La globalisation financière

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La globalisation financière
La globalisation financière
Sommaire
La globalisation hier et aujourd'hui
Le " trilemme fondamental "
L'étalon-or au coeur de la première globalisation
Bretton Woods ou les vertus des politiques monétaires nationales
Contrebalancer les changes flexibles, l'exemple européen
L'ampleur de la globalisation financière
Les bénéfices escomptés de la globalisation financière
La remise en cause du consensus de Washington
Crises financières : la responsabilité partagée des gouvernements et des
marchés
La prise de risque excessive
La catalyse de la crise
Une globalisation financière trop rapide et mal maîtrisée
La fragilité intrinsèque d'une finance globalisée
Les anticipations auto-réalisatrices
Globalisation et instabilité
Les implications en termes d'intervention publique
Le FMI et la globalisation financière
Le FMI remis en question
Vers une redéfinition du rôle du FMI
Pour en savoir plus
par Philippe Martin.
Parmi les dimensions de la mondialisation à l'oeuvre, la globalisation financière est considérée comme
potentiellement la plus déstabilisatrice. Pourtant, ce phénomène n'est pas sans précédent, le début du
XXe siècle ayant déjà connu une forte internationalisation des marchés financiers. La globalisation
financière actuelle, et surtout la succession récente de crises majeures, suscite toutefois de
nombreuses inquiétudes. Le problème central, comme nous l'expose Philippe Martin, consiste à
déterminer si la responsabilité de la fragilité actuelle du système financier international incombe aux
prises de risque excessives des différents acteurs, ou bien si elle n'est pas inhérente à une finance
globalisée.
Les débats autour de la globalisation financière sont nombreux et s'étendent à des questions extrêmement
diverses sur la nature du capitalisme, les rapports entre l'État et le marché, les institutions internationales, la
puissance américaine, l'environnement, les inégalités, l'homogénéisation culturelle, etc. Aussi n'est-il pas facile
de s'accorder sur une définition du phénomène. Dans une lecture assez politique, on peut d'abord interpréter la
globalisation comme une extension des mécanismes du capitalisme au niveau planétaire. Les économistes
retiennent une définition plus restrictive et plus technique de la globalisation en mettant l'accent sur
l'augmentation des échanges internationaux qui découle d'une diminution des coûts de transaction sur ces
échanges. Il convient à cet effet de distinguer la globalisation commerciale et la globalisation financière. La
première trouve son origine dans la baisse des coûts de transport et des barrières commerciales et a pour
conséquence une augmentation du volume des échanges internationaux de biens et services. La globalisation
financière trouve aussi son origine dans une baisse des coûts de transaction, mais plus spécifiquement sur les
marchés financiers, grâce à l'incorporation des nouvelles technologies de communication, la libéralisation des
mouvements internationaux de capitaux et l'accélération des innovations financières. Elle s'est traduite par une
augmentation des échanges internationaux d'actifs financiers, l'émergence d'un marché financier intégré au
niveau mondial et une interdépendance accrue des économies nationales.
La globalisation hier et aujourd'hui
La globalisation financière n'est ni un phénomène sans précédent ni un processus irréversible. La fin du XIXe
siècle (de 1870 à 1914) est une époque de forte internationalisation des marchés financiers. Le stock d'actifs
étrangers détenus par les pays industrialisés représentait alors près de 50 % environ de leur produit intérieur
brut (PIB) (Obstfeld et Taylor, 2002). Il a ensuite très fortement diminué pour atteindre au début de la Seconde
Guerre mondiale un minimum de 10 %. Ce n'est qu'en 1990 qu'il a dépassé le niveau du début du siècle.
Le " trilemme fondamental "
Comment expliquer la longue période de globalisation financière jusqu'en 1914, la désintégration
spectaculaire pendant l'entre-deux-guerres et la lente reconstruction d'un marché du capital globalisé après la
guerre ? La réponse traditionnelle réside dans ce que les économistes appellent le trilemme fondamental de la
macroéconomie ouverte ou le triangle d'incompatibilité : un pays ne peut avoir que deux des trois
caractéristiques suivantes : la parfaite mobilité des capitaux ; un taux de change fixe ; l'autonomie de sa
politique monétaire. La parfaite mobilité des capitaux implique l'égalité des rendements entre les différents
pays : si ce n'était pas le cas, les capitaux iraient immédiatement s'investir sur le marché qui offre le plus haut
rendement. Si le pays choisit cette mobilité du capital couplée à un taux de change fixe, il doit avoir le même
taux d'intérêt que le pays vis-à-vis duquel il fixe son taux de change. Il perd ainsi l'autonomie de sa politique
monétaire, par exemple le pouvoir de diminuer ses taux d'intérêt en période de récession pour faire repartir
l'activité. Si ce pays veut regagner le pouvoir de décider de sa politique monétaire avec des objectifs nationaux
(chômage ou inflation), il doit nécessairement renoncer soit à la liberté de circulation des capitaux, soit au
taux de change fixe. Dans le premier cas, une baisse de taux d'intérêt pour relancer l'activité n'aboutit pas à
une fuite de capitaux, au moins à court terme, car les mouvements financiers sont restreints. Dans le second
cas, cette baisse de taux d'intérêt entraîne le retrait des capitaux qui doit être compensée par une
dépréciation de la devise.
L'étalon-or au coeur de la première globalisation
La première globalisation couplée avec l'étalon-or avait impliqué le choix des deux premiers éléments du
trilemme aux dépens de l'autonomie de la politique monétaire. Suivant ou anticipant l'exemple de la GrandeBretagne, de nombreux pays, au début des années 30, abandonnent cependant leur système de change fixe ou
la liberté des mouvements de capitaux en faveur d'objectifs nationaux. La grande crise des années 30 discrédite
de manière durable l'orthodoxie de l'étalon-or et conduit à l'avènement des idées keynésiennes de politique
macroéconomique de relance.
Bretton Woods ou les vertus des politiques monétaires nationales
Marqué par l'expérience de la crise de l'entre-deux-guerres, les pays vainqueurs de la Seconde Guerre
mondiale instaurent un système monétaire international, mis en place à Bretton Woods en 1944, qui privilégie
consciemment les deux derniers éléments du trilemme : de nombreuses restrictions sur les mouvements de
capitaux couplées avec un taux de change fixe, mais ajustable, doivent permettre la mise en place de
politiques macroéconomiques nationales. Ce consensus ne se maintient que jusqu'au début des années 70. La
croissance, même limitée, des mouvements de capitaux pendant cette période suffit, en effet, pour engendrer
des attaques spéculatives qui contraignent les pays industrialisés à abandonner le taux de change fixe au début
de 1973. Libérés de la fixité des changes, les pays industrialisés poursuivent la libéralisation des mouvements
de capitaux tout en gardant l'autonomie de leur politique monétaire.
Contrebalancer les changes flexibles, l'exemple européen
Pour deux groupes de pays, cependant, les coûts des changes flexibles sont rapidement perçus comme trop
importants. Pour les États membres de la Communauté européenne, la très forte instabilité du taux de change
qui suit la fin des changes fixes devient, en effet, de plus en plus coûteuse, au fur et à mesure que leur
intégration commerciale progresse. Ils optent donc pour une quasi-fixité des changes avec, en première
tentative, le serpent monétaire européen en 1972, puis le Système monétaire européen (SME) en 1979, qui
fixent des bornes étroites de fluctuation entre les monnaies du SME. Là encore, la progressive libéralisation des
mouvements de capitaux soumet le système de quasi-changes fixes, conjugué à des politiques monétaires
nationales autonomes, à la contradiction intenable du trilemme pour aboutir aux crises spéculatives de 1992 et
1993 qui ont conduit à la remise en cause des bornes de fluctuation originelles. L'avènement de l'euro peut, à
cet égard, être interprété comme une conséquence directe de la globalisation financière : seule la disparition
définitive des monnaies nationales peut rendre crédible auprès des marchés financiers l'abandon des politiques
monétaires autonomes dans un environnement de changes fixes et où les capitaux circulent librement.
De nombreux pays émergents ont tenté eux aussi l'expérience des changes fixes (au moyen notamment de
systèmes d'ancrage sur le dollar). Mais la libéralisation des mouvements de capitaux à partir du début des
années 90 aboutit là encore à des crises successives, en particulier la crise asiatique à partir de 1997. Deux pays
importants ont toutefois fait un choix différent : l'Inde et la Chine sont restés à l'écart de la globalisation
financière en maintenant de nombreuses restrictions sur les mouvements de capitaux de court terme.
L'ampleur de la globalisation financière
Le montant des transactions brutes sur le marché des changes était estimé en 1998 par la Banque des
règlements internationaux (BRI) à environ 1500 milliards de dollars par jour (contre 600 en 1989 et moins de
200 en 1986). Ce montant échangé chaque jour représente une somme équivalente au PIB annuel d'un pays
comme la France. Si, de plus, on compare la globalisation qui s'opère sur les marchés financiers à celle qui
s'opère sur les marchés des biens, on constate que le commerce d'actifs financiers a augmenté durant les deux
dernières décennies du XXe siècle trois fois plus vite que le commerce des biens. C'est donc sur les marchés
financiers que le processus de la globalisation est le plus frappant. Les renversements brutaux des mouvements
de capitaux sont devenus une autre caractéristique récente des marchés financiers internationaux : en 1996, 70
milliards de dollars furent investis en Indonésie, Corée, Malaisie, Philippines et Thaïlande. Pendant le second
semestre de 1997, c'est plus de 100 milliards de dollars qui firent précipitamment le chemin inverse.
Les bénéfices escomptés de la globalisation financière
S'il existe un surplus d'épargne en Europe, celui-ci peut s'investir dans les pays émergents où, en revanche, il
existe un besoin de financement pour des investissements dont on peut penser que le rendement économique
(et social) est plus élevé qu'en Europe. Dans ce cas, il y a bien des gains mutuels. La globalisation financière
offre en effet aux pays émergents une puissante opportunité de financer leur développement. Ce type
d'argument a en partie légitimé la position dominante au Trésor américain, au Fonds monétaire international
(FMI) et à la Banque mondiale pendant les années 90, et qu'on a appelé le " consensus de Washington ". Ce
consensus a constitué la base idéologique justifiant la pression exercée sur les pays en développement pour
qu'ils libéralisent rapidement les mouvements de capitaux.
La remise en cause du consensus de Washington
La succession des crises financières dans les pays émergents a, de manière spectaculaire, remis en cause la
vision du début des années 90 d'une globalisation financière qui permettrait le développement rapide de ces
pays. Sur le plan empirique, les études ont montré que la libéralisation des mouvements de capitaux précède
généralement la survenue des crises financières : cela est vrai pour l'Amérique latine des années 80 comme
pour l'Asie en 1997. En dehors des économies émergentes, cela a été le cas également de l'Europe, au début des
années 90, avec la crise du SME, précédée de peu par la libéralisation totale des mouvements de capitaux au
sein de l'Union européenne.
Même avant la crise asiatique de 1997, il était manifeste que les arguments qui fondaient le " consensus de
Washington " exagéraient le rôle positif de l'ouverture aux marchés de capitaux internationaux pour la
croissance et le développement. Ainsi la formidable expansion de l'Europe des " Trente Glorieuses " s'est
produite sans liberté des mouvements de capitaux. De même, le miracle asiatique découle en grande partie
d'une épargne nationale atteignant 30 % du revenu. L'investissement fut financé essentiellement par cette
épargne nationale et assez faiblement (et tardivement) par des capitaux étrangers.
Crises financières : la responsabilité partagée des gouvernements et des marchés
La prise de risque excessive
L'asymétrie d'information est une caractéristique essentielle des marchés financiers. En général, les
emprunteurs ont davantage d'information que les prêteurs sur la valeur et le risque de leurs projets. Ils peuvent
de ce fait être incités à choisir des investissements excessivement risqués : si le pari sur l'investissement est
réussi, c'est l'emprunteur qui gagne beaucoup ; si l'investissement échoue, c'est le prêteur qui perd tout. Ce
phénomène dit d'" aléa moral " peut expliquer les prises de risques excessives de la part des emprunteurs mais
aussi de celle, inconsciemment, des prêteurs. En libéralisant brusquement les mouvements de capitaux, les
investissements des pays émergents pouvaient être financés en dollars sur les marchés de capitaux
internationaux à des taux d'intérêt (et donc à un coût) bien inférieurs aux taux nationaux. Les banques locales,
principaux récipiendaires de ces capitaux étrangers, se sont alors laissé emporter dans une vague
d'emballement du crédit, sélectionnant peu les projets financés. Pire, des garanties furent offertes à quelques
investisseurs, proches du pouvoir, sur des investissements financiers au rendement douteux. Le phénomène
d'aléa moral joua donc à plein puisque le risque lié à l'investissement était socialisé ou transféré vers l'État.
La catalyse de la crise
Dans le cas de la Thaïlande, la globalisation financière a facilité une prise de risque et un endettement en
dollars à très court terme qui se sont révélés désastreux au moment de la crise. La dévaluation du baht
thaïlandais par rapport au dollar a conduit à une réévaluation de 45 % des dettes libellées en dollars et à la
liquidation brutale de ces investissements. L'investissement s'est effondré, entre 1996 et 1998, de près de 50 %
et le revenu au cours de la même période a diminué de plus de 8 %, alors qu'il augmentait dans les années
précédentes à un rythme proche de 10 %. Du fait, notamment, de l'augmentation du chômage et de l'absence
de filet de sécurité sur le plan social dans ces pays, la crise a touché très fortement les plus pauvres et abouti à
une augmentation des inégalités.
Une globalisation financière trop rapide et mal maîtrisée
On pourrait considérer qu'il ne s'agit là " que " d'un raté de la globalisation financière : le FMI et les
gouvernements sont allés trop vite et ont ouvert les marchés financiers avant de mettre en place ou de
consolider les réglementations nécessaires, alors qu'il eût fallu d'abord réformer puis ouvrir. D'ailleurs, le retour
de la croissance dans ces pays ne s'est-il pas fait plus rapidement que prévu ? Dans cette interprétation, la
faute est partagée, et la globalisation financière en soi n'est pas véritablement remise en cause.
Ce sont au premier chef les gouvernements qui sont responsables de la crise : ce sont eux qui ont offert des
garanties aux investisseurs et qui cachaient de manière artificielle l'étendue réelle du risque encouru.
La fragilité intrinsèque d'une finance globalisée
Une autre interprétation est cependant possible, qui met en cause plus radicalement le fonctionnement des
marchés financiers internationaux. Elle tient à l'existence d'un phénomène propre à la finance qu'on appelle les
anticipations auto-réalisatrices.
Les anticipations auto-réalisatrices
Les anticipations sont dites auto-réalisatrices lorsque les actions des agents, fondées sur l'anticipation d'un
événement spécifique, sont suffisantes pour engendrer l'événement lui-même. En physique, ce type de
processus est impossible : un pont ne peut pas s'effondrer simplement parce que l'on croit qu'il va s'effondrer.
En économie, en revanche, la croyance qu'une crise peut survenir peut engendrer la crise, validant ainsi a
posteriori l'anticipation. La possibilité d'anticipations auto-réalisatrices est passée depuis le début des années
70 du statut de curiosité intellectuelle à celui, à la fin des années 90, d'une théorie acceptée par de nombreux
économistes.
De manière très schématique, le mécanisme d'une crise induite par des anticipations auto-réalisatrices
repose toujours sur un processus circulaire. Reprenons l'exemple de la crise asiatique. La possibilité d'une
dévaluation de la devise, en diminuant la valeur des actifs des entreprises et en augmentant la valeur de la
dette en dollars de ces pays, réduisait les capacités d'investissement du pays. En effet, les emprunts que
peuvent faire les entreprises dépendent non seulement du rendement anticipé des projets qu'elles veulent
financer, mais aussi de la valeur du collatéral qu'elles peuvent offrir pour garantir le remboursement de
l'emprunt. Si les marchés financiers anticipent une dévaluation, ils anticipent donc une forte baisse de la valeur
nette de ce collatéral, puisqu'ils anticipent une forte augmentation de la dette en dollars. L'investissement
s'effondre alors, ce qui plonge ces pays dans la récession, fait fuir les capitaux et fait effectivement chuter la
devise.
Ce processus auto-réalisateur peut être résumé par les enchaînements suivants :
C'est bien le changement d'anticipation des marchés qui déclenche la panique et la crise, et non pas une
modification fondamentale de la situation économique. Supposons maintenant que les marchés n'aient pas
anticipé de dévaluation. Dans ce cas, la dette anticipée des entreprises n'aurait pas augmenté, l'investissement
n'aurait pas chuté et la crise n'aurait pas eu lieu. On est en présence de ce que les économistes appellent une
situation d'équilibres multiples où le choix de l'un ou l'autre des deux scénarios (ou équilibres) possibles (crise
ou non crise) dépend entièrement des anticipations des agents sur les marchés financiers qui peuvent se
retourner brutalement.
Globalisation et instabilité
La globalisation financière renforce cette indétermination et l'extrême instabilité due à ces phénomènes
d'anticipations auto-réalisatrices. En effet, la parfaite liberté des mouvements de capitaux a facilité
l'endettement en dollar, qui lui-même rend le système financier plus vulnérable à ce type de crise. En outre,
une fois le mécanisme de panique en marche, l'absence de restrictions sur les sorties de capitaux fait qu'il est
impossible de freiner la crise.
Les implications en termes d'intervention publique
Si l'on admet cette seconde interprétation des crises, le diagnostic sur la globalisation financière est
beaucoup plus pessimiste et les implications politiques beaucoup moins orthodoxes. La transparence et le
renforcement des mesures prudentielles demeurent nécessaires mais ne sont pas suffisantes. Des mesures plus
drastiques sont à envisager, telles qu'une taxe sur les mouvements de capitaux visant à décourager les
mouvements de capitaux de court terme et plus généralement l'endettement en devises étrangères.
L'expérience chilienne d'une taxe à taux faible et variable appliquée aux entrées de capitaux de court terme
est souvent citée. De fait, le Chili a été l'un des seuls pays d'Amérique latine (pourtant très ouvert sur le plan
du commerce) épargné par la contagion asiatique. Cette taxation sur les entrées de capitaux ressemble au
projet de taxe Tobin sur les transactions des marchés de change sur lequel l'attention s'est focalisée en France.
Moins ambitieuse, son avantage sur la taxe Tobin est qu'elle est gérée par le pays lui-même, sans besoin de
coopération internationale, et n'exige pas l'accord de pays tels que les États-Unis qui se sont toujours opposés à
une telle taxe.
Le FMI et la globalisation financière
Le FMI a été l'un des promoteurs du " consensus de Washington " prônant l'ouverture financière des pays
émergents dans les années 90. Les crises qui ont suivi l'ont logiquement exposé à de violentes critiques.
Le FMI remis en question
Si l'on adopte l'interprétation de la crise, dite " fondamentale ", où les gouvernements des pays émergents
sont les premiers responsables du fait de régulations financières trop laxistes, de garanties implicites sur les
investissements risqués, voire de népotisme et corruption, le rôle à jouer du FMI n'est pas clair. Après tout,
pourquoi la communauté internationale devrait-elle payer pour des gouvernements nationaux qui ont commis
des erreurs ou des irrégularités, ou pour des investisseurs privés qui ont accepté librement de prêter aux
premiers ? Certains économistes libéraux pensent même que l'engagement du FMI d'intervenir en cas de crise
(prenant la forme de prêts aux gouvernements défaillants permettant de payer les créditeurs) crée une forme
d'aléa moral, car il incite les gouvernements et les investisseurs internationaux à prendre trop de risques. Ce
cadre d'analyse peut cependant légitimer le principe de conditionnalité qui subordonne l'aide financière que le
FMI accorde à un pays en situation de crise à des réformes structurelles. En effet, si les problèmes de
réglementation financière trop laxiste, de corruption, de népotisme sont à l'origine des crises dans ces pays, on
peut justifier que le FMI serve à discipliner les gouvernements de ces pays. Cet argument est cependant
vigoureusement critiqué par les opposants à la globalisation car la conditionnalité remet en cause la
souveraineté des pays et impose des réformes souvent douloureuses sur le plan social.
Il est ainsi frappant de constater que des courants diamétralement opposés se retrouvent pour appeler à une
diminution du rôle du FMI : d'un côté les économistes libéraux rétifs à toute intervention publique et de l'autre
les opposants à la globalisation qui accusent le FMI d'aggraver la situation sociale des pays en crise.
Vers une redéfinition du rôle du FMI
Dans la seconde interprétation où les crises financières sont engendrées par les phénomènes d'anticipations
auto-réalisatrices et de panique, la justification du rôle du FMI apparaît plus claire car il existe bien une
défaillance du marché appelant une intervention publique au niveau international. Le rôle que doit prendre
cette intervention, à la fois ex ante pour prévenir les crises et ex post une fois la crise avérée, n'est cependant
pas évident à déterminer. Ex ante, les restrictions sur les mouvements de capitaux (à la fois les entrées et les
sorties) peuvent limiter l'instabilité. Il existe donc un arbitrage difficile entre la prévention des crises qui
pourrait être permise par ces restrictions, et les coûts qu'elles engendreraient pour le financement des
investissements et la croissance. Ex post, le FMI doit-il et peut-il se transformer en prêteur en dernier ressort
international ? Doit-il se transformer en un intermédiaire facilitant la négociation entre les pays en cessation de
paiement et les investisseurs internationaux ? Doit-il se transformer en une sorte de " juge " des faillites
internationales comme il en existe pour les faillites privées ? Toutes ces questions ont fait l'objet d'un débat
virulent (voir Stiglitz, 2002). Le paradoxe est peut-être finalement que la libéralisation des mouvements de
capitaux, fortement encouragée par le FMI qui, pour cette raison, porte, au moins en partie, la responsabilité
des crises financières des années 1990-2000, pourrait aboutir au renforcement du rôle de cette institution dans
la prévention et la gestion de ces crises.
Pour en savoir plus
Aizenman Joshua (2002), " Financial opening : evidence and policy options ", NBER Working Paper, n°8900,
http://www.nber.org/papers/w8900
Obstfeld Maurice et Taylor Alan M. (2002), " Globalization and Capital Markets ", NBER Working Paper,
n°8846, http://www.nber.org/papers/w8846
Sgard Jérôme (2002), L'économie de la panique : faire face aux crises financières , Paris, La Découverte.
Stiglitz Joseph (2002), La grande désillusion, Paris, Fayard.
Les cahiers français, n° 317 (11/2003)
Page 74
Auteur : Philippe Martin (Professeur à l'Université Paris 1 Pantheon
Sorbonne, chercheur au CERAS-ENPC) .