LE CERTIFICAT MEDICAL DU MEDECIN SPECIALISTE
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LE CERTIFICAT MEDICAL DU MEDECIN SPECIALISTE
LE CERTIFICAT MEDICAL DU MEDECIN SPECIALISTE Dans le souci de protéger les libertés individuelles et d’éviter les demandes de mise sous protection juridique fantaisistes voire mal intentionnées, la loi requiert que l’altération des facultés mentales ou corporelles, justifiant l’ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle, soit médicalement constatée, et ce par un médecin spécialiste. ■ La production d’un certificat médical est-elle obligatoire pour l’ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle ? La réponse ne souffre aucune ambiguïté puisque l’article 493-1 du Code civil dispose que « le juge ne peut prononcer l’ouverture d’une tutelle que si l’altération des facultés mentales ou corporelles du malade a été constatée par un médecin spécialiste ». Ainsi, le simple signalement du médecin traitant ne suffit pas à lui seul. La Cour de Cassation a d’ailleurs rappelé que la production d’un certificat médical par un médecin spécialiste constituait une formalité substantielle1 à l’ouverture d’une mesure. Ce qui est valable pour la tutelle l’est également pour la curatelle dès l’instant où celle-ci a été demandée en raison d’une altération des facultés mentales. Là aussi, la Cour de Cassation n’a de cesse de rappeler cette nécessité d’un certificat médical en matière de curatelle2. En revanche, pour les causes autres que l’altération des facultés personnelles, visées dans le code civil, qui pourraient entraîner l’ouverture d’une curatelle (prodigalité, oisiveté, intempérance), la production d’un tel certificat médical n’est pas nécessaire3. Enfin, il est important de noter que la demande de mainlevée d’une mesure de protection (sa suppression) répond aux mêmes exigences que celles requises pour son ouverture (article 507 du Code civil). Ainsi, le juge des tutelles a la faculté de prononcer d’office la mainlevée, tout comme les personnes qui peuvent donner avis au juge de la cause qui justifie l’ouverture d’une mesure ont le droit de donner également avis au juge de la disparition de cette cause. Que ce soit à l’initiative du juge ou d’un particulier requérant, toute demande de mainlevée doit être accompagnée d’un certificat médical délivré par un médecin spécialiste. 1 Ccass – 1ère civ., 18 janv. 1972. Ccass – 1ère civ., 15 juin 1994. 3 Ccass – 1ère civ., 4 janv. 1978. Ccass – 1ère civ., 24 oct. 1995 – “la production du certification médical n’est exigée que lorsque la requête invoque une altération des facultés mentales ou corporelles de la personne à protéger et non lorsqu’elle est fondée sur la prodigalité. 2 ■ Que doit-on entendre par « médecin spécialiste » ? Le Code civil exige en effet que le certificat médical, produit aux fins de mise sous tutelle ou curatelle, émane d’un médecin spécialiste. Il faut entendre par médecin spécialiste celui qui figure sur la liste comprenant les médecins habilités à délivrer un tel certificat, liste établie chaque année par le procureur de la République après consultation du préfet (article 1245 du NCPC). Cette liste est bien évidemment à la disposition des requérants dans chaque greffe de tribunal d’instance. En pratique, la liste réunira, autant que possible, des psychiatres, des gériatres, des traumatologues, des généralistes, des neurologues, tantôt libéraux tantôt hospitaliers. On constate donc qu’un médecin dit « spécialiste » n’est pas forcément un psychiatre. En effet, l’inscription du médecin sur la liste du procureur de la République suffit à conférer la « spécialité requise par la loi », indépendamment des titres universitaires de ce médecin et de l’adéquation de ces titres avec ce dont souffre le malade4. ■ A qui incombe la demande de production d’un tel certificat médical? L’article 1244 du NCPC précise que « Doit y être joint [à la requête aux fins de mise sous protection juridique] un certificat délivré par un médecin spécialiste ». C’est donc au requérant qu’il incombe d’apporter ce certificat sous peine d’irrecevabilité. Mais il est des situations où le requérant est dans l’impossibilité de fournir ce certificat médical, non seulement au moment où il dépose sa requête mais même dans l’avenir : la visite médicale lui paraît trop coûteuse, la personne à protéger se refuse à toute visite, … Dans une telle hypothèse, la requête est donc normalement irrecevable juridiquement mais le juge des tutelles a la possibilité de se saisir d’office s’il estime que la situation le mérite. Il commettra alors lui-même un médecin agréé, comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 1244. Lorsque la requête émane du procureur de la République, en vertu de l’article 493 du Code civil, il est bien évident que cette requête ne peut être fondée que sur des faits qui ont été portés à sa connaissance et que le juge ne saurait être soumis à la constitution du dossier exigé pour les autres requérants. Par conséquent, une jurisprudence constante décide que le procureur n’est pas soumis à cette production d’un certificat médical délivré par un médecin spécialiste5. Il appartiendra donc au juge des tutelles saisi par le ministère public de désigner lui-même un médecin spécialiste comme lorsqu’il se saisit d’office. ■ Le juge des tutelles est-il lié par l’avis émis par le médecin spécialiste? Comme nous l’avons vu précédemment, le juge des tutelles ne peut prononcer l’ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle sans que l’altération des facultés mentales et corporelles du majeur à protéger, 4 5 CCass – 1ère civ., 24 nov. 1987. CCass – 1ère civ., 18 déc. 1979. fondement de la demande de mise sous protection juridique, ait été constatée par un médecin spécialiste. Par conséquent, si le certificat du spécialiste dénie l’existence d’une altération des facultés, le juge des tutelles ne pourra pas prononcer tout de même une mesure de tutelle ou de curatelle6. En revanche, la constatation médicale d’une altération des facultés personnelles par le médecin spécialiste n’oblige pas le juge des tutelles à prononcer l’ouverture d’une mesure. En effet, l’article 492 du Code civil dispose qu’ « une tutelle est ouverte quand un majeur […] a besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile ». Ainsi, si cette seconde condition n’est pas remplie, le juge doit statuer défavorablement quant à la demande d’ouverture d’une mesure. De plus, en vertu du principe de subsidiarité, la mise en place d’une mesure ne doit intervenir que subsidiairement par rapport à toute intervention moins formelle (sociale, médicale, voire familiale notamment dans le cadre des pouvoirs attribués à l’un ou l’autre des époux par l’effet du régime matrimonial). Une mesure de protection ne peut donc être mise en place que s’il y a constatation médicale de l’altération des facultés mentales ou corporelles, mais cette constatation ne suffit pas à elle seule. ■ Que contient ce certificat médical établi par le médecin spécialiste ? Quelle que soit l’identité de la personne qui requiert, de la part du médecin spécialiste, la production d’un certificat médical constatant l’altération des facultés mentales ou corporelles (majeur à protéger, membre de sa famille, juge des tutelles), le médecin spécialiste notifiera, dans son certificat, deux types d’indication. Tout d’abord, le médecin devra se prononcer sur l’existence ou non d’une altération des facultés mentales ou corporelles du majeur (typologie, évolution prévisible). Ensuite, si l’altération est constatée, le médecin devra alors dire en quoi cette altération créé un besoin de protection reposant sur le mécanisme de la représentation (tutelle) ou sur celui de l’assistance (curatelle). En pratique, le certificat est le plus souvent laconique et succinct. ■ A qui revient la charge de régler les honoraires du médecin spécialiste ? La charge de règlement des honoraires du médecin spécialiste va dépendre de l’identité de la personne qui a commis le spécialiste. Ainsi, si c’est à la demande du juge des tutelles qu’a été établi le certificat, les frais seront à la charge de l’Etat. En revanche, dans l’hypothèse où le certificat a été sollicité par un particulier, même si la pièce est destinée à la Justice, c’est à ce dernier de régler les honoraires. C’est pourquoi, il convient de se renseigner sur les honoraires pratiqués par le médecin spécialiste avant de prendre rendez-vous car ils peuvent atteindre un montant important. Ces honoraires ne seront de surcroît pas remboursés par la Sécurité Sociale car il ne s’agit pas là d’une simple auscultation mais bien d’une expertise. 6 Ccass – 1ère civ., 15 juin 1994. ■ Alors qu’un certificat d’un médecin spécialiste est obligatoire pour l’ouverture d’une mesure de protection juridique, que se passe-t-il si la personne à protéger ne répond pas favorablement aux convocations du médecin et refuse tout examen médical ? On peut légitimement se demander si un majeur pourrait, de son simple fait de refuser de se rendre aux rendez-vous du médecin, bloquer une procédure de mise sous protection juridique le concernant. La Cour de Cassation, en 19727, avait répondu que « si la constatation par un médecin spécialiste de l’altération des facultés mentales ou corporelles du malade constitue une formalité substantielle préalable à l’ouverture de la tutelle ou de la curatelle, la personne qui fait l’objet de cette formalité ne saurait être fondée à se prévaloir du non-accomplissement de cette formalité alors que c’est de son propre fait que cet examen n’a pas eu lieu ». Cependant, la Cour de Cassation précisait, 7 ans plus tard8, que le fait de ne pas se soumettre à l’examen médical ne suffisait pas, à lui seul, pour établir l’altération des facultés mentales. En effet, les juges du droit vont considérer que viole l’article 490 du Code civil, le tribunal qui, pour placer un adulte sous tutelle, considère que « le comportement d’évitement » établissait l’altération des facultés mentales, alors qu’aucun document médical constatant cette altération n’est versé au dossier. A la lecture de ces deux arrêts, il apparaissait donc que, dans l’hypothèse où le majeur à protéger se soustrayait volontairement à tout examen médical, le juge des tutelles pouvait se dispenser du certificat médical dès lors que l’altération des facultés mentales ou corporelles était établie par d’autres éléments, mais que « les dérobades successives » n’établissaient pas à elles seules l’altération des facultés mentales. Cette solution semble aujourd’hui faire jurisprudence puisqu’en 19849, par arrêt, la Cour de Cassation rappelait le principe dégagé dans l’arrêt du 18 janvier 1972. Sources : Jacques MASSIP – Les majeurs protégés – Defrénois. Frédéric ARBELLOT – Droit des tutelles – Dalloz. Pierre VERDIER & Michel BAUER – Comment assurer la protection d’un majeur ? Thierry FOSSIER & Michel BAUER – Les tutelles. 7 Cour de Cassation, 1ère civ., 18 janv. 1972. Cour de Cassation, 1ère civ., 23 mai 1979. 9 Cour de Cassation, 1ère civ., 10 juil. 1984. 8