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PARADOXES ET DÉMOCRATIE DE L'INFORMATION
EN ALBANIE CONTEMPORAINE1
Mariella PANDOLFI, Annie LAFONTAINE,
Marie-Joëlle ZAHAR, Laurence McFALLS
INTRODUCTION
Près de quinze années après l’effondrement des régimes communistes et le début de
l’intervention internationale dans les Balkans, il est légitime et pertinent de se poser la
question “Sur quelle scène se développe aujourd’hui l’idée d’une société démocratique
postcommuniste” ?
Le monde des communications et de l’information, entendu ici non seulement comme
l’ensemble des médias (tant traditionnels qu’électroniques), mais aussi comme un réseau
de centres, d’associations et d’instituts, constitue un site d’observation privilégié des
transformations sociétales de ces territoires émergeant d’une période de “transition”, ainsi
qu’un acteur majeur des “ré-ingénieries” institutionnelles, politiques et économiques
poussées par la “communauté internationale”, soit l’ensemble des organismes
internationaux, des agences onusiennes, des fondations privées, des organisations non
gouvernementales, des grands médias internationaux et des sièges diplomatiques de
gouvernements étrangers qui agissent dans ces “théâtres d’intervention”.
Nous avons choisi d’étudier ce champ des communications et de l’information en
Albanie, durant la période que l’on pourrait qualifier de “post-transition” et de “postconflit”, laquelle commence après la guerre du Kosovo au printemps 1999. L’Albanie,
pays le plus pauvre d’Europe, connut le régime communiste le plus fermé de la Guerre
froide puis la présence massive de la “communauté internationale” (notamment le Fonds
monétaire international – FMI –, les agences onusiennes et la Fondation Soros) pendant
la décennie 1990. Cette même décennie fut ponctuée de deux vagues d’exodes majeures
(suivant l’effondrement du régime de Ramiz Alia en 1991 et l’implosion de l’Etat et la
chute du gouvernement de Sali Berisha en 1997) et achevée par la transformation de
l’Albanie en terre d’accueil de dizaines de milliers de réfugiés kosovars, de centaines
d’organisations non gouvernementales, ainsi qu’en base arrière de l’Organisation du
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traité de l’Atlantique nord (OTAN). L’Albanie est probablement la région des Balkans
la plus poreuse aux effets des stratégies et politiques déployées par cet “appareil
militaro-humanitaire” que nous avons qualifié de “souveraineté migrante” (Pandolfi
2000, 2002, 2003 et 2004).
En Albanie, la période qui suit la guerre du Kosovo est marquée par des changements
majeurs dans la stabilisation des institutions démocratiques, de la croissance économique2
et d’une nouvelle élite intellectuelle relativement indépendante des élites politiques
traditionnelles mais organiquement liée aux organisations internationales qui ont investi
le pays durant plus d’une décennie. Cette “sortie de transition” voit la consolidation
de sphères sociétales particulièrement dans le monde des communications et de
l’information, lequel s’est développé rapidement et massivement après 1991.
Il est utile de rappeler, ici, que les notions de “liberté de la presse” et de “liberté de
parole” étaient inexistantes en Albanie durant la période communiste et qu’une résistance
interne à l’imperméabilité du pays se focalisait autour de l’écoute illicite de la télévision
étrangère. A l’ouverture des frontières, la fascination pour l’Occident et les discours
qu’il véhiculait sur l’Albanie, développée à travers le prisme des effets performatifs des
médias étrangers (notamment Zëri i Amerikës – La voix de l’Amérique –, la télévision
italienne RAI et les télévisions grecque et yougoslave), a non seulement contribué à une
émigration massive, mais également engendré l’essor de médias, réfractant un modèle
idéal de la liberté de presse occidentale3.
Pour saisir l’impact de cette grande circulation d’information sur la société
albanaise, il convient de regarder de plus près les efforts déployés dans ce domaine
depuis le début de la période postcommuniste et plus particulièrement depuis la fin
de la guerre du Kosovo. En effet, la société albanaise qui a émergé en 1991 de près
d’un demi-siècle de communisme n’est plus la même que celle qui s’est révélée après
1999. Au sortir d’un régime dictatorial et totalitaire, celle-ci a d’abord manifesté
une tendance assez prégnante à l’individualisme, chacun cherchant à donner une
nouvelle dimension à sa propre vie, soit en quittant le pays, soit en se rapprochant des
différentes organisations étrangères d’aide et de développement, soit en tentant de se
faire une place dans le nouveau monde du libre marché. Mais dans les trois ou quatre
dernières années, certains intellectuels albanais ont répondu à l’appel de plusieurs
organismes internationaux visant à établir une coopération entre différentes antennes
de la société afin de constituer une plate-forme permettant un dialogue permanent sur
la démocratie. Après l’effondrement des pyramides financières en 1997, ces organismes
ont effectivement cherché des partenaires à l’extérieur du gouvernement; des acteurs
locaux considérés plus “fiables”, “ouverts” et moins “corrompus” que les différents
organes de l’Etat albanais. En se détournant de ces derniers, les organisations ont
financé directement des initiatives non gouvernementales, engendrant la prolifération
d’ONG locales et l’émergence d’un groupe assez restreint d’intellectuels ayant pour
la plupart travaillé dans des organismes tels que la Fondation Soros (qui, précisons-le,
cherche particulièrement à appuyer les intellectuels dans les pays postcommunistes). Ces
nouveaux protagonistes de la scène démocratique albanaise ont, pour ce faire, organisé
une collaboration entre les centres, les associations et les instituts qu’ils ont créés et qui,
malgré des finalités certes différentes4, se distinguent de toute une série d’organisations
ayant, durant la décennie 1990, pris la forme de bureaux d’offre de services. Le résultat
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de cette coopération est un think tank, noyau dur d’une conception particulière de la
communication et de l’information, appelé le Klub5 (Club) et regroupant une quinzaine
de membres se réunissant chaque mardi.
En contre-point de ce cercle déjà légitimé à l’intérieur comme à l’extérieur de
l’Albanie, et réunissant des individus appartenant plutôt à la génération des 40 à 50
ans, est apparu, au début des années 2000, un nouveau mouvement, Mjaft ! (Assez !),
dont les protagonistes sont plus jeunes, souvent diplômés d’universités occidentales
et liés à des ONG albanaises et pan-balkaniques travaillant auprès de la jeunesse au
niveau de la réconciliation inter-ethnique et de l’éducation (particulièrement Balkans
YouthLink et Albanian National Debate Association). Appuyé par des organismes
internationaux tels que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)
ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ce mouvement
n’est pas un “J’accuse”. Il cherche plutôt à trouver des solutions inédites à la corruption
et aux souffrances sociales que connaît l’Albanie. Ses revendications portent sur de vastes
thématiques, de la cessation des vendettas à l’intégration européenne, en passant par les
droits des femmes, l’environnement et la paupérisation de la population albanaise. Ses
manifestations publiques sont diversifiées et innovatrices : tournées théâtrales, concerts
de musique pop et rock, marathons, etc. Il a fortement retenu l’attention des délégations
diplomatiques étrangères; ses représentants ont d’ailleurs été invités à exposer leurs
objectifs et leurs revendications devant le Congrès américain à l’été 2003. Revendiquant
une démocratisation réelle de la société albanaise, mais ne prenant pas de positions
spécifiques et refusant toute association avec un parti politique, ce mouvement, qui a
réuni une foule et s’est manifesté dans les rues en 2002, trouve une certaine résonance
au niveau des mouvements anti-globalisation à l’échelle de la planète.
Ainsi, dans cette deuxième période du postcommunisme en Albanie, plusieurs
visions de la démocratie s’entrechoquent; elles s’inscrivent aussi dans différents modes
de conception de l’information et d’utilisation des moyens de communication. Quatre
visions de la démocratie peuvent en effet être identifiées dans la société contemporaine
albanaise. La première est axée sur l’idée de réconcilier les différentes parties de la société
et de créer un dialogue. Elle correspond plutôt aux objectifs du Klub. La deuxième,
plus polémique, considère que le processus de démocratisation doit se faire à partir
de débats initiés dans la population et engagés, à travers les médias, avec la classe
politique albanaise. Cette vision oriente particulièrement le travail d’intellectuels tels
que le directeur de la revue Përpjekja (Tentative), que nous aborderons plus en détails
dans la prochaine partie. Egalement discutées plus loin dans cet article, les activités
d’Edi Rama, artiste et maire de la capitale albanaise, mettent de l’avant une troisième
vision de la démocratie que nous qualifions “d’esthétique” par sa volonté de modifier
le rapport de la société albanaise au politique en transformant notamment le paysage
dans lequel elle évolue. Enfin, une quatrième et dernière conception de la démocratie
traverse particulièrement le mouvement Mjaft !, celle d’une revendication populaire,
spontanée et axée sur la transformation totale de la société.
Ces diverses visions de la démocratie ont évolué dans le cadre d’une consolidation
du champ des communications et de l’information en Albanie, qui a débuté en 1999 et
que nous identifions à trois niveaux. Le premier niveau, que nous appelons la société
civile globale, englobe les deux premières conceptions de la démocratie. A ce niveau,
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la circulation de l’information se fait surtout entre un groupe restreint de protagonistes
albanais et différents interlocuteurs appartenant au monde des organismes internationaux,
des sièges diplomatiques étrangers et des grands médias internationaux. Ici, une
partie de la société albanaise s’imbrique étroitement à des réseaux internationaux. Le
deuxième niveau réunit, quant à lui, tout le champ de communication de la sphère que
nous qualifions d’ethnonationale. Il voit la floraison de médias albanophones dans
lesquels les débats se portent sur les questions concernant non seulement la sphère
nationale albanaise, mais également la diaspora, et mettent en scène essentiellement des
protagonistes albanophones. Enfin, le troisième niveau comporte selon nous un usage
plus expérimental, voire “postmoderne”, des moyens de communication. Il présente
une utilisation du style d’information propre aux grands médias internationaux, mais
traitée de manière inédite dans des débats qui touchent à des questions concernant
essentiellement la sphère nationale albanaise.
Pour réfléchir sur l’émergence d’une société civile et d’une démocratie
postcommuniste en Albanie aujourd’hui, il nous faut interroger de façon approfondie
ces trois niveaux et voir sur quelles bases leurs protagonistes sont légitimés, quels sont
les rôles qu’ils jouent, les impacts qu’ils ont et comment, en transformant ses pratiques,
ils poussent à la négociation une société qui a été close sur elle-même pendant de
nombreuses années.
SOCIÉTÉ CIVILE GLOBALE
Le premier niveau de consolidation du champ des communications et de l’information
met en scène des acteurs dont les activités les lient surtout à la sphère internationale.
Ce cercle restreint, appelé le Klub, comprend des individus qui privilégient l’idée
d’un dialogue permanent entre les différentes parties de la société albanaise pour en
réconcilier les objectifs, ainsi que l’usage de réunions périodiques, selon le modèle
du think tank. Les membres de ce Klub ont été légitimés et formés par des organismes
internationaux tels que la Fondation Soros. Voire, ils ont été “dressés” compte tenu
que plusieurs d’entre eux ont participé en tant qu’experts à des programmes mis sur
pied par des organismes tels que l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la
science et la culture (UNESCO) ou encore le PNUD. Ce groupe comprend également
quelques personnes ayant un passé politique et qui se sont recyclées dans la recherche.
Ces individus avaient déjà un accès privilégié à l’information quant aux possibilités
d’appui politique et financier à travers les réseaux des organismes internationaux.
Ce Klub constitue une élite intellectuelle nationale qui s’est progressivement
transformée en ce que l’on pourrait qualifier de société civile globale. Car si la notion
de société civile peut être définie comme “un espace social et économique dans lequel
des acteurs sociaux émergent en opposition au régime établi sur la base d’une référence
à des institutions et des valeurs citoyennes modernes”, on voit que cette notion a été
“progressivement remplacée par celle de société civile globale, c’est-à-dire la complexe
interaction, au niveau international, de mouvements sociaux et d’organisations non
gouvernementales qui s’opposent souvent aux institutions publiques établies” (notre
adaptation de Zolo 1995 : 154-156). Parce que liée au monde de l’information et à
des réseaux de communication globalisés, cette mince portion de la société albanaise
se présente donc comme une société civile “globale”.
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Nous ne cherchons pas ici à entrer dans les débats généraux portant sur la globalisation
et sur la cartographie de ses problèmes telle que répertoriée par les économistes, les
politologues, les sociologues, les philosophes et les anthropologues. Nous renvoyons le
débat à certains auteurs qui ont problématisé ces questions : la position néo-keynesienne
du prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz (2002); celle du philosophe Ulrich Beck
(1999a, 1999b), avançant la thèse d’une deuxième modernité, réflexive, émergeant
de la faillite du projet de modernisation occidentale; celle du sociologue Serge
Latouche (1989), qui constate une uniformisation culturelle du monde par le biais de
la machine de l’occidentalisation; ou encore les positions inverses des anthropologues
Arjun Appadurai (1996) selon lequel la globalisation fait surgir une multitude de
nouveaux phénomènes locaux, et Ulf Hannerz (1992, 1996), qui propose que celle-ci
engendre des processus d’hybridité transnationale et de fragmentation culturelle; ou,
enfin, les positions philosophiques de Jean Baudrillard (1981), soutenant la thèse de
la formation d’un monde “hyper-réel” produisant des simulacres et des simulations de
la réalité, et de Jurgën Habermas (2000) qui prône le développement d’un fédéralisme
et d’une démocratie cosmopolite, universaliste et “libérale” pour contrer les effets de
la fragilisation de l’Etat-nation moderne par une économie de marché mondialisée.
Tous ces auteurs, et bien d’autres, ont essayé de définir en termes positifs ou négatifs
la globalisation politique et économique, la révolution informatique, la culture globale,
les espaces juridiques globaux, la guerre globale et les droits humains universaux.
Au-delà des divergences entre les tenants d’une vision positive ou négative de
la globalisation, il nous paraît important de souligner que la notion de société civile
globale prend des contours particuliers dans un pays postcommuniste. Il s’agit là, en
effet, d’un raccourci pour s’émanciper de l’impasse d’une société étatique autoritaire,
et d’éviter par le même biais l’implosion de la nouvelle société postcommuniste,
implosion qui pourrait être provoquée par la rigidité des rapports hiérarchiques hérités
du régime dictatorial.
En Albanie, depuis la guerre du Kosovo, nous assistons à une légitimation progressive
de la société civile globale par cet acteur que nous avons appelé “communauté
internationale”. Cette légitimation s’exprime notamment dans les rapports annuels
des organismes internationaux, comme ici celui du PNUD qui affirme que durant le
conflit du Kosovo “The international community for the first time had the opportunity
to view Albania as a partner rather than a problem” (Çabiri et al. 2000 : 7). De même,
les rapports de l’OSCE sur les élections (Office for Democratic Institutions and Human
Rights 2000, 2001 et 2004), ceux plus récents du PNUD (Çabiri et al. 2002) et de la
Banque mondiale (De Soto et al. 2002), mais aussi les reportages des médias étrangers6,
adoptent une nouvelle façon de parler de l’Albanie.
Cette nouvelle vision de l’Albanie, celle d’un pays capable de sortir d’une phase
d’anarchie, pouvant envisager une intégration éventuelle à l’Union européenne, apte
à être considéré comme un partenaire de la paix et ayant pour la première fois en 2003
participé à une coalition militaire internationale en envoyant des troupes en Irak, a
suscité des changements significatifs chez la majorité des politiciens albanais qui
ont toujours eu tendance à travailler en termes de lobbies ou de rapports claniques
traditionnels. Contrairement à la méfiance qui caractérisait jusque là les rapports entre
la société civile globale et la classe politique, celle-ci a commencé à reconnaître qu’un
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réel dialogue avec les gouvernements étrangers passait nécessairement par le biais de la
société civile globale. Par ailleurs, en modelant leurs “propres” organisations locales,
en finançant des centres, des associations et des instituts qui n’existaient pas en Albanie
avant leur arrivée, les acteurs de l’intervention internationale se sont facilité la tâche
de transformer les pratiques institutionnelles en Albanie en provoquant un transfert de
légitimité plutôt qu’une mutation directe des institutions existantes. La société civile
globale est ainsi devenue un porte-parole de cette “communauté internationale”.
Protagonistes et pivots de ce processus de légitimation sont notamment l’Albanian
Media Institute et le House of Book and Communication qui représentent de façon
emblématique cette société civile globale. Il s’agit d’instituts travaillant dans le domaine
de l’information et de la communication et créés par des forces intellectuelles locales :
le premier fondé en 1995 par Remzi Lani7 et le deuxième, en 2001, par Piro Misha8. Ce
sont aussi des instituts financés par différentes sources internationales, principalement
par la Fondation Soros9.
Conçu pour relever l’intéressant et difficile défi de transformer en profondeur
la conception de l’information en Albanie, l’Albanian Media Institute a pour rôle
premier de former des journalistes à une éthique internationale des communications
et des médias. Le projet, visant à éradiquer la conception communiste de l’information
comme propagande, à éviter également que la jeune génération ne vive l’information
comme une utilisation anarchique des médias, et à développer l’idée d’une expertise
professionnelle internationalement reconnue, pouvait initialement paraître utopique.
Il s’est avéré un véritable succès, non seulement au niveau du travail de l’institut en
Albanie même, mais également au niveau du prestige qu’il a acquis dans d’autres pays.
L’Albanian Media Institute a créé des réseaux avec des instituts et des associations
de journalistes dans les Balkans, à travers l’Europe et au niveau international10. Ces
réseaux s’occupent de stages et de formations dans le domaine des médias et des
relations publiques, mais ils travaillent surtout au développement d’une nouvelle
éthique répondant à la sphère publique plutôt qu’aux pressions gouvernementales.
Par son travail, l’Albanian Media Institute est devenu l’une des antennes les plus
intéressantes de l’Albanie sur la scène régionale et internationale. Son directeur a
acquis une reconnaissance de la part des grands médias internationaux, des organismes
internationaux qui financent, développent et appuient des projets liés aux médias, ainsi
que des délégations diplomatiques occidentales.
Autre projet visionnaire qui a pris forme après la guerre du Kosovo et qui est né
de l’heureuse rencontre entre un intellectuel albanais ayant toujours travaillé dans le
domaine de l’édition et de la traduction, et la Fondation Soros en Albanie, le House
of Book and Communication a un mandat à trois niveaux. D’abord, il finance des
maisons d’édition albanaises pour publier et traduire des auteurs interdits durant le
régime communiste. Ensuite, il gère une bibliothèque ouverte au public, qui contient
tous les périodiques étrangers, et qui possède un système informatique permettant
aux gens de lire en temps réel les journaux internationaux les plus importants et de
toutes tendances. Enfin, il organise des conférences internationales portant sur des
thématiques émergentes dans la société albanaise contemporaine11, et mettant cette
dernière en relation avec des intellectuels étrangers et des figures clés des ambassades
et des organismes internationaux.
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Par sa triple mission, couvrant les domaines de l’édition, du travail académique et
du financement de projets, le House of Book and Communication essaie de combler un
vide important car l’institution universitaire en Albanie souffre toujours de la logique
bureaucratique de recrutement et d’un manque de ressources, particulièrement dans les
domaines des sciences humaines, des sciences sociales et des relations internationales. Il
s’agit donc, pour les intellectuels, les chercheurs et les étudiants albanais, d’un pôle de
référence majeur qui actualise une idée plus moderne et contemporaine de la pédagogie.
Ainsi, la circulation de l’information, et le débat intellectuel peuvent, dans le cadre de
sociétés postcommunistes, se déplacer progressivement de l’institution universitaire
vers de nouveaux lieux.
Dans le même ordre d’idées, l’expérience et le travail d’information et de
communication réalisés par la revue culturelle et politique Përpjekja, méritent une
attention particulière. Dirigée et fondée par Fatos Lubonja en 1994 avec l’aide de la
Fondation Soros, cette revue demeure unique en son genre en Albanie. Son style plus
polémique s’inscrit dans une conception de la démocratie en tant que débat intellectuel.
C’est une voix très indépendante, parfois solitaire, mais qui répond à l’idée d’un pur et
entier travail intellectuel plutôt qu’à une vision plus organisationnelle et “manageriale”
de la culture. Le relatif isolement de la voix de Fatos Lubonja ne l’a cependant pas
empêché d’avoir un fort impact sur la scène internationale et d’acquérir une grande
visibilité dans les médias albanais. Son passé personnel de prisonnier politique, de 1974
à 1991 sous le régime communiste, le poste de Secrétaire général du comité albanais
d’Helsinki qu’il a occupé en 1994, quelques années seulement après sa libération,
et les prix littéraires prestigieux qu’il a obtenus12, ont fait de lui une figure publique
importante en Albanie.
L’Albanian Media Institute et le House of Book and Communication d’une part
et d’autre part la revue Përpjekja ne représentent pas des expériences divergentes de
la transformation de l’élite intellectuelle en société civile globale. Il s’agit plutôt d’un
premier niveau de polyphonie démocratique s’instaurant dans une société qui tarde
encore aujourd’hui à reconnaître l’importance de la dissonance des voix.
En effet, depuis la guerre du Kosovo, mais surtout depuis le 11 septembre 2001,
nous voyons émerger en Albanie des groupes fondamentalistes islamistes qui attaquent
les intellectuels les plus laïcs et donc les plus ouverts au dialogue avec la “communauté
internationale”. La majorité des membres de la société civile globale ont été la cible de
tentatives de délégitimation de la part de ces nouveaux acteurs de la scène médiatique
albanaise. Bien qu’encore marginaux, certains d’entre eux poussent parfois l’attaque
jusqu’à la menace de mort, telle que celle reçue par Piro Misha au mois de mars 200413 et
qui a déclenché une vive réaction dans le pays faisant dire à l’écrivain Ismail Kadare que
le vrai danger en Albanie aujourd’hui est le radicalisme de certains groupes islamistes.
Les débats sur cette question sont de plus en plus présents dans les médias albanais. Pour
certains intellectuels tels que le directeur de la revue Përpjekja, la dramatisation de ce
danger sert à occulter les réels problèmes de la société albanaise. Nul ne peut toutefois
nier l’existence de ces groupes qui grandissent à l’ombre du paravent religieux, ni le fait
que le phénomène puisse cacher des difficultés internes provoquées par la marginalisation
de certains groupes. On pourrait ici s’accorder avec la critique de Serge Latouche sur
les effets pervers d’une occidentalisation radicale et rapide empêchant une intégration
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entre les différents groupes et les diverses communautés d’un territoire national, et qui
divise de façon arrogante et dangereuse une petite élite de la majorité de la population,
elle-même scindée entre zones urbaines et rurales et survivant essentiellement grâce
à l’aide internationale ou à une petite économie de subsistance. Aussi, ce phénomène
nouveau de revendication identitaire religieuse en Albanie dénote les effets performatifs
de discours produits sur l’Albanie à partir de l’extérieur. Les scissions religieuses ne
sont absolument pas un héritage du passé14, mais un impact de catégorisations sociales
apposées sur la société albanaise; une “réinvention de la tradition” (Hobsbawm et
Ranger 1983) qui se fait par des pressions externes.
L’Albanie ne semble donc pas avoir échappé à ce processus de marginalisation de
certains groupes sociaux lors de la transition. Et dans cette phase de sortie de transition,
les différents segments de la société albanaise ne paraissent pas mieux intégrés, même si
de l’extérieur, le pays semble plus stable sur les plans politique et économique. Quoique
la classe politique tente un rapprochement avec la société civile globale, et bien que
les politiciens envisagent maintenant cette société comme un pont avec l’étranger, ils
ne réussissent pas, pour leur part, à servir de pont entre cette petite partie de la société
albanaise légitimée par la “communauté internationale” et le reste de la population.
La société civile globale fait d’ailleurs souvent l’objet de vives critiques, voire de
condamnations, dans les médias nationaux. Outre les menaces extrêmes provenant
de groupuscules islamistes, elle se voit souvent accusée de tourner le dos aux besoins
d’une Albanie “locale”, de ne pas se préoccuper des problématiques spécifiques du
pays, de privilégier comme interlocuteurs des réseaux internationaux et de “manquer”
de nationalisme. C’est une attitude effectivement cosmopolite qu’adoptent les membres
de cette société civile globale. Une définition du cosmopolitisme semble difficile à
produire. On peut considérer, suivant Pollock, Bhabha, Breckenridge et Chakrabarty
(2000), qu’en tant que concept analytique et pratique politique, le cosmopolitisme se
présente plutôt comme un projet qui pourrait toujours échapper à une définition finale et
qualifier un discours, une société ou un groupe social particulier. Dans son association à
un libéralisme fétichisé, il peut connoter un imaginaire centré sur l’individualité, l’icône
de l’universalité de “l’humain”. Il peut renvoyer à l’idée de citoyen du monde, projection
du citoyen d’un Etat-nation ou au contraire de tous ceux qui en sont exclus. Il évoque
également une appréhension œcuménique du monde, la possibilité de développer des
identités culturelles hybrides, la démobilisation d’une partie de l’élite nationale vers
la sphère internationale. Il est une posture se situant en contre-point du nationalisme
et de la territorialité des identités culturelles; comme une constante “transition” vers
une indéterminable condition “post”. En Albanie, la société civile globale se positionne
donc à un niveau qui transcende le national et qui s’étend au-delà des limites culturelles,
sociales et politiques d’une sphère ethnonationale albanaise. Ses pratiques remettent en
question ces limites; elles peuvent donc produire une vive réaction de la part de ceux
qui prônent “l’ethnonationalisme”.
SPHÈRE ETHNONATIONALE ALBANAISE
La sphère ethnonationale albanaise constitue le deuxième niveau dans le champ
des communications et de l’information en Albanie. Nous qualifions ce niveau
d’“ethnonational” plutôt que de “national” parce qu’il rayonne au-delà des frontières
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de l’Albanie et s’adresse à un public albanophone pouvant se trouver au Kosovo, en
Macédoine, au Monténégro, en Grèce ou dans la diaspora. Son développement est selon
nous une dimension importante de la période de transition du pays et de celle que nous
avons nommée “post-transition”.
A partir de la guerre du Kosovo, ce niveau a vu la prolifération de nouveaux
journaux, hebdomadaires et chaînes de télévision privées. Il se distingue sur ce point
de la société civile globale dont l’expansion se situe dans le domaine plus vaste de la
production culturelle. Depuis 1999, dix-neuf nouveaux périodiques ont été créés en
Albanie, ce qui en fait le pays ayant le plus de quotidiens dans toute l’Europe orientale
et centrale. L’Albanie compte également aujourd’hui cinquante chaînes de télévision, la
grande majorité d’entre elles privées et concurrençant de plus en plus les postes publics
(en particulier le plus important, RTSH – Radio Televizioni Shqiptare –) compte tenu
de l’intérêt de l’audimat pour les talk-shows qui meublent les programmes des chaînes
privées et qui laissent place à une très grande liberté d’expression.
A ce niveau, les débats demeurent généralement orientés sur des problématiques
assez locales; ils sont très poreux aux changements d’influence émanant du pouvoir.
Le panorama idéologique est donc flou et, au-delà de certaines chaînes de télévision
et quotidiens toujours orientés soit vers les deux chefs socialistes15 (l’actuel Premier
ministre Fatos Nano et l’ex Premier ministre Ilir Meta), soit vers l’ancien Président
Sali Berisha16 et son Parti démocratique, ou encore imprégnés d’un ethnonationalisme
qui plonge ses racines dans la diaspora albanaise, nous pouvons avancer que de façon
générale toute cette nébuleuse médiatique reste très sensible aux fluctuations de la
balance du pouvoir en Albanie (notamment avec l’émergence très forte de certains
entrepreneurs et hommes d’affaires17, ou encore de nouvelles formes d’opposition et
d’intégrismes religieux qui ne correspondent pas à la tradition laïque et à la pratique
de la tolérance religieuse qui caractérisent la société albanaise).
Dans cette multiplication des médias, on retrouve donc dans un même scénario les
vieux lobbies politiques, les nouveaux groupes d’entrepreneurs (que l’on pourrait situer
entre une droite nationaliste et un néolibéralisme de marché) ainsi que des personnalités
publiques connues sur la scène internationale et reconnues pour leur indépendance
intellectuelle. Si la présence de ces derniers dans les débats démontre l’existence
d’une réelle liberté de parole en Albanie, elle est par contre souvent utilisée à des fins
de légitimation dans le cadre de luttes politiques internes. La prolifération des médias
évoque non seulement une idée anarchique et anti-trust du marché mais elle produit une
sur-information, et présente surtout un vide au niveau des enquêtes et des documentaires.
S’il est clair que tous les canaux de télévision et les quotidiens ne s’équivalent pas en
termes de qualité de l’information, la tendance de plusieurs à mélanger la politique à
la rumeur, jusqu’à la calomnie, voire la menace, remplace actuellement les analyses en
profondeur. Les discussions et controverses initiées dans les multiples talk-shows ou par
les éditorialistes des quotidiens, mettent souvent moins en jeu idées et problématiques
qu’appartenances et rapports de clientélisme politique. Nous pourrions mentionner ici
le procès intenté à l’hiver 2003 par le directeur du journal Shekulli contre Fatos Lubonja
qu’il accusait de médisances pour avoir envoyé un email dans lequel Lubonja aurait
affirmé que le journal, avec lequel il avait longtemps collaboré comme analyste, avait
censuré son article “les politiciens albanais et la guerre en Irak” à cause de financements
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qu’il recevait de l’ambassade américaine. L’incident a créé un émoi dans le monde des
médias, rappelant les censures du régime communiste et les restrictions imposées à la
liberté et à l’indépendance de la presse par l’imbrication trop étroite entre les médias,
le monde politique et les financements étrangers.
En effet, les polémiques qui ont lieu dans la sphère ethnonationale, soit en Albanie,
soit dans les pays de la diaspora albanaise, sont teintées d’une vision partisane de la
liberté de presse qui s’est développée après la chute du communisme. L’article diffusé
en 2002 contre le Klub dans le journal Bota Sot, publié au Kosovo18, mais très lu en
Macédoine et dans la diaspora albanaise en Suisse, en France et aux Etats-Unis, en est
une illustration intéressante. Un quotidien publié à l’extérieur de l’Albanie s’immisce
ainsi dans ses affaires politiques internes en publiant un article, “Misha me shokë”
(Misha et ses amis), signé par l’éditorialiste Abdi Baleta, ancien membre du Parti
démocratique de Sali Berisha, qui vise à condamner certains protagonistes clés de
l’Albanie contemporaine, en l’occurrence Piro Misha et les membres du Klub, qui
cherchent à conserver une certaine distance par rapport au Parti démocratique. C’est
ainsi que l’idée d’appartenance ethnonationale albanaise mobilise les protagonistes
de ce niveau des communications, en servant notamment à délégitimer les membres
d’une société civile globale considérée cosmopolite et peu nationaliste, voire “antialbanaise”.
Dans tout ce champ des communications et de l’information, il existe donc une
superposition et parfois une confusion entre ce que nous appellerions anarchie de
l’information et liberté de la presse et de la télévision. Car il n’existe ni code de
déontologie propre à la profession journalistique et aux experts, ni législation appropriée
couvrant l’opération des médias en Albanie. Ce rapport entre information, éthique,
règles déontologiques professionnelles et application de normes juridiques est l’une
des fragilités importantes dans le dynamisme de la société albanaise contemporaine.
Le constat d’une telle faiblesse nous porte à penser que celle-ci pourrait empêcher la
formation et la manifestation d’une société civile en Albanie. Par contre, certaines
initiatives nouvelles dans le domaine des médias nous permettent de croire que la notion
de société civile albanaise pourrait possiblement être en train de prendre forme. Ces
initiatives se situent au troisième niveau que nous avons identifié.
EXPÉRIMENTATION “POSTMODERNE”
Un troisième niveau de communication et de circulation de l’information paraît
émerger depuis peu de temps. Son représentant emblématique n’est autre que l’une
des figures politiques les plus charismatiques de l’Albanie contemporaine. Il s’agit
d’Edi Rama, artiste ayant vécu en France, ancien ministre albanais de la culture sous
Fatos Nano et actuel maire de Tirana. Paradoxalement, cet homme, qui appartient aux
institutions locales, a créé un style de communication très personnalisé dans lequel
s’interpénètrent une certaine tendance à rechercher l’aura mythique d’un leader
(technique de publicisation par l’image souvent utilisée dans les campagnes électorales
en Occident) et un usage très actuel des nouvelles technologies. Sa campagne électorale
fut le précurseur d’une nouvelle forme de communication que l’on pourrait qualifier
de postmoderne. Par exemple, dans l’une des vignettes publicitaires télévisées, l’aigle,
symbole de l’Albanie, devient un simulacre se superposant à sa propre image, homme
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volant comme l’emblème du drapeau albanais. Ce type de recyclage de symboles
nationaux trouve un écho dans le style de son propre bureau où est exposée une
immense photo du Tirana des années trente, complètement recouverte d’un filtre rouge.
Encore une fois, Rama mélange représentation historique et nationale avec sa propre
individualité, en l’occurrence sa couleur favorite : le rouge.
Edi Rama est un visionnaire qui allie une philosophie d’artiste à un pragmatisme
de politicien. Après son élection en 2000, il a non seulement voulu remettre en ordre
les infrastructures d’une ville qui avait été presque laissée à l’abandon depuis dix ans,
mais il a également voulu faire disparaître la grisaille “communiste” de la capitale. Ce
faisant, il a initié ce que l’on pourrait appeler une démocratie participative colorée qui
s’inscrit dans cette nouvelle culture de l’information et de la communication, la “cultura
del’effimero” (la culture de l’éphémère) développée par Renato Nicolini, maire de
Rome dans les années 1970 et qui a été reprise par plusieurs villes occidentales. Depuis
2001, Edi Rama a cherché à transformer les rapports entre les habitants de Tirana et
les institutions en produisant une nouvelle forme de communication qui s’inspire de
ce style de vie qui imprègne les citadins d’Europe et d’Amérique du Nord. Il a décidé
de faire peindre les devantures des immeubles de couleurs vives, en commençant par
l’orangé, couleur qui, selon lui, “pique comme une aiguille”. Il a ainsi essayé d’inverser
un rapport intérieur-extérieur hérité de l’époque du régime totalitaire pendant lequel les
habitations étaient identiquement grises à l’extérieur, mais colorées et personnalisées à
l’intérieur, silencieuses en dehors et vivantes en dedans. La couleur extériorisée devait
avoir un effet catalyseur dans la population albanaise et faire sortir les débats sur la
place publique. D’ailleurs, l’initiative a eu un effet immédiat : les Albanais de Tirana
et d’ailleurs ont commencé à se prononcer pour ou contre cette idée et à exprimer
critiques ou émerveillements.
Mais son projet de transformer le rapport des citoyens aux institutions ne s’est
pas arrêté là. Le 31 juillet 2003, Rama a lancé une grande compétition internationale
de reconfiguration architecturale de la ville de Tirana. Les finalistes de ce concours,
trois groupes allemand, néerlandais et français, ont présenté leurs projets devant une
commission internationale formée pour déterminer le gagnant, mais ce, devant les
caméras de toutes les chaînes de télévision albanaises invitées à rediffuser la finale sur
leurs ondes pour permettre à la population albanaise de suivre l’opération de sélection19.
Ainsi, pour la première fois en Albanie, et peut-être même en Occident, les citoyens
ont pu assister à un débat public en ayant directement accès à toutes les procédures
qui constituent le fonctionnement quotidien interne des institutions démocratiques
selon les standards internationaux. Pour la première fois, une société habituée, soit à
des institutions fermées sur elles-mêmes, soit à un Etat qui ne s’expose qu’à travers
la publicisation des crises politiques “inter-claniques”, a participé à un débat public et
reçu l’information adéquate pour ce faire.
L’inventivité colorée et époustouflante d’Edi Rama a non seulement attiré l’attention
du peuple albanais, mais aussi celle de la “communauté internationale” en Albanie.
La BBC lui a consacré un reportage de 45 minutes en 200420 et aujourd’hui, il a même
remporté le concours mondial du maire le plus populaire, organisé sur la plate-forme
Internet de City Mayors21, et mettant en compétition une cinquantaine de maires de
tous les continents. L’impact que ses initiatives originales ont eu sur les Albanais, tant
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en Albanie que dans la diaspora, se révèle dans des affirmations telles que “Edi has
changed the face of Tirana, but his work is also making the public of Tirana feel one
step closer to Europe; dignity and pride in their surroundings have been re-born”22 et
“I am now proud to be from Tirana”23.
Indépendant des logiques bureaucratiques des institutions politiques en Albanie,
le style d’Edi Rama n’est pas polémique, mais provocateur. Il manifeste une vision
esthétique de la démocratie et peut, à notre avis, favoriser l’émergence réelle d’une
société civile albanaise. Par son usage des médias, l’ouverture de ses projets à une
participation non seulement des citadins de Tirana, des citoyens albanais, mais également
d’étrangers, Edi Rama provoque des débats qui s’inscrivent dans une conception de la
communication respectant des standards internationaux, mais qui ne dépend pas d’une
légitimation de la “communauté internationale” en Albanie. Nulle de ses initiatives
n’est planifiée à partir des programmes des fondations ou organismes internationaux.
Directement lié à une institution locale mais résolument détourné des jeux politiques
partisans, totalement engagé dans l’amélioration du rapport entre une ville et ses citadins
mais inspiré par une créativité qui puise dans les symboles et l’histoire de son pays
ainsi que dans une expérience de vie à l’étranger, le maire de Tirana ne se positionne
donc ni dans la société civile globale ni dans la sphère ethnonationale. Il semble plutôt
tendre vers la création d’un nouveau type d’espace public qui pourrait correspondre à
la définition qu’Appadurai et Breckenridge (1988) ont donnée au concept de “public
culture”, court-circuitant ceux de “haute culture”, “culture populaire” ou “culture
nationale”, et faisant référence à une “zone de débats culturels” traversée par des formes
de productions culturelles “trans-locales”, transnationales et cosmopolites.
UNE FORMATION À L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ
L’importance de la circulation de l’information en Albanie n’est pas seulement
liée aux trois niveaux de consolidation du champ de communication que nous avons
décrits ci-dessus. Au-delà de ceux-ci se multiplient des publications de toutes sortes –
brochures, journaux, guides, rapports et fascicules d’information principalement
destinés aux étrangers. Par exemple, l’Albanian Business Guide (cf. Pasha 2002),
publié sous la direction de plusieurs chercheurs et économistes albanais à Tirana, est
rédigé en anglais pour les investisseurs et les experts étrangers. Son style ressemble
à celui des rapports et des textes publiés par la Banque mondiale (cf. Gjokutaj 2002),
le PNUD (cf. Albanian Center for Economic Research) ou encore par les centres
d’études économiques occidentaux. Il faut également souligner le rôle important joué
par la revue Albanian Observer entre 1994 et 2002. Publiée uniquement en anglais,
elle offrait un aperçu général de l’Albanie et donnait des informations politiques et
économiques précieuses sur la démocratie naissante du pays et sur les pistes que la
libéralisation du marché était en train d’ouvrir. On se rappellera à titre d’exemple les
débats entourant le Pacte de stabilité des Balkans ou encore la construction du Corridor
huit devant relier les mers Adriatique, Ionienne et Noire. Plus récemment, un guide
touristique, Tirana in Your Pocket, rappelant le guide français Pariscope ou encore
l’anglais Time-Out, contient tous les renseignements nécessaires à l’étranger qui arrive
pour la première fois à Tirana : où se loger, où manger, où faire des achats, le système
des communications, les principaux médias, les entreprises privées ou les adresses des
délégations diplomatiques étrangères.
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Ainsi, tous les rapports publiés en et au sujet de l’Albanie par les organismes
internationaux depuis plus de dix années ont créé un espace d’information qui a
progressivement été élargi à d’autres groupes, particulièrement formés d’économistes
et de gens d’affaires. Le style de ces publications a progressivement été considéré
comme la clé du succès, un style professionnel et sérieux, un gage de légitimité à
l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Les discours entretenus “sur” l’Albanie se
retrouvent ainsi reformulés par des acteurs locaux du développement économique
dans des publications destinées à un lectorat d’investisseurs potentiels ou de touristes
et consommateurs étrangers. On voit dans ce phénomène se manifester cette sensibilité
très grande développée par la société albanaise après sa sortie de l’isolement en 1991,
à l’égard des discours véhiculés sur l’Albanie à l’étranger ou par des étrangers. Par
ailleurs, aujourd’hui, un “retour” de l’information se produit dans le domaine économique
avec l’importance qu’ont pris les quotidiens Biznesi et Monitor, publiés en albanais,
dénotant peut-être l’augmentation des investissements “albanais” en Albanie, ainsi que
le succès de l’implantation du “libre marché” dans le pays.
CONCLUSION
Qu’en est-il, alors, de la constitution d’une société postcommuniste qui se veut
démocratique, en attente d’Europe (Abélès 1996) et qui caresse ce rêve néolibéral que l’on
retrouve de façon plus ou moins explicite dans le domaine des communications ?
Les trois niveaux que nous avons identifiés reprennent tous une idée de la libre
circulation de l’information qui correspond aux canons occidentaux. Il nous semble,
cependant, que notre exposé montre que ce qui, théoriquement, se devait être une source
globale de démocratisation peut engendrer le piège d’une démocratisation accélérée et
d’un passage immédiat à ce que le philosophe allemand Ulrich Beck nomme la seconde
modernité, concept qu’il propose notamment dans ses débats sur la globalisation avec
le philosophe italien Danilo Zolo (Beck et Zolo 1999) et qui nous semble utile pour
comprendre la réalité albanaise d’aujourd’hui. La seconde modernité est, selon Beck, une
modernisation de la modernisation. Elle remet en question et réfléchit sur les fondements
de la première modernité, celle de l’Europe des Lumières (l’Etat-nation, le plein-emploi,
l’industrialisation rapide et l’exploitation sans bornes des ressources naturelles), et la
défie à travers cinq de ses processus : la globalisation, l’individualisation, le chômage
ou le sous-emploi, la révolution des genres et les risques globaux (écologiques ou
financiers). L’Albanie est entrée directement dans cette modernité réflexive en 1991. Le
processus de démocratisation qu’elle connaît, particulièrement depuis les années 2000,
nous semble ainsi résolument postmoderne, au sens suggéré par David Harvey (1990)
dans ses études sur la condition postmoderne et qui réfère à une remise en cause de la
rationalité et du fordisme, au passage à un régime flexible d’accumulation du capital,
à la déréglementation, au décentrement de l’individu et à l’accélération des échanges
et des communications.
A la lumière de notre réflexion, nous constatons la formation de niches paradoxales
dans le circuit de l’information en Albanie. Ce constat nous porte à conclure en posant
quelques questions selon nous cruciales.
Pour commencer, le niveau ethnonational des communications et de l’information
(deuxième niveau) révèle une attitude de règlement de comptes et une vision particulière
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de la liberté de presse comme processus à la fois individualisant (toute personne ayant
les moyens pouvant créer sa propre chaîne de télévision ou son propre journal) et
formateur de nouveaux réseaux. Des groupes de pouvoir émergent, se mélangeant
parfois à d’anciens lobbies politiques ou encore essayant d’imposer à une société
jusque lors étrangère à l’idée d’une sphère publique, les nouveaux riches de cette
société néolibérale, en créant des mégaphones qui ne promeuvent qu’eux seuls. C’est
bien là, à notre avis, tout le paradoxe de l’idée de sphère publique, telle que théorisée
par Habermas (1978), un espace de débats organisés sur la base d’arguments rationnels
et non en fonction de l’identité ou du statut social des interlocuteurs. Un espace de
“discussion”, unique, qui permettrait une intégration sociale et la manifestation d’une
société civile indépendante des institutions étatiques et capable de réagir à celles-ci.
Un espace que Benhabib (1992) qualifie de “discursif”, ou dialogique, dans lequel des
personnes “privées” délibèrent des affaires “communes”, et qui permet d’envisager la
restructuration des sociétés du capitalisme avancé vers un modèle plus démocratique
et “socialiste” en se maintenant à distance des relations économiques inhérentes au
libre marché. Pourtant, dans une société comme l’Albanie qui est radicalement passée
d’un modèle socialiste au capitalisme, la prolifération des médias est en relation avec
l’expansion d’un libre marché. Elle a lieu dans le cadre d’une mise en scène publique
d’intérêts privés qui produit, en définitive, un embouteillage du réseau de l’information.
Elle ne crée pas plus de débats publics; elle les paralyse. L’introduction en Albanie d’un
modèle occidental idéalisé de la sphère publique, semblable à la définition proposée
par Habermas, paraît ainsi produire l’inverse de la démocratie. Il faut alors se poser
la question suivante : “Quelles sont les postures et les pratiques démocratiques qui
seraient capables de construire une liberté de circulation de l’information qui ne soit
pas anarchique ? Comment édifier une éthique publique des médias et sortir de ce cercle
vicieux entre le pouvoir politique des lobbies qui diminue les chances de législation
dans le domaine des communications et le caractère lobbyiste et partisan du monde
politique lui-même qui s’immisce dans ce champ des communications ? Pouvons-nous
concevoir, avec Habermas, le concept de sphère publique politique comme “all those
conditions of communication under which there can come into being a discursive
formation of opinion and will on the part of a public composed of the citizens of a state”
(Habermas 1992 : 446) ? Ou bien devons-nous penser, avec Jacques Derrida (1991),
que la libéralisation des médias et leur mutation techno-économique, émanation de ce
qu’il appelle la modernité occidentale post-révolutionnaire, ne risque que de produire,
en fin de compte, une opinion publique “moyenne” sur-déterminée par la presse ellemême, “ajournant” ainsi la démocratie ?
Quant aux deux autres niveaux que nous avons évoqués, la société civile globale
et l’expérience postmoderne, il s’agit de postures avant-gardistes. En effet, chaque
pratique mise en œuvre par leurs protagonistes est projetée sur une scène cosmopolite qui
dialogue déjà avec une culture globale. Ils opèrent dans un contexte local et spécifique
et répondent à une utopie de la liberté postcommuniste, mais leurs interlocuteurs sont
tous les représentants de la bureaucratie, de l’expertise, de l’économie et de la culture
planétaire. Ils vivent déjà dans ce que Zolo (1995) appelle la “Cosmopolis” et dans
le projet visionnaire d’être à l’avant-garde d’une société civile globale qui demeure
néanmoins une enclave élitiste. Si leurs pratiques et leurs projets ont de l’envergure,
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l’impact de ceux-ci est de plus en plus orienté vers l’extérieur du pays; ils sont les
meilleurs ambassadeurs du potentiel de l’Albanie. Ils procèdent cependant à une
vitesse telle que cela paraît créer des malentendus et des incompréhensions qui vont
parfois jusqu’à faire d’eux la cible de menaces ou du moins de condamnations ou de
désapprobations au niveau ethnonational. Leur rôle reste certes prioritaire dans les
processus de stabilisation et de consolidation démocratique de la société albanaise,
mais leur projet de constituer une réelle sphère publique à l’intérieur du pays semble
souvent se transformer en monologue. Le problème qui se pose notamment quant à cette
société civile globale qui s’éloigne de plus en plus, sur le plan culturel et, littéralement,
géographique, de la réalité locale albanaise, par la reconnaissance et la légitimité qu’elle
acquiert à l’extérieur du pays, est le suivant : comment peut-elle constituer un véritable
axe de résistance afin de créer un pôle de dialogue avec toutes les parties de la société
albanaise ? En d’autres termes, la posture cosmopolite peut-elle être rapatriée ? Autre
question cruciale pour une société qui a connu durant les années 1990 l’exode constant
de la génération des 25 à 35 ans, notamment les plus éduqués : comment les acquis de
cette société civile globale peuvent-ils être transmis aux générations futures et ne pas
disparaître avec ses protagonistes ?
L’analyse de ces deux niveaux des communications nous mène enfin à un dernier
questionnement fondamental quant à l’avenir de ce territoire qui se démocratise, mais qui
demeure en attente d’une reconnaissance et d’une pleine participation à l’Europe unie.
Pouvons-nous considérer cette pédagogie accélérée qu’a connue l’Albanie depuis le début
de la décennie 1990 comme un vrai processus de démocratisation ? Ou bien s’agit-il
plutôt de l’imposition d’un modèle culturel préfabriqué à partir d’une idéalisation des
sociétés occidentales; une imposition par le haut au nom de la rationalité, de l’expertise,
du développement humain et de la paix mondiale ? Dans l’éventualité où l’on privilégie
cette deuxième interprétation, il faut subséquemment se poser une seconde question :
sommes-nous alors face à ce processus de “mimicry” qu’Homi Bhabha (1994) discerne
dans la relation au pouvoir colonial ? Mariella Pandolfi écrit dans son introduction à la
traduction italienne du volume de Homi Bhabha, “Nation and Narration”, que “dans
le processus même du pouvoir colonial s’insinue l’impossibilité d’un silence absolu
de l’autre. Au moment où le discours colonial se pose comme discours d’autorité, il
s’adresse à quelqu’un ou à quelque chose qui, au même instant, pénètre ce discours
jusqu’à en éroder les bases. L’hybridité, en tant que tiers espace, naît quand le discours
de l’autorité coloniale perd son contrôle et son univocité, et trouve en lui-même la
trace du langage de l’autre qui petit à petit consume la structure même de l’autorité.
Ainsi, l’imitation vécue par qui subit la colonisation produit une contamination de
chaque pratique ou idéologie imposée. Et paradoxalement, ce sera le manque de dignité
imposé au colonisé par l’autorité coloniale, sa demande d’une imitation mécanique,
étrangère, qui mettra en œuvre le processus de démantèlement même de l’autorité de
domination. Ce cercle, dont il est impossible de se soustraire, est destiné, petit à petit,
à détruire l’autorité du colonisateur. Homi Bhabha dit qu’être “là”, dans ce processus
de production de la domination, détermine ce qu’il nomme une présence dislocatoire,
présence toujours paradoxale qui détruit donc les lieux de la domination à travers toutes
les formes de déclin social et culturel ou de la corruption. Donc, à la narcissique et
naïve demande du pouvoir colonial d’imiter mécaniquement, les colonisés répondent
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par les actes réclamés mais qui, dans la longue durée, deviendront exactement les actes
qui construiront la cage du colonisateur” (notre adaptation de Pandolfi, 1997).
Ce processus, attaché à l’expérience coloniale notamment en Afrique et en Asie,
peut-il être exporté vers une autre réalité, celle de l’Albanie postcommuniste où se
sont rapidement imposés les impératifs de ce “training” à “l’institution building”,
à la “rule of law”, à la bonne gouvernance et aux droits de la personne ? Peut-être
est-il néanmoins trop tôt encore pour évaluer si nous sommes effectivement en face
d’un néocolonialisme en Albanie, comme dans d’autres régions des Balkans, et pour
discerner les formes de résistances émergentes, notamment parmi tous ces protagonistes
du domaine de l’information.
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Fonds monétaire international : http://www.imf.org/external/country/alb/
Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe : http://www.osce.org/albania/
Programme des Nations unies pour le développement : http://www.undp.org.al/
United States Agency for International Development :
http://www.usaid.gov/locations/europe_eurasia/countries/al/
INSTITUTS
ET ONG ALBANAIS
Albanian Institute for International Studies : http://www.aiis-albania.org/
Albanian Media Institute : http://www.institutemedia.org/
Balkans YouthLink : http://www.balkansyouth.org/albania/aboutus.htm
Mjaft ! : http://www.mjaft.org
MÉDIAS
ALBANAIS
Biznesi : http://www.biznesi.com.al/
Gazeta Shqiptare : http://www.balkanweb.com/gazeta/gazeta.htm
Klan : http://www.tvklan.com// ; http://www.revistaklan.com/
Koha Jone : http://www.kohajone.com/
Korrieri : http://www.korrieri.com/
News 24 : http://www.news24.cjb.net/
Panorama : http://www.panorama.com.al
Rilindja Demokratike : http://pages.albaniaonline.net/rd/
RTSH : http://rtsh.sil.at/
Shekulli : http://www.shekulli.com.al/
Tema : http://www.gazetatema.net
Top Albania : http://www.topalbaniaradio.com/
Top Channel : http://www.top-channel.tv/
TV Arbëria : http://www.telearberia.tv/
Vizion Plus : http://www.vizionplus.tv/
Zëri i Popullit : http://www.zeripopullit.com/
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Paradoxes et démocratie de l'information en Albanie contemporaine
NOTES
1
Nous souhaitons remercier le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada pour les
deux subventions de recherche individuelle qu’il a attribuées à Mariella Pandolfi ((Embodiment,
Displacement and Trauma : Practices of Memory and Identity in Albanian Refugees, 19982001, et Contract of Mutual (In)difference : Governance and the Humanitarian Apparatus
in Albania and Kosovo, 2001-2004). Les données de ces deux recherches ont notamment
servi à écrire cet article. Un remerciement tout particulier va également à Majlinda ZheguOsmanlliu pour ses remarques judicieuses sur cet article.
2
Voir à ce sujet le rapport du FMI sur l’Albanie, analysant son processus de stabilisation
économique depuis l’effondrement des pyramides financières en 1997 (Treichel 2002).
3
Voir à ce sujet l’article de Nicola Mai dans ce numéro.
4
Les 3 et 7 mai 2001, le Parlement albanais a voté un ensemble de lois réglementant et
distinguant les formes que peuvent prendre les organisations non-gouvernementales en
Albanie : la Loi sur les organisations à but non-lucratif, la Loi sur l’enregistrement des
organisations à but non-lucratif et une série d’amendements au code civil.
5
Les membres du Klub s’occupent des thématiques émergentes dans la société contemporaine
albanaise, telles que les droits humains, l’économie de marché et l’éthique de l’information,
à partir d’approches appartenant à différentes disciplines : les relations internationales,
l’économie, les études politiques, le droit et le journalisme. Ses membres principaux
sont l’Albanian Media Institute, le House of Book and Communication, l’Institute for
Contemporary Studies, le Human Development Promotion Center, l’Albanian Center for
Economic Research et l’Albanian Institute for International Studies.
6
Par exemple, le quotidien italien La Republica, qui était toujours très critique envers
l’Albanie, a récemment fait un reportage intitulé “L’autre Albanie”, adoptant un point de
vue beaucoup plus positif sur le pays.
7
On se référera à son article publié dans ce numéro pour mieux comprendre la situation
générale des médias et leurs relations au politique dans les Balkans contemporains.
8
Dans ce numéro, Piro Misha nous offre un article mettant en évidence toutes les difficultés
et les contradictions auxquelles font face aujourd’hui les intellectuels albanais.
9
L’Albanian Media Institute reçoit par ailleurs plusieurs financements provenant de sources
gouvernementales et privées occidentales, notamment américaine, suisse et danoise.
10
Notamment le South East European Network for the Professionalization of the Media
(SEENPM), le South East European Policy Institute Network (SEEPIN), le South East
European Media Organization (SEEMO), l’European Journalism Training Association
(EJTA), le Reporting Diversity Network et la World Association of Newspapers (WAN).
11
A titre d’exemple, il a organisé en septembre 2003, en collaboration avec l’Albanian Media
Institute et l’Ambassade américaine, une conférence intitulée Albanian-American Relations :
Understanding the Future by Examining the Past.
12
En 1997, il a obtenu le “Colomba d’oro per la pace, premio giornalistico” de l’Archivio
Desarmo de la coopération italienne pour le journal intime qu’il a écrit durant ses années
d’incarcération, ainsi que le “Human Rights Monitor” de Human Rights Watch pour ses
activités de promotion des droits humains, particulièrement à titre de leader du Forum pour
la démocratie en Albanie. En 2002, il a obtenu le prix “Moravia”.
13
Piro Misha a fait la une des journaux et des télévisions albanaises au mois de mars 2004
après avoir reçu par courrier électronique une lettre signée du nom du journal Tema, écrite
à moitié en arabe et en albanais, l’accusant d’être contre l’Islam, “pro-juif” et “laïc”, et le
menaçant de mort au nom d’Allah. Tout cela en réponse à des propos qu’il avait tenus lors
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Mariella PANDOLFI, Annie LAFONTAINE, Marie-Joëlle ZAHAR, Laurence McFALLS
d’entrevues télévisées un an auparavant quant à l’existence de groupuscules islamistes
albanais formés en Arabie Saoudite et en Malaisie qui pouvaient entraîner une radicalisation
de certaines communautés musulmanes du pays.
14
Rappelons ici qu’il y a des Albanais musulmans, catholiques et chrétiens orthodoxes, mais
qu’en Albanie, la laïcité a été imposée par le régime d’Enver Hoxha après la Deuxième
Guerre mondiale, et que celle-ci est demeurée la position d’une majorité de la population.
15
Par exemple, la chaîne de télévision TV Arbëria serait proche de Fatos Nano, alors que Zëri
i Popullit est le journal officiel du Parti socialiste.
16
Certains quotidiens sont soit directement liés à Sali Berisha (comme le quotidien Albania,
aujourd’hui fermé) ou au Parti démocratique ((Rilindja Demokratike, le journal officiel du
parti), soit considérés entretenir un rapport partisan avec eux (notamment Tema, qui serait
financé par des fonds en provenance de pays arabes, 55 et Sot, un nouveau quotidien dont
le propriétaire, un constructeur de routes, est un supporter de Sali Berisha).
17
Plusieurs quotidiens et chaînes de télévision appartiennent à des entrepreneurs et des groupes
d’hommes d’affaires. Le plus grand quotidien albanais, Shekulli, est la propriété d’un
homme d’affaires qui possède également la chaîne de télévision AT1, une radio nationale, le
quotidien d’affaires Biznesi et l’un des deux quotidiens sportifs les plus importants. Un autre
quotidien majeur, mais plus récent, Panorama, appartient à un fabricant de bières de Tirana.
Top Channel, la chaîne télévisée la plus importante et la plus respectueuse en Albanie des
standards internationaux de communication, a été créée en 2001 par un distributeur de café
qui possède également la radio nationale Top Albania. TV Klan, ainsi que l’hebdomadaire
Klan et le quotidien Korrieri appartiennent à deux hommes d’affaires français et albanais, très
opposés au parti socialiste, qui possèdent aussi le principal fournisseur Internet en Albanie,
ainsi qu’une station de radio. Vizion Plus est la propriété d’un des principaux entrepreneurs
immobiliers, proche de l’opposition au parti socialiste, et qui possède également une maison
d’édition. TV Koha est une chaîne de télévision qui appartenait au quotidien indépendant
Koha Jone créé au début des années 1990. Koha Jone a toujours été un quotidien majeur
en Albanie. Ciblé lors des émeutes de 1997, ses bureaux ont été entièrement brûlés. Il a
repris son importance depuis 2003 après son rachat par un groupe de huit hommes d’affaires
albanais. Enfin, News 24 appartient au quotidien Gazeta Shqiptare, propriété de Gazetta del
Mezzogiorno di Bari en Italie.
18
A propos des médias au Kosovo, on se rapportera à l’article d’Anna Di Lellio dans ce
numéro.
19
Ce sont les finalistes parisiens d’Architecture-Studio qui ont gagné le concours.
20
Voir aussi l’article de Jacky Rowland de la BBC, publié le 17 juin 2004 et intitulé “The
mayor who brought color to Albania” : http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/europe/3815985.
stm.
21
City Mayors est un site Internet créé en 2003 par Urban Publishing Co., édité par une équipe
britannique, canadienne et américaine, et consacré aux innovations des responsables de toutes
les régions urbaines du monde. Le site Internet du concours “World Mayor” est http://www.
worldmayor.com/.
22
Voir le site Internet : http://www.worldmayor.com/results/tirana_ediis.html.
23
Voir le site Internet : http://www.worldmayor.com/results/letter_tirana.html.
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