture des terres et que 50 pour cent tirait ses revenus de l’agriculture, rendant
ce secteur primordial du point de vue de la subsistance et de la réduction de la pauvreté. Inversement,
le crédit affecté à l’industrie est passé de 18,8 pour cent en 1985 à 45 pour cent en 2001. Bien qu’une
partie de cette augmentation s’explique par le transfert des prêts généralement attribués au secteur
commercial, dont la part dans le crédit est passée de 44 à 33 pour cent sur les mêmes années, un
délaissement de l’agriculture est également responsable de cette évolution. Par ailleurs, les petits
emprunteurs ont certainement souffert d’une discrimination à cet égard, puisque 85 pour cent des
prêts du secteur formel sont garantis sous formes de nantissements. Les chiffres suggèrent que
malgré la consolidation financière, seul un cinquième des ménages népalais ayant conclu un prêt sont
couverts par la finance institutionnelle.
Cette tendance n’est pas surprenante, étant donné que la libéralisation a entraîné l’émergence de la
domination du secteur financier privé. Le ratio du crédit du secteur privé sur le crédit tot al a
augmenté de 68,5 pour cent en 1985 à 76,2 pour cent en 1990, pour atteindre le taux écrasant de 92,5
pour cent en 2001.
Selon Mkandawire (1999), l’argument de Ffrench-Davis relatif à l’Amérique latine
s’applique à l’Afrique lorsque celui-ci affirme qu’une «structure institutionnelle est
requise, comprenant un vigoureux segment à long terme sur le marché financier, afin
7
L’interprétation de ces chiffres exige une certaine prudence. En effet, il est probable qu’une part
importante de ces fonds provenait du transfert de l’épargne et de l’offre de crédit du système de crédit
formel vers un système de prêt informel.
48
de financer l’investissement productif. En outre, les secteurs de revenus moyens et
faibles, qui souffrent traditionnellement de la segmentation sociale des marchés de
capitaux, nécessitent de bénéficier d’un meilleur accès au capital. Ils ont besoin que
ce marché gère les contingences, investisse dans la formation et encourage le
développement et la modernisation des activités productrices » (Ffrench-Davis, 1994 :
239).
Enfin, une plus grande liberté d’investissement, notamment dans des secteurs
sensibles comme l’immobilier et les marchés boursiers, la possibilité de renforcer
l’exposition à certains secteurs et à des clients spécifiques ainsi que l’augmentation
des délais de grâce au niveau de la réglementation sont autant d’éléments susceptibles
d’intensifier la fréquence des épisodes de défaillance financière. De plus, en
autorisant l’émergence de banques universelles ou de supermarchés financiers, le
processus de libéralisation relie institutionnellement différents segments du marché et
augmente ainsi le degré d’enchevêtrement des différents agents du système financier,
ce qui aggrave d’autant plus l’impact de l’échec des entités d’un segment donné sur
les autres agents du système.
Les implications de ce qui vient d’être expliqué pour les pouvoirs publics sont claires.
Si leur intention est de mettre en place des politiques financières qui encouragent la
croissance, privilégient la stabilité et garantissent l’inclusion, l’accent mis sur la
libéralisation financière comme étant la solution miracle aux problèmes de
fonctionnement et d’impact du système financier devra être exclu à tout prix.
VIII. L’EPARGNE ETRANGERE ET SES
CONSEQUENCES
La libéralisation financière est souvent motivée par le désir des gouvernements des
pays en voie de développement d’attirer des volumes importants de capitaux étrangers
et particulièrement des flux strictement financiers. Il a souvent été avancé que l’accès
à l’épargne étrangère sous la forme de mouvements de capitaux réduit la pression sur
les gouvernements des pays en voie de développement, qui leur impose d’extraire et
de répartir l’épargne nationale, et limite de ce fait la nécessité d’une intervention qui
pourrait s’avérer préjudiciable. L’accès aux financements étrangers, sous forme
d’allocations, de dette, d’investissement de portefeuille ou d’investissement direct,
desserre les contraintes exercées par les ressources nationales réelles disponibles sur
le taux de croissance potentielle du système. Les devises étrangères, qui constituent
un actif fongible, peuvent être utilisées pour changer la structure de l’offre nationale
via les importations. En fonction du mode de déploiement des ressources en devises,
celles-ci peuvent contribuer à surmonter les contraintes de l’offre nationale afférentes
aux biens salariaux ou aux biens d’équipement, en ayant recours aux importations. Du
côté financier, ces ressources réduisent le besoin d’utiliser des mesures telles que
l’imposition pour restreindre la consommation de certains produits de base par des
groupes particuliers, afin de mobiliser les surplus nécessaires au financement du
développement à long terme. Par ailleurs, dans la mesure où « l’épargne » étrangère,
sous forme d’aide ou d’emprunt auprès de l’étranger, est directement accessible par
l’Etat, elle peut être allouée conformément aux préférences de l’Etat et à sa stratégie
de développement.
Cependant, la plupart des pays en voie de développement n’ont pas le loisir de choisir
les caractéristiques liés au volume, à la structure et à la direction des mouvements de
capitaux étrangers, qui sont des contraintes exogènes déterminées par les choix
49
politiques des gouvernements donateurs, les stratégies de prêt des organisations d'aide
multilatérale, les préférences des créditeurs et investisseurs privés ainsi que par les
enjeux en cours sur les marchés financiers internationaux. Si certains des pays les plus
avancés parmi les pays en développement peuvent parfois attirer le type de flux qu’ils
désirent, cette flexibilité reposera elle-même sur la création d’un environnement
facilitant les mouvements autonomes de capitaux, ce qui réduit souvent la marge de
manœuvre permise par les politiques adoptées et implique une perte de contrôle à cet
égard.
Par ailleurs, le financement étranger a un prix et induit des frais. Alors que les
subventions peuvent être considérées comme de purs transferts, leur volume est réduit
et leurs contributions ont décliné au fil du temps. Il existe d’autres formes de
mouvements de capitaux qui supposent des coûts et des conséquences ré pertoriés ciaprès :
•
Premièrement, comme la dette nationale, la dette étrangère a un profil
prédéterminé en termes d’engagements de paiement d’intérêts. Si le
déploiement de ces ressources n’induit pas, au niveau de la production, un
taux de croissance nominal supérieur au taux d’intérêt nominal, la prise en
charge de ces coûts se fera obligatoirement via le déblocage de fonds affectés
à d’autres fins et le financement des engagements s’effectuera par le recours à
un nouvel emprunt.
•
Deuxièmement, ces engagements doivent être réglés en devises, ce qui
nécessite la transformation des ressources nationales en monnaies étrangères.
Dans le cas de l’existence de contraintes spécifiques limitant les possibilités
de transformation par le commerce, la dépendance sur l’épargne étrangère
risque de renforcer la vulnérabilité vis-à-vis de l’étranger.
•
Troisièmement, l’accès au financement auprès de l’étranger s’accompagne
souvent de conditionnalités restreignant la marge de manœuvre politique du
gouvernement, c'est-à-dire que le fait de dépendre de capitaux étrangers pour
financer une stratégie de développement risque en réalité de réduire les
options stratégiques disponibles, dont celles qui concernent la politique
financière. Les flux officiels sont conditionnés par l’adoption de politiques
spécifiques, notamment sur les plans monétaire et budgétaire. Les apports de
capitaux privés sont implicitement tributaires de la minimisation de
l’intervention gouvernementale et la poursuite de politiques en harmonie avec
le marché.
•
Quatrièmement, l’accès au financement étranger via l’investissement direct
peut conduire à une perte nette de devises à moyen ou long terme. En effet, les
flux cumulatifs sous la forme de dividendes rapatriés, de paiements de
redevances et de frais techniques ont tendance à excéder largement l’afflux de
capitaux au titre de la participation étrangère au capital social des entreprises
et des profits réinvestis des investisseurs étrangers ainsi que les devises
générées par le solde net des exportations des entreprises concernées.
•
Cinquièmement, la dépendance à l’égard des flux de dette et de portefeuille
provenant des banques commerciales et des investisseurs privés peut
nécessiter un changement dans les politiques du secteur financier ainsi que
l’adoption d’une stratégie d’ouverture financière susceptible de réduire la
50
capacité du gouvernement à utiliser la structure financière comme un
instrument dans le cadre d’une politique nationale de développement.
•
Enfin, le recours à des capitaux privés risque d’accentuer la dépendance
envers des flux de capitaux plus volatiles, augmentant ainsi la vulnérabilité à
l’égard de l’étranger ainsi que la menace d’une crise monétaire ou financière.
Etant donné ces différents facteurs, il serait difficile à un gouvernement de pr étendre
que son accessibilité à l’épargne étrangère puisse se maintenir à des niveaux record
précédemment atteints, voire de dépasser ceux-ci. Il est impératif de prévoir un degré
de volatilité substantiel en la matière. Ceci implique qu’il faut absolument éviter les
dépendances excessives à l’égard de l’épargne étrangère pour financer les dépenses
courantes ou l’investissement dans des biens non échangeables. La solution de facilité
consistant à faire de l’épargne étrangère un substitut de l’épargne nationale doit
également être exclue.
Flux de capitaux et fragilité financière
Le fait que tous les pays ne reçoivent pas de flux massifs de capitaux privés, ces
derniers étant généralement concentrés au sein de quelques pays en développement,
n’est pas un désavantage en soi. La crise de l'Asie de l'Est en 1997 ainsi que le grand
nombre de crises qui s’en sont suivies dans des pays tels que la Russie, la Turquie, le
Brésil ou l’Argentine, ont mis en lumière d’autres dangers associés à une dépendance
excessive envers les financements fluides. Certains de ces risques sont comme suit :
•
Premièrement, en dépit de tout ce qui peut être dit sur l’efficacité des marchés
financiers, la structure du système financier semble être telle que les banques
et les institutions financières des pays développés n’ont pas seulement
tendance à être surexposées à des marchés spécifiques mais elles sont aussi
susceptibles d’être exposées au risque dû à certaines pratiques financières
douteuses. L’aléa moral lié à la garantie implicite de l’Etat que le système
financier sera renfloué en cas de crise, associé à l’instinct grégaire
caractéristique des marchés financiers imparfaits et la poussée concurrentielle
visant à récupérer les gains spéculatifs générés par des fonds provenant
d’investisseurs avides de profits, tout cela crée une situation dans laquelle les
pratiques de prêt et d’investissement financier se sont poursuivies telles
quelles dans certains pays, longtemps après que l’exposition à haut risque ait
dépassé les limites accordées au titre de la garantie. Il en résulte que les
éléments associés à l'offre sont dès lors susceptibles d'entraîner une haute
volatilité des flux financiers dirigés vers les pays en développement, qui
connaissent tour à tour des mouvements brusques de grande effervescence
aussitôt suivis par des effondrements tout aussi soudains.
•
Deuxièmement, un retournement brusque et capricieux de ces flux peut
déclencher des spéculations monétaires dans le pays hôte, qui risquent
d’exercer un impact extrêmement négatif sur le taux de change. Une fois
l’emballement spéculatif lancé, trois facteurs contribuent à abaisser le taux de
change. En premier lieu, la chute de la confiance des investisseurs entraîne le
retrait précipité des fonds investis dans des titres de participa tion et des
obligations, empêchant le rollover de la dette à court terme par les banques
multinationales. Il s’en suit une course effrénée aux dollars, lancée par les
banques et les entreprises nationales disposant d’engagements imminents en
dollars, dont les coûts en monnaie nationale augmentent dans un contexte de
51
dépréciation. Il se produit enfin une intensification des opérations spéculatives
menées par les opérateurs financiers nationaux et étrangers, qui cherchent à
profiter de la volatilité des devises.
•
Troisièmement, en présence d’un dérèglement total des flux de capitaux, il est
très difficile de contrôler le montant des entrées et sorties dans un pays donné,
surtout que ces mouvements dans les deux sens risquent de créer des
conséquences indésirables. Par exemple, lorsqu'un pays devient soudainement
une destination privilégiée pour des investissements financiers étrangers, cela
peut engendrer en son sein des flux énormes, susceptibles de provoquer
l’appréciation de la monnaie nationale et de ce fait, encourager
l’investissement dans les biens non échangeables plutôt que dans les biens
échangeables et modifier ainsi les prix relatifs sur le marché intérieur, et par
conséquent les mesures incitatives y afférentes. Dans le même temps, les flux
de capita ux sont obligatoirement associés aux déficits de la balance des
paiements courants, à moins d’être simplement gaspillés et stockés sous forme
de réserves de devises accumulées. En d’autres termes, en présence d'une
totale libre circulation des flux de capitaux et d’un accès à l’emprunt auprès de
l’étranger entièrement disponible aux agents privés nationaux, il ne peut y
avoir de politique macroéconomique que l’on pourrait qualifier de
« prudente » car les équilibres ou les déséquilibres généraux changent en
fonction du comportement des mouvements de capitaux, qui réagissent aux
dynamiques économiques qu’ils ont eux-mêmes lancées.
•
Quatrièmement, lorsque la tendance à l’augmentation des entrées de capitaux
s’inverse, il se produit un rationnement des liquidités et une vague de faillites
qui entraînent une importante déflation, assortie du cortège de conséquences
négatives que celle -ci entraîne sur l’emploi et le niveau de vie. Les prix des
actifs s’écroulent, entraînant l’acquisition, par des agents étrangers,
d’entreprises nationales à bas prix, puisque libellés en des monnaies nationales
largement dépréciées. De telles acquisitions sont toutefois encouragées car
elles sont souvent le seul moyen de restructurer et de renflouer des entreprises
complètement dépourvues de liquidités. Une crise déclenchée par les capitaux
financiers dans un pays est annonciatrice de la conquête de celui-ci par les
capitaux internationaux, avec des changements considérables dans la structure
de propriété des actifs nationaux et presque pas d’investissements nouveaux à
l’horizon.
•
Enfin, la crise asiatique a montré que la libéralisation financière peut aussi
aboutir à des crises dans les économies « miracle ».
Gérer la dette externe et les flux de capitaux
En raison des caractéristiques évoquées, il appartient à tout pays élaborant une
stratégie de développement national de veiller aux éléments suivants :
i.
effectuer une estimation réaliste des types d’épargne étrangère potentiellement
disponibles, de leur composition et leur direction pr obables ;
ii. évaluer les coûts des changes, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, liés à
l’utilisation de ces flux ;
iii. choisir le volume et la composition appropriés pour de tels mouvements ;
52
iv. élaborer des politiques permettant de restreindre les flux au volume et à la
structure ainsi définis ;
v. s’assurer que les flux de capitaux étrangers ne se substituent pas à l’épargne
nationale, mais fournissent une contribution supplémentaire à
l’investissement.
Ces choix définissent le cadre extérieur au sein duquel il est possible de mener une
politique financière nationale.
La gestion des apports requiert des contrôles sur les capitaux ou des mesures
permettant de gérer le volume, la composition et l’allocation des flux de capitaux
internationaux privés. Ces mesures cib lent les flux entrants ou sortants et sont
soumises soit aux conditions du marché (sur la base d’incitations) soit à de strictes
limites quantitatives. Les exigences de réserve spéciale relatives aux apports de
capitaux constituent un exemple de contrôle fondé sur le marché. Quant aux contrôles
quantitatifs, ils impliquent une interdiction catégorique ou l’imposition de quotas sur
certains investissements tels que l’achat d’actions par des investisseurs étrangers.
Cependant, selon Epstein et. al. (2003), il peut être difficile de tracer une ligne de
séparation claire entre la réglementation prudentielle financière à l'échelon national et
les contrôles de capitaux. Par exemple, les réglementations financières nationales
limitant la plage des échéances ou les exigences de publication et d’information
relatives aux apports influencent la composition des mouvements de capitaux
internationaux vers un pays donné. Ainsi, les réglementations financières
prudentielles au niveau national constituent un autre type de technique de gestion des
capitaux.
A partir d’un examen des différentes techniques de gestion de capitaux (Tableau 4)
adoptées par différents pays dans les années 1990, Epstein et. al. (2003) font valoir les
conclusions suivantes :
•
Les techniques de gestion de capitaux sont susceptibles d’améliorer
globalement la stabilité financière et monétaire, d’étayer l’autonomie des
politiques macroéconomique et microéconomique et d’influencer
l’investissement vers le long terme.
•
Les avantages macroéconomiques des techniques de gestion de capitaux
dépassent leurs coûts microéconomiques, qui s’avèrent bien souvent minimes.
•
Les techniques de gestion de capitaux fonctionnent au mieux lorsqu’elles sont
cohérentes et s'intègrent à une vision de développement national.
•
Il n’existe pas de technique de gestion de capitaux spécifique qui soit adaptée
à l’ensemble des pays en voie de développement.
53
Tableau 4
Types et objectifs liés aux techniques de gestion de capitaux
appliquées dans les années 1990
Pays
Chili
Colombie
Taiwan,
province de
Chine
Types de techniques
de gestion de capitaux
Objectifs des techniques
de gestion de capitaux
Entrée de capitaux
*Investissement étranger direct (IED) et
investissements de portefeuille : exigence
d’une année de résidence
*URR à hauteur de 30 %
*Taxe sur les emprunts étrangers : 1,2 %
par an
– Allongement des échéanciers et
stabilisation des apports de
capitaux
Sortie de capitaux : aucune restriction
significative
– Protection de l’économie contre
l’instabilité financière
Réglementations financières internes :
mesures réglementaires rigoureuses
Comparable au Chili
Entrée de capitaux
(a) Non-résidents
*Comptes bancaires réservés aux dépenses
nationales et non à la spéculation financière
*Participation étrangère au marché des
changes réglementée
*Investissement étranger direct strictement
réglementé
(b) Résidents
*Réglementation sur les emprunts auprès de
l’étranger
Sortie de capitaux
*Contrôles des changes
Réglementations financières internes :
*Restrictions sur les prêts immobiliers et les
prêts à fins spéculatives
54
– Aide à la gestion des t aux de
change pour maintenir la
compétitivité à l’exportation
Comparable au Chili
– Promotion de l’industrialisation
– Aide à la gestion des changes
pour maintenir la compétitivité à
l’exportation
– Maintien de la stabilité
financière et protection contre les
crises financières étrangères
Pays
Singapour
Malaisie
(1998)
Types de techniques
de gestion de capitaux
« Non-internationalisation » du dollar de
Singapour
Entrée de capitaux
– Prévention des attaques
spéculatives contre le dollar de
Singapour
Sortie de capitaux
Non-résidents
*Les instituions financières ne sont pas
autorisées à accorder de crédit en dollars de
Singapour à des non-résidents susceptibles
d’utiliser ces fonds à des fins spéculatives
*Lorsque les prêts contractés sont destinés à
être utilisés à l’étranger, les non -résidents
doivent obligatoirement convertir en devises
tout avoir en dollars de Singapour
– Soutien d’un faible arrimage du
dollar de Singapour à sa monnaie
de rattachement
Réglementations financières intérieures
*Restrictions sur les conversions en devises
et autres dérivés susceptibles d’être utilisés
pour la spéculation contre le dollar de
Singapour
Entrée de capitaux
*Restrictions sur l’emprunt auprès de
l’étranger
Sortie de capitaux
(a) Non-résidents
*Délai d’attente de 12 mois avant le
rapatriement des fonds
*Prélèvement de sortie progressive
inversement proportionnel à la durée de
séjour
(b) Résidents
*Contrôles des changes
Inde
Objectifs des techniques
de gestion de capitaux
Réglementations financières intérieures
(a) Non-résidents
*Accès restreint au ringgit
(b) Résidents
*Encourager l’emprunt et l’investissement
au niveau national
Entrée de capitaux
Non-résidents
*Strictes réglementations de
l’investissement étranger direct et des
investissements de portefeuille
Sortie de capitaux
(a) Non-résidents
*Aucune restriction
(b) Résidents
*Contrôles des changes
– Contribution au renforcement de
la compétitivité à l’exportation
– Protection de Singapour contre
les crises financières étrangères
– Maintien de la souveraineté
politique et économique
– Suppression du marché de
ringgit offshore
– Fermeture du marché des actions
offshore
– Renflouement de l’économie
– Elaboration d’une stabilité
financière et protection de
l’économie de toute contagion
éventuelle
– Soutien de la politique
industrielle
– Libéralisation du compte capital
de manière progressive et
contrôlée
– Protection de l’économie contre
toute contagion financière
Réglementations financières intérieures :
*Limitations strictes en matière de
développement des marchés financiers
nationaux
55
– Préservation de l’épargne
nationale et des réserves en
devises
– Stabilisation du le taux de
change
Pays
Chine
Types de techniques
de gestion de capitaux
Objectifs des techniques
de gestion de capitaux
Entrée de capitaux
Non-résidents
*Réglementation stricte de l’investissement
étranger direct sectoriel
*Réglementation de l’investissement en
actions : marché boursier segmenté
– Soutien à la politique industrielle
Sortie de capitaux
(a) Non-résidents
*Aucune restriction sur le rapatriement de
fonds
*Limitations strictes sur l’emprunt en
renminbi chinois à des fins spéculatives
(b) Résidents
*Contrôles des changes
Réglementations financières intérieures
*Limitations strictes pour les résidents et les
non-résidents
– Libéralisation du compte capital
de manière progressive et
contrôlée
– Protection de l’économie contre
toute contagion financière
– Renforcement de la souveraineté
politique
– Préservation de l’épargne
nationale et des réserves en
devises
– Maintien des taux de change à
des niveaux compétitifs
Source : Epstein et al. (2003)
Même lorsqu’il s’agit d’attirer des investissements directs, les pays concernés
devraient d’abord garantir que l’investissement en devises étrangères dans des entités
nationales ainsi que les revenus des exportations générées par celles-ci compensent
les sorties de devises à titre de redevances, de frais techniques, de dividendes et
d’importations. Cette approche assure une sauvegarde à long terme contre la
vulnérabilité à l’égard de l’étranger. Un des objectifs ultimes de la gestion des
investissements étrangers directs devrait être de veiller à ce que les opportunités
d’emploi créées par ces investissements ne soient pas inférieures au nombre d'emplois
déplacés en raison de l’activité de l’entité concernée.
IX.
CONCLUSIONS
En somme, les gouvernements devraient élaborer des politiques financières dans le
cadre de leurs stratégies nationales de développement qui tiennent compte des
éléments suivants :
•
Les marchés existants ne peuvent pas ni ne doivent correspondre à un idéal
générant des résultats optimaux que personne ne voudrait changer.
•
Bien plus que les marchés d’autres biens et services, les marchés financiers
disposent de caractéristiques induisant des résultats susceptibles de freiner la
croissance et d’aggraver les inégalités dans la répartition des bienfaits de la
croissance aux niveaux des secteurs, des régions, des groupes ou des individus
concernés.
•
La structure et le comportement des marchés financiers qui ne sont pas
socialement contrôlés et réglementés ne sont pas de nature à promouvoir les
objectifs de croissance et d’inclusion fina ncière.
•
Les marchés financiers livrés à eux-mêmes sont sujets à des défaillances, qui
mènent à la fermeture d’entreprises financières, à des pertes pour les
56
consommateurs et les clients, et à une fragilité financière aux conséquences
négatives sur le plan macroéconomique.
Par conséquent, une intervention est nécessaire pour garantir les éléments suivants :
•
la disponibilité du crédit pour des projets rentables, dans des secteurs
critiques, à des taux d’intérêt viables ;
•
l’accès aux marchés financiers pour tous ;
•
la stabilité et la bonne santé du système financier.
Il existe un arsenal complet d’options et de mesures susceptibles de réaliser chacun de
ces objectifs. Les gouvernements bénéficient de la liberté de choisir les politiques les
plus adaptées à leurs objectifs spécifiques, en fonction de leur contexte national, du
degré de développement et de diversification de leur système financier, de la latitude
de leur sphère d’influence et de la marge de manœuvrabilité dont ils disposent.
Cependant, de tels choix devraient permettre d’évoluer progressivement vers une
combinaison de meilleures pratiques en termes de politiques financières, capables de
promouvoir les objectifs de croissance, d’équité et de développement humain.
Il convient de préciser que la mise en application de ces différents ensembles de
mesures implique la participation de l’Etat, à des degrés et titres divers. Ceci soulève
la question de l’incapacité des pouvoirs publics, qui résulte non seulement de
certaines erreurs de jugement mais aus si du fait de la poursuite d’objectifs individuels
plutôt que sociaux, menée par les responsables gouvernementaux, du favoritisme et
de la corruption. Ainsi, les politiques évoquées doivent-elles être mises en œuvre dans
un cadre transparent, exigeant une divulgation totale des informations au public et
soumis à des contrôles de la part d’organismes démocratiquement établis.
57
X.
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