Numro 48, Fvrier 2009 - Canadian Foundation for Healthcare

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Numro 48, Fvrier 2009 - Canadian Foundation for Healthcare
Numéro 48, Février 2009
LA PARTICIPATION DU PUBLIC (PARTIE I)* : INCORPORER LES POINTS
DE VUE DE PROFANES DANS LA POLITIQUE DES SOINS DE SANTÉ :
POURQUOI? ET QUELS EN SONT LES DÉFIS?
MESSAGES CLÉS
•
Les opinions et les points de vue du public occupent une place déterminante dans
l’élaboration d’une orientation politique rigoureuse, éclairée par des données
probantes.
•
La participation du public à la prise de décisions en matière de politiques de santé peut
améliorer sa confiance à l’égard du système de santé.
•
Le public possède des connaissances importantes sur la santé, lesquelles doivent être
mises en application avec circonspection et justesse, conformément au contexte et au
but de la décision en question.
« De plus en plus, la légitimité et la viabilité de toute décision en matière de politique
majeure reposeront sur la prise en compte des valeurs fondamentales du public
sous-jacentes. »i
L’élaboration de politiques de santé éclairées par des données probantes dépend
beaucoup de la recherche et du savoir-faire technique d’experts. Néanmoins,
l’expérience, les opinions et les préférences des patients, du grand public et des
regroupements de protection du consommateur exercent également une influence
légitime et utileii, particulièrement dans la prise de décisions difficiles reposant sur un
choix de valeursi.
Pourquoi favoriser la participation du public?
Dans bien des cas, les décisions en matière de politiques de santé sont loin d’être
simples; souvent, il ne s’agit pas de soupeser des options de rentabilité et d’efficacité
diverses et d’autres facteurs dont l’importance a été déterminée par la recherche.
Parfois, la décision passe par des compromis devant lesquels la recherche ne nous
est d’aucune utilité, et ses effets peuvent ne pas être ressentis de la même façon par
tous les groupes de la population. Citons à titre d’exemple le régime de santé de
l’Oregon. Voilà 20 ans, l’État de l’Oregon a entrepris de sélectionner les options
thérapeutiques offertes aux prestataires de Medicaid dans l'espoir d’étendre
l'adhésion au régime. Le processus de sélection des options assurées par Medicaid
s’est déroulé sur la place publique dans le cadre d’une commission sur les services
de santé formée de 11 personnes, professionnelles ou profanes, qui a consulté des
experts et des représentants communautairesiii. Malgré les critiques virulentes à
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l’égard des travaux de la commission, notamment en les taxant de démesurément
ambitieuxiv, le processus a été considéré comme une expérience avant-gardiste,
pionnière sur laquelle s’appuyer pour susciter une plus grande participation du public
en santé aujourd’hui.
Des chercheurs du Priority Setting in Health Care Research Group de l’Université de
Toronto ont récemment exposé les motifs pour lesquels la participation du public à
l’établissement des priorités en santé est utile : (1) le public est l’intervenant le plus
important du système de santé; (2) la participation du public est conforme au
principe démocratique; (3) le public peut offrir un aperçu des valeurs et des priorités
de la collectivité; (4) la participation du public améliorera sa confiance à l’égard du
système de santév. D’ailleurs, l’expérience de la Commission Romanow sur l’avenir
des soins de santé au Canada illustre parfaitement cette utilité. Pour remplir son
mandat de reformuler le contrat des soins de santé, la Commission a tenu 12
journées d’audience publique dans tout le pays; chaque jour, 40 citoyens
représentant divers groupes, que ce soit les patients, les contribuables ou les
membres de la collectivité, ont pris la parole. Ils ont été à même de se familiariser
avec les enjeux du système de santé et d’être mieux préparés au changement à
venir. Ainsi, l’appui des participants à une hausse de taxe ou d’impôt pour
augmenter les ressources sanitaires est passé de 48 % à 61 % dans l'ensemblei.
Quant à la Commission, elle souligne ouvertement la grande influence de ce dialogue
avec le public, ne serait-ce que par le titre de son rapport publié en novembre 2002 :
Guidé par nos valeurs : L’avenir des soins de santé au Canada.
De plus en plus, l’évaluation des technologies de la santé (ETS) fait appel au public.
Le concept même de l’ETS – projet de recherche qui évalue l’efficacité clinique de
traitements – commence à s’élargir pour englober, outre l’interprétation de
l’efficacité clinique, l’examen non seulement de la rentabilité et de l’innocuité de la
technologie à l’étude, mais également de ses répercussions sur la qualité de vie et de
la satisfaction du patientvi. Au fil de l’expansion de ce domaine de recherche, il sera
de plus en plus nécessaire d’y faire participer le public, notamment pour connaître
ses valeurs, éléments essentiels pour éclairer les recommandations en matière de
services assurésvii. Au Royaume-Uni, le National Institute for Health and Clinical
Excellence sollicite la participation des représentants du public et de groupes
d’intervenants dans l'évaluation de certaines technologiesviii. La démarche a pour but
de faire entendre le point de vue des citoyens dans le cadre de l’évaluation, tout en
donnant à ceux-ci l’occasion de cerner les lacunes dans les données probantes
disponibles ou dans leur interprétationii.
Problèmes et solutions
Les chercheurs ont atténué certaines difficultés posées par la perspective de la
participation accrue du publicv. L’une des difficultés de la prise en compte du point
de vue du public vient du sens très large de l’expression « point de vue » – de la
simple affirmation personnelle de l'efficacité d’un traitement au vaste exercice de
réflexion approfondie auquel participe le patient ou le public, et au cours duquel
plusieurs personnes expriment leur opinion. Plutôt que de s’en remettre au seul
témoignage d’une personne ou d’un petit groupe, peu fiable et source de biais
potentielle, il est préférable d’adopter une méthode de prise en compte systématique
du point de vue de nombreuses personnes. Le risque d’accorder une importance
injustifiée aux connaissances des participants au détriment d’autres données
probantes, dont celles provenant d’essais cliniques ou de la recherche, préoccupe
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égalementix . Pour dissiper ces préoccupations et réduire au minimum le risque de
partialité, l’étude méthodique des données probantes doit prévoir l'examen d’études
qualitatives conçues dans les règles de l’art, garantes de l'analyse rigoureuse de
l’expérience des patientsx.
Reste encore que le choix du mode de participation du public pose un défi
également; les enquêtes et les sondages, les entrevues, les groupes de discussion,
les journées portes ouvertes et les assemblées publiques sont des stratégies
réputées ayant pour objectif de susciter la participation du public. La stratégie de
plus en plus privilégiée par le secteur de la santé est celle du processus de
délibération*. Ces modes de consultation du public ont chacun leur coût; ainsi, le
coût total des audiences de la Commission Romanow s’est élevée à près de 1,3
million de dollarsi. Bien que plus dispendieux que le sondage, le dialogue avec le
public est essentiel lorsque les décisions se fondent sur des jugements de valeur.
Quelle que soit la stratégie choisie cependant, il importe d’établir des lignes
directrices avant même le début de l'exercice, qui détermineront les modalités de
prise en compte des témoignages personnels et des connaissances des participants.
Conclusion
Il est bien sûr possible de répondre à une question stratégique sans s’enquérir de
l’opinion du public ou des patients à ce sujet, mais l’idée de tenir compte de ce qu’ils
en pensent trouve sa justification dans l’objectif d’en arriver à des politiques solides
et éclairées. Ceci étant, le point de vue du public doit être pris en considération
conformément à l’intention originale, à savoir orienter l’élaboration des politiques par
la prise en compte de toutes les données probantes pertinentes. Dans la même
veine, l’opinion publique doit être sondée de manière appropriée selon le contexte et
le but de la décision en question.
*La participation du public (partie II) : Comment les processus de
délibération permettent-ils d’atteindre une participation du public
importante? vient conclure ce numéro double sur la participation du public.
Référence(s)
i. Maxwell J et coll. 2003. « Giving citizens a voice in healthcare policy in Canada ».
British Medical Journal; 326:1031-1033.
ii. Entwistle VA et coll. 1998. « Lay perspectives: Advantages for health research ».
British Medical Journal; 316: 463-466.
iii. Ham C. 1998. « Retracing the Oregon trail: The experience of rationing and the
Oregon health plan ». British Medical Journal; 316: 1965-1969.
iv. Alakeson V. 2008. « Why Oregon went wrong ». British Medical Journal; 337:
900-901.
v. Bruni RA et coll. 2008. « Public engagement in setting priorities in health care ».
Journal de l’Association médicale canadienne; 179(1): 15-18.
vi. Fuchs V et Garber A. 1991. « The new technology assessment ». New England
Journal of Medicine; 324(6): 421.
© Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
vii. Abelson J et coll. 2007. « Bringing ‘the public’ into health technology assessment
and coverage policy decisions: From principles to practice ». Health Policy; 82: 3750.
viii. National Institute for Clinical Excellence. 2004. Guide to methods of technology
appraisal (reference N0515).
ix. Quennell P. 2003. « Getting a word in edgeways? Patient group participation in
the appraisal process of the National Institute for Clinical Excellence ». Clinical
Governance; 8(1): 39-45.
x. Leys, M. 2003. « Health care policy: Qualitative evidence and health technology
assessment ». Health Policy; 65: 217-226.
Lecture complémentaires
Abelson J et coll. 2004. « Canadians confront health care reform ». Health Affairs;
23(3):186-193.
Abelson J et Eyles J. 2004. « Public participation and citizen governance in the
Canadian health system ». In Les études de la Commission Romanow sous la
direction de Gregory P. Marchildon, Toni McIntosh et Pierre-Gerlier Forest, volume 2
(pp. 279-311). Toronto : Presses de l’Université de Toronto.
Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé 2007. Thèmes
prioritaires : Processus décisionnel fondé sur des valeurs et la participation du public.
Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada. 2002. Guidé par nos valeurs :
L’avenir des soins de santé au Canada. Rapport final. Ottawa : Commission sur
l'avenir des soins de santé au Canada.
Kenny N et coll. 1997. Rapport de synthèse du groupe de travail sur les valeurs In La
santé au Canada : un héritage à faire fructifier – Volume II. Ottawa : Forum national
sur la santé.
© Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé

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