Au pied du mur

Transcription

Au pied du mur
gestion D’avoir
Au pied du mur
Pierre Saint-Laurent
Désormais, il vaut peut-être mieux considérer
les marchés haussiers comme l’exception
V
olatilité, incertitude, incurie, illégalité même :
pas besoin de rappeler que le monde du placement s’est compliqué et ne se stabilisera
pas de sitôt. Une conséquence importante est une
réduction des objectifs de placement (dans un
monde de primes de risque extrêmement élevées,
ce qui se traduit par des taux d’intérêt sans risque
de zéro, ou moins !)
La gestion des risques nous a appris certains
éléments importants pour la suite des choses.
Premièrement, les distributions de rendements ne
correspondent pas aux paramètres de la loi normale
(de la « normalité »). Et puis ? En clair, on a intérêt à se
rappeler que les crises sont maintenant plus fréquentes,
et plus sévères, que par le passé. Deuxièmement, le
risque de liquidité (qui se transmute rapidement en un
risque systémique) est réel, sévère, global et inévitable.
Le problème, c’est que tous les investisseurs le subissent
et ne peuvent s’en protéger.
De façon simpliste, le risque systémique vient du
fait que le risque n’est pas « exporté » à l’extérieur du
marché. Si, comme investisseur, vous voulez réduire
votre position à un potentiel de résultats négatifs, vous
prenez une couverture (un « hedge ») ou une assurance
(par exemple, un swap de défaillance dont le sous-jacent
est une obligation que vous détenez). Si un problème
survient (l’obligation est en défaut), vous touchez la
prime d’assurance. Mais, que se passe-t-il si l’assureur
fait défaut, en même temps que l’instrument financier
que vous vouliez protéger ? Vous perdez sur l’instrument
et vous avez payé une « prime d’assurance » pour rien.
Surtout, vous vous êtes comporté comme si vous étiez
protégé par l’assurance, prenant d’autres risques que
vous n’auriez pas assumés autrement.
C’est ça, le risque systémique : les assureurs (les
contreparties) des participants sont eux-mêmes dans
les marchés financiers. Par conséquent, le risque n’est
jamais revendu à des acteurs externes au secteur
même. Et surtout, les acteurs financiers vivent dans
l’illusion que tout va bien – voilà le vrai risque.
Si le secteur financier ne peut s’assurer effectivement contre de tels risques, il faut qu’une autre
entité s’en charge. Les gouvernements ont injecté des
liquidités colossales, puisque sans liquidité, le système
financier fait défaut. Or, nous sommes tous impliqués : par nos caisses de retraite, nos épargnes, nos
34
Septembre 2012
emplois. Un système à la dérive requiert un acteur qui
lui est extérieur (et qui a des liquidités considérables).
Il faudra des années pour revenir à la « normale »
et régulariser la dette résultante. En attendant, les
économies sont fragilisées et la capacité de consommation et d’investissement a été altérée. Le système
a été sauvé, au prix de sacrifices futurs (laminage de
la croissance, réalignement des attentes, progression
dramatique du chômage dans plusieurs nations des
plus développées). Des questions nouvelles se posent :
pensons à l’Europe, à la Grèce, à l’Espagne, à l’Italie
même, à l’euro, à la Chine…
Pour la gestion de portefeuille, cela se traduit par
des défis nouveaux. Comment accumuler pour une
retraite ? Comment ne pas se faire décimer dans les
marchés baissiers (qui se produisent maintenant tous
les cinq ans environ) ? Peut-être peut-on penser aux
marchés difficiles comme la norme et aux marchés
haussiers comme l’exception.
Ceci contredit bien sûr l’historique des marchés et
tout ce que l’on a appris dans nos cours de finance et
d’économie. Quand on y pense, les actions, dans leur
ensemble, ne peuvent que progresser à long terme. C’est
que les entreprises injectent du capital dans la création
de valeur et, pour l’ensemble de l’économie, c’est ce
qui se produit. Toutefois, la progression n’est pas sans
heurts, au contraire; qui plus est, on peut avancer que
la volatilité de court et de moyen termes est bien plus
grande qu’avant et, donc, que les efforts de prévision
des marchés (le « market timing ») et de gestion active
deviennent plus périlleux sur des horizons de placement
de plus en plus longs. Sur 10, 20, voire 30 ans, cette
volatilité pourrait être dominante. La pénalité pour
l’erreur devient-elle trop importante ?
La gestion des risques nous enseigne d’établir le
risque global maximal pour le portefeuille. Par la suite,
le spécialiste investit dans les limites de ce budget de
risque. Plus que jamais, il s’agit là d’une approche valable.
Nous avons intérêt à penser au risque d’abord, puis au
rendement que cette limite de risque permet d’envisager.
Cette démarche procure une envergure intellectuelle
accrue quant à la gestion de portefeuille.
Pierre Saint-Laurent, CFA, CAIA, FRM, CFE, est
maître d’enseignement en Finance à HEC Montréal.
On peut le joindre à [email protected]
www.conseiller.ca