Le choc du futur financier

Transcription

Le choc du futur financier
2000
Perspective Juin
Le monde selon Bill Sterling
Le choc du
futur financier
En 1970, le journaliste Alvin Toffler publiait un ouvrage
provocateur et visionnaire intitulé Le Choc du Futur,
qui prédisait une accélération fulgurante des progrès
technologiques à l’approche du nouveau millénaire,
susceptible de semer la confusion et le désordre dans la
société et ses institutions.
Il avait vu juste!
Le choc du futur est actuellement pleinement ressenti –
du moins sur les marchés financiers. Si les marchés vous
déroutent, sachez que ces dernières années certaines
sociétés de placement parmi les plus réputées et les plus
prospères –et qui comptaient des prix Nobel – ont reçu
une leçon d’humilité.
Un indice du degré élevé de confusion qui règne chez les
investisseurs, ce sont les résultats obtenus par certaines
stratégies axées sur la valeur ces dernières années. Aux
États-Unis, par exemple, on note que l’une des
meilleures stratégies de placement pour la dernière
période de cinq ans aurait consisté à suivre les 50 plus
grandes sociétés en termes de valeur boursière et, au
début de chaque année, à acquérir les titres des dix
sociétés affichant le ratio cours/bénéfice le plus élevé. En
appliquant une telle stratégie « contraire à la valeur », le
rendement annuel moyen aurait atteint 38 %, ce qui
dépasse de loin le rendement du marché.
(suite à la page 4)
www.cifunds.com
Le monde selon Bill Sterling
Le choc du futur financier (suite)
D’aucuns ont parlé de « bulle spéculative », d’autres
d’« exubérance irrationnelle ». Mais quoi qu’on dise, les faits
demeurent, et d’ailleurs les choses ne semblent pas aussi
irrationnelles qu’on l’avait d’abord cru. Au cours des dix
dernières années, avec l’accélération vertigineuse de la
mondialisation et de la révolution technologique, beaucoup
de grandes sociétés américaines solides ont connu une forte
expansion et sont devenues beaucoup plus prospères qu’on
aurait pu l’imaginer. En termes de ratios cours/bénéfice, les
actions de ces entreprises n’étaient pas bon marché en raison
de leurs bons résultats et d’une croissance déjà rapide.
Le graphique 1 montre pourquoi la dynamique du marché
« tout au vainqueur » peut être aussi désespérante pour les
tenants d’une stratégie axée sur la valeur. Dans beaucoup de
marchés où les normes sont importantes, la lutte pour une
part du marché se termine souvent par une victoire ou une
défaite décisive. Lorsqu’une entreprise commence à avoir
du succès, le cours de son action et son ratio cours/bénéfice
augmentent, tandis que ceux de ses principaux concurrents
fléchissent. En pareil cas, un ratio cours/bénéfice faible n’est
pas une indication de la valeur, mais témoigne plutôt d’une
faiblesse marquée et marque même parfois le début de la fin
pour l’entreprise.
Des marchés « tout au vainqueur »
Il y a aussi l’explication économique fondamentale selon
laquelle ce sont les riches qui s’enrichissent. Il semble en effet
que de nombreux marchés technologiques soient dominés par
des caractéristiques « tout au vainqueur », comme les appellent les économistes. Lorsque le format VHS a commencé à
s’imposer par rapport au format Betamax de Sony, les consommateurs se sont tout de suite rangés du côté du vainqueur,
malgré les avantages offerts par le format Betamax.
Et lorsque les produits de Microsoft ont commencé à définir
les normes mondiales pour les logiciels des ordinateurs
personnels et de bureau, la plupart des consommateurs
auraient jugé illogique de s’opposer à cette tendance –
les avantages de partager une norme commune étant tout
simplement trop attrayants. Même le monopole que s’assurait ainsi une poignée de « forts en thème » de Seattle
devenus multimillionnaires laissait la plupart des gens
indifférents – du moins jusqu’à ce que le ministère américain
de la Justice s’en mêle.
DYNAMIQUE DU MARCHÉ « TOUT AU VAINQUEUR »
PART DU MARCHÉ (EN %)
Gagnant
Perdant
TEMPS
Source : Hal Varian, Information Rules
Nul doute que l’importance grandissante de l’économie du
savoir au cours des deux dernières années est responsable de
la confusion de plus en plus grande des investisseurs compte
tenu de la dynamique économique particulière de ce secteur.
Celui-ci est dominé par ce que les économistes appellent les
« effets de rétroaction positive » et les « rendements d’échelle
croissants ». Une part importante des recherches sur la
théorie économique est actuellement consacrée à l’étude de
la dynamique économique particulière des entreprises de
technologie – bien que ce sujet soit encore rarement abordé
dans les programmes d’enseignement traditionnels.
L’économie traditionnelle est essentiellement une économie
à rétroaction négative. Prenons l’agriculture. Lorsque les prix
montent, les agriculteurs augmentent leur production, les
consommateurs achètent moins et un nouvel équilibre est
créé. C’est ce qu’enseigne la théorie économique selon Adam
Smith, largement influencée par la physique newtonienne et
la notion d’équilibre selon laquelle toute perturbation de la
demande ou de l’offre peut être compensée par un rajustement des prix.
Par contre, l’économie du savoir est régie par une rétroaction positive, c’est-à-dire que l’augmentation de la
demande entraîne une plus grande efficacité et des rendements supérieurs, ce qui contribue à faire baisser les prix et
à raffermir la demande. Comme nous l’avons mentionné
dans notre article du mois dernier, les entreprises axées sur
le savoir, comme les entreprises pharmaceutiques ou les
fabricants de logiciels, sont caractérisées par des frais fixes
élevés et des coûts marginaux très faibles. Le premier exemplaire d’un nouveau logiciel coûte des millions, mais les
copies supplémentaires, presque rien. Dans ce secteur, les
sociétés en viennent à acquérir un monopole temporaire,
parce qu’autrement les prix chuteraient tellement rapidement que les frais fixes initiaux ne pourraient pas être
récupérés.
Graphique 1 : Les effets de rétroaction positive ébranlent les
stratégies traditionnelles axées sur la valeur puisque les faibles
ratios CB sont souvent une indication de nouvelles baisses à venir.
PA G E 4
PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2000
À L’ I N T E N T I O N D E S C O U R T I E R S
Le monde selon Bill Sterling
Le ministre des Finances américain, Larry Summers, constatait récemment : « La poursuite constante du pouvoir
monopolistique devient le principal moteur de la nouvelle
économie. Et la destruction créatrice qui résulte de tous ces
efforts sert d’impulsion essentielle à la croissance
économique. » Comme le fait remarquer Summers, cela
suppose une vision darwinienne et biologique de
l’économie où c’est l’entreprise la mieux adaptée qui survit
et où tout revient au vainqueur. On ne parle donc plus d’un
équilibre, mais d’un déséquilibre continuel.
Pour les investisseurs, cela signifie que les notions traditionnelles de « retour à la normale » ou de « valeur associée à un
ratio cours/bénéfice faible » peuvent être très trompeuses.
Pour la plupart des investisseurs à qui l’on a enseigné les
notions traditionnelles d’économie et de finances, le principal
défi consiste à acquérir les bons outils conceptuels permettant
de comprendre la dynamique de la nouvelle économie.
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe maintenant d’excellents
ouvrages qui fournissent une bonne description du fonctionnement de la nouvelle économie, un sujet qui n’est pas
encore traité dans les manuels didactiques. Nous en recommandons deux, New Rules for the New Economy, par Kevin
Kelly, et Information Rules, par Hal Varian et Carl Shapiro.
Sans être appropriés comme lecture pour vos prochaines
vacances à la mer, ces ouvrages expliquent les notions élémentaires de la nouvelle économie et s’adressent au lecteur
moyen. Pour ceux qui voudraient comprendre les concepts
qui dictent nos décisions de placement, nous vous incitons à
consulter ces ouvrages ainsi que d’autres qui sont énumérés
dans notre nouveau site www.ciglobaladvisors.com.
Le choc du futur financier (suite)
une partie de cette volatilité à la dynamique monétaire
inhabituelle associée à la forte croissance de la masse monétaire justifiée par les inquiétudes suscitées par le bogue de
l’an 2000.
Le choc du futur d’Alvin Toffler peut offrir une autre explication à la volatilité du marché. En simplifiant, le rythme de
changement est à ce point rapide à l’heure actuelle qu’il ne
faut pas s’étonner que les investisseurs soient confus. En
effet, des changements qui s’échelonnaient auparavant sur
des décennies s’imposent souvent maintenant après
quelques années.
Par exemple, dans le passé, il fallait environ 50 ans après la
commercialisation d’une nouvelle technologie comme
l’électricité ou l’automobile avant d’atteindre un taux de
pénétration de 25 % des ménages. Dans le cas de l’Internet,
par contre, il n’a fallu que sept ans avant que la même
proportion de ménages se convertisse à la nouvelle
technologie (voir graphique 2). Les technologies connexes
comme l’infrastructure du commerce électronique et le
réseau sans fil à large bande progressent aussi à un rythme
sans précédent.
Avec l’accélération des changements technologiques, les
entreprises qui auparavant étaient considérées comme
à capital de risque pendant de nombreuses années sont
maintenant inscrites en bourse avant même de pouvoir
présenter quelque résultat sur le plan de l’exploitation ou de
la rentabilité (voir le graphique 3). Le public accepte cet
état de choses pour une raison bien simple : autrement,
seuls les investisseurs en capital de risque profiteraient des
nombreuses innovations technologiques.
Choc du futur financier et volatilité du marché
Un autre signe évident du choc du futur sur les marchés
financiers est le degré élevé de volatilité à l’heure actuelle.
Dans nos derniers numéros, nous avions d’ailleurs attribué
PLUS C’EST NOUVEAU, PLUS C’EST RAPIDE
Cette accélération est particulièrement évidente dans des
marchés comme le Nasdaq, où près du tiers des 200 plus
grandes sociétés en termes de valeur boursière sont
exploitées depuis moins de trois ans. Essentiellement, on
HIER ET AUJOURD’HUI
COURBES EN S
100
50
PÉNÉTRATION DU MARCHÉ
NBRE D’ANNÉES AVANT D’ATTEINDRE UN TAUX
DE PÉNÉTRATION DE 25 % AUX É.U.
VITESSE DE PÉNÉTRATION DE CERTAINES TECHNOLOGIES
60
40
30
20
10
80
Ère de l’Internet
40
Société inscrite
en bourse
20
Société inscrite
en bourse
0
Ancien modèle
de croissance
60
Société à capital
de risque
0
Éle
ile
ne
ité
ic
ctr
Té
lé
o
ph
Au
to
b
mo
n
io
Av
Source : Banque fédérale de réserve de Dallas
io
d
Ra
lé
Té
o
sc
to
é
gn
Ma
es
pe
on
i
vis
cr
Mi
o
d
-on
e
et
PC ulair
ern
ll
Int
Ce
Graphique 2 : Le rythme d’adoption des nouvelles technologies a augmenté
de façon marquée.
1
5
10 15
20 25 30
35 40 45
50 55 60 65
70 75 80
90
TEMPS
Source : C.I. Global Advisors
Graphique 3 : Le rythme accéléré des innovations a des conséquences
importantes sur les ratios d’évaluation des entreprises et l’analyse du risque,
ce qui veut dire des ratios CB plus élevés et une plus grande volatilité.
PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2000
À L’ I N T E N T I O N D E S C O U R T I E R S
PA G E 5
Le monde selon Bill Sterling
assiste à une métamorphose rapide des marchés en quelque
chose de bien différent de ce que nous avons connu jusqu’ici
– un marché public pour les sociétés à capital de risque.
Nous n’avons rien contre – à condition que les investisseurs
reconnaissent que le risque associé à ces entreprises à capital de risque est vraisemblablement bien différent de celui
des entreprises bien établies ayant une longue feuille de
route. Par exemple, beaucoup d’analystes des entreprises
« .com » admettent ouvertement qu’ils s’attendent à ce
qu’environ 85 % d’entre elles aient disparu d’ici cinq ans ou
à peu près, simplement parce que les risques sont très élevés
et la concurrence, féroce.
Des options à long terme?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les titres d’un grand
nombre d’entreprises technologiques ressemblent davantage à des options qu’à des actions – ce qui veut dire qu’elles
peuvent aussi bien monter en flèche que tomber à zéro.
Comme tous ceux qui se sont déjà intéressés au marché des
options le savent, celles-ci peuvent facilement s’apprécier ou
fléchir de moitié en un mois et viennent souvent à échéance
sans aucune valeur. On est loin des actions de sociétés de
services publics détenues par nos grands-parents.
Une autre caractéristique des options, c’est qu’elles sont
négociées avec une grande intensité. Un éminent professeur
de finances a publié un ouvrage intitulé Stocks for the Long
Run, qui décrit les caractéristiques risque/rendement très
attrayantes des actions sur de longues périodes. Remarquez
que son livre ne s’intitule pas Options for the Long Run.
Pourtant, beaucoup des titres que les gens considèrent
actuellement comme étant des actions ont de toute évidence commencé à être négociés comme des options. C’est
d’ailleurs peut-être pourquoi la période de détention
moyenne des actions du Nasdaq a chuté à environ 95 jours,
ce qui veut dire une rotation annuelle du portefeuille
d’environ 400 %! Et tant pis pour le beau principe d’achat et
de maintien des placements.
Une explication pour l’impressionnante augmentation de la
volatilité du marché boursier c’est que les investisseurs ont
commencé à reconnaître le niveau de risque élevé d’un
grand nombre de placements technologiques.
Le choc du futur financier (suite)
l’évaluation actuelle par le marché du niveau de risque associé à cette catégorie d’actif est extrêmement élevée. Nous
soupçonnons que ce qui motive certains des gestionnaires de
fonds de couverture les plus en vue à rester sur la touche, c’est
qu’ils assimilent ce risque à l’équivalent sur les marchés financiers de la roulette russe, à savoir une chance sur six de
connaître une fin dramatique. En restituant leur argent
aux investisseurs, ils leur transmettent essentiellement ce
message : « Ne vous risquez pas à la roulette russe! »
Un important principe de la répartition de l’actif, c’est que
la motivation à diversifier à l’extérieur d’une catégorie d’actif donnée augmente considérablement lorsque la volatilité
de cette même catégorie augmente. Par conséquent,
compte tenu de la volatilité extrême des actions technologiques, les investisseurs doivent éviter de mettre tous
leurs œufs dans le panier de la haute technologie, malgré les
perspectives fondamentales attrayantes à long terme de
beaucoup d’entreprises de ce secteur.
En effet, l’escalade de la volatilité ces derniers mois indique
que nous sommes désormais confrontés à une nouvelle
dynamique risque/rendement. Peut-être est-ce le résultat à la
fois de la dynamique monétaire associée au bogue de l’an
2000 et de l’évolution rapide des caractéristiques des marchés
financiers dans le contexte de la nouvelle économie. Nous
aimerions pouvoir vous conseiller un bon ouvrage qui
explique clairement la nouvelle dynamique risque/rendement
au sein de la nouvelle économie. Toutefois à notre connaissance, ce livre n’existe pas encore, du moins pas dans une
langue intelligible.
Entre-temps, nous rabâchons les mêmes conseils sur la
façon de composer avec la volatilité du marché, en suggérant encore une fois aux investisseurs d’appliquer les
principes éprouvés de la diversification, de l’équilibre entre
les différentes catégories d’actif et du placement à long
terme. Nous avons réduit le niveau de risque de nos fonds de
base non pas pour refléter une perspective baissière, mais
parce que l’augmentation de la volatilité et l’évolution rapide des marchés boursiers en marchés des options ont de
toute évidence accru le niveau de risque global des marchés.
Qu’on le veuille ou non, le choc du futur financier est là
pour rester. Quant à nous, notre objectif est de continuer
d’aider nos clients à s’enrichir – et à garder leur sang-froid.
Une mesure de cette volatilité est la volatilité implicite des
options de l’indice Nasdaq. Pendant une bonne partie de
l’année, cette volatilité s’est établie à près de 50 %. Ce résultat correspond à l’évaluation actuelle par le marché des titres
du Nasdaq pour les 12 prochains mois, soit une probabilité
de 66 % que l’indice se replie de plus ou moins 50 % par
rapport à son niveau actuel. En d’autres mots, il y a environ
une chance sur six que le marché s’apprécie de plus
de 50 % et une chance sur six qu’il recule de la même
proportion.
William Sterling,
Stratège mondial
C.I. Global Advisors LLP
Cette prévision n’est peut-être pas très utile – c’est comme dire
que tout peut arriver. Mais c’est bien ce que nous cherchons
à démontrer – les investisseurs doivent comprendre que
Stephen Waite,
conseiller de portefeuille
C.I. Global Advisors LLP
PA G E 6
PERSPECTIVE DE JUIN AU 31 MAI 2000
À L’ I N T E N T I O N D E S C O U R T I E R S