Heureux qui comme Olivier Roellinger a fait un long voyage… Et le

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Heureux qui comme Olivier Roellinger a fait un long voyage… Et le
Heureux qui comme Olivier Roellinger a fait un long voyage… Et le chef breton en fait au
moins trois par an, si possible très loin et de préférence avec sa compagne Jane. Après l'Inde
et le Brésil, celui que certains surnomment le "cuisinier corsaire" revient cette fois de
Patagonie, ce petit bout de terre tout de glace et de feu situé à l'extrémité Sud de l'Argentine.
Fervent admirateur des grands navigateurs qui ont marqué l'histoire de la Bretagne, le
capitaine Roellinger en a bien sûr profité pour se frotter au Cap Horn… Rien d'étonnant
quand on sait que le chef est né et a grandi à Cancale, dans la maison même où il tient la barre
des Maisons de Bricourt, son restaurant triplement étoilé. Ici, le pays Malouin a de tout temps
donné naissance à de légendaires voyageurs. De Duguay Trouin à Jacques Cartier en passant
par Surcouf, les hommes de cette terre ont toujours eu les yeux rivés sur le large. " Ces grands
aventuriers ont fait quinze fois le tour du monde car en Bretagne, réussir c'est partir. Un jeune
qui ne part pas est toujours suspect chez nous ", confit Olivier Roellinger. Et d'ajouter, " C'est
pourquoi je suis toujours en voyage, sans cesse en mouvement. Je suis né dans un pays et dans
une maison de voyageurs et ici, on ne peut imaginer sa vie sans qu'elle soit d'une manière ou
d'une autre portée par l'océan ". Et d'évidence, la cuisine est une formidable aventure maritime
pour lui, voire même une certaine façon de larguer les amarres…
La cuisine comme une ode à la vie
Mais cette belle aventure a bien failli finir avant même d'avoir commencé. C'est en effet par
un bien étrange chemin que la cuisine se présente à Olivier Roellinger, une certaine nuit de
1976 quand, sauvagement agressé par cinq jeunes armés de barres de fer, il est laissé pour
mort sur les remparts de Saint-Malo. Après plusieurs semaines de coma, le jeune malouin qui
se destine à une carrière d'ingénieur chimiste apprend qu'il doit passer deux ans dans un
fauteuil roulant. " Je me suis retrouvé comme un bateau au mouillage et ces années
d'immobilisation m'ont définitivement éloigné des sciences et de tout raisonnement cartésien
pour finalement catalyser la part d'affectif et d'imaginaire qu'il y avait en moi ", raconte-t-il.
Olivier Roellinger a alors 21 ans et se promet de ne jamais rentrer dans le monde des adultes.
" Au terme de cette sombre période, la cuisine s'est imposée à moi comme le moyen de
croquer la vie , de repêcher le bonheur de l'enfance et surtout d'exprimer ce formidable
bonheur de vivre ", poursuit-il.
Cette longue convalescence est également pour le futur chef l'occasion de découvrir l'intensité
de son attachement à la maison familiale, cette magnifique malouinière vieille de plusieurs
siècles où Surcouf lui-même a passé une partie de son enfance. Son CAP en poche et fort de
deux stages chez Guy Savoy et Gérard Vié, c'est donc dans cette grande bâtisse surplombant
la baie de Saint-Malo qu'il décide en 1982 d'ouvrir, avec son épouse, une simple table d'hôte.
La suite de l'aventure est bien connue : une première étoile en 1984, une deuxième en 1988 et
l'ultime consécration en juin 2006 lorsque le guide Michelin en fait le seul et unique triple
étoilé de l'année.
Sur la route des épices
La cuisine d'Olivier Roellinger conte bien sûr l'histoire complexe de son auteur mais
également celle de son pays. " Ma cuisine est très personnelle et très intime ; en même temps
elle est profondément liée au passé de Saint-Malo, à cette période des "cuisiniers lumières".
La fin du 17ème siècle est en effet passionnante, c'est à ce moment que les cuisiniers ont cette
première forme d'intelligence qui est celle de la curiosité des nouveaux produits venus des
Amériques mais également de toutes les terres découvertes à cette époque ", explique le chef
le plus décoré de Bretagne. Tous les voyages réalisés par le cuisinier corsaire suivent donc
fort logiquement la route des épices empruntée il y a trois siècles par les grands navigateurs.
À l'image des cuisiniers du 17ème qui attendaient de pied ferme produits et épices du
Nouveau Continent, le propriétaire des Maisons de Bricourt est perpétuellement en quête de
nouvelles saveurs. Girofle des Moluques, graine de Roucou de Thaïlande ou poivre
Tellicherry d'Inde, Olivier Roellinger a déjà ramené plus de 120 épices différentes de ses
chasses aux trésors. Il les sèche, les torréfie, les moud, les assemble…Autant de variantes
réalisées par l'alchimiste breton. S'il défend l'idée d'une cuisine métisse, les épices ne sont pas
pour autant un but en soi. Tout son travail repose en effet sur les alliances subtiles entre
saveurs iodées et parfums épicés. " Dans ma cuisine, les épices sont utilisées comme des
points de ponctuation dans la dégustation des produits de la mer ; c'est le cas par exemple du
poivre noir de Malabar que j'utilise véritablement comme un point ", explique-t-il.
Le tâtonnement que la toque bretonne tient en horreur est à l'origine de cette démarche pour le
moins originale, voire graphique. Avant même de cuisiner et de tester une nouvelle recette, ce
cuisinier au long cours préfère ainsi mettre des mots sur ses idées, nommer le futur plat et
surtout le dessiner… " Parce que je déteste hésiter et me tromper, j'ai immédiatement besoin
d'accrocher les mots les uns aux autres, puis d'envisager la recette sous la forme d'un tableau
dont les traits et les couleurs raconteront l'histoire d'un voyage ou d'un rêve, à moins que ce ne
soit les deux ", explique-t-il. Résultat, aucune hésitation visible en cuisine où tout marche
comme sur un navire. Chacun à son poste et un seul maître à bord après Dieu : le capitaine
Roellinger. C'est en effet aux fourneaux qu'il faut voir le chef travailler, goûter et raconter sa
cuisine pour comprendre qu'il est avant tout un homme qui exprime, à travers ses créations
culinaires, tout ce qu'il est et surtout tout ce qu'il aime.
Voyage autour d'une assiette
Petites ravioles aux algues et au sésame, bigorneaux en jus de persil et petites coques au
curry, les entrées proposées par Olivier Roellinger sont à elles seules une invitation au
voyage… Une échappée vers les rivages des cinq continents qui se poursuit avec un SaintPierre mariné à l'huile aux deux noisettes et sa moutarde celtique. La traversée fait ensuite
escale en Asie du Sud-Est avec quelques langoustines et palourdes proposées avec leur
bouillon du Tonkin. Juste le temps de retrouver dans son assiette voyageuse un petit homard
au vin de Xeres et cacao. Et puis prendre le large avec une émulsion à la vanille… de
Madagascar bien sûr !