Stress et mal-être au travail (PDF Available)

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Stress et mal-être au travail (PDF Available)
Hellemans, C. & van de Leemput, C. (2012). Stress et mal-être au travail.
In : P. Gilbert & J. Allouche (Eds.). Encyclopédie des Ressources Humaines
(pp. 1428-1434), 3ème édition. Paris : Vuibert.
Stress et mal-être au travail
Catherine Hellemans & Cécile van de Leemput
Résumé :
Le chapitre présente les grands courants scientifiques de l’étude du stress, et en particulier du stress
au travail : l’approche par les mesures objectives, l’approche ergonomique, la perspective
épidémiologique avec les modèles de Karasek, de Siegrist et de Bakker et ses collègues, ainsi que
l’approche transactionnelle. Suivant les principes dictés par la législation européenne en la matière et objectivé par une présentation des coûts du stress, il est ensuite exposé de manière structurée et
pragmatique les différents types de diagnostic qui peuvent être posés en entreprise : le diagnostic
global et général, le diagnostic des groupes à risque, le diagnostic ciblé et le diagnostic individualisé.
Les interventions qui peuvent être envisagées en la matière sont abordées sous l’angle des
préventions primaire, secondaire et tertiaire, ainsi que du point de vue des actions de réhabilitation et
de réinsertion. Les caractéristiques et plus-values respectives de chacune de ces typologies de
diagnostic et d’intervention sont explicitées. Pour terminer, on insiste sur le fait que les démarches de
prévention des risques, incluant tous les acteurs de l’organisation.
Mots-clés : stress, bien-être, modèle, législation, diagnostic, intervention
Prof. Hellemans, Catherine
Professeur-Assistante en psychologie du travail et membre du Laboratoire de psychologie du travail et
psychologie économique (Lapté) à l’Université libre de Bruxelles. Mes activités de recherche et
d’enseignement concernent les domaines de la psychologie du travail, les méthodes, la psychologie
des risques et les risques psychosociaux au travail.
Prof. van de Leemput, Cécile
Professeur en psychologie du travail et directrice du Laboratoire de psychologie du travail et
psychologie économique (Lapté) à l’Université libre de Bruxelles. Mes activités de recherche et
d’enseignement concernent les domaines de la psychologie du travail, l’analyse du travail, l’analyse
des conditions de travail, la psychologie ergonomique, l’utilisabilité et l’acceptabilité des technologies
de gestion d’information.
INTRODUCTION
Il n’est plus nécessaire, à l’heure actuelle, espérons-le, de rappeler l’importance de l’évaluation du
stress en entreprise et de sa remédiation. Les législations sur les risques professionnels identifient
clairement l’employeur comme assumant pleinement la responsabilité de protéger la santé physique
et mentale des travailleurs de son organisation. De plus, de nombreuses études ont chiffré le coût
exorbitant du stress au travail, à travers le manque à gagner lié à la baisse de performance et de
productivité, les absences pour maladie dues au stress et les remplacements y afférents nécessaires,
sans parler de la baisse de motivation des travailleurs. Par contre, l’étude du stress au travail et sa
prévention méritent encore et toujours toute notre attention.
Mais qu’est-ce que le stress ? Le terme, grandement utilisé dans le langage courant, reste largement
ambigu et à connotation multiple : le stress est parfois vu comme positif, parfois - le plus souvent 1
comme négatif. Le stress négatif (« distress », mal-être) recouvre une idée de souffrance, de malaise,
une sorte de maladie imprécise où se mélangent anxiété, dépression, symptômes physiques aussi
nombreux que variés : ulcères, maux de dos, maux de tête, jusqu’aux maladies cardiovasculaires.
Dans les organisations, selon Clot (2002), le mot stress est devenu un « mot de passe » chez les
salariés pour exprimer leur mal-vivre au travail, leur mal-être, leur vécu de soumission et
d’impuissance. A l’inverse, le stress positif (« eustress », bien-être) renvoie à la dynamique
stimulante, excitante, accordée au rythme de la vie moderne. Dans la littérature scientifique, les
acceptions foisonnent, tout comme les différentes approches et modèles théoriques : le stress étant
parfois vu comme un stimulus stressant, parfois comme une réponse stressée, parfois encore comme
un processus de gestion du stress, au point qu’il en est devenu, pour beaucoup, un concept
« bateau » ou encore de « peu de valeur heuristique » (Lazarus & Folkman, 1984, p. 11).
Après une présentation des grands courants scientifiques et leur évolution, ce chapitre s’articulera
autour de la gestion du stress dans les organisations, abordant brièvement la législation et les coûts
engendrés par le stress au travail, pour développer ensuite les phases de diagnostic et d’intervention
en vigueur – ou censées être en vigueur – au sein des entreprises et institutions, compte tenu des
législations sur le bien-être au travail.
1. LE STRESS EN GENERAL : MESURES DITES OBJECTIVES
D’un point de vue historique, les premiers scientifiques se sont intéressés au phénomène du stress à
partir du fonctionnement physiologique et biochimique de l'organisme humain. Suivant cette
approche, le stress est une réponse biologique de l'organisme (excitation du système sympathique),
qui résulterait de l'interaction entre un « agresseur » (de nature physique, psychologique ou
émotionnelle, peu importe) et la résistance (l’adaptation) de l'organisme à cet agresseur (cf. le
Syndrome Général d’Adaptation de Selye, 1946). Pour les tenants de cette conception physiologique,
le stress serait directement mesurable grâce à des indices physiologiques, tels que des
concentrations hors normes (par rapport à l’homéostasie habituelle chez la personne) de telle ou
telle hormone (cortisol, adrénaline, noradrénaline, etc.) dans le sang. Pourtant, les choses ne sont
pas si simples. En effet, les processus homéostasiques ne sont pas stables chez un même individu.
Autrement dit, il est difficile par une simple prise du taux de cortisol de s’assurer que le taux observé
traduit de manière univoque, à un moment donné précis, la présence de stress chez la personne.
Ainsi, malgré son intérêt conceptuel, cette approche reste limitée dans le cadre de l’analyse du stress
au travail. En particulier, elle ne contient aucune information sur la nature des causes du stress, sur
leurs mécanismes d’actions et sur les moyens de prévenir les effets néfastes du stress.
Toujours centrés sur les notions d’adaptations et de ressources physiologiques limitées, d’autres
chercheurs se sont intéressés aux événements de vie que l’individu a à assumer dans son quotidien –
nécessitant donc adaptation – pour évaluer le stress subi (Holmes et Rahe, 1967). L’idée est ici que
plus un individu est exposé à des événements traduisant un changement dans sa vie, plus sa capacité
d'adaptation sera mise à contribution, suivant les principes de l'homéostasie. Ces changements ont
été envisagés aussi bien sous la forme « d'événements de vie majeurs » (mort du conjoint, divorce,
etc.) que sous la forme de « petits tracas quotidiens ». La capacité d'adaptation n'étant pas infinie,
les auteurs formulent l'hypothèse que plus l’individu aura eu de changements à affronter dans une
période de temps donnée, plus la probabilité qu'il connaisse des problèmes de santé majeurs au
cours de l'année suivante sera forte. Si la logique de l’hypothèse est tentante, son
opérationnalisation a posé d’importantes limites, liées notamment à la valence à accorder aux
changements vécus pour le calcul d’un score de stress.
2. LE STRESS AU TRAVAIL : APPROCHE ERGONOMIQUE ET PERSPECTIVE EPIDEMIOLOGIQUE
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Après la déception face à ces premières approches, les approches, modèles et questionnaires se sont
orientés spécifiquement sur les caractéristiques de l’univers professionnel. Nombreuses sont les
définitions du stress au travail qui ont été proposées bien que présentant généralement plusieurs
éléments communs. Pour French, Rogers et Cobb (1974), le stress est la discordance entre les
capacités d’une personne et les exigences de la tâche, d’une part, la discordance entre les besoins de
la personne et ceux pouvant être satisfaits par l’environnement, d’autre part. Pour McGrath (1976),
on observe du stress lorsque la situation contextuelle crée des exigences qui dépassent les capacités
et les ressources de la personne qui doit y faire face, dans des conditions où l’enjeu est important
pour elle. Ainsi, ces définitions - toujours d’actualité - identifient les écarts, les discordances, les
déséquilibres existant entre les moyens dont disposent l’individu et les exigences, les contraintes des
situations, entre les attentes et les gratifications possibles. Ces définitions laissent sous-entendre ce
qui permettrait de diminuer le stress du travailleur : moins de contraintes, une gestion du personnel
permettant de répondre aux besoins des travailleurs, et surtout la mise à disposition de
suffisamment de ressources dans le travail permettant d’augmenter les capacités des travailleurs.
Les modèles ou approches du stress au travail sont par contre plus diversifiés, rendant compte de
l’objectif et/ou de la discipline des chercheurs travaillant sur la problématique. On retiendra dans un
premier temps deux approches principales : l’approche ergonomique du stress au travail et une
approche basée sur des modèles et questionnaires utilisés dans le domaine de l’épidémiologie.
2.1. L’approche ergonomique du stress au travail se donne pour objectif d’analyser de manière
détaillée les sources de stress au travail afin de les éliminer, ou du moins de les réduire. Les
sources potentielles de stress au travail sont à repérer dans les conditions de travail du
travailleur, on peut citer par exemple la complexité de la tâche, le niveau de concentration exigé
par la tâche, la répétitivité de la tâche, l’intensité du travail, les interruptions dans le travail, les
responsabilités, l’ambiguïté de rôle, etc. (Beehr, 1995 ; Dewe, 1989 ; Kahn & Byosière, 1992 ;
Wallace, Levens & Singer, 1988; etc.). Les sources de stress sont quasiment infinies, dans la
mesure où les conditions de travail sont elles-mêmes fonction de l’énorme diversité des
organisations, des secteurs d’activités, des professions et métiers, etc. Ainsi, la démarche
ergonomique pour l’analyse du stress au travail est relativement clinique, tenant compte aussi
bien des exigences « objectives » précises auxquelles est soumis le travailleur, que de la manière
dont il ressent ces contraintes et la manière dont, contextuellement, il « gère » ces contraintes,
y compris les « sorties » du système, c’est-à-dire les effets sur la production (productivité, rebus,
défauts, etc.), le groupe (entraide ou au contraire individualisme, tensions, conflits, etc.), et les
effets sur lui-même (fatigue, démotivation, mal-être ou au contraire, engagement, défis,
valorisation, etc.). L’analyse fine et contextuelle du stress au travail débouchera sur des
remédiations techniques précises, contextualisées et concrètes, qui auront une répercussion
directe sur la diminution des stresseurs, tout en tenant compte des exigences de production de
l’organisation.
La démarche ergonomique montre toute son utilité après une phase de diagnostic. On notera
qu’il existe à disposition des intervenants praticiens quelques outils d’aide au diagnostic du
stress ou des risques psychosociaux. Ainsi en est-il des « listes de contrôle » des hollandais
Kompier et Marcelissen (1991), de la stratégie SOBANE appliquée aux aspects psychosociaux
(Malchaire, D'Hoore, Hermans, Stordeur, Cogo, Piette, 2010) ou tout récemment, du rapport de
la DARES sur les indicateurs disponibles des risques psychosociaux au travail (2010).
2.2. Différents modèles plus simples et plus formalisés – et leurs questionnaires associés – ont été
développés dans le cadre de recherches épidémiologiques, visant à apporter une formalisation
du stress au travail en vue de sa mise en lien avec, notamment, les problèmes cardio-vasculaires
et autres maladies somatiques. Ainsi en est-il des modèles de Karasek, de Siegrist, ou
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récemment de Bakker et collègues. Les évaluations du stress qui en découlent ont
essentiellement une visée de diagnostic simple plutôt qu’une visée de prévention : des solutions
de remédiation au stress mesuré ne pourront pas être mises en place directement étant donné
le niveau de généralité de la mesure.
2.2.1.
Le modèle de Karasek ou Job Demand Control (JDC) model
Karasek (1981) a proposé un modèle bidimensionnel du stress au travail : son modèle se centre
sur les exigences imposées au travailleur (devoir travailler intensément, ne pas avoir
suffisamment de temps pour effectuer son travail, être souvent interrompu, devoir souvent se
concentrer, etc.) et sur la latitude de décision (le contrôle) disponible pour pouvoir répondre à
ces exigences ou demandes au travail (pouvoir prendre des décisions dans son travail, pouvoir
décider du déroulement de son travail, pouvoir être créatif dans son travail, avoir un travail
varié, etc.). En croisant les deux dimensions, il parvient à identifier quatre types de travail,
caractérisés par des stress différents.
Demandes de travail
basse
Latitude
de décision
élevée
basses
TRAVAIL
PASSIF
L’ennui
TRAVAIL
À BASSES TENSIONS
L’absence de stress
élevées
TRAVAIL
À HAUTES TENSIONS
Le stress négatif
TRAVAIL
ACTIF
Le stress positif
Le modèle bidimensionnel de Karasek (1981)
L’hypothèse de Karasek, que lui et bien d’autres ont démontré, est qu’une personne confrontée
à de fortes demandes au travail et une faible latitude de décision subira des « tensions
mentales » (du stress négatif), telles que se développeront des problèmes de sommeil, des
plaintes de santé, une insatisfaction au travail, etc. (Coetsier, Karnas, Vlerick, Immesoete, De
Corte & Hellemans, 1999). Karasek a montré que le stress négatif est fort présent chez les
exécutants et les peu qualifiés qui ont à faire face à des exigences, des quotas de
production, tout en ayant peu de possibilités de réguler leur travail (cf. DARES, 2008). Le stress
négatif n’est donc pas nécessairement uniquement la maladie du haut manager comme on le
pensait voici quelques décennies, parce que si les personnes hautement qualifiées peuvent être
en effet sous pression au vu des exigences auxquelles elles doivent répondre, elles ont aussi
bien plus d’autonomie et de marge de manœuvre pour répondre à ces exigences ; elles exercent
un « travail actif ». Par contre, la situation des « cadres intermédiaires » serait loin d’être
enviable dans la mesure où, outre les exigences techniques/de production liées à leur métier,
viennent s’ajouter des exigences issues des membres de leur équipe de travail, ainsi que des
exigences émanant de leurs propres supérieurs ; « coincés » entre leurs subalternes et leur
supérieur ayant assez naturellement des points de vue différents, voire opposés, et poussés à
tenter de les concilier pourtant, ces cadres intermédiaires n’ont finalement qu’une autonomie et
une marge de manœuvre bien réduite. En 1990, Karasek et Theorell rajoutent à leur modèle une
troisième dimension : le soutien social de la part du supérieur et des collègues ; bénéficier d’un
bon soutien permet d’atténuer un trop grand stress au travail ; le manque de soutien peut par
contre favoriser l’apparition ou l’aggravation du stress négatif.
2.2.2.
Le modèle de Siegrist ou Effort Reward Imbalance (ERI) model
Siegrsit (1998) a développé le modèle ERI (Effort-Reward Imbalance), un modèle assez proche
de celui de Karasek. Pour Siegrist, le stress au travail se mesure par le ratio entre les efforts
externes qu’il doit consentir et les récompenses qu’il estime avoir reçues. La différence entre les
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deux modèles porte en fait essentiellement sur la dimension « protectrice » face aux exigences :
en lieu et place de la latitude de décision (ou contrôle), Siegrist insiste sur l’importance des
récompenses que le travailleur estime avoir reçues en regard des « efforts externes » qu’il a dû
consentir. Les récompenses sont de trois types : des récompenses financières, des récompenses
en termes de progression de carrière, et des récompenses de type social (reconnaissance sociale
de la part du chef et des collègues ; statut social). Siegrist a également inclut dans son modèle la
notion d’ « efforts internes », à savoir des efforts personnels particuliers que le travailleur a
« choisi » de développer – il s’agit selon les termes de l’auteur de sur-engagement
(« overcommitment »).
2.2.3.
Le modèle Job Demands Resources (JDR) de Bakker
Le modèle JDR de Bakker, Demerouti, et collègues (Bakker, Demerouti, De Boer & Schaufeli,
2003) lui aussi se base sur une approche très similaire. Le modèle mesure deux dimensions :
d’une part, les exigences du travail, à l’instar des modèles de Karasek et de Siegist, et d’autre
part les ressources de l’individu, une appellation plus large que la latitude de décision ou les
récompenses, qui couvre ces deux aspects notamment. L’apport des auteurs est d’avoir
distingué deux processus différents de réaction du travailleur face aux conditions de travail : les
demandes au travail (pression du temps, changement dans les tâches) conduiraient à des
problèmes de santé, tandis que la présence de ressources adéquates (soutien social, feedback
de la part du supérieur) stimulerait en quelque sorte le développement du travailleur, l’amenant
à un degré d’engagement plus important – la dimension des ressources serait ainsi non
seulement protectrice, mais bien plus, elle serait motivationnelle.
Ces modèles, bien utiles pour identifier les situations d’équilibre/déséquilibre et les évaluer de
manière essentiellement statistique, sont moins adaptés si l’on souhaite analyser de manière
approfondie les conditions de travail d’une profession (cf. l’étude de métiers spécifiques tels que
pompier, enseignant, infirmier, etc.) et sont peu orientés vers l’intervention. L’approche
transactionnelle du stress est une alternative à envisager.
3. LE STRESS AU TRAVAIL : APPROCHE TRANSACTIONNELLE
L’approche transactionnelle du stress se donne pour objectif, non pas de lister un ensemble de
sources potentielles de stress, mais plutôt de se pencher sur la signification précise et personnelle,
potentiellement stressante, de tel obstacle pour tel individu. Ainsi, d’une conception où la source de
stress est à considérer comme l’unité de compréhension du phénomène de stress, on en arrive à une
conception où l’individu - à travers ses interactions au monde et à son environnement - est considéré
comme l’unité de compréhension du phénomène du stress. Cette conception subjective du stress a
été développée par Lazarus et Folkman (1984) dans leur « modèle cognitif du stress ». Ainsi, pour les
auteurs, le stress est fonction de perceptions subjectives, elles-mêmes liées à des évaluations
subjectives de la situation; il est défini comme une relation particulière entre la personne et
l’environnement qui est évaluée (appréciée) par la personne comme mettant à l’épreuve ou
dépassant ses ressources et compromettant son bien-être » (Lazarus et Folkman, 1984, p. 19). On
s’en rend compte, la notion d’exigence disparait de la définition, au profit de l’évaluation de la
situation au regard des ressources disponibles. Les ressources s’entendent comme des
ressources personnelles (avoir tel type de caractère, avoir une bonne santé physique, etc.), comme
des ressources sociales (avoir des collègues qui peuvent aider, un/une conjoint(e) qui écoute, des
parents qui peuvent s’occuper des enfants, etc.), également comme des ressources matérielles (des
machines performantes, des informations claires et précises, etc.).
Dans ce modèle cognitif du stress, ce ne sera en fait pas tant le niveau de stress auquel on
s’intéressera, mais bien à la manière dont l’individu fait face à la situation (à l’obstacle), en prenant
en compte la transaction entre la situation et lui. Comment l’individu évalue-t-il la situation ? Quelles
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sont les options qui s’offrent à lui pour gérer la situation ? Et surtout, que fait-il concrètement pour
tenter de diminuer son stress, autrement dit, quelles sont les stratégies d’adaptation (ou stratégies
de coping) qu’il met en place pour tenter de gérer le stress qu’il ressent ? Les stratégies de coping
doivent donc être vue comme des efforts cognitifs ou comportementaux entrepris, et non pas des
mécanismes de défense inconscients, pour tenter de limiter le mal-être ressenti. Deux grandes
catégories de stratégies de coping ont été mises en évidence : les stratégies centrées sur le
problème, visant à agir directement sur la source du stress (en tentant de l’éliminer), et les stratégies
centrées sur l’émotion, visant à diminuer l’impact, le ressenti de la source de stress, mais sans agir
directement sur la source. On notera que face à une même situation, la personne peut développer
différentes stratégies de coping. Par exemple, après une stratégie de maîtrise de soi, la personne
peut mettre en place une stratégie de résolution du problème, alors même qu’elle développe en
parallèle une stratégie d’auto-accusation.
L’incertitude au travail, une source de stress.
L’incertitude est souvent reliée aux notions de stress et coping. Lazarus et Fokman (1984) ont distingué deux sortes
d’incertitude : l’incertitude liée à un événement, et l’incertitude temporelle. L’incertitude liée à un événement concerne
l’incertitude quant à savoir si un événement redouté ou espéré va, ou non, se produire ; l’incertitude temporelle est
l’incertitude quant au moment auquel se produira un événement dont on sait qu’il se produira tôt ou tard. Les auteurs
estiment qu’une des raisons majeures du stress provoqué par l’incertitude résiderait dans son effet immobilisant sur le
développement de stratégies de coping d’anticipation ; Lancry (2007) rapporte que l’anxiété liée cette incertitude créant du
stress pourra être diminuée grâce à la mise en place de stratégies de coping de type recherche et obtention d’informations
(Lancry, 2007).
Lapthorn et Hellemans (2011) ont développé et validé un questionnaire de l’incertitude au travail (le QIT) mesurant cinq
dimensions : deux dimensions de perception de l’incertitude au travail : l’incertitude usante et l’incertitude constructive, et
trois dimensions de gestion de l’incertitude : la gestion de l’incertitude par le contrôle, la gestion de l’incertitude par la
réassurance auprès des autres, et la gestion de l’incertitude par l’évitement. Des analyses des liens entre le stress perçu et
les dimensions de l’incertitude au travail ont mis en évidence que plus les personnes témoignent d’un niveau de stress
important, moins elles perçoivent l’incertitude au travail comme constructive et stimulante ; au contraire, un niveau de
stress élevé est corrélé avec l’incertitude vue comme usante, autrement dit, avec une réelle difficulté dans le vécu des
expériences d’incertitude.
4. LEGISLATION ET COUT DU STRESS AU TRAVAIL
Avant d’envisager les phases de diagnostic du stress au travail et d’intervention, arrêtons-nous
quelques instants sur la législation et les coûts estimés engendrés par le stress professionnel.
4.1. La législation relative à la prévention et la protection au travail. La prévention du stress au
travail s’inscrit dans le cadre général des législations relatives aux risques professionnels. La
directive-cadre européenne de 1989 (89/391/CEE) prescrit la mise en œuvre de mesures visant
à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, fondée sur
l’obtention de résultats plutôt que sur la mise en œuvre de moyens. Transposée au niveau des
législations nationales, elle a insufflé une révision des législations en place. C’est à l’employeur
qu’incombe la responsabilité de la sécurité au travail, de protéger la santé physique et mentale
des travailleurs de son organisation et de mettre en place une politique de prévention des
risques (Article L4121-1 du Code du Travail). L’employeur a l’obligation de transcrire et mettre à
jour dans un Document Unique les résultats de l'évaluation des risques comportant "un
inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de
l'établissement", de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les risques professionnels.
Historiquement axée sur la surveillance de la santé au travail et sur le rôle central du médecin
du travail, la législation française rend désormais obligatoire la pluridisciplinarité (loi de
modernisation sociale, 2002) et favorise l’émergence d’un nouveau métier, celui d’intervenant
en Prévention des Risques Professionnels, s’inscrivant dans la perspective de la réforme de la
médecine du travail, de la pluridisciplinarité, tout en visant à répondre à l’accroissement des
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diagnostics en terme de risques psychosociaux. En effet, jusque-là, si les médecins du travail
mettaient en cause l’évolution des conditions de travail et de l’organisation du travail dans les
entreprises, leurs missions, de par la structure et l’organisation de leur service, restaient
essentiellement centrées sur les travailleurs eux-mêmes, au travers des visites et examens
médicaux (Neboit et Vézina, 2002).
En comparaison, en Belgique, la Loi de 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de
l'exécution de leur travail a modifié en profondeur l’organisation des services de prévention au
travail. Ainsi, ces services se sont restructurés autour de 5 missions et fonctions : le médecin du
travail, le conseiller en prévention sécurité, le conseiller spécialisé en aspects psychosociaux, le
conseiller spécialisé en ergonomie et le conseiller spécialisé en hygiène au travail. Ainsi, à la
différence de la législation française, les missions relatives aux risques psychosociaux sont
dévolues spécifiquement aux conseillers du même nom.
Plus récemment, l’accord-cadre européen signé en 2004 par les principales organisations
européennes représentatives des partenaires sociaux visant à mettre davantage l’accent sur la
prise de mesures de prévention du stress a été transposé en France dans un accord national
interprofessionnel sur le stress au travail, rendu obligatoire pour tous les employeurs par un
arrêté ministériel du 23 avril 2009. Plus récemment encore, un plan d’urgence sur la prévention
des risques psychosociaux vient d’être fixé par le Ministre du Travail invitant les entreprises
publiques et les entreprises privées d’au moins 1.000 salariés à engager rapidement des
négociations sur les moyens de lutter contre le stress.
4.2. Quel est le coût du stress ? Dans une perspective économique et managériale, il est tentant de
vouloir objectiver les coûts engendrés par le stress au travail, notamment afin de convaincre de
l’absolue nécessité d’agir pour limiter les coûts de dysfonctionnements qui seraient liés à la nonprise en compte de conditions de travail néfastes. On peut retrouver dans la littérature des
résultats chiffrés, par exemple :
- La Confédération de l’Industrie Britannique estime que les absences pour maladie
représentent un coût correspondant à 2 à 3 % du Produit National Brut, au sein desquelles 40 %
sont dus à des environnements de travail stressants (Clarke & Cooper, 2004).
- Trontin (2004) rapporte qu’avec plusieurs dizaines de millions de travailleurs affectés par le
stress dans l’Union Européenne, son coût était estimé en 1999 à au moins 20 milliards d’euros
par an).
Ces estimations, assez grossières, se fondent sur une approche macro-économique (données
agrégées de sécurité sociale, de statistiques socio-économiques), basée sur un pourcentage
supputé de problèmes de santé qui peuvent être associés au stress.
Trontin (2007) propose une analyse micro-économique, de type coût-bénéfice, en identifiant
dans les organisations, d’une part, des pathologies pour lesquelles un lien significatif a pu être
mis en évidence avec l’exposition au stress (maladies cardiovasculaires, dépression, troubles
musculo-squelettiques (TMS) et d’autre part des coûts (soins, absentéisme, décès prématurés
vis-à-vis de l’âge de la retraite, âge de la retraite...). Sur cette base, Trontin rapporte que pour
l’année 2000, en France, le coût direct et indirect du stress peut être évalué entre 830 et 1 656
millions d’euros par an, ce qui équivaut à 10 à 20 % du budget de la branche accidents du travail
/ maladies professionnelles de la Sécurité sociale.
Pour une organisation, s’interroger sur le coût du stress revient à devoir déterminer les
indicateurs pertinents : (a) les taux : absentéisme, rotation du personnel, accidents du travail,
productivité … , (b) les indicateurs quantifiables : fluctuation de l’efficience au travail, retards,
moindre qualité, surcroit de travail, …, (c) les composantes psychologiques et les
comportements : niveau de stress perçu, troubles du sommeil, troubles digestifs, troubles
cognitifs, troubles psychiques (dépression), mais aussi irritabilité, conflits au travail,
insatisfaction professionnelle, …
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Encore faut-il pouvoir décider de l’existence ou non d’une relation univoque entre l’indicateur et
l’effet du stress et de l’importance de cette relation (% de variance expliquée). De plus, tout
comme pour le calcul des coûts des accidents du travail, il faudra être attentif aux coûts cachés.
En résumé, les moyens de sensibiliser les directions à l’absolue nécessité de mettre en place une
prévention active du stress au travail sont diversifiés : obligations légales, coûts socioéconomiques, effets sur le climat de l’entreprise, responsabilisation de l’employeur,
négociations inter et intra-entreprises ….
5. LES DIAGNOSTICS DU STRESS AU TRAVAIL
Avant de présenter les différentes méthodes de diagnostic, penchons-nous un instant sur les
pratiques mises en œuvre dans les organisations. Alors que les effets délétères du stress au travail
sur l’individu et sur l’organisation sont largement reconnus dans la communauté scientifique,
l’attention accordée par les employeurs à l’identification des sources de stress et à leur élimination
est relativement faible. Par exemple, Hansez et al. (2009) rapportent que seules 30 entreprises
(14,3%) sur les 210 ayant participé à une enquête sur les pratiques de diagnostic du stress, ont
déclaré avoir déjà réalisé un diagnostic de stress dans leur organisation.
Qu’est-ce qui va conduire les organisations à s’engager dans un tel processus de diagnostic ? Les
diagnostics de stress au travail peuvent être déclenchés par différents évènements ou plaintes, par
l’évolution de différents indicateurs, ou encore par une volonté politique de prévention.
On peut envisager un diagnostic de stress ou de mal-être au travail de manière directe et indirecte.
S’intéresser par exemple au taux d’absentéisme au sein de l’entreprise, au taux de turnover ou
encore à l’intention de quitter l’entreprise sont des moyens indirects de diagnostiquer du stress au
sein de l’entreprise.
Quelles sont alors les modalités de diagnostic direct du stress ? On peut distinguer quatre types de
diagnostic : (a) le diagnostic global et général, visant l’obtention d’une « photo » de la situation de
stress dans l’entreprise, (b) le diagnostic permettant de repérer des groupes à risque de stress, (c) le
diagnostic ciblé sur une entité délimitée (un poste de travail, une fonction, un service de
l’entreprise), (d) le diagnostic centré sur un individu.
5.1. Diagnostic global et général. Une première façon de poser un diagnostic est de mener une
enquête extensive, auprès d’un grand ensemble de personnes, par exemple tous les travailleurs
d’une entreprise. Pour ce faire, on utilisera de préférence un questionnaire de stress validé
scientifiquement et composé de dimensions explicatives du stress pour ne pas se limiter au
diagnostic du niveau de stress perçu (cf. le PSS ou Perceived Stress Scale de Cohen, Kamarck &
Mermlestein, 1983). On choisira un questionnaire dont les dimensions s’avèrent suffisamment
pertinentes pour l’ensemble des travailleurs interrogés qu’ils soient techniciens, employés
administratifs, cadres, commerciaux, etc. Le questionnaire choisi ne balayera alors que de
manière globale et générale les conditions de travail explicatives du stress. Dans ce cadre, les
questionnaires de Karasek, de Siegrist ou de Bakker et collaborateurs sont fréquemment utilisés.
Différentes statistiques pourront être réalisées afin d’analyser la situation globale dans
l’entreprise. A titre d’exemple, le questionnaire de Siegrist permettra de cibler le niveau de
stress chez les travailleurs interrogés (calculé à partir du ratio effort externe/récompense) ; les
exigences externes relevées comme les plus importantes ; les récompenses faisant le plus
défaut du point de vue des travailleurs. Le grand avantage dans l’utilisation de questionnaires
validés scientifiquement est que d’une part, ils ont démontré leur valeur et que d’autre part, il
existe en général des normes de réponses établies auprès d’un très large échantillon de
travailleurs, permettant dès lors la comparaison des résultats obtenus au sein de l’entreprise
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avec des normes de référence. Toutefois, cette approche est peu orientée vers l’intervention,
elle vise essentiellement à évaluer les situations de manière globale.
5.2. Diagnostic des groupes à risque. A partir d’une large enquête telle que décrite ci-dessus,
incluant des données socioprofessionnelles telles que le sexe, la catégorie d’âge ou
d’ancienneté, le niveau d’études, le niveau hiérarchique ou le type de fonction, voire le
département d’appartenance, on pourra mener un diagnostic des groupes à risque. Un tel
diagnostic consiste à analyser dans quelle mesure on observerait des différences significatives
dans les réponses de tel sous-groupe de répondants (par rapport aux autres sous-groupes),
sous-groupe qui, par sa moyenne de réponse à la mesure globale du stress (ou éventuellement,
aux dimensions explicatives du stress), s’avèrerait être un groupe fragilisé.
Différentes remarques doivent toutefois être prises en compte. Il peut être tentant pour
l’entreprise d’en savoir le plus possible sur les répondants afin de pouvoir cibler le mieux
possible les groupes à risque et faciliter les interventions à venir. Pourtant, interroger un grand
nombre des données socioprofessionnelles comporte le risque d’un faible taux de participation.
En effet, il faut éviter que le répondant ait l’impression que le recoupement des informations
permettrait de le reconnaître. Ainsi, il sera important :
- de n’interroger que les variables socioprofessionnelles qui sont pertinentes et utiles dans la
prévention du stress au travail;
- de prévoir pour les variables d’âge, d’ancienneté, etc. des catégories de réponse (par cinq
ans ou dix, par exemple) plutôt qu’une question amenant à devoir préciser exactement son âge ;
- de se rendre compte que plus il y a de sous-catégories pour une variable
socioprofessionnelle, plus le risque d’observer de très petits effectifs de répondants dans
certaines de ces sous-catégories sera important… mettant en péril l’anonymat du répondant ;
- de prendre en considération que des analyses statistiques de comparaison de sous-groupes
ne sont envisageables que si chacune des sous-catégories est représentée par un effectif
suffisant de répondants (au moins 15 répondants).
5.3. Diagnostic ciblé. Suite à l’analyse des groupes à risque, ou plus simplement par l’analyse des
statistiques en termes d’absentéisme, suite à des plaintes rapportées au médecin du travail, ou
encore suivant la demande des travailleurs eux-mêmes, on peut envisager également un
diagnostic ciblé du stress : ciblé sur un groupe de travailleurs occupant le même métier ou la
même fonction, ciblé sur les antécédents au travail du stress, autrement dit, sur leurs conditions
de travail. Un tel diagnostic sera de préférence participatif : on réunira plusieurs travailleurs (6 à
8) occupant le métier ou la fonction analysée, en prêtant attention à la représentation de ces
travailleurs (on associera par exemple, un ancien, un novice, un expert, leur chef) ; un spécialiste
des risques psychosociaux animera le groupe, sur base d’un canevas de thématiques en lien
avec le stress à discuter librement et ouvertement (ce qui nécessite une certaine confiance
entre les participants, et des règles de non censure des débats à rappeler par l’animateur), dans
une perspective constructive, visant à trouver des solutions aux problèmes ou difficultés mis en
évidence. Les « listes de contrôle » de Kompier et Marcelissen (1991) et surtout, la stratégie
SOBANE appliquée aux aspects psychosociaux (Malchaire, D'Hoore, Hermans, Stordeur, Cogo,
Piette, 2010) sont particulièrement adaptées au diagnostic ciblé. Si la démarche de diagnostic
ciblé s’avère plus longue et donc plus coûteuse que la passation d’un questionnaire (il faut
compter environ 3 heures de réunion), elle a l’énorme avantage de déboucher sur des mesures
correctrices, des actions de prévention simples à mettre directement en œuvre, ainsi que sur
des solutions adéquates à envisager à moyen terme au vu des budgets annuels. Ces solutions,
proposées et réfléchies au sein du groupe, seront appréciées par les travailleurs.
5.4. Diagnostic individualisé. Dans certains cas, un diagnostic individualisé peut avoir du sens ; il sera
déclenché le plus souvent par des plaintes individuelles, un incident, un diagnostic médical ou
plus rarement l’alerte de collègues. Ce diagnostic visera une amélioration de l’adaptation entre
9
le travailleur et son travail, permettant alors de diminuer son stress. Cette pratique s’inscrit dans
la philosophie du modèle transactionnel du stress de Lazarus et Folkman. Cette méthode de
diagnostic se conçoit assez directement en lien avec des interventions visant à aider les individus
à faire face aux situations stressantes.
Le Workaholisme ou addiction au travail
Les « vrais » workaholiques sont décrits comme des personnes hautement impliquées au travail, se sentant contraintes à
travailler à cause de pressions internes (plus que par des facteurs externes tels que des récompenses financières ou des
perspectives de carrière), tout en ne ressentant que peu de plaisir à travailler (Spence et Robbins, 1992). Ainsi, on peut dire
que ces « vrais » workaholiques ressentent du mal-être, au travail et également hors travail dans la mesure où ils se
sentent affligés et coupables dès qu’ils ne travaillent pas. D’autres profils de « bourreaux du travail » peuvent être décrits à
partir des trois dimensions relevées ; les plus relevants sont certainement les “travailleurs enthousiastes” qui sont
fortement impliqués au travail, ressentent du plaisir à travailler, sans se sentir contraints à travailler – un profil ne
ressentant donc pas de mal-être au travail, et les « travailleurs désenchantés », faiblement impliqués au travail, y
ressentant peu de plaisir, et se sentant fort contraints. Pour Schaufeli, Taris & van Rhenen (2008), les travailleurs
enthousiastes ont un profil très proche des personnes dites engagées, et les travailleurs désenchantés ont quant à eux un
profil très proche de celui des personnes en burnout.
Comment devient-on workaholique ? La réponse n’est pas simple, les conceptions théoriques variant entre auteurs.
Schaufeli, Taris & van Rhenen estiment que les « vrais » workaholiques ne le sont pas devenus par des facteurs externes,
mais parce qu’une pulsion ou un besoin interne les poussent à travailler de la sorte. Ceci dit, beaucoup de chercheurs
supposent que le workaholisme se développe à cause d’une vie privée insatisfaisante à laquelle les workaholiques tentent
d’échapper ; plusieurs études montrent par ailleurs que le travail, pour les workaholiques, est une source majeure de
validation de soi et un moyen d’améliorer son estime de soi (Chamberlin & Zhang 2009). Si certains avancent qu’un individu
peut devenir workaholique par influence familiale, nombreux auteurs insistent plutôt sur le fait que certains
comportements d’addiction au travail sont encouragés par nos sociétés modernes et les organisations imprégnées d’une
culture de compétitivité. Certaines pratiques managériales (au niveau du recrutement, de la sélection, des systèmes de
récompenses) faciliteraient et renforceraient les tendances workaholiques ; les caractéristiques de la situation de travail
joueraient un rôle important dans le développement et le maintien du workaholisme : les workaholiques décrivent
d’ailleurs leur environnement de travail comme stressant, exigeant, peu structuré, peu contrôlé (Burke & Kosal, 2002).
6. TYPOLOGIE DES INTERVENTIONS
Des études mettent en évidence que la majeure partie des interventions se centre sur la réduction
des effets du stress (programme de management du stress) plutôt que sur la suppression des
facteurs de stress ; sur la remédiation plutôt que sur la prévention (Clarke & Cooper, 2004 ; Cooper &
Cartwright, 1994 ; François, Lievin & Mercier, 2003). D’autres études, plus récentes, contredisent ces
données montrant que les actions de soutien aux personnes en difficultés sont peu pratiquées. Par
contre, les organisations auraient plutôt tendance à déclarer mettre en œuvre des actions de
prévention centrées sur l’environnement de travail (Hansez et al., 2009).
Les interventions pour prévenir ou réduire le stress au travail, tout comme celles des autres risques
professionnels, peuvent être définies selon trois types de prévention : la prévention primaire, la
prévention secondaire et la prévention tertiaire, auxquelles il faut ajouter les interventions de
réhabilitation (Clarke & Cooper, 2004 ; Cooper & Cartwright, 1994 ; Le Blanc, de Jonge & Schaufeli,
2000 ; van de Leemput, 2005). La prévention doit permettre, dans l’ordre, d’éviter les risques,
d’évaluer les risques qui ne peuvent être évités, de combattre les risques à la source, d’adapter le
travail à l’homme (conception du poste, méthodes de travail), de planifier la prévention visant un
ensemble cohérent qui intègre, dans la prévention, la technique, l’organisation du travail, les
conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants du travail, et de
former et informer les travailleurs. Cette séquence logique de la prévention permet d’éloigner les
risques des situations de travail et des travailleurs, d’envisager prioritairement des mesures de
prévention par rapport aux mesures de protection, des mesures collectives par rapport à des
mesures individuelles. Ainsi, la prévention primaire (éviter les risques à la source) doit être
privilégiée. Lorsque celle-ci ne peut suffisamment pas limiter les risques, la prévention secondaire
doit être mise en place préférentiellement à la prévention tertiaire, elle-même préférentiellement à
la réhabilitation.
10
6.1. Les interventions fondées sur la prévention primaire visent à réduire le nombre et l’intensité
des stresseurs en agissant sur les environnements de travail, les technologies ou les structures
organisationnelles à partir des résultats d’un diagnostic préalablement réalisé. Il s’agit d’éviter
les risques de stress, de combattre ces risques à la source, d’adapter le travail à l’homme. Les
interventions devraient porter avant tout sur les modalités d’organisation du travail et sur les
risques eux-mêmes, en s’intégrant dans une politique globale de bien-être au travail.
Les actions viseront l’amélioration du contenu du travail et de l’environnement, l’ergonomie du
poste de travail, la gestion du changement, etc. D’autres actions, centrées sur l’interaction
travailleur-organisation, concerneront la gestion de la carrière professionnelle, le
développement des compétences. Enfin des actions centrées sur les travailleurs, proposeront
des programmes de promotion de la santé, des campagnes de dépistage médical (pathologies
cancéreuses, maladies cardio-vasculaires, …), des aménagements facilitant la conciliation vie au
travail/ vie hors travail.
Les interventions fondées sur la prévention primaire auront une portée préférentiellement
collective, visant l’ensemble des travailleurs de l’organisation. Toutefois, lorsque le diagnostic
permet d’identifier des groupes à risques spécifiques, les actions cibleront les stresseurs
spécifiques à ces groupes de travailleurs. Ces interventions doivent s’inscrire dans une politique
globale de bien-être au travail, s’articuler, via le CHSCT, au sein des services de santé au travail,
en collaboration avec les Ressources Humaines ou la Direction.
6.2. Les interventions centrées sur la prévention secondaire ont pour objectif d’améliorer la gestion
des facteurs de stress, par des mesures organisationnelles et individuelles, se centrant avant
tout sur les interactions entre les travailleurs et les milieux de travail. Conformément aux
modèles transactionnels du stress, ces actions de prévention vont agir sur l’évaluation des
situations jugées stressantes, sur l’évaluation des conséquences que ces situations peuvent
représenter et sur les stratégies de coping à mettre en place pour y faire face.
Les actions viseront à informer et former le personnel (travailleurs et lignes hiérarchiques) à la
prévention des risques professionnels. Différents programmes de formation pourront être
proposés tels que gestion du temps, gestion des conflits, … ainsi que des processus
d’accompagnement de type coaching ou mentorat. Sur le plan organisationnel, les actions
s’intéresseront au développement organisationnel, au management privilégiant un mangement
centré sur la participation et la communication. Sur un plan plus personnel, des actions
encourageront une gestion améliorée des modes de vie, la lutte contre le tabagisme,
l’alcoolisme, les risques cardio-vasculaires, ou encore des formations à la relaxation et aux
techniques cognitivo-comportementales de gestion du stress. Les interventions centrées sur la
prévention secondaire seront mises en place pour éviter ou limiter les conséquences néfastes
des risques professionnels identifiés lors de la phase de diagnostic. Tout en privilégiant une
approche collective, ces actions pourront cibler des risques professionnels spécifiques et/ou des
groupes à risque de travailleurs.
6.3. Les interventions centrées sur la prévention tertiaire se mettent en place pour minimiser les
conséquences dommageables du stress en aidant les individus à mieux gérer les conséquences
du stress, en traitant les pathologies dues au stress au travers différentes pratiques
thérapeutiques. Elles tentent de réduire autant que possible la détresse humaine. Suivant le
modèle transactionnel, la prévention tertiaire vise à développer des stratégies d’ajustement plus
efficaces, moins coûteuses.
Parmi les actions de la prévention tertiaire, figurent les programmes d’aide au personnel
(« Employee Assistance Program »), s’adressant aux travailleurs en détresse (consultations
médicales spécialisées, groupes de parole, aides psychologiques). Ils visent à modifier les
comportements individuels, à changer les styles de vie et à améliorer les capacités de gestion du
stress. Il s’agit avant tout d’améliorer l’adaptabilité de l’individu à son environnement.
11
6.4. Les actions de réhabilitation et de réinsertion visent à faciliter le retour au travail après une
période d’arrêt suite à un accident du travail ou à un congé pour maladie. En effet, la reprise
d’une activité professionnelle après un arrêt de longue durée ne se fait pas sans difficultés.
La réinsertion dans un environnement de travail requiert, (a) de se soumettre à nouveau aux
contraintes de productivité, d’horaire, de respect des consignes, … autant d’éléments mis entre
parenthèses pendant la période d’arrêt ; (b) de se réapproprier les compétences
professionnelles, retrouver une confiance professionnelle et de se réinsérer dans un collectif de
travail et (c) d’adapter éventuellement le poste de travail si des aménagements sont nécessaires
compte de l’invalidité temporaire ou permanente, consécutive à l’accident ou à la maladie. Ces
actions de réhabilitation consistent en l’accompagnement des personnes sur le plan
organisationnel, opérationnel et personnel. Au sein des organisations ou à titre individuel, les
bilans de compétences, le coaching, les réaffectations de poste, les mutations, voire les mesures
de sorties du monde professionnel sont autant d’actions de réhabilitation ayant pour objectif de
réinscrire le travailleur dans un projet professionnel nouveau ou redéfini.
CONCLUSION
Ce chapitre, après avoir passé en revue les approches principales du stress au travail et leurs
modèles, a présenté de manière détaillée les méthodes de diagnostic et mis en évidence leur lien
avec les démarches d’intervention. Il a également permis de donner un coup de projecteur sur deux
notions en développement qui sont le concept d’incertitude et le phénomène de workaholisme.
Si les modèles théoriques du stress et du mal-être au travail sont bien développés et validés dans la
littérature - tout en étant en constante évolution, si les méthodes de diagnostic et d’intervention
sont étudiées avec soin, le constat fait sur le terrain indique encore un pourcentage beaucoup trop
faible d’entreprises engagées dans une politique active de prévention du stress au travail et donc
d’amélioration du bien-être au travail. Il faut pourtant se rendre compte que l’étude du stress au
travail s’inscrit dans la problématique des risques professionnels, en particulier des risques
psychosociaux, portant atteinte à l'intégrité physique et à la santé mentale des salariés. Sous le
vocable des risques psychosociaux, il est coutume de faire référence, outre au stress au travail, aux
violences internes et externes, au harcèlement moral et/ou sexuel, à l’épuisement professionnel, au
mal-être au travail, ou encore à la discrimination. Cette énumération des risques psychosociaux
présente une grande hétérogénéité de situations ou d’évènements, ne correspondant pas
strictement à la définition du « risque » qui renvoie à la probabilité d’occurrence d’un danger, d’un
évènement potentiellement dommageable. Ceci amène certains auteurs à privilégier les termes de
charge psychosociale (cf. les six dimensions proposées par la DARES (2010) : les exigences du travail,
les exigences émotionnelles, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapports sociaux et
relations de travail, les conflits de valeurs, l’insécurité socio-économique).
Quoi qu’il en soit, quels que soient les risques professionnels, les démarches de prévention doivent
s’inscrire dans une politique globale, multidisciplinaire et participative de prévention, incluant les
phases d’analyse de la demande, de diagnostic, d’interventions et d’évaluation des actions menées.
Comme beaucoup d’autres risques professionnels, prévenir le stress au travail est donc l’affaire de
tous dans les organisations : direction, ligne hiérarchique, service de santé au travail, comité CHSCT,
représentants des travailleurs, préventeurs, ergonomes, psychologues, responsables des ressources
humaines, … Cette multiplicité des acteurs devrait être perçue comme un atout mais relève avant
tout de la difficile mise en place et gestion quotidienne d’une approche intégrée de la prévention au
sein des organisations.
12
Cet ouvrage ne cède donc pas à la tentation de traiter dans un seul chapitre les risques
psychosociaux mais aborde, dans des chapitres distincts, les thématiques du stress au travail, de
l’épuisement professionnel, du harcèlement, ou encore de la discrimination. Les lecteurs se
réfèreront donc aux différents chapitres pour une vue étendue des risques psychosociaux.
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