IRO IRO Couleurs de Kurosawa - Maison des écrivains et de la
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IRO IRO Couleurs de Kurosawa - Maison des écrivains et de la
Rencontre-lecture avec Philippe Forest au Petit Palais, autour de l’exposition « Kurosawa – dessins », le samedi 6 décembre 2008 Rencontre avec Philippe Forest, écrivain, essayiste, pour un rendez-vous lié à l’actualité du Petit palais, dans le cadre de l’exposition « Kurosawa - Dessins » (rétrospective inédite, regroupant 87 dessins conçus pour ses derniers films par le cinéaste Akira Kurosawa - du 16 octobre 2008 au 11 janvier 2009). Au cours de la rencontre, Philippe Forest a lu un texte écrit spécialement autour de cette exposition et intitulé « « Iro Iro – Couleurs de Kurosawa » et s’est entretenu avec l’éditeur Bernard Martin (éditions Joca Seria) du rapport de son œuvre avec le Japon. Philippe Forest a principalement publié chez Gallimard. Son premier texte, L’Enfant éternel, a été écrit après la mort de sa fille. Cette quête de l’enfant disparu se trouve dans presque toute son oeuvre. Après une résidence d’écrivain dans la Villa Kujoyama, à Kyoto, il a publié Sarinagara (Gallimard 2004, Prix Décembre), où il évoque ce thème à travers la culture de trois artistes japonais : “L'énigme du mot sarinagara est l'objet du roman qui unit trois histoires : celles de Kobayashi Issa (1763-1827), le dernier des grands maîtres dans l'art du haïku, de Natsume Sôseki (1867-1916), l'inventeur du roman japonais moderne, et de Yamahata Yosuke (1917-1966), qui fut le premier à photographier les victimes et les ruines de Nagasaki. Ces trois vies rêvées forment la matière dont un individu peut parfois espérer survivre à l'épreuve de la vérité la plus déchirante.” Il est également l’auteur de plusieurs essais, principalement publiés aux éditions Cécile Defaut, Nostalgies et autres labyrinthes une série d'entretiens avec l'écrivain japonais Oé Kenzaburô (en compagnie d'André Siganos), La Beauté du contresens et autres essais sur la littérature japonaise (allaphbed 1), De Tel Quel à L'Infini, nouveaux essais (Allaphbed 2) (06), Le Roman, le réel et autres essais (Allaphbed 3)( (07) et en octobre dernier Haïkus, etc. suivi de 43 secondes (allaphbed 4). Il a récemment publié chez Gallimard Le Nouvel amour (2007), Tous les enfants sauf un (2007) et, cet automne, un livre sur le photographe japonais Araki, intitulé Araki, l’homme qui ne vécut que pour aimer. IRO IRO Couleurs de Kurosawa 1. Ne pas connaître une langue, surtout si elle est lointaine comme le japonais, la connaître mal en tout cas, et particulièrement lorsque cette langue s'écrit avec d'autres signes que les nôtres et dont chacun a l'apparence d'un dessin suffisant, n'en rien savoir du tout -ou presque- oblige à se placer devant les termes qui composent celle-ci comme face à une sorte de rébus que l'on doit renoncer à résoudre, n'ayant plus d'autre ressource sur quoi compter devant une telle énigme que celle de la rêver un peu. "Couleur", en japonais, se dit "iro". Mais ce mot signifie aussi, paraît-il, quelque chose comme "plaisir" ou bien "désir" comme si l'attachement sensuel aux choses du monde était lié au seul éclat de leur apparence. Plus étrangement encore, lorsque ce mot se répète, il en sort une expression, assez courante en japonais, "iro iro", qui veut dire, je crois, "ceci et cela", c'est-à-dire en somme: "tout et n'importe quoi". Comme si la couleur répétée, et le désir qui va avec elle, valaient en vrac pour tout le bric-à-brac de la vie, engendrant un échantillonnage de formes et de figures aussi disparate que le tout venant des phénomènes versés en désordre dans l'espace, se succédant au hasard dans le temps. J'interprète librement, fautivement. Je le fais en toute connaissance de cause. Il n'y a pas plus de sens à extrapoler sur les mots d'une langue étrangère dont on ignore tout, à tenter de repérer une forme familière dans le tracé des idéogrammes qu'on ne sait comment lire, qu'il n'y en a à chercher à quoi ressemblent des nuages passant dans le ciel où il s'assemblent, s'agglomèrent, se disloquent, s'éloignent et auxquels, comme chez Shakespeare, on trouve tantôt et tout à la fois- une allure de chameau, de baleine ou bien de belette. Car d'un tel spectacle, celui des idéogrammes sur la page comme celui des nuages dans le ciel, on peut extraire n'importe quelle allégorie et tirer la morale que l'on veut. Il n'y a donc pas de raison que cette allégorie, que cette morale ne s'appliquent pas aussi à un artiste japonais du nom de Kurosawa Akira et, tout particulièrement à lui puisque celui-ci fit deux fois dans son existence l'expérience de la couleur, et deux fois avec elle celle du désir, comme si de cette expérience deux fois répétée - "iro iro"- était sortie la possibilité même d'exprimer tout le formidable et éphémère flamboiement d'un monde monnayant sa splendeur dans le désordre dispersé de tous les détails de la vie. 2. Kurosawa a lui-même raconté comment - il avait une vingtaine d'année et le siècle n'était pas beaucoup plus âgé que lui- il renonça à son premier métier de peintre, dégoûté d'abord de tout le temps inutile consacré par lui à copier, sous l'autorité de ses professeurs, des paysages et des natures mortes quand tant de choses se passaient alentour dans le monde qui exigeaient l'urgence d'un autre art. Puis, accablé encore, lorsque gagné à la cause de la révolution et rejoignant les rangs des artistes prolétariens, malgré ses convictions politiques, ou peut-être au fond à cause d'elles, c'était donc dans les années 30, il réalisa que la propagande peinte n'était pas son affaire, s'engageant alors, et un peu par hasard, dans la voie qui allait faire de lui le plus grand cinéaste de son pays. Ou du moins: le premier à être reconnu comme tel dans le monde. Ne revenant à la peinture que près d'un demi-siècle plus tard lorsque, le succès étant passé, ayant renoncé à tout et même à renoncer à la vie, suicidé survivant et cinéaste sans emploi, il se mit à rêver sur le papier les films dont il doutait qu'on lui donnerait les moyens de les faire jamais, et qu'il entreprit d'en fixer au moins les images sous la forme de dessins violemment colorés sur la foi desquels quelques-uns (dont Francis Ford Coppola et les financiers de la Fox) prirent donc le pari de lui offrir à nouveau la possibilité de tourner les histoires qui devinrent sur l'écran, Ran et Kagemusha, Yume et Madadayo. Honnêtement, je ne sais pas ce que valent les dessins de Kurosawa si l'on doit strictement les juger à l'aune des critères ordinaires dont use la critique artistique. Mais je ne sais pas davantage ce que valent, par exemple, ceux de Victor Hugo ou de Guillaume Apollinaire, d'Artaud ou de Saint-Exupéry. Et pas plus certains de ceux des artistes majuscules (Picasso, Matisse ou qui vous voudrez) qui ont fini par prendre place dans des musées où le bon goût de leur temps n'aurait d'abord jamais songé à les accepter. Ma conviction sincère est d'ailleurs que personne ne le sait. Et qu'une telle incertitude est précisément la marque d'une oeuvre authentique qui déroute les appréciations habituelles et se satisfait de simplement stupéfier le regard, de sidérer l'oeil et d'abandonner ainsi la conscience à la seule méditation du vrai. 3. Kurosawa a également raconté comment il s'était longtemps refusé à renoncer au noir et blanc de ses premières oeuvres - qu'ajouterait, il est vrai, la couleur à la perfection formelle d'un plan de Rashomon?-, ne sautant le pas qu'avec Dodes' Kaden en 1970, réalisant avec ce film un véritable exercice expérimental: la terre elle-même, où s'allonge une décharge auprès d'un bidonville, y devient la toile sur laquelle, les couleurs se mélangeant sur le sol souillé du sein duquel la pluie fait surgir des teintes inattendues au prix d'imprévisibles réactions chimiques, la caméra exprime le monde, ou plutôt: le crée, à partir d'une poussière aléatoire de pigments, d'un dégueulis désolé de déchets, non pas comme un stylo en écrirait l'histoire mais bien comme un pinceau en peindrait l'image. On a écrit beaucoup de choses justes et subtiles sur l'usage de la couleur chez le dernier Kurosawa, soulignant l'inversion dont son art est le lieu et qui confie au noir et blanc la représentation naturaliste de la réalité, réservant à la couleur l'évocation d'un autre monde que le nôtre. Il n'y a pas grand chose à ajouter à de telles analyses sinon que tout grand film - et cela est vrai de Dodes' Kaden, de Yume comme du Mépris, ou plus tard, de Passion- donne, contre toute vraisemblance mais avec l'évidence même de l'irréfutable, le sentiment qu'avec lui s'invente la couleur cinématographique, comme si, pour la toute première fois, on la voyait enfin à l'écran et qu'elle tirait soudainement le spectateur d'une cécité dont alors il prenait seulement conscience. Tel est le miracle qu'accomplissent les derniers films de Kurosawa avec lesquels on assiste à la naissance, à la renaissance de la couleur. 4. Dans Comme une autobiographie - qui est bien plus qu'un livre de souvenirs comme ceux que signent trop souvent les cinéastes désoeuvrés-, Kurosawa évoque en passant une chanson japonaise à moitié oubliée (il ne s'en rappelle plus l'auteur, n'en cite pas les paroles) et qui relate l'histoire absurde d'un homme un peu fou qui, toute sa vie, s'obstine à ne pas reconnaître que le rouge est rouge jusqu'à ce que, vieillissant, il accepte enfin l'évidence et se rende à la vérité. En un sens, et quoi qu'il ne le dise pas, Kurosawa est cet homme. Dans ses Mémoires, Kurosawa rapporte deux scènes saisissantes de son enfance. La première constitue l'un des plus lointains souvenirs du cinéaste: "Cela se passe à un passage à niveau de tramway. De l'autre côté des rails et de la barrière abaissée, il y a mes parents, mes frères et soeurs, et moi je suis seul de mon côté. Entre les deux, un chien blanc fait le va-et-vient et gambade sur la voie en remuant la queue... Il revient en courant dans ma direction quand soudain, le tramway déboule comme un bolide, et le chien blanc est renversé juste sous mes yeux, coupé bien proprement en deux. Le corps de l'animal tué sur le coup était rond et d'un rouge brillant, comme des tranches de thon pour le sashimi." La seconde scène est un peu plus tardive. Kurosawa a treize ans et il survit au grand tremblement de terre qui dévaste Tokyo en 1923. Son frère aîné l'emmène en promenade parmi les ruines et les cadavres, le forçant à ouvrir les yeux sur ce spectacle de désastre. Kurosawa se souvient: "On aurait dit un désert rouge. Dans cette étendue d'un rouge à en avoir la nausée, gisaient toutes les sortes de cadavres imaginables...". Et encore: "Je me rappelle avoir pensé que le lac de sang dont on parle dans l'enfer bouddhiste ne pouvait pas être pire. J'ai dit que l'eau de la Sumidagawa était devenue rouge, mais ce n'était pas un rouge sang. C'était le même genre de rouge brun, vif que le reste du paysage; un rouge taché de blanc comme l'oeil d'un poisson pourri. Les cadavres qui flottaient dans la rivière étaient tous gonflés au point d'éclater, leur anus ouvert comme la bouche d'un gros poisson. Même les bébés encore attachés au dos de leurs mères avaient cet aspect. Et cela bougeait doucement, à l'unisson des mouvements de la rivière." 5. On comprend qu'on puisse préférer ne pas croire à l'existence d'un tel "rouge", s'arranger pour l'oublier et qu'il faille tout le temps d'une vie pour ouvrir à nouveau les yeux sur lui. En japonais, "rouge" se dit "aka" et, encore que de l'un à l'autre des caractères concernés il semble n'exister aucun lien, ce mot a un homonyme qui, lorsqu'un autre idéogramme l'écrit, signifie aussi "clarté". Tout comme, à l'inverse, et cela en revanche est vrai, le mot qui désigne le "noir" ("kuro") se trouve lié à celui qui dit l'obscurité. Si bien qu'en japonais, et même si cette supputation est certainement fantaisiste, je peux choisir de penser que c'est le "rouge "- et non le "blanc"- qui s'oppose au "noir" comme le jour s'oppose à la nuit. Il est la couleur par excellence ("iro"), celle de la lumière, qui fait exister toutes les formes désirables de la vie. Et c'est donc la couleur du sang aussi, celle qui monte dans la nuit et tourne dans le noir. Aux dernières images de l'un des films de Kurosawa que je n'ai pas vus - il doit s'agir de Tengoku to Jigoku, Entre le ciel et l'enfer - mais qui semble avoir frappé tous ses spectateurs,deux grands photographes japonais d'aujourd'hui m'en ont semblablement parlé: Araki Nobuyoshi et Hatakeyama Naoya, dont je tiens cette indication -, le cinéaste choisit de rompre le noir et blanc de ses images en faisant colorer (à la main, sans doute, comme on le faisait dans les films d'autrefois) la forme d'une fumée qui s'élève dans le ciel et qui ouvre en lui, à même la pellicule, comme une déchirure rouge dont on peut choisir de penser que c'est par elle que sont ensuite passées toutes les couleurs encore à venir dans l'oeuvre de Kurosawa. Il fallut presque un demi-siècle en effet pour que la couleur revienne dans l'univers du cinéaste. Ce fut totalement chose faite, donc, avec les premières images de Dodes's Kaden. On se souvient peut-être de ce que celles-ci montrent un enfant idiot et le tramway imaginaire qu'il conduit à travers le néant d'un désert de déchets, "waste-land" entourant la maison où il vit avec sa mère et dont sa folie a tapissé les "shoji" de toute une collection de dessins naïfs et maladroits où son obsession s'exprime. Ce sont ces dessins d'enfant par lesquels la couleur est vraiment et enfin rendue à Kurosawa. Et il est significatif qu'ils ressemblent tellement à ceux que le cinéaste réalise au cours des quelques années qui suivent et qui sont celles qui lui restent aussi. Qu'est-ce qu'un dessin d'enfant? A cette question, il est une réponse fameuse qui appartient au plus grand peintre du siècle passé: il s'agit, dit-il, d'un dessin auquel tout le temps d'une existence aura été nécessaire. " Il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant " déclare Picasso. Cette remarque aurait pu être celle de Kurosawa aussi bien. A la fin, l'enfance s'en vient visiter la vieillesse de sa vie. Et elle lui rend le "rouge" d'autrefois afin qu'il en fasse la couleur éclatante du monde où l'horrible et inexpiable cruauté des choses s'accorde à la formidable bénédiction d'une parole d'assentiment mélancolique prononcée pour finir. 6. Une fois, Kurosawa a cité, au cours d'un entretien, le texte que le grand écrivain Naoya Shiga tenait pour le meilleur de la littérature de son temps. Il s'agissait d'une rédaction composée par son petit-fils à propos de son chien et dans laquelle l'enfant comparait l'animal à un ours, à un blaireau, à un renard, à toutes sortes d'autres choses encore, et peut-être même, qui sait, à un thon rouge tranché de part en part et exposant sa section sanglante à l'étal d'un poissonnier, avant que de conclure que celui-ci, puisqu'il en était un, ressemblait en fait bien davantage à un chien. Les oeuvres de Akira Kurosawa ressemblent à des romans de Natsume Sôseki ou de Fedor Dostoievski, à des films de John Ford ou de Frederico Fellini, à des tableaux de Vincent Van Gogh ou de Ryûzaburô Umehara. Mais, comme il s'agit de films de Kurosawa, il est bien naturel qu'elles ressemblent surtout à des oeuvres de celui-ci dont chacune est si unique qu'elle n'entretient aucun lien avec autre chose qu'elle-même. Dans ses Histoire(s) du cinéma, Godard déclare à Serge Daney: "L'historien des lettres dit/ il y a Homère, Cervantès, Joyce/ une fois que tu as dit ces trois là/ ils incluent Faulkner ou Flaubert/ il y a eu très peu/ je dirais dix films/ on a dix doigts/ il y a dix films." Parmi ces dix films, pour ma part, j'en compte deux qui appartiennent à Kurosawa, au dernier Kurosawa. Il s'agit de Yume et de Madadayo pour lesquels je donnerais, c'est une image bien sûr, sinon ma main droite, disons deux de mes doigts, l'auriculaire pour l'un et l'annulaire pour l'autre parce que ces deux films, quand je les ai vus, m'ont convaincu qu'il n'était pas tout à fait impossible d'être, comme le furent les premiers spectateurs de Chaplin, de Carné, de Rossellini, de Godard, le contemporain de cette chose que l'on nommait autrefois le cinéma. 7. Les dessins de Kurosawa, s'ils me touchent, c'est à la manière des épaves splendides qu'auraient laissées, sur la grêve de la vie, les naufrages fabuleux et flamboyant de ses deux derniers films. Je ne veux pas dire que ceux-ci aient été des échecs. Tout au contraire. Mais si la vieillesse est un naufrage, comme le dit une citation célèbre étrangement placée par la version française du film dans la bouche de l'un des personnages de Ran, alors jamais un tel naufrage ne prit une forme aussi magnifique comme si, avec lui, c'était toute l'enfance du monde et toute celle de l'art qui nous étaient enfin rendues. On a souvent comparé l'expérience du spectateur de cinéma à celle du rêveur que visite, le corps immobile dans l'obscurité somnolente, une vision plus vive que le vrai et où il s'oublie tout à fait au sein de la splendeur impersonnelle et cependant intime du monde, dormant d'un sommeil si profond que celui-ci lui donne le sentiment d'être éveillé comme jamais au récit de sa vie. Chacun de ses rêves est celui d'un autre. Chacun des rêves d'un autre est aussi le sien. Yume est la seule tentative que je connaisse d'une autobiographie qui soit celle de personne et de tout le monde à la fois car celui qui y dit sa vie est ce rêveur dont chacun des rêves - aussi singulier et secret qu'il soit- vaut paradoxalement pour n'importe quel autre rêveur. Ainsi, j'ai été cet enfant curieux et coupable épiant dans la forêt les cérémonies secrètes qui président aux mariages des dieux, et cet autre assistant à la précieuse parade de princes et de princesses promis au massacre le plus absurde. J'ai été cet homme également voyant revenir vers lui le long convoi incrédule des morts et celui devant lequel s'ouvre la fenêtre impitoyable d'un tableau donnant sur le champ terriblement ensoleillé des choses où tout brille d'une couleur implacable. Madadayo, également, se termine sur un rêve: un vieil homme se rappelle l'une des comptines de son enfance. Dans son sommeil, les paroles lui en reviennent. "Maada kai?": Es-tu prêt? "Madadayo!": Pas encore. Pas encore prêt à jouer et moins encore à mourir. L'histoire s'achève et, pourtant, elle implore toujours la grâce d'un sursis qui lui offrirait la chance d'un perpétuel recommencement. Pas encore. Non pas encore, car il y a tant de choses à vivre, à voir, scrutant en songe le saccage infiniment coloré des choses aimées du monde, écarquillant les yeux fermés devant l'éclatante et terrible couleur du désir, celle qui dépêche vers le visible chaque objet, chaque corps, celui-ci ou bien celui-là, tous et puis n'importe lequel, "iro iro" comme on dit, je crois, en japonais. Philippe Forest