N. WATTE et V. MARQUETTE - Unité de droit international privé de l
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N. WATTE et V. MARQUETTE, « Le Règlement communautaire, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité », RDC, 2000, p. 564 Publié avec l’aimable autorisation de la Revue de droit commercial belge UNITÉ DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ DE L’U.L.B. http://www.dipulb.be -1- Le règlement communautaire, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’ insolvabilité I. Généralités 1. Le 31 mai 2002 entrera en vigueur dans tous les États membres de l’Union européenne1 le règlement n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité2 (ci-après, “le règlement”). Destiné à remplacer le droit national des États membres et le droit conventionnel3, il survient alors que l’harmonisation des procédures collectives au sein de l’Europe apparaissait utopique aux yeux de certains4. Il est vrai qu’il fait suite à plusieurs échecs communautaires. L’on sait, en effet, que la matière des “faillites, concordats et autres procédures analogues” avait été exclue du champ d’application de la Convention, du 27 septembre 1968, sur la compétence internationale et les effets des jugements, en vue de la conclusion d’une convention particulière à celle-ci. Un premier avant-projet de Convention rédigé en 19705, abandonné au profit d’un nouveau texte fut transmis, en 1980, au Président du Conseil, à la Commission et aux représentants des États membres6. Il ne comportait pas moins de 87 articles. Le système adopté était fondé sur les principes d’unité et d’universalité. Pour diverses raisons7, ce projet fut définitivement abandonné en 1985. Parallèlement, des négociations avaient été entreprises entre les États parties au Conseil de l’Europe, qui aboutirent à la signature, à Istanbul le 5 juin 1990, de la Convention sur certains aspects internationaux de la 1 A l’exception du Danemark (art.1er et 2 du protocole sur la position du Danemark annexé au traité CE. Le Royaume-Uni et l’Irlande, sont à leur demande, liés par le règlement (art.3 du protocole sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande annexé au traité CE): respectivement considérants 33 et 32 du règlement. 2 J.O.C.E. 30 juin 2000, L 160. Voy. aussi M.B. du 8 août 2000, p. 27243. 3 Sous réserve de ce qui est précisé aux numéros 10 à 12 du présent commentaire. 4 Voy. entre autres, Ponceblanc, “L’harmonisation des procédures collectives en Europe: Espérances utopiques ?”, G.P. 1990, I, doct. 588. 5 Doc. Com. du 16 février 1970, avec le rapport de J. Noel et J. Lemontey. Voy. les réf. citées par P. Wautelet dans son commentaire “De Europese insolentieverordering”, in H. Van Houtte et M. Pertegás Sender (éd.), Het nieuwe Europese IPR: van verdrag naar verordening, Antwerpen-Groningen, Intersentia, 2001, note 41, p. 111. 6 Il a été publié au Bull. CE, suppl. 2/82 avec le rapport de J. Lemontey.Voy. not. L. Ganshof, “Le projet de Convention relative à la faillite”, Cah.dr.eur. 1983, pp. 163 et s. et les réf. citées à la note 42 (p. 111) du texte précité de P. Wautelet. 7 L. Idot et C. Saint-Alary-Houin, “Procédures collectives”, Jur.Clas. Europe, Fasc. 871, V° Droit communautaire en gestation, n° 18 et s. Kluwer faillite8. Quoique modeste puisqu’elle ne régit principalement que les effets des décisions de faillite, elle servit sans doute d’aiguillon à la reprise des travaux communautaires en octobre 1990. Un nouveau projet vit le jour, qui s’inspirait d’ailleurs de la théorie atténuée de l’unité des faillites consacrée par la Convention d’Istanbul. Mais contrairement à cette dernière, il comportait des règles de compétence internationale et des règles de conflits de lois. Cette Convention, élaborée sur la base de l’article K3 du Traité de Maastricht, fut ouverte à la signature à Bruxelles le 23 novembre 1995, mais elle ne fut pas signée par tous les États9. A la suite de l’adoption du Traité d’Amsterdam et à l’initiative de l’Allemagne et de la Finlande, le texte de la Convention de 1995 fut repris sous la forme d’un règlement, en vertu de l’article 65 du Traité. On peut, en matière de procédure d’insolvabilité, s’interroger sur la pertinence de la référence à l’article 65 du Traité qui vise “la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière”. On peut penser que cet article doit recevoir une interprétation large, aux termes de laquelle “matières civiles” devrait s’entendre comme comprenant aussi les “matières commerciales”, à l’exception des matières de “droit pénal” et de “droit public” 10. Quoi qu’il en soit, après les avis du Parlement européen et du Comité économique et social, le présent règlement fut adopté par le Conseil, le 29 mai 2000. 2. Comme la Convention de 1995, le règlement a tenté de concilier les avantages offerts par le principe bien connu en Belgique de l’universalité11 des procédures d’insolvabilité produisant des effets extraterritoriaux et le souci 8 Le texte a été publié in J. Erauw et N.Watté, Les sources du droit international privé belge et communautaire, Bruylant et Maklu 1993, pp. 336 et s.. Voy. le rapport explicatif (éd. du Conseil de l’Europe, 1991); Ramackers, “Réflexions critiques sur la Convention européenne relative à certains aspects internationaux de la faillite”, Sem. Jur. 1993, I, pp. 279 et s.; J.L. Vallens, “La Convention du Conseil de l’Europe sur certains aspects internationaux de la faillite”, Rev.crit.d.i.p. 1993, pp. 136 et s.; P. Volken, “L’harmonisation du droit international privé de la faillite”, Rec.Cours La Haye 1991, t. 230, pp. 343 et s.; N. Watté, “La faillite internationale: état actuel du droit conventionnel européen”, in L’entreprise en difficulté: vers un nouveau droit, éd. Collection sc. De la Faculté de Droit de Liège 1995, part. pp. 213 et s. 9 Le rapport explicatif de M. Virgos et E. Schmit qui accompagnait la Convention ne fut en conséquence pas officiellement publié. Il y est néanmoins fait référence dans le présent commentaire quand le texte du règlement coïncide à celui de la Convention de 1995. 10 Comp. P. Wautelet, o.c., n°10; de manière générale, voy. sur l’ article 65 du Traité et le droit international privé, H. Van Houtte, “De Gewijzigde Bevoegheid van de Europese Unie inzake IPR”, Het nieuwe Europese IPR: van verdrag naar verordening, précité, pp. 1 et s. 11 Principe partiellement battu en brèche à l’article 3 de la loi du 8 août 1997. Voy. Th. Bosly et C. Van Buggenhout, “De quelques nouveautés introduites par la loi du 8 août 1997”, cette Revue 1998, p. 211; H. De Wulf en P. Wautelet, “Aspecten van internationaal privaatrecht”, in E. Dirix et cts (éd.), Faillissement en Gerechtelijk Akkoord. Het nieuwe recht, Anvers, Kluwer, pp.146 et s.; I. Verougstraete et cts, Manuel de la faillite et du concordat, Bruxelles, Kluwer 1998, n° 1116, pp. 628 et 629; P. Wautelet, “Artikel 3”, in Artikelsgewijze Commentaar Handels- en Economisch Recht, Anvers, Kluwer 1999. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 2 2001 – 565 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE partagé par plusieurs États membres de la protection des intérêts locaux garantis par le principe de la territorialité. Le préambule relève à cet égard qu’en raison “des divergences considérables entre les droits matériels, il n’est pas pratique de mettre en place une procédure d’insolvabilité unique ayant une portée universelle pour toute la Communauté. L’application sans exception du droit de l’état d’ouverture susciterait dès lors fréquemment des difficultés. Par ailleurs, les droits préférentiels dont jouissent certains créanciers sont, dans certains cas, conçus de manière très différente”12. Un système mixte a ainsi été adopté, permettant la coexistence d’une procédure principale universelle et des procédures locales exclusivement territoriales13. Et si le système de l’universalité reste le principe de base du règlement, auquel il peut être dérogé par l’ouverture de faillites territoriales, à celui-ci ne correspond plus nécessairement le principe de l’unité. Le règlement commenté est dès lors d’abord destiné à résoudre les questions de conflit de juridictions. Il s’agit de mettre sur pied des règles uniformes de compétence internationale désignant les États sur le territoire desquels des procédures d’insolvabilité peuvent être ouvertes (point III ci-après). Pour ce faire, le règlement a adopté un principe atténué de l’unité: des procédures secondaires, qui sont nécessairement territoriales, peuvent être poursuivies parallèlement à la procédure principale qui elle est unique et à portée universaliste. Il faut ensuite organiser les effets de plein droit dans les autres États membres de la procédure principale d’insolvabilité ouverte dans un État membre, et dans une certaine mesure ceux des procédures secondaires (point V ciaprès). A cet égard, les motifs de refus de reconnaissance retenus par le règlement sont réduits au minimum nécessaire. Il s’agit ici aussi, comme dans la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, de permettre la libre circulation des jugements, ce qui ne peut être réalisé que si ceux-ci produisent leurs effets sans opposition de l’État requis. Un telle conception repose sur la confiance donnée au juge d’origine, celui qui a ouvert la procédure d’insolvabilité, ce qui implique que soient mises sur pied des règles efficaces de compétence. Nous verrons que sur cette question, le règlement n’a pas toujours atteint cet objectif. Ces matières feront l’objet de la présente étude. Le règlement contient aussi des règles de conflit de lois. Il se réfère d’abord à la compétence générale de la loi de l’État où la procédure d’insolvabilité est ouverte (point 12 Considérant 11 du règlement. Sur les mérites respectifs des principes d’universalité et de territorialité, voy. P. Wautelet, o.c., n° 1 et s. Nous ne reviendrons plus ici sur ce débat. Sur le droit comparé, voy. not. N. Watté et V. Marquette, “Les sûretés dans les faillites internationales”, rapport général au Congrès de droit comparé de Bristol, E.P.R – R.E.D.P. 1999, pp. 287 à 317, dans lequel il a été constaté que ce sont les systèmes “intermédiaires” qui l’emportent dans de nombreux pays. Voy. aussi la loi-type de la Cnudci sur l’insolvabilité internationale, Rapport de la 30ème session (mai 1997), Doc. Ass. gen., 52ème session suppl. n° 17 (A/52/17) 1997. IV ci-après). Elle régit les conditions d’ouverture, du déroulement et de la clôture de la procédure d’insolvabilité. Cette lex concursus détermine aussi “tous les effets de la procédure d’insolvabilité, qu’ils soient procéduraux ou substantiels, sur les personnes et les rapports juridiques concernés”14. Le règlement apporte un certain nombre de dérogations à la compétence générale de la lex concursus dans les matières revêtant un intérêt particulier dans les procédures d’insolvabilité. On songe notamment au problème irritant de l’opposabilité des droits réels portant sur des actifs situés dans un autre pays que celui où la procédure d’insolvabilité est poursuivie. Il s’agit aussi du sort des contrats de travail et des privilèges accordés aux travailleurs en cas de faillite de l’employeur. Ces dernières questions font l’objet d’un commentaire distinct de nos collègues E. Dirix et V. Sagaert, publié à la suite de notre analyse et auquel nous renvoyons. 3. Il faut relever que le texte du règlement est appelé à évoluer. En effet, l’article 46 prévoit qu’au plus tard le 1er juin 2012, et ultérieurement tous les cinq ans, la Commission présente au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social, un rapport relatif à son application. Ce rapport sera accompagné, le cas échéant, de propositions visant à adopter le présent règlement. Son interprétation devra se faire au regard des considérants du règlement. Seules les juridictions nationales dont les décisions ne sont plus susceptibles d’un recours interne sont, conformément aux articles 68 et 234 du Traité CE, habilitées à poser à la Cour de justice des CE des questions préjudicielles quant à l’interprétation du règlement. II. Le champ d’ application A. Champ d’application matériel 4. Le règlement s’applique “aux procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic.” (article 1er, 1 du règlement). A.1. Les procédures visées 5. L’article premier du règlement s’écarte de l’interprétation qu’avait donnée du terme “faillite” la Cour de justice des CE dans l’arrêt Gourdain, du 22 février 197915, ainsi que de la définition retenue par la Convention de 199516: une procédure fondée sur l’état de cessation des paiements, l’insolvabilité ou l’ébranlement du crédit, impli- 13 566 – 2001 14 Considérant 23 du règlement. Aff. 133/78, Rec. 1979, p.733, note Bismuth; Rev. soc. 1980, p. 526; J. Lemontey, Rev. crit. d. i. p. 1979, p. 661. 16 Jenard et Noel-Lemontey, Rapport sur la convention relative à la faillite, aux concordats et aux procédures analogues (16.775/XIV/70, chap 3, section I). 15 Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 3 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT quant une intervention de l’autorité judiciaire et aboutissant à une liquidation forcée et collective des biens, ou à tout le moins à un contrôle de cette autorité. Il n’est plus exigé que la procédure d’insolvabilité soit susceptible d’entraîner la liquidation du débiteur. Le règlement inclut ainsi toutes les procédures d’assainissement des entreprises en difficultés qui se sont développées dans les législations nationales au cours des dernières décennies. La question du choix de la procédure collective d’insolvabilité appartient aux juridictions nationales, sauf s’il s’agit d’une procédure secondaire qui doit nécessairement être une procédure de liquidation (voy. infra, n° 29). 6. Pour que le règlement s’applique, il faut que la procédure d’insolvabilité en question remplisse les conditions de l’article premier et qu’elle soit expressément énumérée à l’annexe A du règlement (art. 2, a, du règlement). Les procédures visées par le règlement sont des procédures “collectives”, c’est-à-dire celles qui ne sont pas “abandonnées à l’initiative individuelle de chaque créancier mais organisées de manière à ce que tous les créanciers puissent faire valoir leurs droits”17. Aux yeux du règlement, ces procédures n’impliquent pas nécessairement l’intervention d’une autorité judiciaire. Il suffit qu’en vertu de son droit national, un organe (par exemple une autorité administrative) soit habilité à ouvrir une telle procédure18. Pour éviter que des difficultés surgissent à l’occasion de la détermination de ces procédures collectives, les États ont été invités à les énumérer dans une annexe A. Et l’on peut penser que les praticiens seront tentés de limiter leur examen à la consultation de cette annexe, sans s’attacher à l’article premier du règlement. Il s’agit pour la Belgique de la faillite, du concordat judiciaire et du règlement collectif de dettes. La procédure de dessaisissement provisoire en cas d’absolue nécessité visée à l’article 8 de la loi du 8 août 1997 n’est, à juste titre, pas reprise dans cette annexe. Celle-ci a été adoptée en vue de pallier à la suppression de la faillite d’office afin de protéger l’actif dans l’intérêt des créanciers. Le dessaisissement du commerçant est provisoire et cesse si une demande de faillite n’a pas été introduite dans les huit jours du prononcé ou si un jugement de faillite n’a pas été prononcé dans les quatre mois de l’introduction de la demande19. Les annexes, qui font partie intégrante du règlement, pourront ultérieurement être modifiées, en vue de tenir compte des modifications des droits nationaux des États membres, selon la procédure organisée à l’article 45 du 17 G. Cornu, Vocabulaire juridique, association H. Capitant, p. 147. Art. 2, d, du règlement. On a voulu viser des procédures non judiciaires courantes dans certains pays comme le Royaume-Uni. 19 T. Bosly et C. Van Buggenhout, o.c., cette Revue 1998, p. 212; Y. Dumont et H. Stranart, “La faillite et le concordat judiciaire”, J.T. 1997, p. 789. 18 Kluwer règlement. Selon cette disposition, le Conseil peut, à l’initiative de ses membres ou sur proposition de la Commission, modifier les annexes. Il statue pour ce faire à la majorité qualifiée. Il faudra être très attentif aux dispositions transitoires organisées par le droit national. A.2. Les conditions de l’article premier du règlement A.2.1. La notion d’insolvabilité 7. La notion d’insolvabilité n’a pas été définie par le règlement. Il faudra recourir au droit national des États membres. Or, si cette notion est une condition commune à l’ouverture d’une procédure collective, elle varie suivant les législations nationales. Certaines exigent une cessation générale des paiements, d’autres que celle-ci s’accompagne d’un ébranlement du crédit, d’autres encore un surendettement du débiteur. Pour l’application du règlement en Belgique, il faudra se référer à l’article 2 de la loi du 8 août 1997 sur la faillite et le concordat judiciaire qui a maintenu les conditions matérielles de la faillite telles qu’elles existaient sous le régime de la loi de 1851, à savoir, la cessation de paiement (dont la loi du 8 août 1997 prévoit expressément qu’elle doit être “persistante”) et l’ébranlement du crédit. Il se peut que certaines procédures figurant à l’annexe A puissent être utilisées à des fins autres qu’une procédure d’insolvabilité (par exemple, la procédure de “windingup” au Royaume-Uni et en Irlande). Une telle procédure ne sera soumise au règlement que si elle est fondée sur l’insolvabilité du débiteur20. A.2.2. Les notions de débiteur et de syndic 8. Le règlement ne définit pas le concept de “débiteur”. Le considérant 9 précise cependant qu’il peut être “une personne physique ou morale, un commerçant ou un particulier”. En d’autres termes, sur le plan de la compétence il faut consulter le droit national des États membres qui peuvent comme le droit belge réserver ces procédures collectives aux commerçants, voire appliquer des règles différentes selon qu’il s’agit de personnes physiques ou de personnes morales. Toutefois une décision d’un État membre ayant déclaré la faillite d’une personne physique non-commerçante devra produire des effets de plein droit dans un autre État membre même si celui-ci limite les procédures d’insolvabilité aux commerçants. Ainsi les juridictions des Pays-Bas sont habilitées, conformément à leur droit interne, à prononcer la faillite d’une personne physique non-commerçante. Dès lors, si une juridiction hollandaise devait effectivement prononcer la faillite d’un débiteur belge non-commerçant dont le centre des intérêts principaux est situé aux Pays-Bas, les 20 M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 49. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 4 2001 – 567 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE juridictions belges seront contraintes d’accepter que se produisent les effets de cette procédure sur le territoire belge, alors que le droit belge réserve la procédure de faillite aux commerçants. Et elles ne pourraient pas s’y opposer en invoquant l’exception de l’ordre public. Le règlement l’écarte expressément dans cette hypothèse à l’article 16, 1, in fine (voy. infra, no 38)21. Le règlement a, par contre, exclu de son champ d’application, certaines personnes morales particulières, en vue de les soumettre à des règles spéciales communautaires. Elles concernent “les entreprises d’assurance et les établissements de crédit, les entreprises d’investissement qui fournissent des services impliquant la détention de fonds ou de valeurs mobilières de tiers, ainsi qu’aux organismes de placement collectif” (art. 1er, 2, du règlement). Celles-ci ne sont pas visées par le règlement en raison de leur régime particulier soumis à des autorités de contrôle nationales22, ainsi qu’en raison de l’existence d’instruments spécifiques réglementant les cas d’insolvabilité transfrontalières qui s’y rapportent. Les entreprises d’assurance font ainsi l’objet d’une procédure de liquidation particulière aux termes de la Directive 2001/17/CE concernant l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance23. De même, une proposition de directive concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit24 prévoit des dispositions particulières en la matière. Ces deux textes consacrent, avec des tempéraments, les systèmes d’unité et d’universalité des procédures d’insolvabilité qu’ils visent. Le règlement précise par contre ce qu’il faut entendre par “syndic”. Le concept est fort large. Il englobe “toute personne ou tout organisme dont la fonction est d’administrer ou de liquider les biens dont le débiteur est dessaisi ou de surveiller la gestion de ses affaires” (art. 2, b, du règlement). En vue de faciliter la mise en œuvre du règlement, les États membres ont désigné dans l’annexe C les personnes ou autorités qui remplissent cette fonction. Il s’agit, pour la Belgique, du curateur, du commissaire au sursis et du médiateur de dettes. A.2.3. La notion de dessaisissement du débiteur 9. Le règlement prévoit que la procédure collective d’insolvabilité doit entraîner le dessaisissement partiel ou total du débiteur et la désignation d’un syndic. Il n’est pas 21 Même si le règlement n’écartait pas expressément le motif de l’ordre public tiré de la qualité du débiteur, il nous paraît qu’il ne pourrait néanmoins pas dans notre hypothèse être invoqué en Belgique puisque le droit belge connaît à l’encontre des particuliers le règlement collectif de dettes (figurant d’ailleurs à l’annexe A) qui s’apparente à une procédure d’insolvabilité par certains de ses aspects. 22 Considérant 9 du règlement. 23 J.O.C.E. n° L110, 20.04.2001, pp. 0028-0039. 24 Proposition de la Commission, doc. 500PC1517S. 568 – 2001 exigé qu’elle conduise à la réalisation des actifs du débiteur25. Contrairement à la Convention d’Istanbul, le règlement ne précise pas le terme “dessaisissement”. Selon l’article 1,3 de cette Convention, il s’agit du “transfert à un syndic des pouvoirs d’administrer, de contrôler et de disposer du patrimoine” du débiteur. Il n’est néanmoins pas précisé le contenu juridique de ce transfert, ni l’étendue de ce dessaisissement. Or, les législations nationales varient sur ces questions. Il peut s’agir d’une simple indisponibilité, ou d’une interdiction générale du droit de disposer du débiteur, ou encore d’un véritable transfert de propriété au syndic. Des divergences risquent donc de surgir sur cette notion, qui à défaut d’être autonome, devra être recherchée dans le droit national des États membres. Mais il suffit que le dessaisissement, qui peut être partiel, porte sur le patrimoine ou sur les pouvoirs d’administration du débiteur. B. Champ d’application territorial B.1. Les règles de compétence 10. Le règlement ne s’applique qu’à l’hypothèse de procédures collectives intracommunautaires, c’est-à-dire ouvertes dans un État membre et dont on poursuit les effets dans un autre État membre. Lorsque le contentieux entre dans le domaine matériel du règlement, celui-ci s’applique uniquement aux procédures d’insolvabilité concernant un débiteur qui possède le centre de ses intérêts principaux dans un État de l’Union européenne.26 Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur se trouve à l’extérieur du territoire européen et qu’il possède ou non des biens dans un État membre ou qu’il y ait ou non des créanciers, le règlement n’est pas applicable. Il faut dans ces cas revenir au droit conventionnel liant l’État membre et l’État tiers où se trouve le centre des affaires ou au droit commun pour déterminer la compétence internationale des juridictions des États membres susceptibles d’ouvrir des procédures d’insolvabilité. C’est dire l’importance accordée encore en Europe au droit national des États en matière de faillites internationales. Supposons qu’une société ait établi le centre de ses intérêts principaux au Brésil et qu’elle ait ouvert une succursale sur le territoire belge. Le règlement n’est pas applicable. La Belgique n’ayant pas conclu de convention avec le Brésil, il faut se référer au droit commun belge pour vérifier si les juridictions belges ont compétence pour ouvrir une procédure d’insolvabilité sur la base de la localisation de la succursale en Belgique. Nous savons qu’aujourd’hui une telle procédure ne peut pas être ouverte par un juge belge. Si, par contre, cette société a éta25 Qui sera nécessaire en cas de procédure secondaire, voy. infra, n° 29. 26 Considérant 14 du règlement. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 5 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT bli une succursale en France, les juridictions françaises se déclareront compétentes en vertu du droit français .27 B.2. Les règles de reconnaissance et d’exécution 11. Pour bénéficier des règles du chapitre II du règlement, instaurant des règles de reconnaissance et d’exécution la décision doit avoir été rendue par des autorités émanant d’un État membre compétentes au regard du règlement. Et la reconnaissance et l’exécution d’une telle décision ne produit des effets de plein droit que dans les autres États de l’Union européenne28. Le règlement ne vise que les conflits intracommunautaires. Aussi ne s’applique-t-il pas aux effets des procédures d’insolvabilité ouvertes dans un État membre à l’égard d’un débiteur ayant le centre de ses intérêts principaux à l’extérieur de la communauté européenne (sur cette notion, voy. point III ci-après). Dans cette hypothèse demeurent applicables les conventions existant entre les États membres et les États tiers ou le droit commun national. Dans l’exemple précédent, le règlement n’est pas applicable aux effets en Belgique de la faillite de la société ayant le centre de ses affaires au Brésil ouverte dans ce pays. Ceux-ci seront régis par le droit commun belge, qui ne lui reconnaîtra des effets sur la succursale située en Belgique que si le centre des affaires à l’étranger est aussi le principal établissement de la société étrangère. Il en sera de même de la décision française ayant ouvert une procédure d’insolvabilité à raison de la présence sur le territoire français d’un établissement de la société possédant le centre de ses intérêts au Brésil. Les effets de cette décision française dans les autres États de l’Union européenne échapperont à l’application du règlement pour se voir soumis au droit conventionnel éventuel ou au droit national. 12. Il résulte de ce qui précède que le droit national des États membres bénéficie toujours d’un rôle considérable dans toutes les hypothèses fréquentes – pensons aux nombreuses maisons mères établies aux USA – où le débiteur a le centre de ses affaires en dehors du territoire européen. Une telle limitation du règlement risque de susciter de nombreuses difficultés en cas de pluralité de procédures et d’absence de coordination entre les tribunaux et les syndics. Elle est cependant inhérente aux préoccupations des auteurs de textes communautaires qui est de veiller au bon fonctionnement du marché intérieur européen. Elle met en lumière la nécessité d’organiser dans les meilleurs délais de nouvelles règles belges en la matière susceptibles de répondre aux nouveaux risques résultant de la mondialisation de l’économie et de la prolifération des relations économiques internationales, en accordant 27 Considéré comme le principal des établissements en France d’un débiteur qui, par hypothèse, a le siège de son entreprise hors de France (H. Synvet, “Faillite”, Encyclopédie Dalloz, Répertoire Droit international 1998, n° 2). 28 A l’exclusion du Danemark, voy. supra, note 1. Kluwer par exemple aux juridictions belges la possibilité de garantir les intérêts locaux et de mettre en échec les principes d’unité et de l’universalité poussés à l’extrême dans notre pays. L’on peut espérer que le projet de code de droit international privé y parviendra. C. Champ d’application dans le temps 13. Le règlement contient des dispositions transitoires. Le principe est que ses dispositions ne sont applicables qu’aux procédures d’insolvabilité ouvertes postérieurement à son entrée en vigueur, c’est-à-dire après le 31 mai 2002. Le “moment de l’ouverture de la procédure” est le moment où “la décision d’ouverture prend effet, que cette décision soit ou non définitive” (art. 2, f, du règlement). Le règlement s’appliquera ainsi en Belgique à tout jugement de faillite prononcé après le 31 mai 2002. Mais les actes accomplis par le débiteur avant la date du 31 mai 2002 continueront d’être soumis à la loi qui les régissait au moment où ils ont été accomplis (art. 43 et 47 du règlement) et non à la lex concursus. Enfin, les procédures ouvertes avant l’entrée en vigueur du règlement (donc avant le 31 mai 2002) et qui entrent dans le champ d’application d’une des conventions visées à l’article 44 du règlement (voy. infra no 14), restent soumises à la compétence de celles-ci (art. 43, 2 du règlement). Supposons par exemple un jugement français ayant prononcé la faillite d’une société en vertu du Traité franco-belge du 8 juillet 1899, le 10 avril 2001. Les effets de cette faillite en Belgique continueront d’être régis par ce Traité, même si la procédure d’exequatur est poursuivie après l’entrée en vigueur du règlement, c’est-à-dire après le 31 mai 2002. D. Relations avec les Conventions conclues ou à conclure entre les États membres 14. Les conventions conclues entre deux États membres et réglant de façon générale ou particulière les conflits de juridictions, désignées à l’article 44, 1, du règlement, sont remplacées par celui-ci, sous la réserve de leur application éventuelle par le biais des dispositions transitoires29. Il s’agit pour la Belgique des conventions conclues avec la France30, avec l’Autriche31, avec les Pays-Bas32 et avec 29 Voy. supra, n° 13. Convention du 8 juillet 1899 entre la Belgique et la France sur la compétence judiciaire, sur l’autorité et l’exécution des décisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques. Loi du 31 mars 1900 (M.B. 30-31 juillet 1900). Voy. récemment sur cette convention en matière de faillite: N. Watté et V. Marquette, La faillite dans les relations franco-belges, R.G.D.C. 2001, pp. 96 à 104. 31 Convention du 16 juillet 1969 entre la Belgique et l’Autriche sur la faillite, le concordat et le sursis de paiement (avec le protocole additionnel du 13 juin 1973). Loi du 15 avril 1975 (M.B. 24 juillet 1975). 32 Convention du 28 mars 1925 entre la Belgique et les Pays-Bas sur la compétence judiciaire territoriale, sur la faillite, ainsi que sur l’autorité et l’exécution des décisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques. Loi du 16 août 1926 (M.B. 27 juillet 1929). 30 Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 6 2001 – 569 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE le Royaume-Uni33. Contrairement aux conventions précédentes qui contiennent des règles de compétence, de reconnaissance et d’exécution, le traité avec le RoyaumeUni ne s’intéresse qu’aux effets dans un pays d’une décision rendue par les autorités de l’autre État. A l’exception de la convention avec l’Autriche qui est particulière à la faillite, les autres conventions continuent de produire leurs effets dans les matières qui ne sont pas visées par le règlement (ni par la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et les effets des jugements et ultérieurement, par le règlement Bruxelles I)34. Ces conventions demeurent, en principe, d’application quand le règlement ne peut pas être invoqué, par exemple si le centre des affaires du débiteur est situé en dehors du territoire de l’Union européenne (voy. supra, n° 11). Le règlement remplace aussi dans les relations entre États membres les conventions multilatérales suivantes: celle du 11 novembre 1933 entre le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Suède et l’Islande relative à la faillite et la convention européenne du 5 juin 1990 sur certains aspects internationaux de la faillite (la Convention d’Istanbul). Enfin, le règlement ne porte pas atteinte aux conventions en matière de faillite conclues antérieurement à son entrée en vigueur entre un État membre et un État tiers (art. 44, 3, a, du règlement). Un sort particulier est réservé aux accords en matière de faillite et de liquidation de sociétés insolvables entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord avec le Commonwealth applicables au moment de l’entrée en vigueur du règlement (art. 44, 3, b, du règlement). III. La compétence internationale 15. Le règlement ne contient que des règles de compétence territoriale internationale générale, c’est-à-dire que celles-ci désignent seulement l’État membre dont les juridictions sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité (par exemple, les juridictions belges). Au sein de cet État, la compétence territoriale spéciale est déterminée par la loi de cet État (par exemple c’est le Code judiciaire belge qui décide si c’est le tribunal de Bruxelles ou de Hasselt qui est compétent). C’est aussi la loi nationale des États membres qui s’applique aux questions de compétence d’attribution (la répartition du contentieux entre le juge commercial et le juge civil). 33 Convention du 2 mai 1934 entre le Royaume-Uni et la Belgique sur l’exécution réciproque des jugements en matière civile et commerciale. Loi du 4 mai 1936 (M.B. 27 novembre 1936). 34 Sur la démarcation, qui n’est pas toujours clairement établie, entre les champs respectifs du règlement et de la Convention de Bruxelles, voy. les exemples cités dans le commentaire de P. Wautelet, o.c. n° 17 et s. 570 – 2001 Le règlement retient des critères de rattachement différents de compétence internationale suivant que la procédure d’insolvabilité est principale ou secondaire. Dans ce dernier cas, il ne peut d’ailleurs s’agir que de procédure de liquidation. A. Procédure principale 16. Aux termes de l’article 3,1, du règlement, les autorités “de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.” A.1. Les actions visées 17. L’article 3, 1, du règlement permet d’ouvrir, dans l’État membre où le débiteur a le centre de ses intérêts principaux une procédure d’insolvabilité visée à l’article premier du règlement et de l’annexe A. Il ne précise pas si les juridictions de cet État peuvent aussi connaître des actions dérivées, alors que celles-ci sont expressément visées quand il s’agit de leur reconnaissance (voy. infra, no 35). L’on sait que, dans l’arrêt Gourdain précité du 22 février 1979, la Cour de justice des CE a exclu du champ d’application de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 les actions directement dérivées et qui sont étroitement liées à une procédure d’insolvabilité. Il faudrait admettre que celles-ci continuent de relever du droit national des États membres, ce qui pourra donner lieu à des difficultés quand celui-ci ne permet pas de joindre ces actions à la procédure d’insolvabilité. L’article 25 traite d’ailleurs précisément de cette hypothèse en décidant que de telles décisions seront reconnues et exécutées selon le règlement “même si elles sont rendues par une autre juridiction” que celle qui a ouvert la procédure d’insolvabilité. 18. Le règlement n’organise pas un traitement particulier des mesures provisoires et conservatoires. Le préambule reconnaît cependant expressément que la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale est aussi compétente pour ordonner des mesures provisoires et conservatoires, dès le moment de la demande de l’ouverture de la procédure et même avant le début de la procédure35. Ces mesures peuvent concerner des biens situés dans des États membres autre que celui de l’ouverture de la procédure. Et un syndic provisoire pourrait être désigné avant l’ouverture de la procédure principale, en vue de demander des mesures provisoires et conservatoires dans les États 35 Considérant 16 du règlement. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 7 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT membres où le débiteur possède un établissement, selon la loi de ces États36. A.2. Le centre des intérêts principaux 19. Le règlement ne définit pas l’expression “centre des intérêts principaux” du débiteur. Il a été précisé, dans le préambule que le centre des intérêts principaux doit “correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers”37. On a ainsi voulu rattacher la compétence en matière de procédure d’insolvabilité – considérée comme un risque prévisible – à un lieu connu des futurs créanciers du débiteur. Et par “intérêts”, il faut entendre toute activité économique au sens large, susceptible d’inclure les activités des particuliers. A.2.1. Les personnes physiques 20. Pour les personnes physiques exerçant une activité commerciale ou professionnelle, ce lieu devrait être celui de l’exercice de cette activité38. Il ne peut dès lors pas se confondre avec le domicile au sens du Code judiciaire, c’est-à-dire l’inscription aux registres de la population. Quid si les moyens de production se trouvent localisés dans un État membre et la direction dans un autre ? Il semblerait que ce dernier lieu doive l’emporter39. Pour les autres personnes physiques, le centre de leurs intérêts principaux est au lieu de leur résidence habituelle40. A.2.2. Les personnes morales 21. Quant aux sociétés et personnes morales, le règlement précise que le siège statutaire est présumé être le centre des intérêts principaux “jusqu’à preuve contraire” (art. 3, 1 du règlement). Le critère apparent du siège statutaire a donc été retenu par le règlement, à charge pour les intéressés de combattre cette présomption en prouvant que ce siège s’avère purement fictif, les décisions sur la gestion de la société étant prises ailleurs. La notion de principal établissement de la société retenue en droit belge ne pourra dès lors plus fonder la compétence internationale des tribunaux belges que dans cette dernière hypothèse. Malgré cette indication, il nous semble que compte tenu de l’internationalisation croissante des relations commerciales, il n’est pas exclu que dans certains cas plusieurs État membres remplissent cette condition or, une seule procédure d’insolvabilité principale peut être ouverte sur 36 Sur le rôle des syndics, voy. infra, n° 40 à 43. Considérant 13 du règlement. 38 M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 75. 39 P. Wautelet, o.c., n° 35. Comp. En France où l’on se réfère au lieu d’implantation du centre juridique et externe des affaires du débiteur (H. Synvet, o.c., n° 96). 40 M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 75. le territoire de l’Union. Dans ce cas, la première juridiction qui se déclarera compétente devrait l’emporter en l’absence de disposition spécifique du règlement abordant la question de ces possibles conflits (voy. infra, n° 22). Par ailleurs, les juridictions d’un État membre pourraient très bien se déclarer compétentes sur la base de cette disposition pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard d’une société incorporée hors de l’Union mais qui aurait établi le centre de ses intérêts principaux dans un État membre. Tel pourrait être le cas d’une société valablement incorporée aux États-Unis et qui exercerait habituellement et principalement son activité dans un État membre de l’Union européenne. Si cette possibilité n’est pas nouvelle en droit belge41, il en va différemment pour d’autres États de l’Union. La décision d’ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de la société américaine ne sortirait selon nous d’effets qu’au sein des États de l’Union et non pas aux États-Unis ou dans tout État tiers dans la mesure où le règlement n’a vocation qu’à régler les effets intracommunautaires des procédures d’insolvabilité, sauf en ce qui concerne les États qui adoptent le principe d’unité et d’universalité de la faillite (voy. infra, n° 26). Il faut espérer que les juridictions des États membres se tiendront, sauf cas de fictivité du siège statutaire, à la présomption de l’article 3. A défaut, la notion de centre des intérêts principaux des personnes morales risquera de donner lieu à des interprétations divergentes selon que les États membres adoptent la théorie de l’incorporation des sociétés alors que d’autres se fonderaient sur le critère des activités économiques et d’autres encore sur le principe du siège de direction des personnes morales. Une telle attitude porterait gravement atteinte au bon fonctionnement du règlement, qui comme nous l’avons indiqué, n’organise pas de règles de litispendance pour les cas où des juridictions d’États membres se déclareraient compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité principale, qui doit être unique. A.3. Les conflits de compétence 22. Ainsi qu’il vient d’être dit, le règlement ne prévoit pas de disposition expresse visant à résoudre les cas de conflit de compétence lorsque les juridictions de deux ou plusieurs États membres revendiquent simultanément leur compétence en vertu de l’article 3, 1, du règlement. Le préambule aborde cette question, considérant qu’elle doit être résolue conformément au principe de la confiance mutuelle. Il précise cependant que la décision qui ouvre la première la procédure devrait être reconnue dans les autres États membres, sans que ceux-ci aient la faculté de soumettre cette décision à un contrôle42. Aux yeux du 37 Kluwer 41 Cass. 2 décembre 1996 (Air Zaïre/Lemaître), J.L.M.B. 1997, p. 128; J.T. 1997, p. 236; cette revue 1997, p. 526; Bull. 1996, p. 1206; Arr. cass. 1996, p. 1136. 42 Considérant 22 du règlement. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 8 2001 – 571 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE règlement, rappelons que le moment d’ouverture de la procédure est celui où la décision prend effet, qui dépend lui-même du droit national des États membres. Cette solution risque de donner lieu à un forum shopping de la part des créanciers du débiteur. A.4. La notion de faillite principale 23. La procédure principale est celle qui est ouverte dans l’État membre où se trouve le centre des intérêts principaux du débiteur. Elle sera “principale” parce que, si des procédures locales sont ouvertes dans d’autres États membres, ces dernières lui seront nécessairement subordonnées. Il ne peut y avoir qu’une seule procédure principale et elle doit nécessairement revêtir la forme de l’une de celles énumérées à l’annexe A du règlement (voy. supra, n° 6). A.4.1. Le système de l’universalité 24. La procédure d’insolvabilité principale est toujours universelle, c’est-à-dire qu’elle est destinée à englober, à défaut d’ouverture de faillites locales dans d’autres États membres, tous les actifs du débiteur où qu’ils se trouvent sur le territoire européen. Nous verrons au point V que l’article 17 du règlement prévoit que la décision d’ouverture d’une faillite principale produit dans tous les États membres les effets que lui attribue la lex concursus, la loi de l’État d’ouverture de la procédure principale d’insolvabilité. Une décision belge de faillite a ainsi dans tous les États membres les effets que lui attribue le droit belge. Il convient toutefois de relever que toute procédure principale d’insolvabilité – qu’il s’agisse d’une procédure d’assainissement ou d’une liquidation – a, en vertu du règlement, une portée universelle et ce même si la lex concursus, la loi d’ouverture est, comme le droit italien, de portée territoriale. En d’autres termes, par le règlement l’Italie a accepté qu’une procédure d’insolvabilité ouverte en Italie produise des effets extra-territoriaux dans tous les États membres dès lors que le centre des intérêts principaux du débiteur se trouve situé en Italie. A.4.2. Les biens situés sur le territoire de l’Union 25. En raison du caractère universel de la procédure principale d’insolvabilité, les actifs du débiteur même situés dans d’autres États membres sont inclus dans la masse dès l’ouverture de cette procédure. Le règlement se devait dès lors de préciser les critères de localisation des biens (art. 2, g, du règlement). Pour les biens corporels, il s’agit de l’État membre sur le territoire duquel le bien est concrètement situé. Les biens et les droits qui doivent faire l’objet d’un enregistrement, comme par exemple les navires et les aéronefs, sont loca572 – 2001 lisés dans l’État membre où le registre est tenu. Enfin, quant aux créances, elles se trouvent situées pour les besoins du règlement au lieu du centre des intérêts principaux du tiers débiteur. Toutefois, l’ouverture de la procédure principale d’insolvabilité ne peut pas affecter certains biens du débiteur qui se trouvent dans un autre État membre au moment de l’ouverture de la procédure et qui font l’objet de droits réels préexistants des créanciers ou d’autres tiers ou d’une clause de réserve de propriété. Pour ces dernières questions, nous renvoyons le lecteur au texte ci-dessous publié de nos collègues E. Dirix et V. Sagaert. A.4.3. Les biens situés en dehors du territoire de l’Union 26. La question se pose de savoir si la procédure principale d’insolvabilité englobe aussi les biens situés en dehors du territoire de l’Union européenne. Le rapport explicatif de la Convention de 1995 allait dans un sens affirmatif: “Une procédure principale d’insolvabilité a une portée universelle. Elle vise à englober tous les biens du débiteur dans le monde entier et à intéresser tous les créanciers, où qu’ils se trouvent”43. P. Wautelet paraît partager ce sentiment, considérant que l’on ne peut pas parler à cet égard d’ “impérialisme du droit européen”44. Il nous paraît cependant excessif de considérer qu’une procédure principale d’insolvabilité “européenne” a vocation à appréhender l’actif du débiteur situé dans des États tiers à l’Union eurpéenne ou que celui-ci est frappé de dessaisissement partout dans le monde. Le règlement est destiné à régler les effets des procédures d’insolvabilité dans les relations entre États membres, qui ont décidé d’admettre entre eux le système de l’universalité, quel que soit le système consacré dans leur droit interne. De telles procédures ne peuvent avoir les mêmes conséquences dans des États tiers que si ceux-ci ont également adopté le principe de l’universalité, qu’ils acceptent les effets extra-territoriaux de ces procédures sur leur territoire et que la lex concursus, la loi de l’État membre d’ouverture de la procédure organise les effets extra-territoriaux de celle-ci. Ce système peut être consacré dans une convention bilatérale liant l’État tiers et l’État membre d’ouverture de la procédure d’insolvabilité. A défaut, il relève du droit national de l’État tiers. Notre thèse est conforme à la nature même de l’institution des procédures d’insolvabilité, où se mêlent étroitement les règles de compétence et celles de la loi applicable. Il en résulte que par la reconnaissance d’une décision d’insolvabilité, ce n’est pas seulement le jugement étranger qui est importé, mais aussi tous les effets 43 M. Virgos et E. Schmit, rapport n° 73. Toutefois au n° 44, les rapporteurs insistent sur le cadre territorial de la Convention qui ne règle que les effets “intracommunautaires” des procédures d’insolvabilité. 44 P. Wautelet, o.c., p. 136. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 9 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT que lui attache le droit de l’insolvabilité de son pays d’origine mais uniquement ses effets nationaux, sauf accord international. En d’autres termes, on ne peut pas, à défaut d’accord contraire des États, accorder à une décision des effets que le droit du pays dont elle émane ne lui attribue pas. On peut ici a contrario s’appuyer sur l’autorité de notre Cour de cassation qui, dans l’arrêt du 26 septembre 1991, a refusé malgré notre conception universaliste de la faillite d’étendre les effets d’une faillite ouverte au Danemark aux biens situés en Belgique, la loi danoise ayant une portée territoriale45. tions où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains et des biens” (art. 2, h, du règlement). En d’autres termes, si un débiteur a le centre de ses intérêts principaux en Allemagne et qu’il a établi un établissement sur le territoire belge au sens du règlement, les juridictions belges sont aussi compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’encontre de ce débiteur. Le critère de l’établissement, retenu différemment dans de nombreuses législations nationales, paraît devoir être précisé, car la définition donnée par le règlement est très large. Une telle solution n’interdit cependant pas au syndic de la procédure principale ouverte dans l’État membre d’obtenir éventuellement la coopération du débiteur concernant ses biens situés hors de l’Union. Et celle-ci pourrait être sanctionnée dans l’État membre si le débiteur manquait à ses devoirs46. Il s’agit du lieu à partir duquel des activités économiques se manifestent vers l’extérieur. Celles-ci doivent être d’une certaine durée et présenter une véritable stabilité48. Un simple bureau ouvert le temps d’une transaction commerciale ne peut constituer un établissement au sens du règlement49. Il en va de même de la seule localisation de biens dans un État membre et ce quelle que soit leur valeur. B. Procédure secondaire 27. L’article 3, 2, du règlement prévoit que “Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire”. Il résulte de cette disposition que les juridictions d’un État membre sur le territoire duquel un débiteur possède un établissement sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur qui a par ailleurs le centre de ses intérêts principaux dans un autre État membre de l’Union européenne. Cette dernière procédure est territoriale. Pour l’ouverture de la procédure secondaire, l’insolvabilité du débiteur n’est pas examinée (art. 27 du règlement). Ainsi qu’il a été relevé, le premier objectif de l’ouverture des procédures secondaires est la protection des créanciers locaux, qui ne doivent justifier d’aucun intérêt particulier. D’autres raisons peuvent également être invoquées: la difficulté d’administrer “en bloc” le patrimoine du débiteur, la conciliation délicate du principe de l’universalité et des législations nationales des États où se trouvent situés des biens du débiteur47. L’on sait que sur cette question, le droit belge a évolué. Nos tribunaux se sont longtemps déclaré incompétents pour ouvrir une procédure de faillite sur la base d’un établissement belge d’une société ayant son siège social, son principal établissement à l’étranger. Et les mêmes juridictions n’étendaient les effets de cette faillite à l’établissement belge que si celle-ci avait été prononcée par le juge de l’État du principal établissement50. La possibilité d’ouvrir des faillites ou autres procédures d’insolvabilité locales est en effet contraire au principe d’universalité de la faillite unanimement consacré par la jurisprudence et la doctrine belge depuis 185251. A l’occasion de l’adaptation de la loi du 18 avril 1851 sur les faillites, les banqueroutes et les sursis par la loi du 8 août 1997, le législateur a souhaité assouplir la position adoptée jusqu’alors en droit belge dans la mesure où la Convention de 1995 relative aux procédures d’insolvabilité prévoyait la possibilité d’ouvrir des faillites locales. Ainsi, l’article 3 de la loi du 8 août 1997 prévoit que les juridictions belges seront compétentes pour déclarer la faillite de tout commerçant qui possède un établissement en Belgique et dont le centre des intérêts principaux est situé dans un État membre de l’Union européenne52. Il était prévu que l’article 3 de la loi du 8 août 1997 entre en vigueur au moment de l’entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles de 1995. B.1. L’établissement 28. Le règlement a pris soin de définir ce qu’il faut entendre par “établissement”. Il s’agit de “tout lieu d’opéra- 45 Cette Revue 1992, p. 360; R.W. 1991-1992, p. 917. Comp. Cass. France 7 avril 1967 (Bull. Civ. 1967, III, n° 123) qui approuve la résolution du concordat par abandon d’actif à la suite de la rupture de l’engagement du débiteur vis-à-vis de ses biens étrangers. 47 Considérant 19 du règlement. 46 Kluwer 48 M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 71. P. Wautelet, o.c., n° 41. 50 Voy. not. H. Born, M. Fallon et J.L. Van Boxstael, “Droit judiciaire international. Chronique de jurisprudence 1991-1998”, Les dossiers du J.T. 2001, n° 312. 51 Cass. 6 août 1852, Pas. I, 146 ; Cass. 23 mai 1889, Pas., I, 229 ; F. T’Kint, Sûreté et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, Bruxelles, Larcier, 2è éd. 1997, p. 83. 52 Doc. Parl. Sénat 1996-1997, I – 498/II, p. 13 ; T. Bosly et C. Van Buggenhout, o.c., Cette Revue 1998, p. 211. 49 Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 10 2001 – 573 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE Avec l’abandon de la Convention, cet article 3 est devenu sans objet. Il devient dès lors urgent pour la Belgique, ainsi que nous l’avons déjà relevé, de compléter le règlement par des règles nationales nouvelles qui introduiraient notamment le critère de l’établissement comme chef de compétence des juridictions belges. B.2. La notion de faillite secondaire 29. En principe, la procédure d’insolvabilité n’est ouverte dans l’État de l’établissement qu’après qu’une procédure ait été ouverte dans l’État où se trouvent localisés les intérêts principaux du débiteur. Dans ce cas, elle est dite “secondaire”. Une procédure secondaire est toujours territoriale et ce quelle que soit la teneur de la lex concursus, la loi de l’État d’ouverture de la procédure qui peut être à portée universaliste. Une procédure secondaire ne peut dès lors produire que des effets sur les biens du débiteur situés dans cet État (art. 3, 2, du règlement). Ainsi une procédure secondaire de faillite ouverte en Belgique sur la base d’un établissement (le centre des intérêts principaux du débiteur se trouvant dans un autre État membre) n’aura des effets que sur les actifs du débiteur situés sur le territoire belge53, même si la loi belge est à portée universaliste54. Une procédure secondaire doit être une procédure de liquidation (art. 3, 3, du règlement). L’expression “procédure de liquidation” est définie à l’article 2, c, du règlement. Il s’agit d’une procédure d’insolvabilité entraînant “la liquidation des biens du débiteur, y compris lorsque cette procédure est clôturée par un concordat ou une autre mesure mettant fin à l’insolvabilité, ou est clôturée en raison de l’insuffisance de l’actif”. La liste de ces procédures figure à l’annexe B du règlement. Il s’agit pour la Belgique de la faillite. 30. Les juridictions de l’État d’établissement peuvent néanmoins prononcer l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité avant l’ouverture d’une procédure principale dans deux hypothèses visées à l’article 3, 4, du règlement. L’ouverture d’une procédure territoriale peut être demandée si les dispositions de la loi de l’État sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux ne permettent pas d’ouvrir une procédure principale (art. 3, 4, a, du règlement). La loi de cet État prévoit par exemple que les procédures d’insolvabilité sont réservées aux commerçants et le débiteur, une personne physique non commerçante, a son établissement dans un État qui étend ces procédures aux personnes physiques. Dès lors qu’une procédure principale ne pourra pas être ouverte, la procédure territoriale ne sera pas secondaire et elle ne devrait pas être nécessairement une procédure de liquidation. Mais ses effets resteront limités aux biens se trouvant dans l’État d’ouverture. Avant qu’intervienne une procédure principale, une procédure d’insolvabilité peut également être ouverte dans l’État de l’établissement mais uniquement à la demande des créanciers locaux, c’est-à-dire ceux qui possèdent un domicile, une résidence habituelle ou un siège dans cet État, ou encore des créanciers de l’établissement, ceux dont la créance a son origine dans l’exploitation de cet établissement (art. 3, 4, b du règlement). Cette procédure locale territoriale devient “secondaire” si une procédure principale d’insolvabilité est ultérieurement ouverte.55 31. C’est, en principe, la lex concursus, la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure secondaire a été ouverte qui désigne les personnes ou autorités habilitées à demander l’ouverture d’une faillite secondaire (art. 28 et 29, b, du règlement). Le règlement précise cependant qu’outre les personnes visées par la loi de la procédure, le syndic de la procédure principale a aussi le droit de demander l’ouverture d’une procédure secondaire (art. 29, a, du règlement). Celui-ci peut, en effet, avoir intérêt dans certains cas à solliciter l’ouverture d’une faillite secondaire plutôt que de poursuivre les effets d’une faillite principale dans l’État d’établissement du débiteur, par exemple en vue de procéder à une liquidation des actifs du débiteur dans cet État. IV. La loi applicable 32. Les conditions d’ouverture, du déroulement et de la clôture des procédures d’insolvabilité sont régies par la lex concursus, la loi de l’État membre de l’ouverture de la procédure ( art. 4, 1, du règlement). Cette compétence générale de la loi du tribunal chargé de l’ouverture des procédures d’insolvabilité est déjà consacré dans tous les États de l’Union européenne. Elle intervient tant pour les procédures principales que pour les procédures secondaires. Ainsi que l’avaient relevé les rapporteurs de la Convention de 1995, sont visés tous les effets substantiels nécessaires pour que la procédure d’insolvabilité remplisse sa finalité. Dans cette mesure, la lex concursus (sauf exceptions prévues par le règlement) écarte toute autre loi qui aurait été normalement applicable en vertu des règles de conflits de lois. 33. L’article 4, 2, du règlement énumère, de manière exemplative, les matières relevant de la loi de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité. La lex concursus détermine notamment la qualité des débiteurs susceptibles de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité (par exemple, s’ils doivent être commerçants), 53 Sur le critère de la localisation des biens, voy. supra, n° 25. I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat 1998, p. 637; A. Zenner, Dépistages, faillites et concordats, 1998, p. 58. 54 574 – 2001 55 Considérant 17 du règlement. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 11 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT les conditions à remplir pour ouvrir la procédure, la nature et la portée du dessaisissement du débiteur, l’administration du patrimoine du débiteur, les effets de la procédure sur les poursuites individuelles des créanciers (à l’exception des instances en cours56), les effets de la procédure sur les contrats en cours auxquels le débiteur est partie57. De même cette loi s’applique aux conditions et effets de la clôture de la procédure d’insolvabilité, et détermine les règles sur la répartition, les catégories et le rang des créanciers58, les règles de distribution et les droits des créanciers après la clôture de la procédure. La lex concursus désigne aussi le syndic, dont il organise les pouvoirs. Le règlement met toutefois sur pied quelques règles matérielles relatives aux pouvoirs des syndics en vue notamment d’établir une collaboration entre les syndics des procédure principale et secondaire (voy. infra, n° 40 à 43 ). Le règlement instaure également quelques règles matérielles concernant le traitement des créances afin d’améliorer le sort des créanciers communautaires (voy. infra, n° 44). V. La reconnaissance et l’ exécution A. Principes généraux 34. Le règlement instaure le principe de la reconnaissance automatique immédiate dans tous les États membres d’une décision relative à une procédure d’insolvabilité rendue par une juridiction d’un autre État membre compétente au regard du règlement. Il s’agit d’une reconnaissance de plano telle que prévue par la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et par la jurisprudence de la Cour de cassation pour les jugements en matière d’état des personnes en vertu de l’article 570 du Code judiciaire59. Par extension, ce principe a été appliqué en Belgique aux personnes morales déclarées en faillite60. Cette reconnaissance automatique est fondée sur le principe de la confiance communautaire61. 35. La reconnaissance automatique immédiate dans tous les États membres de l’Union porte sur toute décision re56 Si celles-ci concernent un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi à la suite de la procédure d’insolvabilité, les effets de ces procédures sont régis non par la lex concursus, mais par la loi de l’Etat membre dans lequel l’instance est en cours (art.15 du règlement). 57 Voy. toutefois pour les contrats de travail et les contrats portant sur des biens immobiliers, l’article ci-dessous de nos collègues E. Dirix et V. Sagaert. 58 Pour ce qui concerne les titulaires d’un droit réel ou d’une réserve de propriété, voy. le texte précité d’E. Dirix et S. Sagaert. 59 Cass. 29 mars 1973, Pas. 1973, I, p.742. 60 Civ. Gand 8 mars 1934, B.J. 318; Cloquet, Les Nouvelles, no 1182 et les réf. citées. 61 Considérant 22 du règlement. Kluwer lative à l’ouverture, au déroulement ou à la clôture d’une procédure d’insolvabilité rendue par une juridiction compétente au regard du règlement. Ce principe vaut aussi à l’égard de toutes décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement même si elles ont été rendues par une autre juridiction. Il en va de même des décisions relatives aux mesures conservatoires prises après la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (art. 16 et 25 du règlement). La reconnaissance est immédiate, dans la mesure où elle ne nécessite aucune décision des juridictions des autres États membres de l’Union, ni aucune formalité. La décision d’ouverture de la procédure d’insolvabilité produira des effets dans les autres États membres de l’Union dès qu’elle sortira ses effets dans l’État membre d’ouverture et aussi longtemps qu’elle sortira ces effets dans cet État. Bien entendu, seules les procédures d’insolvabilité qui figurent à l’annexe A du règlement bénéficient de cette reconnaissance immédiate. La reconnaissance d’une décision principale d’insolvabilité entraînera dans les autres États membres que l’État d’ouverture les mêmes effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture et ce, tant qu’une procédure secondaire d’insolvabilité n’est pas ouverte dans un autre État membre. Le principe de l’universalité en ce qui concerne les procédures principales d’insolvabilité est consacré expressément à l’article 17 du règlement qui précise que toute décision d’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité produira immédiatement dans tous les autres États membres de l’Union les mêmes effets que dans l’État d’ouverture. Parmi ces effets, on peut citer le dessaisissement du débiteur, la désignation du syndic, l’interdiction des mesures exécutoires individuelles, l’incorporation dans l’actif de la procédure de tous les biens du débiteur même situés dans les autres États membres, etc … 36. Le principe de reconnaissance immédiate vaut tant pour les décisions d’ouverture de procédure principale d’insolvabilité que pour les décisions d’ouverture de procédure secondaire d’insolvabilité. L’article 17 du règlement traite des effets de la reconnaissance des procédures principales et secondaires. En ce qui concerne les procédures principales, l’article 17, 1 précise que la décision produit les mêmes effets dans les autres États membres que ceux qu’elle produit dans l’État d’ouverture. Cette extension des effets venant ainsi renforcer le caractère universel de la procédure principale. La reconnaissance automatique et immédiate de la procédure principale d’insolvabilité par les autres États membres est cependant limitée par la possibilité pour l’État requis d’ouvrir une procédure secondaire d’insolvabilité. En effet, dans ce cas, la loi nationale de l’État où la procédure secondaire d’insolvabilité aura été ouverte a vocation à s’appliquer et à sortir ses effets en vue de pro- Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 12 2001 – 575 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE téger des intérêts locaux et la loi de la procédure principale ne peut donc plus s’y appliquer, sous réserve de la mise en oeuvre des règles de coordination et de subordination qui découlent du règlement (voy. infra, n° 43). 37. La reconnaissance d’une décision d’ouverture d’une procédure secondaire d’insolvabilité produit-elle les mêmes effets dans tous les autres États membres dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture? Non et ce en raison du caractère territorial de cette procédure. Ainsi, seuls les biens situés dans l’État d’ouverture seront en principe concernés par la décision d’ouverture d’une procédure secondaire (art. 17, 2 du règlement) Une autre conséquence du caractère purement territorial des effets d’une procédure secondaire d’insolvabilité est le fait que si cette procédure débouche sur un sursis de payement ou une remise de dettes, cette décision ne pourra être opposée relativement aux biens situés sur le territoire d’un autre État membre qu’aux créanciers qui auront marqué leur accord sur cette limitation de leurs droits (art. 17, 2 du règlement). Dans le cas contraire, les effets seront limités au territoire de l’État d’ouverture de la procédure secondaire d’insolvabilité. Il faut un accord individuel de chaque créancier. Sans déroger au caractère territorial, des décisions d’ouverture de procédures secondaires d’insolvabilité pourront dans certains cas avoir des effets dans d’autres États de l’Union. La reconnaissance de la décision d’ouverture d’une procédure secondaire aura ainsi immédiatement certains effets sur le déroulement de la procédure principale, et notamment sur les pouvoirs du syndic. Le syndic de la procédure secondaire peut également faire rapatrier des biens antérieurement situés dans l’État d’ouverture de la procédure secondaire (voy. infra, n° 42). 38. Enfin, l’exception d’ordre public peut s’opposer à la reconnaissance automatique des procédures d’insolvabilité. La réserve de l’ordre public national est organisée de manière traditionnelle à l’article 26 du règlement. Ce sont la reconnaissance ou l’exécution qui ne peuvent produire “des effets manifestement contraires à l’ordre public de l’État requis, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution”. L’article 26 doit être lu en parallèle avec l’article 16, 1, in fine et l’article 25, 3 du règlement. Selon la première disposition, la reconnaissance automatique l’emporte à l’égard d’un débiteur même si du fait de sa qualité (il est par exemple un non-commerçant) il n’aurait pas pu faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans l’État requis. Ce motif ne pourrait pas être récupéré sous l’angle de l’ordre public. Quant à l’article 25, 3, il permet aux États membres de refuser de reconnaître ou d’exécuter une procédure d’insolvabilité directe dans un autre État membre “qui aurait pour effet de limiter la liberté individuelle ou le secret postal”. 576 – 2001 Il appartient à chaque État membre d’apprécier au regard des principes fondamentaux de son droit l’exception d’ordre public, qui doit cependant rester exceptionnelle. La Cour de justice des CE, ayant à interpréter la notion d’ordre public figurant à l’article 27 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 a expressément déclaré qu’il ne lui appartenait pas de définir le contenu de l’ordre public d’un État de la Communauté européenne. Elle a néanmoins admis qu’il lui incombait de contrôler les limites dans lesquelles le juge de l’État requis y avait recours62. Il faut enfin signaler l’émergence d’un ordre public européen des droits de l’homme parmi lequel figure le droit à un procès équitable, qui s’impose à tous les États membres. Celui-ci devrait intervenir dans le cadre de l’application du règlement. 39. Enfin, en ce qui concerne l’exécution des décisions autres que le simple prononcé d’ouverture de la procédure d’insolvabilité qui ne requiert en tant que tel aucune exécution particulière, l’article 25 du règlement prévoit que les décisions doivent faire l’objet d’une procédure spéciale, la procédure d’exequatur. L’exécution proprement dite relève quant à elle du droit national, en l’adaptant en cas de nécessité pour garantir l’effet utile du règlement63. Le règlement se réfère au système mis en place par les articles 31 à 51 de la Convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. L’on pourrait s’étonner d’une telle référence à la convention de Bruxelles, étant donné que l’on sait que cette convention exclut expressément de son champ d’application les faillites, concordats et autres procédures d’insolvabilité. En fait, les auteurs du règlement ont simplement effectué ce renvoi pour des raisons pratiques afin de pouvoir appliquer la procédure prévue dans la Convention de 1968 sans devoir en réinsérer le texte dans le règlement. Il en résulte que la procédure d’exequatur s’introduit par voie de requête, selon les modalités organisées par la Convention de Bruxelles. B. Les pouvoirs des syndics B.1. Dispositions communes 40. Le règlement a pour objet de faciliter l’exercice dans les autres États membres des pouvoirs du syndic, en évitant de le subordonner à une procédure d’exequatur et à une publication. 62 C.J.C.E. 28 mars 2000, Dieter Kromback C. André Bamberski, aff. C-7/98. Voy. sur cette décision, notam. N. Watté, A. Nuyts et H. Boularbah, “Chronique. La Convention de Bruxelles.”, J.T. dr. Eur. 2000, pp. 225 à 237 Voy. aussi C.J.C.E. 11 mai 2000, Régie nationale des usines Renault C. Maxicar Spa, aff. C-38/9; J.O.C.E. (c) 22, liv. 211, 3; cette revue, 2000, p.454; Revue crit. Dr. Int. Pri. 2000, p.497, note Gaudemet-Tallon. 63 Voy. sur cette question l’article de C. Tubeuf publié dans le même numéro. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 13 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT Le terme “syndic” doit être compris au sens de l’article 2 du règlement (voy. supra nO 8). L’article 18 du règlement établit clairement que toute nomination d’un syndic à l’occasion d’une décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité est reconnue automatiquement dans tous les États de la communauté. Cette solution découle de l’automatisme des procédures d’insolvabilité en vertu du règlement. La preuve de la nomination du syndic peut être établie par la présentation d’une copie certifiée conforme de l’original de la décision qui l’a désigné ou par production de tout autre certificat établi par la juridiction compétente (art. 19 du règlement). En vertu de la reconnaissance automatique, le syndic peut exercer sur le territoire des autres États membres les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture de la procédure. C’est la lex concursus qui détermine les pouvoirs du syndic (leur nature, leur portée) ainsi que ses obligations. Le règlement ne prévoit pas plus que l’ancienne Convention de 1995 des dispositions pour régler les oppositions à l’exercice des pouvoirs du syndic. C’est donc le droit commun qui s’applique. Les juridictions de l’état où ceux-ci doivent être exercés appliqueront donc leur droit interne pour déterminer si cette opposition doit être reçue. On imagine ainsi une opposition motivée sur la non reconnaissance de la décision d’ouverture ou sur la violation par le syndic des obligations qui s’imposent à lui au terme du règlement. Par contre, si l’opposition porte sur le bien-fondé de l’exercice des pouvoirs, ce sont alors les juridictions d’ouverture qui seront compétentes. B.2. Le syndic d’une procédure principale 41. Le syndic de la procédure principale peut, en principe, accomplir sur les biens du débiteur, répartis sur l’ensemble du territoire européen, tous les actes d’administration, de gestion et de disposition prévus par la loi d’ouverture de la procédure. L’article 18, 1 du règlement prévoit expressément qu’il a même le droit de déplacer les biens du débiteur, sauf s’il s’agit de biens grevés d’un droit réel en faveur d’un tiers ou affectés d’une clause de réserve de propriété (art. 5 et 7 du règlement). Les larges pouvoirs du syndic d’une procédure principale sont soumis à deux limitations. La première découle de l’ouverture d’une procédure secondaire dans un État membre. Le syndic principal doit s’effacer en faveur du syndic secondaire. Il est logique de prévoir que, dès qu’une procédure secondaire d’insolvabilité s’ouvre dans un état déterminé, le syndic de la procédure principale ne peut plus exercer de pouvoir dans cet état. Il est en effet inconcevable que deux syndics différents puissent exercer des pouvoirs concurrents sur les mêmes biens. A ce moment, les seuls pouvoirs que le syndic de la procédure Kluwer principale peut continuer à exercer sur le territoire où une procédure secondaire a été ouverte sont ceux qui résultent du règlement et notamment le pouvoir de coordonner la procédure secondaire et la procédure principale. Bien entendu le syndic de la procédure principale a lui-même également le droit aux termes du règlement de demander l’ouverture d’une procédure secondaire s’il estime notamment que cela sera de nature à faciliter la gestion de la procédure. Le déclenchement d’une procédure secondaire ne prive pas le syndic de la procédure principale de tout pouvoir dans la faillite secondaire. Il a, en effet, le droit de demander la suspension des opérations de liquidation de la procédure secondaire en vue de lui permettre d’intervenir, par exemple pour négocier la cession en bloc de l’entreprise ou pour poursuivre son assainissement. Le juge de la procédure secondaire peut exiger des garanties appropriées en vue de sauvegarder les intérêts des créanciers de la procédure secondaire ou de certains groupes de créanciers (art 33, 1 du règlement). La demande du syndic principal ne peut être rejetée par le juge local que “si elle est manifestement sans intérêt pour les créanciers de la procédure principale” (art 33, 1, du règlement). Cette suspension peut être ordonnée pour une durée maximale de trois mois, qui peut être prolongée ou renouvelée. Il peut être mis fin à la suspension à tout moment, à la demande du syndic de la procédure principale, d’office, à la demande de tout créancier ou du syndic de la procédure secondaire, si les créanciers de la procédure principale ou ceux de la procédure secondaire n’ont plus intérêt à la suspension (art. 33, 2, du règlement). Ainsi, alors que seul l’intérêt des créanciers de la procédure principale doit être pris en compte pour ordonner la suspension de la liquidation, les intérêts des créanciers locaux doivent être examinés pour ordonner la fin de la suspension. La seconde limitation de caractère général, prévue par l’article 18, 3, du règlement découle de l’obligation du syndic de respecter la loi de l’État membre où il agit. Il lui est ainsi expressément interdit d’exercer des mesures contraignantes sur le territoire d’un État membre étranger. Aussi si les personnes concernées par ces mesures ne s’exécutent pas volontairement, le syndic de la procédure principale doit solliciter la collaboration des autorités nationales en vue de l’obtention de mesures d’exécution forcée dans ce pays. En cas de déplacement des biens le syndic de la procédure principale doit respecter la loi de la situation du bien qui peut limiter la circulation de ceux-ci. Il en va de même quand il s’agit de la réalisation des biens. Et s’il appartient à la loi d’ouverture de la procédure d’insolvabilité de décider par exemple si la vente d’un immeuble peut se faire de gré à gré ou si elle requiert une forme particulière, la procédure applicable au déroulement de la vente sera soumise à la loi de la situation du bien. Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 14 2001 – 577 REVUE DE DROIT COMMERCIAL BELGE B.3. Le syndic d’une procédure secondaire VI. Les créanciers 42. Au contraire du syndic de la procédure principale dont les pouvoirs ont vocation à s’exercer de manière “universelle”, le syndic désigné pour chaque procédure secondaire verra ses pouvoirs limités au territoire des juridictions qui l’ont désigné et ce tout à fait logiquement dans la mesure où la décision de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité voit elle-même ses effets limités territorialement. Cela signifie donc que le syndic ne peut exercer les pouvoirs que lui reconnaît la lex concursus que sur les biens situés sur ce territoire. A La production des créances Exceptionnellement, il peut agir dans un autre État membre quand il s’agit de récupérer des biens mobiliers qui y sont situés ou qui ont quitté l’État d’ouverture de la faillite secondaire après cette ouverture. Il peut également lancer toute action révocatrice utile aux intérêts des créanciers (art. 18, 2, du règlement). B.4. Coopération entre les syndics 43. Chacune des procédures – principale et secondaire – étant conduite par un syndic distinct de manière indépendante, le règlement se devrait d’aménager une coordination des actions des divers syndics en leur imposant un certain nombre d’obligations destinées à établir des liens entre les procédures d’insolvabilité. Celle-ci demeure cependant minimale. Les syndics sont ainsi tenus d’un devoir d’information réciproque et doivent se communiquer sans délai tout renseignement qui peut être utile à l’autre procédure (état de la production et de la vérification des créances, mesure visant à mettre fin à la procédure). Toutes les limites résultant du droit national relatif à la communication de renseignements vont bien sûr trouver à s’appliquer. (e.g. législation sur la vie privée). Cette obligation d’information est complétée par une obligation de coopération des syndics. Ces obligations sont énoncées d’une manière très générale à l’article 31 du règlement sans qu’aucun exemple très précis ne soit donné. L’idée générale est cependant que cette obligation pèse principalement sur les syndics des procédures secondaires qui sont en quelque sorte soumis au syndic de la procédure principale et qui doivent lui permettre de pouvoir présenter des propositions relatives, par exemple, à la liquidation ou à toute utilisation des actifs de la procédure secondaire. L’obligation de coopération doit se rapporter à des décisions ou des actifs d’importance, pour éviter de paralyser l’activité du syndic de la procédure secondaire64. Et c’est la lex concursus qui détermine la responsabilité du syndic qui n’aurait pas respecté les obligations de l’article 31, sans que le règlement ne prévoit de sanctions spécifiques. 44. Les conditions de recevabilité et d’admissibilité des créances sont en principe régies par la lex concursus (art. 4, 2, du règlement). Quelques questions font néanmoins l’objet d’un traitement particulier par le règlement, qui prévoit des règles matérielles uniformes quant à l’information des créanciers et la production des créances. Ainsi l’article 40 du règlement impose à la juridiction compétente ou au syndic de procéder à une information individuelle de tous les créanciers “connus” ayant leur résidence, leur domicile ou leur siège dans un autre État membre que celui de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Le règlement tente ainsi d’améliorer la situation des créanciers intracommunautaires. Mais il n’est pas précisé ce qu’il faut entendre par l’expression “créancier connu”. A propos de la Convention d’Istanbul qui retient les mêmes termes, l’on s’était demandé si l’on pouvait relever de forclusion éventuelle un créancier qui n’aurait pas été informé car il n’était pas “connu”65? Cette note d’information individuelle doit contenir les renseignements appropriés, notamment les délais à observer, les mesures à prendre, la désignation de l’organe ou de l’autorité habilité à recevoir la production des créances (art. 40, 2, du règlement). Il est précisé que cette note doit intervenir “sans délai”, et qu’elle doit être rédigée dans l’une des langues officielles de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité (art. 42 du règlement). Il est signalé à ce sujet qu’un formulaire portant le titre “Invitation à produire une créance. Délais à respecter”, dans toutes les langues officielles de l’Union européenne est utilisé à cet effet. Rien n’est en revanche prévu pour les créanciers localisés hors du territoire européen. Vis-à-vis de ceux-ci, comme à l’égard des créanciers qui se trouvent dans l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, l’information relève de la lex concursus. Le règlement organise aussi un régime allégé pour la production des créances de la part des créanciers ayant leur résidence, domicile ou siège dans un État membre autre que l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Sont aussi visés les autorités fiscales et les organismes de sécurité sociale des États membres. Cette production, adressée par écrit, doit contenir les principaux renseignements (nature de la créance, date, montant, caractère privilégié)(art. 39 et 40 du règlement). Elle peut être rédigée dans la langue du créancier. Si elle n’est pas celle de l’État d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, elle doit porter le titre “Production de créan- 65 64 M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 233. 578 – 2001 Lorsque la lex concursus ne considère pas l’absence d’information comme un motif de relevé de forclusion (Ramackers, “Réflexions critiques sur la Convention européenne relative à certains aspects internationaux de la faillite”, Sem.Jur. 1993, p. 283). Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 15 Éditions Kluwer TIJDSCHRIFT VOOR BELGISCH HANDELSRECHT ce” dans la langue de cet État et une traduction dans la langue de ce pays peut être réclamée (art. 42, 2, du règlement). B Le désintéressement des créanciers 45. Les créanciers ont en principe vocation à être désintéressés dans la faillite à laquelle ils se rattachent initialement. Mais ils peuvent participer à deux ou plusieurs procédures dans certaines limites. Des règles ont été établies en vue de garantir le principe de l’égalité des créanciers. B.1. Restitution 46. Après l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité, le créancier qui obtient satisfaction totale ou partielle de sa créance dans un autre État membre sur la base d’une procédure individuelle, doit en vertu du principe de l’universalité restituer les biens ou les montants reçus (art. 20, 1, du règlement). Le syndic peut exiger une restitution en nature ou par équivalent66. VII. Conclusion Le compromis auquel le règlement a abouti en permettant l’ouverture de procédures d’insolvabilité au niveau local tout en conservant le bénéfice du principe de l’unité et de l’universalité doit selon nous être salué. Cependant, le texte du règlement suscitera sans doute des difficultés d’application dans la mesure où d’une part certaines notions dont le contenu varie d’un État membre à l’autre n’ont pas été définies, et d’autre part eu égard à l’important rôle que le droit interne des États membres continuera à jouer en la matière, soit par le biais d’un renvoi prévu par le règlement, soit pour les hypothèses non visées par celui-ci. Ce constat nous incite à penser qu’il est urgent que le législateur belge procède à l’adaptation de certaines dispositions de droit interne en la matière. Nadine Watté Vanessa Marquette Sont exclus les créanciers qui bénéficient d’un droit réel sur un bien situé dans un autre État membre que celui de l’ouverture de la procédure. Ceux-ci peuvent réaliser individuellement le bien pour couvrir leur créance. Mais si la valeur de la sûreté est supérieure à celle de la créance garantie, le créancier est obligé de restituer l’excédent éventuel67. B.2. Imputation 47. Un créancier peut obtenir un dividende dans le cadre de la procédure qui a donné lieu à une première répartition. Il conserve ce qu’il a obtenu. Mais il ne peut participer à d’autres répartitions que lorsque tous les créanciers de même catégorie, ou de même rang ont obtenu un dividende équivalent (art. 20, 2, du règlement). La catégorie et le rang des créanciers est fixé, pour chaque procédure d’insolvabilité, par la lex concursus, la loi de l’État membre d’ouverture de la procédure. C. Le surplus d’actif de la procédure secondaire 48. Lorsque le syndic secondaire dégage un surplus d’actif, il doit le remettre sans délai au syndic de la procédure principale d’insolvabilité. Ce retour n’est obligatoire qu’après que toutes les créances admises dans la procédure secondaire ont été acquittées (art. 35 du règlement). 66 M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 172. M. Virgos et E. Schmit, Rapport, n° 99. L’on sait aussi que ces créanciers peuvent demander l’ouverture d’une faillite secondaire si le débiteur a dans cet Etat membre un établissement. 67 Kluwer Unité de droit international privé de l'U.L.B. http://www.dipulb.be 16 2001 – 579