Table des mati.res (7.1)
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Table des mati.res (7.1)
Entre la rhétorique et les données probantes: enjeux théoriques et méthodologiques Point de vue Gaston Godin Université Laval Introduction D ans ce numéro thématique de la revue Ruptures, une série de quatre textes traite des enjeux auxquels sont confrontées les acteurs en promotion de la santé et en santé publique. Parmi ces enjeux, il y a ceux en la nécessaire démonstration de l’efficacité des actions et interventions dans le champ de la promotion de la santé et, de ce fait, de la sélection et de l’utilisation des indicateurs de performance. Le texte qui suit est un commentaire sur ces enjeux qui touchent des aspects à la fois théoriques et méthodologiques. La promotion de la santé est un concept relativement récent qui a émergé d’une remise en question des interventions en santé publique qui visent les individus et la modification de leurs comportements (p. ex. , habitudes de vie malsaines). Au début des années soixante-dix, le questionnement principal portait sur le peu d’impact des interventions de prévention de la maladie et d’éducation sur l’état de santé des individus. Le débat qui a suivi a remis en question, non seulement l’efficacité des interventions éducatives et préventives pour améliorer la santé des individus, mais également l’à-propos de leur utilisation. On a alors proposé que pour intervenir dans le champ de la promotion de la santé, on devait privilégier non pas les décisions individuelles en regard des comportements à modifier, mais surtout l’action sur des facteurs liés à l’environnement culturel et social. Il y eut alors un déplacement de l’objet d’étude et d’intervention, soit de l’individu, vers l’environnement culturel et économique. Cette nouvelle perspective de promotion de la santé adoptait une nouvelle cible d’intervention : le communautaire, et ce, peu importe le problème en cause et les groupes visés et surtout sans démonstration tangible de l’efficacité de cette perspective. Ce bref rappel historique des tendances observées dans le champ de la promotion de la santé met en lumière la thèse soutenue par Fassin (2000). Cet auteur fait valoir que ce genre de débat est caractéristique de la santé publique (dans lequel s’inscrit la promotion de la santé), car celle-ci a l’habitude de maintenir un discours sur ce qu’elle est. On note, dans le texte de Fassin, une préoccupation importante pour éveiller les adeptes de la promotion de la santé et de la santé publique à la nécessité d’aller au-delà du discours et de fournir les efforts nécessaires afin de faire la démonstration de l’efficacité de ses interventions. Ainsi, Fassin discute la question suivante : « .( )...pourquoi la santé publique ne peut-elle exister que dans cet incessant discours sur elle-même, que ce soit pour affirmer un programme toujours plus ambitieux ou pour dénoncer ses propres insuffisances ? ». À cet égard, la mise au rancart du discours portant sur l’individu et l’éducation Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, vol.7, n°1, 2000, pp. 132-149. Entre la rhétorique et les données probantes : enjeux théoriques et méthodologiques 133 pour la santé et l’adoption de celui du communautaire et de la promotion de la santé constitue un bel exemple de cette démarche. L’impératif pour la santé publique et la promotion de la santé de démontrer son efficacité est, selon Fassin, une exigence sociale incontournable. En fait, il est reconnu que les investissements en fonds publics doivent se justifier et que les sommes investies doivent être soumises à des critères d’imputabilité. Pour la promotion de la santé se pose alors toute la question du « quoi » (c.-à-d., ce qu’on évalue) ainsi que celle du « comment » (c.-à-d., de quelle façon doivent être évalués les effets des interventions en promotion de la santé). Le texte de McQueen et Anderson (2000) traite de ces deux aspects afin de produire ce qu’ils appellent des «données probantes pertinentes». Ainsi, McQueen et Anderson abordent la discussion de ces enjeux par celui de la définition du champ disciplinaire et du développement nécessaire des fondements théoriques. Ils notent, entre autres, que si la promotion de la santé est vue comme une discipline, il y a nécessité de développer le champ théorique avant d’identifier les indicateurs d’évaluation de la promotion de la santé. Cependant, si la promotion de la santé est vue comme un champ d’étude et d’intervention, son corpus de connaissances et la sélection des indicateurs d’évaluation reposent alors sur l’emprunt et l’adaptation des fondements théoriques des disciplines de référence. Le texte de McQueen et Anderson ne permet pas de savoir, de façon certaine, à laquelle des deux visions ils souscrivent. Cependant, partant du constat que les gens œuvrant en promotion de la santé ne réussissent pas à faire comprendre le fondement théorique et épistémologique de la promotion de la santé moderne, ni à conscientiser les personnes extérieures à ce domaine, ils proposent que la promotion de la santé adopte un usage plus large (laxiste) du terme «données probantes». Pour ma part, je crois qu’il faut éviter d’adopter une vision laxiste de l’expression «données probantes ». La recherche des indicateurs d’évaluation adaptés à la promotion de la santé constitue un enjeu important, car ces indicateurs influencent la nature des travaux permettant la démonstration de son efficacité. C’est d’ailleurs l’avis de plusieurs comités de travail, comme le précise le texte de McQueen et Anderson (2000). En fait, une position laxiste contribue non seulement au renforcement de la thèse élaborée par Fassin (2000), mais démontre aussi à quel point la promotion de la santé est un discours plus fortement porté sur la rhétorique que sur les résultats. De plus, le point de vue d’autres auteurs appuie le fait que la promotion de la santé n’est pas une discipline, mais un champ d’étude et d’intervention (O’Neill & Cardinal, 1994). À ce titre, elle puise ses fondements théoriques et méthodologiques dans les autres disciplines. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que plusieurs secteurs de la promotion de la santé (comme champ d’étude) bénéficient de développements théoriques et méthodologiques fort avancés et qu’il serait grandement temps de reconnaître cette réalité. Prenons comme exemple les données contemporaines en éducation pour la santé privilégiant l’approche individuelle. Plusieurs écrits démontrent avec clarté, contrairement à ce qui était remis en cause au début des années soixante-dix, non seulement que l’éducation à la santé se base sur des fondements théoriques solides mais également qu’elle s’avère une stratégie efficace pour favoriser l’adoption de comportements sains lorsqu’elle est planifiée selon certaines conditions appropriées de mise en œuvre (Bartholomew, Parcel, & Kok, 1998). Entre autres, l’une des conditions gagnantes en éducation pour la santé consiste à assurer que le développement des interventions soit effectué à partir de bases théoriques reconnues (Rakowski, 1999). Parmi ces dernières, plusieurs publications rapportent des résultats qui mettent en valeur l’usage de théories issues des domaines de l’éducation et de la psychologie sociale. Par exemple, Schaalma, Kok, Bosker et collaborateurs (1996) ont observé dans le milieu scolaire néerlandais qu’une intervention éducative basée sur les théories sociales cognitives se révélait plus efficace que le programme d’éducation standard pour changer les cognitions des jeunes. De plus, par rapport au programme d’éducation standard portant surtout sur les connaissances des maladies transmissibles sexuellement (MTS), sur les méthodes de prévention et l’éducation sexuelle en général, une intervention de nature psychosociale s’est avérée plus efficace pour abaisser de façon significative la proportion des jeunes 134 Gaston Godin pratiquant des comportements à risque de transmission du VIH. Des résultats similaires ont été rapportés par d’autres auteurs (Bryan, Aiken, & West, 1996; DiClemente & Wingood, 1995; Jemmott III, Jemmott, & Fong, 1998) et les résultats de diverses méta-analyses confirment ces observations (Kalichman, Carey & Johnson, 1996; Kok, Van Den Borne, & Dolan Mullen, 1997). Cependant, malgré ces succès, plusieurs auteurs refusent encore de reconnaître les mérites de cette approche éducative et, prenant appui sur un paradigme de recherche différent (constructiviste par rapport à positiviste), insistent pour l’abandon des interventions visant le changement des comportements individuels (p. ex. Joffe, 1996) ; à leur avis, on devrait porter plus d’attention aux conditions culturelles et sociales. En fait, même si ces derniers facteurs sont reconnus comme très importants, il est malheureux que les arguments invoqués dans le débat reposent davantage sur un discours disciplinaire plutôt que scientifique (Abraham, Sheeran, & Orbell, 1998). En somme, plutôt que de se réjouir des succès enregistrés, la rhétorique émerge à nouveau et le discours porte sur les enjeux de nature disciplinaire et méthodologique. McQueen et Anderson (2000) ont observé que les tendances principales qui ont prévalu en promotion de la santé sont celles de la promotion de méthodes qualitatives en opposition à l’utilisation d’approches quantitatives. Les conséquences sont claires : on assiste à une remise en question des fondements utilisés pour le développement des interventions. Ce faisant, on met de côté les théories qui ont été développées au fil des ans et on revendique l’application de nouvelles démarches, afin de mieux rendre compte des phénomènes à l’étude. Cependant, cette position va à l’encontre non seulement des résultats scientifiques rapportées dans les paragraphes précédents, mais aussi de la position de McQueen et Anderson qui précisent que l’utilisation d’une méthode de recherche résulte de la question de recherche et du cadre théorique adopté pour son étude. Ignorer cette prémisse c’est agir comme si la méthode devenait la finalité, plutôt qu’un moyen ; on ignore ainsi l’avancement des connaissances sur les problématiques du champ de la promotion de la santé. On ne peut certainement pas réclamer un investissement financier accru pour la promotion de la santé sur la base d’un laxisme. À l’origine, les adeptes de la promotion de la santé ont justifié l’importance de ce domaine en dénonçant les insuccès des approches classiques (entre autres, médicales) pour solutionner les problèmes de santé et pour produire des résultats concrets; encore aujourd’hui, cet argument est invoqué. Par contre, maintenant que l’étau se resserre et que les attentes de démonstration de résultats pointent à l’horizon, la promotion de la santé ne peut se contenter de réclamer et de proclamer sa différence. Elle doit faire la démonstration de ses résultats. Les textes de Pluye, Potvin, et Denis (2000) et de Lévesque, Richard, Duplantie et al. (2000) s’inscrivent dans cette perspective. Le texte de Pluye et collaborateurs (2000) touche un aspect important en promotion de la santé, soit l’impact que produisent les projets pilotes sur les organisations. En effet, l’un des buts de la recherche en promotion de la santé est d’influencer la pratique dans les organisations et en cela, il est souhaité que les projets pilotes laissent leurs traces dans les organisations et sur les pratiques et contribuent ainsi à l’atteinte des résultats espérés. Le but de leur article est donc de présenter une autre vision de la pérennisation organisationnelle des projets pilotes en promotion de la santé, soit celle de la routinisation. Entre autres, une autre facette à l’évaluation des interventions en promotion de la santé y est proposée. On y fait la démonstration que les concepts d’institutionnalisation et de pérennisation ne semblent pas les meilleurs, car ils reposent sur des prémisses d’évaluation plus ou moins appropriées pour juger des retombées, pour une organisation, de l’implantation d’un projet pilote en promotion de la santé. La notion de routinisation serait préférable, car elle ne conduit pas au jugement sur la nature bonne ou mauvaise des retombées pour l’organisation du projet pilote comparativement à la notion de pérennisation jugée positive seulement si l’intervention s’implante de manière récurrente dans l’organisation. Cette vision paraît intéressante, mais soulève le questionnement suivant : quelle valeur doit être accordée à un projet pilote qui modifie les façons de faire, la routine, mais dont les résultats visés ne sont pas atteints ? Il me semble que l’adoption du concept de routinisation peut constituer Entre la rhétorique et les données probantes : enjeux théoriques et méthodologiques 135 une vision intéressante, mais elle demeure incomplète pour représenter un indicateur d’évaluation des actions en promotion de la santé et ainsi contribuer à générer des « données probantes pertinentes ». L’article de Lévesque et collaborateurs (2000) nous montre une autre facette de la recherche sur les nouveaux indicateurs d’évaluation pertinents en promotion de la santé. Dans leur texte, les auteurs présentent en détail un outil d’analyse qui permet la description et l’évaluation des interventions dans les programmes de promotion de la santé, en fonction de leur degré d’intégration de l’approche écologique. Cet outil permet, entre autres, de dégager quelques perspectives sur les pratiques professionnelles en promotion de la santé, par l’examen du caractère écologique des interventions. Ceci permet également de vérifier la présence d’une approche multicibles-multimilieux, telle que préconisée dans la perspective écologique. L’outil facilite ainsi une lecture critique de l’effort de programmation et ce, quelle que soit l’étape du processus de planification des programmes : de l’étude de besoins jusqu’à l’évaluation du programme. À partir d’une perspective d’évaluation, ce type d’outil suscite de l’intérêt. Toutefois sa façon d’arriver à la production de données probantes n’est pas établie précisément. En fait, l’outil permet un regard sur la nature des activités réalisées, mais ne mesure pas l’impact qu’elles ont eues. D’un autre point de vue, cet article illustre comment les profanes de la méthode quantitative et de la statistique sont confrontés à des difficultés de compréhension du traitement des données et des résultats générés. On peut alors comprendre pourquoi les données qualitatives sont populaires auprès des utilisateurs de données ; ces derniers peuvent plus facilement comprendre (ou en avoir l’illusion) les résultats obtenus. Même l’accès aux méthodes apparaît plus simple. En résumé, chacun des quatre textes nous offre des pistes de réflexion très intéressantes, car ils s’inscrivent dans la recherche d’une définition plus claire du champ de la promotion de la santé et de l’identification d’indicateurs d’évaluation pertinents pour la production de données probantes. Ces textes ont le mérite de contribuer à ce débat. Il est à espérer, cependant, que la réflexion qu’ils susciteront ne conduira pas à une prise de position qui étaie davantage la thèse soutenue par Fassin (2000) et que les adeptes de la promotion de la santé fourniront plus d’efforts dans la recherche de résultats probants que dans la rhétorique.❑ 136 Gaston Godin Références Abraham, C., Sheeran, O., & Orbell, S. (1998). Can social cognitive models contribute to the effectiveness of HIV-preventive behavioural interventions ? A brief review of the literature and a reply to Joffe (1996 ; 1997) and Five-Schaw (1997). British Journal of Medical Psychology, 71, 297-310. Bryan, A.D., Aiken, L.S., & West, S.G. (1996). Increasing condom use : Evaluation of a theory-based intervention to prevent sexually transmitted diseases in young women. Health Psychology, 15, 371-382. Bartholomew, L.W., Parcel, S.G., & Kok, G. (1998). Intervention mapping : A process for developing theory-and evidence-based health education programs. 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Il coordonne les travaux de recherche d’une équipe financée par le Fonds pour la formation de chercheurs et de l'aide à la recherche (FCAR) en ce qui a trait à l’étude des processus d’adoption et de changement des comportements dans le domaine de la santé. Il est aussi le directeur scientifique du groupe de recherche sur la prévention des MTS/sida, financé par le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS). Ses intérêts en recherche se concentrent sur l’étude des mécanismes d’adoption et de maintien des comportements dans le domaine de la santé, et des stratégies de promotion qui en découlent.