À la découverte des jeunes latinos
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À la découverte des jeunes latinos
À la découverte des jeunes latinos qui fréquentent les gangs de rue à Montréal Par Marie Tremblay Les Latinos dans l’histoire des gangs Les gangs formés principalement ou même exclusivement de Latinos seraient, selon certains, les plus anciens aux États-Unis (Landre et coll., 1997; Haut et Quéré, 2001). Une étude menée en 2004 par le Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention (OJJDP) soutient que les Hispanophones/Latinos serait le groupe ethnique le plus représenté dans les gangs aux États-Unis comptant pour 49% (Snyder et Sickmund, 2006). De fait, gangs de rue composés de Latinos auraient pris de l’expansion dans les années 1980 avec la nouvelle vague d’immigration provenant de l’Amérique Centrale et du Mexique (Haut et Quéré, 2001). Aujourd’hui, il est reconnu que les gangs de rue composés de Latinos sont bien établis aux États-Unis, spécialement dans le sud de la Californie (Delaney, 2006 : 139). La « M-18 » et la « MS-13 » sont deux des plus importants gangs de Latinos qui s’y retrouvent (Grascia, 2004). La « M-18 » existerait depuis les années 1960 et aurait été formée, à l’origine, de jeunes Mexicains nouvellement immigrés aux États-Unis (Haut et Quéré, 2001; Revelli, 2004; Delaney, 2006), tandis que la « MS-13 », initialement composée de Salvadoriens, serait née dans les années d’immigration massive, aux États-Unis toujours au début des années 1980 (Grascia, 2004; Delaney, 2006). Depuis leur début aux États-Unis, les conflits entre les « M-18 » et les « MS-13 » se seraient diffusés à travers les États-Unis (Grascia, 2004), dans les différents pays de l’Amérique Centrale (Andino Mancias et coll., 2002) et au Mexique (Revelli, 2004; Delaney, 2006). Finalement, la « MS-13 » et la « M-18 » seraient, depuis les dernières années, également actifs au Canada (Revelli, 2004) et, plus spécialement, à Montréal. Toutefois, l’état des connaissances sur le phénomène des Latinos qui fréquentent les gangs de rue à Montréal se révèle sans contredit embryonnaire. Méthodologie L’objectif général de notre étude était de comprendre les expériences vécues par les jeunes latinos qui fréquentent les gangs de rue à Montréal, selon leur point de vue, et d’explorer leurs connaissances et leurs perceptions quant aux gangs de rue composés de Latinos en Amérique du Nord et en Amérique Centrale. Plus spécifiquement, il s’agissait de : 1) connaître les motifs et circonstances qui conduisent les jeunes Latinos à fréquenter ou à se joindre aux gangs de rue à Montréal; 2) connaître l’expérience vécue par les jeunes Latinos en lien avec les gangs de rue à Montréal, des premiers contacts à la désaffiliation, le cas échéant; 3) tenter de mettre l’expérience des jeunes Latinos qui fréquentent les gangs de rue à Montréal en contexte, en tenant compte des différentes sphères de la vie du jeune (la famille, l’école, la religion,…); 4) explorer les perceptions des jeunes Latinos quant aux gangs de rue composés de Latinos en Amérique du Nord et en Amérique Centrale afin de cerner si ces perceptions teintent plus ou moins leur discours sur les gangs de rue composés de Latinos à Montréal. Quatorze entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des jeunes latinos qui fréquentent ou qui ont fréquenté les gangs de rue à Montréal. Ces entretiens concernent seize jeunes, car l’un d’eux a été réalisé avec trois jeunes simultanément. Nous avons utilisé les techniques d’échantillonnages par « tri-expertisé » et par « boule de neige » pour identifier les jeunes susceptibles de participer à notre étude. Les jeunes Latinos interviewés étaient âgés entre 14 et 22 ans (moyenne = 17,4 ans). Les pays d’origine de ces jeunes étaient le Salvador (n=5), le Guatemala (n=3), le Honduras (n=1), le Mexique (n=1), le Pérou (n=1), le Panama (n=1), le Costa Rica (n=1), à la fois le Guatemala et le Nicaragua (n=1), le Panama et les États-Unis (n=1) et le Salvador et le Guatemala (n=1). Six jeunes sont nés au Québec tandis que les neuf autres sont nés dans leur pays d’origine et un est né aux États-Unis. Les jeunes Latinos interviewés ont joint les gangs entre l’âge de 8 et 16 ans (moyenne=12,9 ans) et ont passé entre 2 et 11 ans (moyenne= 4,3 ans) dans les gangs. Au moment des entrevues, huit jeunes se disaient désaffiliés, six affirmaient être encore membres et deux mentionnaient seulement fréquenter les gangs. L’expérience vécue par les jeunes latinos qui fréquentent les gangs de rue à Montréal En général, les jeunes Latinos qui fréquentent les gangs de rue à Montréal vivent une expérience qui paraît similaire à celle vécue par les autres jeunes, en général, qui fréquentent les gangs de rue à Montréal. De fait, les récits que font les jeunes que nous avons interviewés ne diffèrent pas tellement de ceux relatés par les jeunes interviewés dans le cadre d’autres études québécoises (Hamel et coll., 1998 ; Fournier, 2003 ; Perreault et Bibeau, 2003 ; Cousineau, et coll., 2005 ; Désormeaux, 2006). Un aspect qui revient souvent vaut tout de même la peine d’être plus spécifiquement traité étant donné la place qu’il prend dans les récits des jeunes, à savoir ; l’influence de la famille sur l’adhésion aux gangs de rue. L’influence de la famille Comme l’ont montré plusieurs auteurs (Vigil, 1988; Jankowski, 1991; Spergel, 1995; Decker et Van Winkle, 1996; Hamel et coll., 1998; Landre et coll., 2001), un aspect important qui est ressorti de notre étude est la présence de membres de la famille du jeune dans les gangs comme facteurs susceptible de mener ce dernier à se joindre aux gangs. En fait, la majorité (n=13) des jeunes Latinos participant à l’étude avaient de la famille ayant fait partie des gangs de rue à un moment de leur vie ou même qui étaient toujours dans les gangs au moment où nous les rencontrons, que ce soit à Montréal (n=3), dans leur pays d’origine (n=7) ou aux deux endroits (n=3).. Pour les jeunes interviewés indiquant avoir été amené par un ou des membres de leur famille à se joindre aux gangs, cette influence proviendrait majoritairement, selon leurs dires, de grands frères ou de cousins. Malgré que leur expérience des gangs présente plusieurs similitudes avec celle vécue par l’ensemble des jeunes qui s’y associent, certains aspects nous qui nous ont été révélés, ayant trait notamment aux premiers contacts avec l’univers des gangs et à certains facteurs de risque susceptibles d’y conduire, nous ont parus inédits. Nous voulons ici mettre l’accent sur ces aspects nous paraissant plus nouveaux. Premiers contacts et nouveaux facteurs de risque d’adhésion aux gangs Les voyages dans leur pays d’origine Depuis leur arrivé au Canada, neuf jeunes ont revisité leur pays d’origine tandis que les sept autres n’y sont jamais allés ou n’y sont jamais retournés. Parmi les jeunes qui ont revisité leur pays d’origine, certains se caractérisent par des visites fréquentes et de multiples contacts entretenus avec leur famille restée là-bas. Ceci pourrait avoir contribué à leur adhésion aux gangs puisqu’à chaque fois qu’ils visitaient ou avaient des contacts avec les membres de leur famille restée dans leur pays d’origine, ils étaient exposés au phénomène des gangs de rue là-bas. Certains jeunes Latinos participant à notre étude se caractérisent ainsi par l’endroit où a eu lieu leur premier contact avec les gangs de rue. Dix ont eu ces premiers contacts dans leur pays d’origine avant leur immigration au Canada (n=4) ou lors d’un voyage (n=6) tandis que six autres jeunes ont eu ces premiers contacts avec l’univers des gangs à Montréal. La séparation d’avec un proche La séparation d’avec un proche, soit par suite d’un déménagement ou de sa mort (naturelle ou précipitée), peut s’avérer une raison pour laquelle un jeune commence à fréquenter les gangs de rue. La séparation pourrait être d’autant plus difficile à accepter pour un jeune que la personne est significative pour lui ou que la distance les séparant est grande. Deux jeunes interviewés ont identifié un tel événement comme étant lié au commencement de leur aventure dans les gangs. Quatre précisent que leur adhésion à un gang a été motivée par le meurtre d’un proche imputable à un gang adverse. Inversement, la mort d’un proche peut constituer un facteur de protection,, amenant le jeune à ne pas se joindre aux gangs de rue. Les renvois temporaires Un phénomène inquiétant mis en lumière par notre étude porte sur le renvoi temporaire d’un jeune Latino en difficulté dans son pays d’origine. En fait, deux jeunes que nous avons rencontrés ont fait l’objet d’une telle sanction. Dans les deux cas, la mère a renvoyé le jeune vivre dans sa famille dans son pays d’origine, pour une période d’un an, arguant qu’il avait trop de problèmes dans la société québécoise. Ces deux jeunes ont joint les gangs de rue dans leur pays d’origine lors de ce séjour pour ensuite continuer leur expérience dans les gangs à Montréal à leur retour. Des Latinos dans les gangs ou des gangs de Latinos à Montréal? Nous avons demandé aux jeunes Latinos interviewés si, selon eux, en se référant à la « 13 » et à la « 18 » à Montréal, on y retrouvait des Latinos dans les gangs ou des gangs de Latinos. L’opinion est apparue divisée entre les jeunes. Huit soutiennent qu’à Montréal on trouve des gangs de Latino, trois considèrent que les deux situations sont possibles et un jeune était d’avis qu’à Montréal on rencontre des Latinos dans les gangs mais pas véritablement de gangs de Latinos. Les quatre autres jeunes ne se sont pas prononcés sur le sujet. Nous en concluons que la «13» et la «18» à Montréal sont plutôt perçus par les jeunes participants à notre étude comme étant des gangs de Latinos. Malgré le fait qu’ils acceptent des jeunes d’autres origines ethniques dans leurs gangs, la composition de ces gangs serait tout de même majoritairement Latino. Reste que certains jeunes Latinos pourraient aspirer à joindre d’autres gangs non Latinos ou à monter dans les rangs du crime organisé, devenant alors un Latino dans les gangs. Quelques pistes d’interventions Suite aux expériences des jeunes exposées précédemment, nous proposons d’offrir des ressources aux parents dépassés par le comportement de leur jeune qui ne voient d’autres choix que de le renvoyer dans leur pays d’origine puisqu’un tel renvoi pourrait contribuer à l’adhésion du jeune aux gangs. Il ne faut pas oublier qu’il est des jeunes qui vivent loin de certains membres de leur famille et que ceci peut constituer une épreuve difficile pour eux. S’intéresser à la famille du jeune à Montréal, mais aussi dans son pays d’origine ou aux États-Unis et aux expériences qu’il est appelé à vivre dans son pays d’origine (s’il y a lieu) pourrait conduire à mieux connaître le jeune et, partant, à mieux intervenir auprès de lui. Références Andino Mancias, T., Bussi Flores, R., Becker, D. (2002). Las Maras en Honduras. Tegucigalpa, Honduras: Frinsa Impresos. Balencie, J.-M., de La Grange, A. (2005). Les Nouveaux Mondes rebelles : Conflits, terrorisme et contestations. Paris : Éditions Michalons. Cousineau, M.-M., Hamel, S., Fournier, M. (2005). Les gangs du point de vue des jeunes: Leur signification dans une trajectoire de vie. In N. Brunelle et M.-M. Cousineau (Eds). Trajectoires de déviance juvénile: Les éclairages de la recherche qualitative. (pp. 97-120). Québec: Presse de l’Université du Québec. Decker, S.H., Van Winkle, B. (1996). Life in the Gangs: Family, Friends, and Violence. New York: Cambridge University Press. Delaney, T. (2006). American Street Gang. Upper Saddle River, NJ : Pearson Prentice Hall. Désormeaux, F. (2006). La peur dans les gangs de rue : un sentiment peu connu qui colore l’expérience de leurs membres. Mémoire de maîtrise inédit. Montréal : Université de Montréal, École de criminologie. Fournier, M. (2003). Jeunes filles affiliées aux gangs de rue à Montréal : cheminement et expériences. Université de Montréal, CICC. Grascia, A.M. (2004). Gang Violence: Mara Salvatrucha-“Forever Salvador”. Journal of Gang Research, 11 (2), 29-36. Hamel, S., Fredette, C., Blais, M.F. et Bertot, J. (1998). Jeunesse et gang de rue Phase II. Résultats de la recherche-terrain et proposition d’un plan stratégique quinquennal. Montréal. Institut de recherche pour le développement social des jeunes. Haut, F. et Quéré, S. (2001). Les bandes criminelles. Paris, Presses universitaires de France. Jankowski, M.S. (1991). Islands in the Street: Gangs and American Urban Society. Los Angeles: University of California Press. Landre, R., Miller, M., Porter, D. (1997). Gangs : A Handbook for Community Awareness. New York: Facts on File, Inc. Perreault, M., Bibeau, G. (2003). La gang: un chimère à apprivoiser. Montréal : Éditions Boréal. Revelli, P. (2004). Derrière la violence des gangs du Salvador. 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