La sexologie “relationnelle” Ou comment remettre dans son contexte

Transcription

La sexologie “relationnelle” Ou comment remettre dans son contexte
La sexologie “relationnelle”
Ou comment remettre dans son contexte relationnel une difficulté pour mieux contribuer à sa
résolution.
Très souvent on voit des personnes qui viennent consulter avec pour demande de régler une
difficulté spécifique qu’ils dissocient du contexte relationnel. Elles se livrent mentalement à
ce que l’on nomme une rationalisation.
Une autre façon de rationaliser serait de dire que ce qui est hors contexte relationnel est hors
de la réalité. Pour l’école de Palo Alto il n’y a pas à proprement parler de réalité (1), (2). Il y a
autant de réalités qu’il y a de regards humains. C’est le regard sur les choses qui déterminera
la manière de les traiter, de les interpréter. Un ensemble de personnes peut influencer la
manière d’interpréter cette réalité et gagner ainsi l’adhésion d’un nombre de plus en plus
grand de sujets. On crée ainsi des réalités subjectives qui prennent force de réalité objective.
On sait d’ailleurs à quel point les humains sont prêts à se battre pour leurs croyances…
Une conséquence de cet aspect est que l’on ne peut réellement aider quelqu’un que si on
accepte sa vision de réalité qui peut être, sous certains aspects, partagée par bon nombre
d’autres gens.
La sexologie a, sous l’influence d’une recherche de libération des mœurs, créé des théories.
Certaines de ces théories font maintenant partie de l’imaginaire populaire. Les demandeurs
d’aide dans la sphère sexuelle sont porteurs de ces théories et de ce qu’elles développent en
termes de croyance.
Les croyances ont la peau dure. Elles renforcent les tentatives pour maîtriser ou contrôler ce
qui, dans certains cas, ne peut l’être.
Prenons le cas de certains usagers de thérapie ou councelling à médiation sexologique qui,
persuadés de pouvoir développer une compétence sexuelle en l’absence de partenaire,
désirent apprendre à se préparer pour une future relation.
Beaucoup d’entre-elles s’imposent une pression qui au moment d’une rencontre ne pourra
aboutir qu’à un nouvel échec. Si on peut néanmoins admettre que certaines personnes peuvent
apprendre des rudiments comportementaux, qu’ils pourront mettre en pratique, pour la plupart
d’entre elles ce sera largement insuffisant et risque de les mettre à mal.
Il sera très important lors des premiers entretiens de cadrer les choses de manière à éviter de
les décourager une nouvelle fois en s’acharnant à régler, hors contexte relationnel, leur
difficulté. Cela signifie que nous croyons qu’une difficulté sexuelle est une difficulté avant
tout relationnelle. En l’absence d’une relation existante, active sur le plan sexuel, il nous
paraît utopique de vouloir la traiter sauf s’il s’agit d’aider à entrer en relation. Même si nous
nous trouvons devant une personne qui a une demande spécifique nous nous efforcerons
P.WATERKEYN
d’entrer en contact avec le ou la partenaire. Même s’il la difficulté à traiter est une éjaculation
précoce il nous paraît indispensable d’étudier comment la personne la « négocie » dans la
relation ou comment elle la « met en relation ».
Nous évitons donc d’encourager une pression existante et qui s’exprimera par des réflexions
dans le style :
-
je suis anormal(e)
je devrais
il faudrait que
il faut que j’arrive à
etc
Cependant il faut distinguer ici les approches thérapeutiques qui prennent en compte le
symptôme à traiter, de celles qui ne cherchent pas à les réduire ou à les faire disparaître mais
simplement à les comprendre, leur disparition survenant de surcroît.
Une approche pouvant induire des effets importants est le recadrage. Cela consiste à donner
une autre lecture de la difficulté. Il peut par exemple conscientiser sur le fait que le trouble
sexuel est le reflet de désaccords à d’autres niveaux de la relation. Prenons l’exemple d’un
couple au sein duquel le compagnon d’une jeune femme ayant le même âge a pris, au cours de
leur relation, l’initiative de la diriger dans sa vie. Ayant lui-même entamé sa vie
professionnelle après des études bien réussies il s’est mis en devoir de « pousser » sa
partenaire à en faire autant. La pression qu’il lui met a pour effet de la rendre passive. Elle
vient d’ailleurs consulter poussée par lui, pour une absence totale de désir. Le désir revient
lorsque toute pression sur la jeune femme disparaît et qu’elle entreprend elle-même de
prendre sa vie en main.
Le recadrage que nous avons utilisé est que le patient doit choisir entre le rôle de l’amant et le
rôle du père. On ne fait pas l’amour avec son père. Il faut que ce garçon choisisse entre être
l’éducateur de sa compagne ou son amant.
Le recadrage de cette situation a eu pour effet de donner une toute autre direction à la
thérapie. Il ne s’agissait plus d’aider une personne à trouver une compétence sexuelle dans
une relation mais bien de trouver sa place dans la vie, dans sa vie de couple. Après que la
pression du partenaire se soit levée, la jeune femme se trouva devant une difficulté
personnelle. Elle manquait de confiance en elle pour se réaliser elle-même.
Lorsque sa résistance à l’égard du compagnon censeur, qui plus est, lui imposait une certaine
pression, disparut, il lui resta à s’occuper d’elle-même et de son propre avenir. Le lecteur ne
sera peut-être pas surpris d’apprendre que cette personne avait tendance à se mettre une forte
P.WATERKEYN
pression pour arriver à ses fins mettant la barre de ses projets tellement haut que par la suite
elle n’était plus capable d’efforts pendant un certain temps. La conséquence en était ce que
d’aucun appelent une cyclothymie. C’est-à-dire une alternance de période d’euphorie ou
d’énergie suivie d’une période d’apathie ou d’absence d’initiative.
Le lecteur remarquera que du problème sexuel pourtant largement décrit, commenté, par les
deux partenaires, il ne reste pas grand-chose. Sa demande en thérapie devint : aidez-moi à me
réaliser, la sexualité étant « revenue » comme par miracle, n’était plus un problème.
Voilà le dilemme auquel se trouve parfois confronté toute personne ( médecin,
psychothérapeute, conseiller conjugal) face à un consultant qui exprime une demande d’aide
dans la sphère sexuelle.
Il est mis, dans ce que Bateson appelait, la double contrainte de l’anglais double bind. Ce
double lien se caractérise par la demande d’être aidé exclusivement à résoudre cette difficulté
spécifique. Si on tente d’ouvrir le débat en essayant de biaiser, de chercher à élaborer, on
reçoit un message implicite dont la teneur sera : « si vous essayez d’ouvrir le débat sur autre
chose, je m’en irai ». Ce sont des personnes qui ont peur et qui entraînent le consultant dans
leur propre peur. Il sera important de l’aborder sans quoi toute démarche thérapeutique
s’avère impossible.
Imaginez un patient qui, presque d’entrée de jeux, demande au consultant s’il est sûr de
pouvoir l’aider. De manière implicite il dit : dites-moi tout de suite si vous le pouvez (
entendez par- là : « si vous pourrez m’aider à vaincre mon impuissance, mon éjaculation
précoce ou encore ma frigidité » ). Un autre est implicite est : « si vous ne pouvez rien pour
ma difficulté spécifique, ne commencez pas à fouillez dans ma vie car votre impuissance ne
ferait que renforcer la mienne ». Donc je partirai en me plaignant d’être aller voir le xième
spécialiste qui n’a rien pu faire pour améliorer mes performances. Le double lien est dans le
double message : il encourage le spécialiste à rester dans un langage convenu sur la sexualité
dans le sens restreint qu’il lui donne. Ceci illustre à nouveau le début de cet article concernant
l’aspect relationnel de la sexologie. « J’ai tellement peur, si vous sortez du chemin que je vous
indique, d’entendre des choses que je ne veux pas entendre et qu’au moindre faux pas je
m’en irai ». Voilà le méta message ou le message implicite.
Nous pensons que ce message peut encourager le thérapeute à imposer à l’usager d’avantage
de pression. C’est comme si celui-ci disait, si vous ne faites pas autant d’efforts que moi… je
m’en irai.
Soyons néanmoins réalistes, cette personne n’est pas folle et n’est pas venue nous provoquer.
Elle est, dans son décodage de la réalité, réellement en difficulté et enfermée dans ses
croyances. Elle met tout de suite en évidence, dans le lien avec nous, sa peur de rester
coincée dans son malheur. Elle nous le montre dans sa relation avec nous. Nos réactions vont
dès les premiers instants contribuer au dénouement de la difficulté ou … à la rendre plus
compliquée encore pour elle.
P.WATERKEYN
Le lecteur l’aura compris, il faudra accepter la définition étroite étriquée ainsi que les
« explications » qui seront données comme les seules voies d’accès au traitement.
Nous pensons que, malgré tout, c’est faisable. Aider au dénouement peut même être tout à fait
passionnant et porteur, pour l’usager comme pour le consultant.
Paul WATERKEYN
(1) L’école de Palo Alto et le Mental Research Institute en Californie ont été rendus
célèbre par les recherches appliquées à la thérapie dans la foulée des travaux de
Gregory Bateson dans les année 50. Ces recherches ont abouti à la découverte de
nouvelles pistes dans la communication humaines et les fondements de ce qu’il est
convenu d’appeler aujourd’hui la thérapie systémique avec ses différents courants.
Voir à ce sujet : « A la recherche de l’école de Palo Alto » de Jean-Jacques
Wittezaele et Teresa Garcia aux édition Seuil – La couleur des idées
(2) La Réalité de la réalité. Paul Watzlawick. Ed. Seuil coll. Points. 1978
Le Langage du changement. Paul Watzlawick. Ed Seuil coll. Points. 1980
Une logique de la Communication. Paul Watzlawick – J. Helmick Beavin – Don D.
Jackson. Ed. Seuil coll. Points. 1972
Changements. P. Watzlawick – J. Weakland – R. Fisch Ed. Seuil coll. Points. 1975
La nouvelle communication. Bateson – Birdwhistell – Goffman – Hall – Jackson –
Scheflen – Sigman – Watzlawick. Seuil. 1981