interview de françois dubet
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INTERVIEW DE FRANÇOIS DUBET professeur de sociologie à l’Université Bordeaux Segalen, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS, Paris), et chercheur au Centre Emile Durkheim (UMR CNRS 5116), et chercheur associé au Centre d’analyse et d’intervention sociologiques (CADIS, EHESS).La théorie sociologique, les inégalités et la justice sociale ainsi que l’éducation sont ses trois grands domaines de spécialisation. Entretien réalisé dans le cadre de la démarche « Grand Lyon Vision Solidaire » sur le thème « Solidarité, logement et cohésion sociale ». Catherine Panassier, juin 2012 Egalité des chances : le regard de François Dubet des places, d’égalité élémentaire des Dans votre ouvrage, Les Places et les acquis et des compétences. A mon avis, chances paru au Seuil en 2010, vous c’est là la vocation de l’école commune, distinguez sans opposer, l’égalité des de l’école élémentaire et du collège. La places et l’égalité des chances dans une compétition de l’égalité des chances doit société. Comment ces deux logiques commencer plus tard afin que les plus peuvent-elles se traduire dans le domaine faibles des élèves obtiennent ce à quoi ils de l’éducation et plus particulièrement à ont droit. Ceci l’école ? suppose de lutter « De manière régulière, les L’égalité des évaluations internationales nous résolument contre chances est le apprennent que l’école française est l’échec précoce et modèle scolaire plus inégalitaire que supposerait la de faire en sorte que tous les élèves dominant : placés seule amplitude des inégalités obtiennent un socle dans des sociales. » commun afin que conditions d’égalité les inégalités scolaires se fassent moins initiale, les élèves doivent être aux dépends des élèves les plus faibles hiérarchisés et orientés en fonction de qui sont aussi les moins favorisés leurs résultats afin que tous aient les socialement. Il s’agit là d’une véritable mêmes chances de réussir et donc inflexion de la culture de l’école, de son d’échouer. Il n’y a rien à redire à cette fonctionnement, de ses programmes et de conception de la justice, sinon d’observer sa pédagogie. qu’il est très difficile d’effacer les effets des inégalités sociales et que cette conception L’école française apparaît inégalitaire. Estde la justice peut engendrer de très ce une réalité ? Quel regard portez-vous grandes inégalités scolaires et, par sur l’école d’aujourd’hui ? conséquent, sociales. Pour que l’égalité des chances soit acceptable, il convient De manière régulière, les évaluations donc de s’assurer que les élèves qui n’ont internationales nous apprennent que pas la chance d’être bien nés et d’avoir la l’école française est plus inégalitaire que chance de réussir bénéficient de la supposerait la seule amplitude des meilleure éducation possible. Il faut donc inégalités sociales. Elles nous apprennent s’assurer que, avant l’égalité des chances, aussi que les inégalités scolaires se tous les élèves et notamment les plus reproduisent plus entre les générations, faibles bénéficient d’une certaine égalité 1 Direction de la Prospective et du DialoguePublic 20 rue du lac - BP 3103 - 69399-LYON CEDEX 03 http://www.millenaire3.com/ que ce n’est le cas dans les pays comparables. C’est dans notre conception de l’école et dans notre croyance dans les diplômes que peuvent tenir les causes de cette inégalité scolaire excessive. Les leviers pour agir à l’école Il semble que le collège unique ne profite pas réellement aux enfants issus des classes moyennes et populaires. Cette situation ne va t-elle pas à l’inverse du principe qui présidait à sa création ? Le collège unique reste encore conçu comme le premier cycle du lycée d’enseignement général. Dans sa pédagogie et ses programmes, il ne s’adresse qu’aux futurs lycéens des filières générales et pas aux autres. En fait, ce collège n’est unique que dans son intitulé puisqu’il ne sait pas quoi faire d’une grande part des élèves. Notons que ce n’est pas le cas d’un grand nombre de pays, qui ont de très bons résultats, où le collège est le prolongement de l’école élémentaire. Faut-il réintroduire une sélection à l’entrée en sixième, exercer une orientation plus importante vers les voies professionnelles ou refaire des classes de niveau ? Pour retrouver le supposé « bon temps » d’avant, beaucoup souhaitent le retour de l’examen d’entrée en sixième afin de ne s’adresser qu’à de bons élèves qui seront très largement des élèves des classes moyennes. Mais ils ne disent jamais ce que nous ferons des autres élèves, qui visiblement ne seront pas leurs enfants. Quant aux classes de niveau, elles furent longtemps la règle, creusant les inégalités entre les élèves. Est-il si difficile de construire une école résolument commune jusqu’à 16 ans ? Faut-il supprimer les devoirs à faire à la maison ? Il n’est peut-être pas indispensable de les supprimer, à condition que les devoirs soient ceux des enfants et pas ceux de leurs parents. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. De plus, il est absurde de concentrer la semaine scolaire sur quatre jours, ce qui empêche l’école elle-même de s’occuper des devoirs et des exercices qu’elle donne aux élèves. Aujourd’hui, les devoirs sont une machine à creuser les inégalités et à se défausser sur les familles dont beaucoup n’ont pas les compétences scolaires nécessaires. Comment rendre l’école plus égalitaire ? Il faut d’abord que l’égalité soit un objectif de l’école, en tous cas de l’école commune, ce qui implique de lutter résolument contre l’échec à l’école élémentaire où trop d’élèves échouent gravement. Il faut ensuite veiller à l’égalité entre les établissements scolaires au moment où les inégalités se sont profondément creusées. Il faudrait aussi que l’école soit plus efficace ce qui suppose de consacrer beaucoup d’efforts à la formation des maîtres. 2 Direction de la Prospective et du DialoguePublic 20 rue du lac - BP 3103 - 69399-LYON CEDEX 03 http://www.millenaire3.com/ L’école : le premier lieu de mixité sociale ? Il semble que les stratégies d’évitement scolaire s’accroissent. Mais comment en vouloir aux parents, notamment ceux des petites classes moyennes dans l’actuel contexte de crise et dans une société qui survalorise le diplôme, d’être particulièrement inquiets sur leur présent et pour l’avenir de leurs enfants ? Il ne me paraît pas raisonnable de reprocher aux parents leurs stratégies d’évitement des établissements considérés comme difficiles et ceci d’autant plus que les enseignants de ces établissements n’y mettent généralement pas leurs enfants. Tant que nous laisserons des établissements accueillir tous les problèmes sociaux, constituer des équipes instables et peu expérimentées, notamment dans la banlieue populaire de Paris, il sera difficile d’enrayer les stratégies des familles qui, pourtant, contribuent à creuser les inégalités. Est-ce juste d’exiger de ces parents qu’ils scolarisent leurs enfants dans un collège qui n’atteint pas 50% de réussite au brevet des collèges ? Non, ce n’est pas juste. Mais surtout, ce qui est injuste, c’est de laisser ces établissements en l’état et de faire que les plus démunis n’ont pas d’autres choix. Si les parents choisissent, rien ne peut autoriser les établissements publics et privés à faire leur « marché » de bons élèves. Puisque tous sont financés par de l’argent public, rien n’interdit de leur imposer des « quotas » de diversité sociale et culturelle. Quelles seraient les conditions d’une mixité réussie à l’école et au collège ? Deux phénomènes commandent : l’absence de mixité urbaine qui se retrouve dans les établissements, et les choix des familles qui accentuent l’homogénéité culturelle des écoles. En plus de politiques urbaines courageuses, il me semble que la question décisive est celle de l’amélioration de la qualité éducative des établissements défavorisés. Ceci suppose des moyens, mais aussi la constitution d’équipes solides, d’autres mécanismes d’affectation des enseignants… Il existe de bons établissements dans des quartiers difficiles et ce n’est donc pas impossible à condition de le vouloir vraiment et de ne pas s’abriter derrière une égalité formelle qui est un leurre auquel personne ne croit plus vraiment. Là encore, le développement de la compétence professionnelle des maîtres est un enjeu décisif si l’on ne veut pas que les enseignants soient dépassés par les problèmes. Les leviers pour agir à l’échelle des territoires Comment appréhender les questions des inégalités et de mixité à l’échelle des territoires ? Les politiques urbaines sont décisives en la matière. Il faut aussi que tous les acteurs concernés travaillent ensemble : communes, Conseils régionaux, Conseil généraux, Communautés de communes. La France a fait des progrès en la matière, mais nous sommes encore loin du compte. Au fond, les inégalités scolaires peuvent nous choquer, mais il n’empêche qu’une grande partie de la population en est bénéficiaire et résiste farouchement à des politiques égalitaristes qui lui feraient perdre des privilèges décisifs alors qu’il faudrait envisager de répartir différemment les moyens quand on sait que, aujourd’hui, ce sont les élèves les plus favorisées qui reçoivent le plus de ressources. 3 Direction de la Prospective et du DialoguePublic 20 rue du lac - BP 3103 - 69399-LYON CEDEX 03 http://www.millenaire3.com/ 4 Direction de la Prospective et du DialoguePublic 20 rue du lac - BP 3103 - 69399-LYON CEDEX 03 http://www.millenaire3.com/