Le mariage des couples gays divise l`Eglise réformée
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Le mariage des couples gays divise l`Eglise réformée
3 24 heures | Lundi 15 octobre 2012 Point fort Le mariage des couples gays divise l’Eglise réformée Débat Début novembre, le Synode des Eglises protestantes vaudoises décidera si les homosexuels pacsés ont droit à la bénédiction de Dieu. Etincelles en vue «On nous a bénis dans une forêt» Mariés Pour Robert Chatelan et Jacques Alain Clément, une union devant Dieu était plus importante que le pacs. GÉRALD BOSSHARD L’essentiel U Le Conseil synodal dit oui L’exécutif de l’Eglise réformée vaudoise est favorable à la bénédiction U Les évangéliques disent non Un rapport d’opposants dénonce un encouragement au «style de vie gay» U La peur de la scission Le Synode («parlement») pourrait refuser d’entrer en matière Pascale Burnier Textes V erra-t-on prochainement deux femmes ou deux hommes s’avancer vers l’autel, tout de blanc vêtus, pour s’unir devant Dieu? Cette question crée la discorde au sein de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV). Le Synode, parlement de l’EERV, se prononcera sur la bénédiction des couples homosexuels pacsés les 2 et 3 novembre prochain. Un «oui» placerait les protestants vaudois dans le cercle des neuf Eglises réformées suisses déjà favorables à ce rite. Parmi les cantons romands, Jura et Fribourg l’ont accepté, contrairement à Neuchâtel et Genève. De son côté, le conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse s’est déjà engagé en 2005 en faveur de cette bénédiction. Les Eglises catholiques ou orthodoxes rejettent cette idée. Aujourd’hui, le signal est fort. Le Conseil synodal, à savoir les sept membres de l’exécutif de l’EERV, a rendu un rapport favorable au mariage gay. «Il n’y a pas de raison de refuser une bénédiction de Dieu à un groupe de la population en fonction de son orientation sexuelle, explique Line Dépraz, membre du Conseil synodal. Nous avons pris la mesure du changement de VC1 Contrôle qualité paradigme de la famille et nous ne pouvons plus nous cacher derrière des a priori. Notre mission est d’accompagner toute la population. Il est temps que l’Eglise évolue.» Une prise de position qui sonne comme une première victoire pour la communauté homosexuelle. «J’ai toujours eu confiance, s’enflamme Jean-Luc Geneux, responsable du Groupe Chrétiens de l’association VoGay. Si l’Eglise réformée accepte de nous bénir, cela montrera aux croyants, et à toute la population, que l’Eglise n’est pas si rétrograde. Elle a l’occasion de montrer un signe d’ouverture à l’heure où elle se plaint d’un manque de fidèles.» C’est que ce fils de pasteur connaît trop bien le fossé entre Eglises et homosexuels. «Pour l’instant, être gay et chrétien demande de faire deux coming out.» Au quotidien, il entend aussi régulièrement des messages de détresse. «Récemment, un jeune homme de 25 ans a contacté la ligne d’écoute de VoGay. Il venait d’avouer son homosexualité à ses parents. Ses derniers lui ont répondu qu’il allait brûler en enfer.» Peur d’une scission interne Mais la partie est loin d’être gagnée pour les «partenariés». Tant l’affrontement est vif et profond. «La tendance évangélique est totalement opposée à la célébration d’unions homosexuelles. La peur d’une «Pour l’instant, être gay et chrétien demande de faire deux coming out» Jean-Luc Geneux, responsable du Groupe Chrétiens de l’association VoGay scission interne est donc très forte», explique Line Dépraz. Dans leur rapport, les opposants demandent une non-entrée en matière, estimant qu’un débat aussi sensible mérite un approfondissement. La crainte est aussi de créer des tensions œcuméniques. Représentant de l’aile opposée à la bénédiction des couples gays, le pasteur Martin Hoegger brandit les textes bibliques pour argumenter: «On doit accueillir les homosexuels, mais on ne doit pas faire l’éloge ou approuver leur style de vie. Encore moins les bénir.» Une interprétation que réfute le Conseil synodal. «Les opposants citent, entre autres, le livre du Lévitique de l’Ancien Testament, analyse Line Dépraz. On y lit qu’une femme indisposée est impure et ne peut donc pas aller au temple. Or, à ma connaissance, on ne demande pas aujourd’hui aux femmes qui vont au culte le dimanche si elles ont leurs règles. Les tex- Procédure Le Conseil synodal propose plusieurs pistes concrètes pour le mariage gay: é Seuls les couples homosexuels ayant conclu un partenariat enregistré peuvent être bénis. é Aucun pasteur n’est forcé de présider une telle cérémonie. Une liste de ministres volontaires est donc à disposition des couples. é La bénédiction de partenariat ressemble presque en tous points à celle d’un mariage hétérosexuel. Avec les éléments liturgiques suivants: la lecture biblique et la prédication, l’engagement des partenaires, la bénédiction du couple, la remise de la Bible et l’intercession. Seul le passage de la genèse lié à Adam et Eve est supprimé. Le rite est relié bibliquement à d’autres textes, par exemple en rapport avec l’alliance ou l’engagement. tes doivent donc être interprétés pour nous aider à vivre la vie d’aujourd’hui.» Refuser de bénir les couples gays a une portée plus large pour Martin Hoegger. «Ce «non» est un «oui» au modèle du couple hétérosexuel et à la famille.» Mais pas seulement. Le rapport des opposants souligne le soutien de l’Eglise «aux personnes qui luttent contre des attractions sexuelles non désirées (…) et visent une restauration de leur identité». De quoi faire bondir Jean-Luc Geneux. «C’est digne du Moyen Age! On nous dit, si vous priez, vous allez guérir. Jusqu’à nouvel ordre, nous ne sommes pas malades. Et je rappelle qu’on ne choisit pas plus son identité sexuelle que d’avoir des yeux bleus.» Lutter contre le jugement Défenseur du mariage gay, le pasteur et aumônier de prison Nicolas Charrière y voit surtout une décision symbolique. «Je ne pense pas que nous allons crouler sous les demandes de couples homosexuels. Par contre, cela permettrait de dire aux LGBT (ndlr: lesbiennes, gays, transgenres et bisexuels): «Vous avez le même statut et la même place devant Dieu que toute autre personne.» Et d’ajouter que refuser de bénir les couples pacsés signifie un refus de fidélité au Christ. «Il nous appelle à lutter contre le jugement et à aller à la rencontre des gens.» Depuis l’entrée en vigueur du partenariat enregistré en 2007, 630 couples homosexuels se sont unis dans le canton de Vaud. Longtemps mise au banc par le protestantisme, la communauté homosexuelle a déjà franchi des barrières ces dernières années. En 2008, le Synode choisissait d’accueillir les couples homosexuels et de ne plus exclure les pasteurs ou diacres gays. Mais en novembre, il pourrait bien décider de ne pas entrer en matière. De quoi enterrer pour longtemps la question. «Cela laisserait songeur, commente Line Dépraz. Mais il est possible qu’un débat aussi sensible provoque un vote émotionnel.» Ils s’assoient côte à côte. En silence. Les mains se frôlent, sans se toucher. L’exubérance n’a pas sa place. Juste ce fin anneau d’or qui entoure l’annulaire gauche des deux hommes. Jacques Alain Clément et Robert Chatelan s’aiment depuis trentetrois ans. Un lien qu’ils n’ont jamais tissé dans la clandestinité. Même dans les campagnes vertes des Cullayes, où ils tiennent un restaurant depuis trois décennies. «On a tout de suite décidé d’être clairs avec tout le monde», précise Jacques Alain, 56 ans. La sincérité n’a pas toujours été aussi aisée dans le cadre de leur foi. La jeunesse de Robert, maintenant âgé de 69 ans, a été rythmée par la prière du matin, de midi, du soir et par la messe du dimanche. Du catholicisme, Robert ne renie rien. Même si aujourd’hui, il a trouvé sa voie spirituelle dans le bouddhisme. Pour suivre ses convictions personnelles, Jacques Alain s’est lancé dans une école biblique protestante, entre 20 et 22 ans. «En 1978, dans l’Eglise que je fréquentais, cela ne passait pas d’être homosexuel. Moi, je le taisais. Au fond de moi, je le vivais bien car je savais que je n’avais pas décidé d’être comme ça. Je ne pouvais rien y changer.» Etre gay. Etre croyant. Et même les deux à la fois. Lorsque le pacs est entré en vigueur en 2007, les deux hommes ont franchi immédiatement le pas. Normal pour ces militants de la première heure. «C’est important d’avoir des droits en cas de maladie, de décès. Et bien sûr, pour nous c’était aussi une manière d’officialiser notre union.» Ils ne se sont pas arrêtés là. «On ressentait ce besoin de donner un aspect spirituel à notre union, comme n’importe quel couple. On avait besoin d’un rite», raconte Robert. Alors ce jour de juillet 2007, dans une forêt tenue secrète jusqu’au dernier moment, une croix de bois trône au milieu de la clairière. Contre les principes de son Eglise, la pasteure Evelyne Roland Korber choisit de bénir Robert, Jacques Alain, mais aussi un couple de femmes. «Pour nous, une bénédiction c’était bien plus fort que le pacs, lance Robert en croisant le regard de son compagnon. Mais on ne voulait rien faire qui nuise au ministère de la pasteure, précise Jacques. Tout était clair dès le départ. Elle n’avait pas le droit de nous bénir en tant que couple, alors elle l’a fait en tant qu’individu.» Devant 140 invités, les conjoints s’échangent leurs vœux. La cérémonie crée des remous. La pasteure subit les remontrances de l’Eglise réformée vaudoise. Si ce cap était franchi en novembre prochain? «Ce serait un symbole d’acceptation lancé en faveur de tous les homosexuels. Et pas que les croyants, explique Jacques Alain. Car aujourd’hui, on me demande encore souvent comment je peux être gay et fidèle à une Eglise qui nous juge.»