neruda - Tandem

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neruda - Tandem
NERUDA
Cannes 2016 – Neruda de Pablo Larrain :
antiobiopic éblouissant et épique
En suivant moins les faits que les traces de Pablo
Neruda dans l'imaginaire chilien, Pablo Larrain filme
sa traque comme un grand poème visuel. A la
Quinzaine des réalisateurs.
A la fin des années quarante, le fameux poète
communiste chilien Pablo Neruda est déclaré traître
au régime populiste en place. Il doit fuir, se cacher.
L'épisode historique – du moins le début de la cavale,
entre 1947 et 1949 – inspire au réalisateur Pablo Larrain
un grand poème visuel, tissé de scènes courtes,
insolites, caustiques et rêveuses. Le poète se déguise
et déclame des vers dans une soirée mondaine. Le
poète se moque d'un adversaire politique dans une
pissotière… C'est Luis Gnecco, comédien impérial et
malicieux, qui habite ce rôle pourtant écrasant avec
une légèreté, une rondeur et un charisme étonnants.
Dans cet antibiopic éblouissant, présenté ce vendredi
13 mai à la Quinzaine des réalisateurs, le cinéaste
détricote tout, et d'abord la figure du grand homme. Il
s'agit moins de montrer les faits que l'effet :
l'imaginaire de Neruda, son impact sur tout un peuple,
des enfants perdus aux femmes pâmées, sa
puissance créative, s'échappent et débordent dans le
film, truquent le réel, dévient les trajectoires et la
narration.
A la poursuite de l'artiste, mystère immense, à la fois
grandiose et facétieux, le film lance un drôle de flic.
Raide comme la mort, d'une sinistre drôlerie, Gael
Garcia Bernal le rend à la fois pathétique et inquiétant,
un personnage en lignes claires, presque un méchant
de bande dessinée. L'individu s'appelle Oscar
Peluchonneau, qui commente en voix off l'étrange jeu
de cache-cache qui se déploie des coulisses du
pouvoir de Santiago aux espaces infiniment blancs de
la cordillère des Andes. Partout le flic, ce poignant
Dupont sud-américain, arrive trop tard, échoue dans
sa tentative d'enfermer, de définir, de simplifier.
Partout Neruda laisse son sillage de magie et de
fascination, et aussi un livre, quelques miettes de
mots pour narguer son poursuivant.
De Santiago 73, Post Mortem à El Club, en passant par
No, on connaissait la noire dérision de Pablo Larrain,
son goût pour les tranches d'humanité découpée au
scalpel. S'il a gardé, ici, toute son ironie, s'il s'amuse
par moments à déguiser son film en polar à
l'ancienne, il se laisse aussi emporter comme jamais,
enivré par le souffle épique du sujet. Là où la plupart
de ses autres récits se tapissaient dans le froid et la
pénombre, celui-ci est inondé de lumière rousse, vibre
d'une chaleur romanesque.
Sur ce tableau fantasque et libre d'une époque où les
poètes étaient plus grands que la vie, où ils
promettaient, avec une confiance effrontée, des
lendemains fraternels, plane aussi l'ombre de la
dictature. La traque de Neruda ressemble à la
répétition générale du drame politique à venir que
Pablo Larrain n'a cessé de scruter, dans toute son
œuvre. Quelque part, un certain Pinochet, qu'on
aperçoit à la tête d'un camp de prisonniers, attend son
heure. Celle de tuer la poésie.
Cécile Mury – 15/05/2016

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