Newsletter Novembre 2012
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Novembre 2012 n°7 Nos rubriques : EDITORIAL Chers clients, chers amis, Dans ce numéro, nous explorons avec Frédéric Jenny les sujets relatifs à la concurrence dans ses aspects juridiques et économiques. Il nous explique comment les organismes nationaux ou européens ont fusionné les deux disciplines et comment le droit de la concurrence s’est lui-même inspiré de cette fusion. Dans ce registre, nous sommes allés chercher dans l’actualité des exemples qui montrent la difficulté de trouver des compromis qui puissent satisfaire toutes les parties. Nous vous en souhaitons une bonne lecture et vous réitérons l’invitation de participer à nos débats en nous proposant des sujets. Philippe Leroy. LA VALEUR DES CHOSES ENTRETIEN /FREDERIC JENNY VU DANS L’ACTUALITE LA THEORIE ET LA PRATIQUE EXPLICATION PAR LE GRAPHIQUE LU POUR VOUS LA VALEUR DES CHOSES La juste valeur selon Saint-Thomas d’Aquin Dans le livre V de l’Ethique à Nicomaque, Aristote définit la justice cumulative et la justice distributive. La justice cumulative permet de distribuer la richesse à parts égales selon une égalité arithmétique. La justice distributive est géométrique, elle distribue proportionnellement au mérite. Selon Saint-Thomas d’Aquin, le juste prix –qui n’est donc pas le prix de marchéest celui qui satisfait la justice cumulative et la justice distributive. ENTRETIEN Frédéric Jenny, docteur en sciences économies de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), diplômé de l’ESSEC, est le président du comité de la concurrence à l’OCDE et professeur d’économie à l’ESSEC. Frédéric Jenny a été vice-président du conseil de la concurrence de 1993 à 2004, président du groupe de travail à l’OMC sur la concurrence et le commerce international de 1997 à 2003. Frédéric Jenny a écrit de nombreux ouvrages et articles relatifs au droit, à l'économie de la concurrence, à la concurrence et au développement, à la concurrence et au commerce international ainsi qu'à l’analyse économique du droit. Les sujets relatifs à la concurrence sont-ils davantage des sujets d’économistes ou de juristes ? Avez-vous en tête des exemples qui montrent une convergence entre les approches et au contraire un exemple qui montre une divergence ? Tout d’abord, je crois qu’il faut bien avoir à l’esprit que le droit de la concurrence est le seul droit dérivé d’une théorie. Il n’est pas un système de normes et de valeurs mais, l’application, la mise en œuvre d’une représentation théorique de l’univers dont on pense qu’elle a des vertus positives. La conséquence est que le sens du droit de la concurrence ne peut 1 être trouvé dans les livres de droit mais dans les livres d’économie. Il est donc dans la nature du droit de la concurrence d’être une interface entre le droit et l’économie. Ceci n’est pas toujours bien compris par les juristes mais l’est de mieux en mieux par ceux qui se spécialisent dans cette matière. Les économistes eux ne perçoivent parfois pas que les principes généraux du droit s’appliquent également au droit de la concurrence. Notamment, les standards de preuve juridique sont différents des standards de la preuve scientifique qui, elle, repose sur des hypothèses validées plutôt que sur des preuves matérielles. Tout cela est au niveau le plus général. Je vais tenter de répondre à votre question, y a-t-il convergence ou divergence, entre les deux disciplines ? Convergence ? Il est certain que le droit de la concurrence tel que pratiqué notamment par les Autorités de concurrence a été de plus en plus influencé par le droit. Par exemple, par le développement des droits de la défense en droit de la concurrence a impliqué de nouvelles façons de faire la preuve qui s’inspirent des standards de preuve juridique et en a exclu d’autres. Il y a là, un apport du droit vers l’économie ou, du moins, une convergence des procédures qui a été également facilitée par un montage institutionnel puisque l’Autorité de concurrence est sous le contrôle d’une juridiction, la Cour d’appel de Paris. A l’inverse, dans le domaine du droit tel qu’appliqué par les juridictions, il y a eu au fil du temps importation de certains concepts et de certaines idées. Je peux prendre deux exemples. Les économistes utilisent le concept de marché pertinent, qui est essentiellement un marché sur lequel des relations de concurrence peuvent s’établir c’est à dire un espace pour lequel il y a substituabilité entre les produits. Petit à petit, cette notion de marché a été adoptée par les juristes qui utilisaient antérieurement des notions très descriptives où l’on considérait qu’étaient sur un même marché des produits qui se ressemblaient. Cela se voit dans des arrêts de Cour de cassation où l’on peut lire que telle ou telle cour d’appel n’a pas posé les bonnes questions pour établir la notion de marché pertinent. En ce sens la Cour de cassation se réfère implicitement à des notions d’économistes. Un autre exemple un peu plus technique : il y a peu la Cour de cassation a rendu un arrêt dans un cas où une entreprise avait une activité de service public et une activité ouverte à la concurrence. Il y avait une question sur les coûts communs et la définition de la bonne notion de coûts à prendre en compte pour savoir si l’entreprise avait pratiqué de la prédation sur le marché ouvert à la concurrence. La Cour a répondu que la bonne notion était la notion de coût incrémental ce qui est typiquement une notion d’économistes. Les juristes n’étaient pas très familiers avec cette notion. Petit à petit, elle s’est imposée jusqu’à ce qu’elle devienne partie intégrante du raisonnement juridique en matière de droit à la concurrence. Des divergences ? Peut-être pas à proprement parler, mais en tout cas, de la non-convergence. La question de l’action civile a une certaine importance à l’heure actuelle. Les juristes considèrent en effet que pour que l’on puisse faire état d’un préjudice et prétendre à des réparations, il faut que le dommage ait été certain et direct. En revanche les économistes considèrent qu’une pratique anticoncurrentielle peut avoir des effets directs et indirects qui provoquent un dommage à l’économie. Ils ont une certaine difficulté à admettre que le dommage indirect n’est pas réparable juridiquement. Dans la perspective du développement de l’action civile de groupe, à la suite des annonces de Madame Taubira ou de Monsieur Hamon, les économistes ont tenté de dialoguer avec les juges pour améliorer leur définition du préjudice associé à une pratique anticoncurrentielle. Les magistrats prennent en compte les effets directs, par exemple l’augmentation du prix pour les acheteurs victimes d’un cartel. Mais ils éprouvent des difficultés à admettre qu’en présence d’un cartel, des personnes qui n’ont pas acheté le bien cartellisé auraient peut-être acheté si les prix avaient été plus bas et qu’ils doivent eux aussi être considérés comme des victimes. Pourquoi les économistes ne 2 parviennent-ils pas à convaincre les juristes d’étendre la notion de préjudice associé à une pratique anticoncurrentielle ? Parce que cela impliquerait une approche du dommage spécifique au droit de la concurrence et que les juristes ne voient pas pourquoi la concurrence devrait être traitée différemment. Dans le droit anglo-saxon, y aurait-il une approche différente des dommages indirects ? La notion de dommage indirect serait traitée différemment mais sans être pour autant plus proche de celle des économistes. Aux Etats-Unis, par exemple, pour les ententes, la notion de dommage punitif se rapprocherait de ce que souhaitent les économistes, c'est-à-dire des dommages qui vont au-delà du montant du préjudice direct. Les économistes sont satisfaits de l’existence de dommages punitifs dans certains pays car si la société coupable d’une pratique d’entente doit seulement rembourser les profits excessifs qu’elle a réalisés grâce à sa pratique anticoncurrentielle si elle se fait prendre elle ne sera pas dissuadée de mettre en œuvre une telle pratique. Au nom de la dissuasion qui est ellemême modélisée par les économistes et qui doit être plus que proportionnelle au bénéfice retiré, les économistes pensent que pour qu’une loi soit efficace, elle doit être dissuasive et pour être dissuasive, les sanctions doivent être plus que proportionnelles au bénéfice retiré. Ils adhèrent donc aux sanctions punitives qui permettent en outre de couvrir une partie du dommage indirect créé par la pratique. Mais en France, il n’y a pas de dommages punitifs car le préjudice doit être intégralement mais seulement compensé. Dans le contexte de crise des années post-libérale, peut-on s’attendre à des évolutions de la doctrine ? Notamment si l’Etat se veut un peu plus interventionniste pourra-t-il vraiment concilier une politique industrielle avec une politique de concurrence ? Il y a plusieurs niveaux de réponse à votre question. D’un point de vue terminologique, il faut bien avoir en tête les différences entre le droit à la concurrence et la politique de concurrence. Le droit à la concurrence, c’est l’application stricte des règles qui ont été édictées. Mais le droit à la concurrence n’interdit pas, justement parce que c’est un droit, tous les comportements anticoncurrentiels –il en interdit certains comme l’entente- mais il n’interdit pas l’oligopole ou l’interdépendance oligopolistique qui conduisent aussi à ce que les prix soient plus élevés et les quantités offertes plus faibles. Cela n’est pas interdit parce que la règle de droit a du mal à s’appliquer lorsque ce que l’on vous reproche relève d’une situation objective dans laquelle vous vous trouvez, plutôt que quelque chose que vous auriez fait. Si nous sommes deux sur un marché, il est évident que je réagis à ce que l’autre fait et réciproquement. Il y a une situation proche de l’entente mais pourtant sans que nécessairement les entreprises se soient formellement consultées ou même aient communiqué ensemble. Au-delà du droit à la concurrence, il y a la politique de concurrence qui doit bien entendu être cohérente avec le droit et qui consiste, par exemple, à faire en sorte que les Etats n’adoptent pas des règlementations qui pourraient affaiblir la concurrence. Dans le cadre de leur politique industrielle, les décisions de l’autorité publique ne doivent pas être contraires à l’un de ses autres objectifs qui est d’avoir une concurrence saine sur les marchés. En France, l’Autorité de concurrence applique d’une part le droit à la concurrence mais elle peut aussi donner un certain nombre d’avis. A ce titre, elle intervient dans la politique économique. Maintenant que cette distinction est faite, revenons à votre question. 3 L’état est principalement intervenu dans le secteur bancaire en liaison avec la crise économique. Depuis 2008, il y a eu l’apparition dans ce secteur d’un problème qui avait été peu traité et qui est le fait que ce secteur là, à la différence d’autres secteurs, contient un élément systémique. Quand une entreprise automobile fait faillite, c’est une bonne nouvelle pour ses concurrents mais lorsqu’une banque fait faillite, ce n’est en aucun cas une bonne nouvelle pour les autres banques parce que cela affaiblit la confiance de tout le secteur et le contamine. Cette notion de confiance est au cœur de l’interdépendance de tout le secteur financier. Cela veut dire que le jeu de la concurrence ne peut pas être tout à fait le même que dans les autres secteurs économiques. Il est important d’avoir une règlementation prudentielle qui va constituer un socle commun à partir duquel on va faire jouer une concurrence qui est absolument nécessaire y compris dans ce secteur. Cependant l’introduction de normes, de ratios de capital par rapport aux engagements, qu’on ne retrouve pas dans l’industrie automobile, indispensable pour recréer la confiance, peut avoir tendance à homogénéiser les situations des banques et par là-même réduire la concurrence ; il se pose la question de la définition du point au-delà duquel on risque d’aller trop loin. Pendant l’essentiel des années 90, on a assisté à la dérégulation des secteurs financiers sans que soit prise en compte l’hypothèse d’un effet externe et d’un effet systémique auxquels on est aujourd’hui très sensible. La prise en compte de ce risque entrainera une plus grande régulation aux Etats-Unis et en Europe. Ce processus est lent mais certain. Si je prends non plus les banques mais les agences de notation dont la nature du modèle économique est d’être payé par les sociétés qu’elles notent, à qui de surcroît elles rendent des services financiers, je peux m’interroger sur le conflit d’intérêt systémique qui est le leur. D’autant qu’elles sont au nombre de trois et que l’essentiel des opérations financières requiert deux notes d’agences différentes. La première vertu des agences de notation, c’est aussi la confiance, mais nous nous trouvons dans une situation où elles vivent à la fois les problèmes d’un oligopole restreint et des problèmes de gouvernance. On comprend qu’il y a des besoins de régulation sur ce marché là également. Pour le reste de l’économie la politique industrielle est compatible avec la nécessité de préserver la concurrence si elle ne cherche pas à modifier les prix résultant du marché et si elle consiste en des incitations horizontales, par exemple en matière de recherche et de développement, qui ne sont pas discriminatoires. Si l’on retient l’un des crédos de l’économie libérale, les agents doivent eux-mêmes créé leur propre discipline et dans le passé, à Venise, à Bruges, ce sont les marchands qui se disciplinaient assurant une stabilité et une prospérité sur une très longue période à leur cité. On conçoit que dans le monde moderne où la densité d’information est extrême, il soit difficile pour un banquier français de savoir ce que fait son homologue américain mais est-ce que les Etats ne vont-ils pas utiliser le prétexte de la réglementation afin de favoriser leurs champions nationaux ? Je vous redonne l’exemple des agences de notation comme exemple d’échec massif d’autorégulation dont le péché originel remonte à ce que les marchés eux-mêmes aient imposé l’existence d’une note délivrée par elles pour les émissions de dette. Elles sont tout d’un coup devenues un service public parce que tout le monde était obligé de passer par elles alors que les intervenants auraient dû mettre en œuvre leurs propres moyens d’investigation. A partir du moment où les agences de notation sont devenues un point de passage obligé, une mécanique s’est mise en marche sans que cela se fasse par la règlementation et sans que le marché trouve lui-même un moyen de se réguler. On a assisté au même phénomène dans les banques. Elles avaient leurs propres services de notation et d’analyse du crédit qu’elles auraient pu développer mais elles étaient apparemment très contentes de déléguer cela à 4 d’autres. Dans le marché financier l’initiative individuelle a été très utile au moment du développement des nouveaux produits financiers mais par la suite beaucoup de mécanismes n’ont pas fonctionné convenablement. Le marché ne peut donc se satisfaire simplement d’une auto-régulation. Pour répondre de façon plus générale à votre remarque, l’Europe est dans une situation assez particulière dans laquelle au nom du droit à la concurrence la Commission européenne contrôle les aides d’Etat et où, par ailleurs, il n’y a pas d’autorité de concurrence indépendante : la direction de la concurrence européenne faisant partie de l’exécutif européen. Cette situation qui comporte à la fois des avantages mais aussi des inconvénients quant à la cohérence des actions publiques économiques : quand il s’agit de discuter de régulation, le commissaire européen à la concurrence peut intervenir « ab initio » et faire entendre sa voix s’il estime que ce type de réglementation est contraire à la concurrence. Durant la crise financière, ce type de fonctionnement s’est révélé beaucoup plus productif et utile que celui du système américain ou du fait justement de leur indépendance, les autorités de concurrence américaines n’ont pas été consultées sur les décisions d’intervention de l’état fédéral que ce soit dans le secteur bancaire ou le secteur automobile. En Europe donc, il y a une grande cohérence entre politique industrielle et politique de la concurrence en raison même de la composition et des responsabilités de la Commission européenne. Y-a-t-il des échecs de la régulation ? Je voyage énormément et je peux vous dire qu’il y a beaucoup d’exemples de pays pour lesquels la régulation a été néfaste. L’Inde, par exemple, n’a aucune raison de ne pas se développer au niveau où s’est développée la Chine. Sauf qu’il y a de la réglementation partout, et c’est d’autant plus compliqué que c’est un Etat fédéral. Il en est de même pour l’Egypte, où il y a à la fois un défaut réglementaire d’un côté et une totale absence des droits de la propriété de l’autre, ce qui a conduit d’un point de vue économique à la révolution à laquelle on a assisté. Il faut que le point de vue du marché et la concurrence soient représentés avec suffisamment de force pour freiner les risques de régulation. La bonne question à se poser avant d’imposer une norme réglementaire est de savoir si elle est vraiment nécessaire et si elle ne va pas indument restreindre la concurrence. Pour répondre à ce défi, il faut à la fois une autorité de la concurrence forte et une conscience des enjeux de concurrence au sein de l’exécutif. En France, l’Etat a favorisé l’émergence de grands groupes industriels ou financiers. Qu’en penser d’un point de vue de l’application des règles sur l’équité dans la compétition économique ? Cela n’implique t-il pas que l’Etat doive voler au secours de ces groupes quand ils sont en difficulté ? Est-ce que ce n’est pas une façon de fausser la concurrence et d’induire des besoins de politique de concurrence pour surveiller ces acteurs qui deviennent proéminents dans la vie économique ? Pour la puissance publique, favoriser prioritairement le développement des grands groupes est moins gênant dans les secteurs qui sont ouverts à la concurrence internationale que dans les autres secteurs qui ne le sont pas. En tout état de cause les moyens à la disposition d’un pays comme la France pour développer des grands groupes sont désormais limités. Quels sont les moyens que l’Etat peut déployer s’il veut agir ? Il dispose de la subvention et de la fusion qui entrent toutes les deux dans un cadre de contrôle relativement strict. Pour la subvention c’est le contrôle des aides d’Etat opéré par la Commission Européenne. Et pour la fusion, le contrôle des concentrations soit national effectué par l’Autorité de la concurrence soit pour les opérations de dimension communautaire, effectué par la Commission européenne. Donc il y a des contre-pouvoirs. La Commission européenne peut interdire une aide d’Etat qui restreindrait la concurrence. L’Autorité de la concurrence et la Commission européenne peuvent s’opposer à certaines opérations si elles estiment que l’opération de concentration risque de porter préjudice à la concurrence. Par 5 exemple si le marché n’est pas suffisamment ouvert, une fusion peut avoir un effet de restriction de la concurrence au niveau du marché interne. Est-ce que le fait que l’on contrôle strictement en Europe les interventions de l’Etat vis-à-vis des entreprises au nom du droit de la concurrence est inéquitable dans la concurrence internationale ? Je ne sais pas ce qu’est l’équité des relations commerciales et économiques dans un monde globalisé dans lequel il y a des pays grands et petits, dans lequel certains sont dotés de ressources naturelles et d’autres pas, qui ont des droits différents, des langues et des cultures diverses, qui sont à des niveaux de développement variés etc.….Mais ce que je sais c’est que la discipline concurrentielle est de nature à renforcer l’efficacité de nos entreprises en tous cas sur le long terme et que l’échange commercial, fut-il inégal, favorise la croissance et le développement. Pourquoi est-ce que les distorsions entre les moyens humains de production ou de circulation du capital (ou du contrôle des changes) ne sont-ils pas davantage pris en compte comme des facteurs entravant la libre compétition ? La circulation du capital et la liberté du change devrait être des conditions préliminaires de toute liberté de commerce et ce sont des points qui ne sont traités qu’en dernier. Il n’y a pas de consensus au niveau international pour que tous les Etats se plient à une discipline monétaire commune. Le pouvoir de battre monnaie et de gérer cette monnaie est une fonction régalienne que les états entendent assumer en toute liberté et ne pas déléguer à une organisation internationale. Bien entendu cela leur permet de manipuler leur monnaie pour en tirer un avantage concurrentiel. Mais, il faut se rappeler que le temps n’est pas très lointain ou la France s’adonnait elle-même aux délices de la dévaluation compétitive. Et bien d’autres, principalement les pays en voie de développement, ont envie de conserver cette arme. Par ailleurs, il n’y a pas de consensus international sur ce que devraient être les normes sociales. Par exemple, nous vivons dans un pays dans lequel la notion d’égalité fait partie de la devise du pays. Il s’en suit que nous accordons une certaine importance aux droits des travailleurs. Mais, ce que nous nous considérons comme un facteur positif d’égalité, les autres pays le considèrent comme un facteur restrictif de liberté, c’est une question de philosophie politique. Alors entre souveraineté nationale des uns et la philosophie politique des autres, il est difficile de trouver un accord sur ces sujets. Les normes environnementales n’échappent d’ailleurs pas à ce genre de difficultés. A l’OMC il y a actuellement des discussions sur les normes sociales et les normes environnementales. Quel est le droit fondamental ? Est-ce que nous avons le droit de polluer ou est-ce que nous avons le droit de ne pas être pollué? Comment nous sommes-nous développés au XIXème siècle ? On a rasé nos forêts et on demande aux autres de ne pas raser les leurs. Si l’on prend l’exemple de la propriété intellectuelle pour laquelle il y a eu débat pendant 20 à 30 ans mais pour laquelle on a réussi à trouver un accord commun, on peut espérer que les différences nationales finiront par s’estomper. On finira par réussir à négocier et à trouver un accord. Mais cela prendra quelques années au moins. Je vous comprends mais si je parlais spécifiquement du marché des capitaux et des moyens humains c’est que je pense que ce contrôle de change en Chine a introduit des distorsions sur le coût de la main d’œuvre. S’il y avait eu une vérité des prix interne et externe, alors que nous ne l’avions pas, la norme humaine/sociale aurait probablement suivie avec davantage de rapidité. Je peux vous dire que j’ai grandi dans un pays qui faisait des dévaluations compétitives tous les deux ou trois ans donc nous n’avons pas été nousmêmes trop regardants sur la question de savoir si nous provoquions des 6 distorsions de concurrence vis-à-vis de nos partenaires commerciaux. Alors aujourd’hui la Chine fait de même mais il est difficile au vu de notre histoire de lui dire que ce genre de pratique devrait être banni. Et puis en ce qui concerne la Chine, il faut bien voir que sa croissance, pour partie dû à la sous évaluation du Yuan, nous permet aussi de développer nos exportations vis-à-vis de ce pays. Nous gémissons quand le taux de croissance de la Chine se ralentit, alors que nous voudrions qu’elle réévalue sa monnaie ce qui aurait pour effet de ralentir sa croissance. (La suite de l’entretien avec Frédéric Jenny sera publiée dans notre prochaine lettre) VU DANS L'ACTUALITE La politique de concurrence européenne, « trop puriste », est-elle un frein à la croissance ? La commission européenne a mis en place en 2004, une politique de concurrence européenne qui repose sur quatre grands principes : contrôle des ententes entre les entreprises, contrôle des abus de position dominante, contrôle des concentrations et des aides de l’Etat. Depuis, la commission essuie de vives critiques parce que les mesures éditées ne s’appliquent qu’à la zone européenne et que seules les entreprises européennes y sont soumises, ce qui les pénalisent. Dans un rapport commandé par Bercy « Pour en finir avec la Mondialisation déloyale » paru en mars 2012, Yvon Jacob, ambassadeur des industries, et Serge Guillon, contrôleur général économique et financier, évoquent notamment les « trous noirs de la régulation » avec les pays émergents : politique de change non-respect des normes sociales, environnementales et de la propriété intellectuelle absence de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics. Ils remarquent également que trop de produits importés ne sont pas conformes à la réglementation européenne ou encore que 15% des marchés publics européens sont ouverts aux entreprises étrangères. Ils énumèrent une vingtaine de propositions qui visent à renforcer « la réciprocité sur les marchés extérieurs à l’Union Européenne où la concurrence déloyale est très dommageable ». Ces propositions préconisent d’effectuer du lobbying auprès de la Commission européenne pour : lutter contre la concurrence déloyale des pays non-européens organiser des réunions (d’échanges, d’informations, de formations entre les Etats membres, les patronats industriels, la commission) créer un « groupe d’amis de l’industrie », mettre en place une mission de concurrence déloyale et un « lieu d’accueil et d’orientation » pour les entreprises victimes perfectionner la protection du consommateur par une « réforme du marquage CE », créer un « office européen de surveillance du marché interne » etc. D’après les auteurs ces propositions pourraient servir à relancer une croissance européenne bloquée et à améliorer la situation commerciale européenne qui s’est fortement dégradée vis-à-vis de ses autres concurrents dans le monde, non soumis à la même réglementation et aux mêmes contraintes. 7 Un exemple récent la difficulté pour élaborer et adapter un texte : L’Anti-Counterfeiting Trade Agreement. Le Parlement européen a rejeté l’accord anti-commercial (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) avec 478 voix contre et 39 pour. Le texte avait pourtant été signé le 26 janvier 2012 à Tokyo par 22 des 27 gouvernements européens. L'ACTA ou «accord commercial anti-contrefaçon» était en préparation dans le plus grand secret depuis 2006. Il y a eu plusieurs rounds de négociations qui ont inquiété les différentes associations des droits de l’homme et les ONG par un manque de transparence. L’accord réunissait l'Union européenne, les Etats-Unis, le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Singapour, la Corée du Sud, le Maroc, le Mexique et la Suisse, pour une lutte globale contre la contrefaçon. Mais ce traité international connait des chapitres très divers... : « - Imposer aux fournisseurs d'accès à Internet la surveillance de leurs utilisateurs, - Interdire ou limiter la copie sur les contenus protégés par le droit d'auteur, - Criminaliser le partage de fichiers sur Internet et - Limiter l'utilisation de médicaments génériques à bas prix. » (Source traiteacta.com) Ce rejet souhaité par un grand nombre d’internautes, d’eurodéputés, de collectifs en faveur des droits de l’homme se justifie par le grand flou dénoué sur le chapitre des droits des individus. Il donnait aux fournisseurs d’accès la possibilité de se constituer « en police d’internet » : l’article 27 qui concernait la propriété intellectuelle avait soulevé beaucoup de critiques parce qu’il donnait aux ayants-droits la possibilité d’obtenir des fournisseurs d’accès à Internet toutes les informations concernant les individus qui téléchargent illégalement. Les autres volets d'ACTA menaçaient le secteur des médicaments génériques et l'accès aux soins des pays les plus pauvres. Ce pacte n’est pas considéré comme suffisamment discriminant entre les faux médicaments et les médicaments génériques à bas prix mais ils renforcent les droits de brevets sur les médicaments. Avec l’application de l’ACTA, les médicaments provenant d’Inde, l’un des champions mondiaux des médicaments génériques, aurait été saisis (laissant plusieurs millions de personnes sans traitement et sans soins) car les génériques produits en Inde sont reconnus dans certains pays et approuvés par l'Organisation mondiale de la santé tandis qu’ils restent sous le monopole de brevets dans de nombreux pays où ils transitent. L’ACTA a-t-il vraiment été enterré ? Un accord initié par l’Europe, INDECT (un système d’information intelligent soutenant l’observation, la recherche et la détection pour la sécurité des citoyens en milieu urbain) de la même trempe que l’Anti-Counterfeiting Trade Agreement est déjà entrain de soulever la polémique : son objectif principal est de placer sous surveillance tous les citoyens de l’Union européenne. Organe de concurrence européen Au sein de la Commission européenne c’est la Direction Générale de la Concurrence qui gère les « pouvoirs d’exécution directe ». L’organe de la Commission européenne en charge de la concurrence s’assure du respect des règles qui bénéficient aux consommateurs et permettent aux entreprises d’être compétitives. Ses pouvoirs sont assez limités, la Direction Générale ne peut intervenir que si elle constate une violation des règles de concurrence. Elle emploie 900 personnes et ses frais de fonctionnement s’élèvent à 100 millions d’euros par an. 8 Depuis 2010 la politique européenne de concurrence, définie dans les articles 101 à 109 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), est gérée directement par le commissaire européen chargé de la concurrence Joaquim Almunia. Les articles 101 à 109 stipulent l’interdiction des accords anticoncurrentiels entre les entreprises (ententes et répartition du marché), l’interdiction d’exploiter une position dominante sur le marché, et exercent le contrôle des concentrations et des aides de l’Etat ainsi que la surveillance des marchés libéralisés. La Direction Générale est en charge des notifications pour les concentrations. En ce qui concerne les autres missions, elle enclenche des actions suite à des plaintes ou à des demandes de clémence. La Direction Générale coopère avec les organismes internationaux compétents et les autres DG de la Commission européenne en échangeant des informations de manière à mieux faire comprendre les règles de concurrence et à les introduire dans des cadres réglementaires et judiciaires. (source europa.eu) Contrefaçon en Chine : gouvernements locaux lutte entre le pouvoir central et les La Chine, toujours pointée du doigt dès qu’il s’agit de contrefaçon ou du vol de la propriété intellectuelle, est devenue pour beaucoup d’entreprises internationales depuis des dizaines années, un lieu de combat pour lutter contre ceux qui enfreignent les réglementations. Cela ne paraît pas injustifié quand on sait que selon la Direction des Relations Economiques et Extérieures (DREE), la contrefaçon chinoise représente toujours 8% du PIB chinois et emploie entre 3 et 5 millions de personnes. Malgré l’adhésion à toutes les conventions internationales pour la protection de la propriété intellectuelle et une législation protectrice récemment réformée pour rendre conforme le droit interne chinois à l’accord sur les droits de la propriété intellectuelle, la Chine reste encore une usine géante de contrefaçons. Le gouvernement chinois semble prendre des mesures, il est en effet très concerné par le manque à gagner induit par cette fabrication illicite (corruption, banditisme, présence de cartels). N’ayant pas le contrôle sur les produits contrefaits, il ne perçoit pas les taxes qui s’y rapportent. Au travers de ses différentes actions, le gouvernement central conduit une politique crédible dans sa lutte contre la contrefaçon et il communique beaucoup sur l’action menée: plus de 9 000 personnes ont été arrêtées et 12 854 « fabriques » illégales détruites. De grandes campagnes publicitaires sont diffusées chaque jour pour faire prendre conscience à la population du danger d’acheter des produits contrefaits. Plus d’un million d’enquêteurs et de policiers ont été engagés afin de lutter contre la contrefaçon. Par exemple, après la révision de la loi sur les brevets par exemple, des millions de personnes dans l'ensemble du pays ont reçu une formation. Mais les gouvernements locaux ont des intérêts directs ou indirects (liens familiaux notamment avec les contrefacteurs). Comme souvent le problème ne vient pas de la réglementation mais de son application. Lorsqu’une entreprise étrangère saisit la justice pénale contre un contrefacteur, la voie la plus rare mais la plus efficace, il lui appartient de prouver que le contrefacteur présumé réalise un chiffre d’affaires minimum illicite de 50 000 CNY (6 160 €), 100 000 CNY (12 325 €) ou de 500 000 CNY (61 620€). Mais comme ces derniers ne publient de comptes ou qu’ils fractionnent leurs activités en différentes entreprises la preuve du délit est difficile à établir. 9 Et les administrations locales de l’industrie et du commerce qui gèrent ces litiges ne transfèrent pas systématiquement les dossiers à la police… Un exemple de démêlé entre la Chine et l’Union Européenne L’Union européenne mène depuis septembre 2011 une guerre commerciale avec la Chine, qui a commencé par l’enquête de la Commission européenne le 6 septembre sur des infractions à la loi anti-dumping qui seraient commises par des entreprises chinoises suspectées de vendre des panneaux solaires à perte. « La plainte a été déposée à Bruxelles par un consortium d'une vingtaine d'entrepreneurs européens qui représente 1/4 de la production européenne" selon le Guardian. La Chine exporte des panneaux solaires pour près de 21 milliards d’euros vers l’Europe. En riposte le lobby chinois du vin a demandé au gouvernement chinois d’enquêter sur les importations de vins européens. « Presque chaque producteur de vin chinois a subi l’impact de l’Union européenne » a déclaré Wang Zuming, un responsable de l’association, cité par Chine Nouvelle. “L’UE accorde diverses subventions à son industrie vinicole, mettant les producteurs chinois dans une situation désavantageuse“, a ajouté M. Wang. Selon lui les importations de vins européens sont passées de 36 millions de litres en 2008 à 169 millions en 2011. Est-il dans l’intérêt de ces deux puissances de se livrer bataille sachant que l’Europe est le principal partenaire commercial en termes d’importations et d’exportations de la Chine et que la Chine est le plus important créancier de l’Europe ? Tout le monde s’évertue à vouloir le maintien de la bonne entente : le commissaire au commerce de l’Union européenne a dit qu’il n’était pas question d’avoir «une rupture diplomatique, ni une guerre commerciale entre la Chine et l’Union Européenne», «La Chine continuera à aider l’UE par les moyens appropriés » a annoncé Wen Jiabao (premier ministre chinois). Alors que le 15ème sommet Europe-Chine vient de s’achever dont le but principal était surtout de « sauver la face » sur les relations sino-européenne, des accords ont été signés venant augmenter le nombre de promesses non tenues. Les relations compliquées entre la Chine et l’Europe ne cachent-elles pas une autre tension, comme le ralentissement de la croissance mondiale ? 10 LA THEORIE ET LA PRATIQUE Le paradoxe des monopoles : le conflit entre deux théories économiques Joseph Schumpeter pense qu’une petite entreprise en situation de concurrence n’est pas efficace et que seuls les grands monopoles faisant d’importants profits peuvent accumuler les moyens d’innover. Le monopole est-il source d’innovation et profitable pour le consommateur? L’exemple classique est celui d’AT&T (American Telephone and Telegraph Company) qui, avait dans les années 70 le monopole sur les réseaux téléphoniques américains. Grâce aux profits dégagés par cette position, la société a crée des unités de recherche (les Bell Labs) qui firent voir le jour à d’importantes découvertes informatiques (logiciel Unix) et électroniques (amélioration continue de la performance des transistors). Après plusieurs plaintes déposées relativement à sa suite position dominante, notamment de la part du gouvernement américain, AT&T a dû céder des licences sur ses brevets, ce qui a permis la diffusion rapide de nouveaux produits pour les consommateurs. En Europe aujourd’hui, les monopoles doivent faire le grand écart en étant soumis à une double pression contradictoire : nationale, avec les politiques industrielles des Etats, européenne avec la politique concurrentielle édictée par la Commission européenne. Les politiques industrielles conduites par les Etats ont tendance à favoriser l’émergence de champions et ainsi à soutenir les monopoles tandis que les politiques concurrentielles cherchent à les limiter et à interdire toutes les aides publiques susceptibles de fausser la concurrence. L’une et l’autre sont-elles conciliables ? Pas sûr… La politique de concurrence se justifie par sa capacité à atteindre une situation économique optimale. En effet, selon la théorie, l’équilibre décentralisé concurrentiel permet d’atteindre un optimum collectif maximum (équilibre de Pareto) qui requiert, selon le modèle, des conditions de concurrence pure et parfaite (sous certaines réserves de transferts de revenus par l’Etat) ainsi qu’une information parfaite, l’atomicité des marchés et l’absence d’externalités. Ces résultats théoriques sont toutefois obtenus avec des hypothèses qui sont très critiquées et impliquent surtout que la recherche de l’équilibre se fasse à un niveau global. La politique industrielle européenne en tient compte dans l’article 173 du traité de Lisbonne, qui stipule que « L’Union et les Etats Membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de l’Union soient assurées ». Mais elle n’a pas pu voir le jour tel quel. Face à cette lacune institutionnelle de l’Union, les états membres ont décidé de mener leur propre politique industrielle. La politique industrielle trouve sa légitimité dans le fait que la recherche de l’optimum théorique global (ou européen) n’est pas forcément compatible avec les exigences de l’optimum national. Ou que les hypothèses trop théoriques du modèle de concurrence se heurtent à la réalité de la variété des Etats. C’est pour faire face à ces contradictions que les Etats trouvent les raisons d’établir leur politique industrielle propre. (Source Faut-il avoir peur des monopoles ? Arnaud Parienty, Alternatives économiques et Trésor eco.economie.gouv.fr) 11 Finance comportementale Eugène Fama fut le premier, en 1965 à donner la définition précise d’un marché financier efficient : « Sur un marché efficient, la concurrence que se livrent un grand nombre d’opérateurs avisés crée une situation dans laquelle, à chaque instant, les prix des différentes valeurs reflètent les effets de l’information basée, d’une part sur des événements qui se sont déjà produits, d’autre part, sur des événements que le marché s’attend à voir dans le futur. En d’autres termes le prix pratiqué est, à tout moment, une bonne estimation de la valeur intrinsèque du titre ». Les hypothèses complémentaires à la base de la théorie des marchés efficients sont : • • • • • la rationalité du comportement et les anticipations des agents, l’absence de coûts de transaction, l’atomicité des investisseurs, l’information commune et gratuite, la liquidité parfaite. Après des crises et la forte volatilité des marchés financiers, la question de l’efficience informationnelle et de la valeur « réelle » des cours de marché est relancée. Dans les années 50, George Akerlof (le Prix Nobel 2001) avait déjà ainsi observé que les individus privilégient les croyances qui les arrangent afin de diminuer leur anxiété vis-à-vis de l’avenir et de l’inconnu. La finance comportementale, dont les pères fondateurs sont Richard Thaler et le prix Nobel Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie en 2002), remet en question deux hypothèses fondamentales de la théorie des marchés efficients, d'une part celle de la rationalité des investisseurs, de l’autre part l'absence d'opportunité d'arbitrage. La finance comportementale est l’application de la psychologie individuelle et collective à la finance et aux comportements réels des acteurs sur les marchés financiers. A travers un certain nombre de travaux ils mettent en évidence différents biais qui prouvent que les investisseurs ne font pas toujours des choix rationnels et que leurs préférences peuvent avoir un impact sur la structure des cours boursiers et créer des anomalies. La finance comportementale montre que les investisseurs compartimentent leur décision et font des choix en fonction de référence dont la pertinence n’est pas toujours explicable. En résumé, les principes de base de la finance comportementale stipulent que dans des situations de prises de décisions les individus : - Font souvent preuves de sur-confiance en soi, Préfèrent se placer dans des situations qui leur donnent le sentiment d’être compétent, Ont tendance à se conformer à l’opinion générale et à suivre la rumeur Vont favoriser une option parce qu’elle leur est familière (sociétés connues, surpondération d’actions domestiques etc.… Sont trop optimistes (ils sont prêts à acheter à acheter à un prix élevé puis de la revendre plus cher). Tout cela dans un contexte où il est de plus en plus contesté que l’information n’est ni symétrique ni répartie uniformément entre les agents. La finance comportementale en est encore au stade des concepts. Elle ne dispose pas encore de l’outil mathématique qui permettrait d’élaborer un modèle permettant d’en explorer tous les contours. (source www.institut-europlace.com) 12 ANALYSE PAR LE GRAPHIQUE Graphique 1 : Evolution du total du bilan de la Fed et de la BCE en milliards d’euros 3 500 Total bilan Fed Total bilan BCE 3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 1-janv.10 1-avr.10 1-juil.10 1-oct.10 1-janv.11 1-avr.11 1-juil.11 1-oct.11 1-janv.12 1-avr.12 1-juil.12 1-oct.12 (Source : Bloomberg) Le graphique illustre les politiques monétaires réalisées par les deux banques centrales. Sur fond de crise de l’euro, la course à la liquidité bat son plein entre la Fed et la BCE depuis le début de l’année 2010. Le bilan de la BCE est passé de 1 900 à plus de 3 000 milliards d’euro. Les deux LTRO (Long Term Refinancing Operation) réalisées le 21 décembre 2011 et le 27 février 2012 pour refinancer les banques en manque de liquidité ont alourdi son bilan de plus de 500 milliards d’euros. Le bilan de la Fed a quant à lui augmenté de 2 200 à 2 800 milliards de dollars. Graphique 2 : EUR/USD vs. Bilan Fed/ Bilan BCE 1,6 1,5 Fed/BCE EUR/USD 1,5 1,5 1,4 1,4 1,3 1,4 1,2 Moyenne 1,3 1,1 1,3 1,0 1,2 0,9 r = 0,8 R² = 0,69 0,8 1-janv.10 1-avr.10 1-juil.10 1-oct.-10 (Source : Bloomberg) 13 1-janv.11 1-avr.11 1-juil.11 r = 0,6 R² = 0,35 1-oct.-11 1-janv.12 1-avr.12 1-juil.12 1,2 1-oct.-12 Le graphique illustre la corrélation du taux de change de l’Euro exprimé en dollar américain (EUR/USD) avec le rapport du montant total des bilans de la Fed et de la BCE. On observe qu’entre le début de l’année 2010 et la fin du mois de février correspondant à l’annonce de la seconde LTRO, les deux courbes entretiennent une forte corrélation. Celle-ci se traduit par un coefficient de corrélation (r) de l’ordre de 0,8 (R² = 0,69) sur la période. Cela signifie que lorsque la BCE injecte massivement des liquidités durant l’été 2011 entrainant une baisse du rapport des bilans des deux banques centrales, la monnaie européenne est diluée par rapport au dollar et le cours EUR/USD chute. Ensuite, le graphique met en relief le décrochage du cours EUR/USD par rapport à l’évolution des bilans de la Fed et de la BCE. En effet, l’injection de liquidité de la BCE au début du mois de mars 2012 à l’occasion de la seconde LTRO n’a pas été suivie à court terme par une chute du cours EUR/USD mais seulement deux mois après. L’affaiblissement du lien dépendance entre des deux courbes est révélé par une baisse du coefficient de corrélation à 0,6 (R² = 0,35). Comment expliquer ce décrochage ? Injecter des liquidités directement ou indirectement dans l’économie a pour objectif de limiter l’inquiétude des marchés. L’effet est double : fluidifier le marché interbancaire et faire pression sur les taux d’intérêts des obligations d’Etat en permettant aux banques de réaliser des opérations de « carry trade ». La LTRO est une opération de prêt avec collatéral. Les banques fournissent des titres à la BCE. En échange, celle-ci met à disposition des liquidités pour 3 ans à un taux d'intérêt défiant toute concurrence : 1%. Elle permet ainsi aux banques d’emprunter à un taux très bas auprès de la BCE pour prêter ensuite aux gouvernements. Ces opérations contribuent à faire baisser les primes de risque sur le marché des obligations souveraines dans les pays d’Europe du Sud. Avec la deuxième LTRO, Mario Draghi a soufflé un vent d’optimisme sur les marchés qui ont vu s’éloigner les risques de défaut de la Grèce et d’effondrement de la zone euro. L’injection de liquidité, rassurante à court terme, a donc soutenu le cours EUR/USD entre 1,30 et 1,35 de mars à mai 2012. De la même manière, le cours EUR/USD semble avoir été stimulé à la hausse par les promesses formulées par Mario Draghi début août à savoir : « La BCE fera tout ce qui est en son pouvoir pour préserver l’euro, croyez-moi cela sera suffisant ». Les investisseurs n’auront donc pas été déçus début septembre, lorsque la BCE a annoncé qu’elle rachèterait sur le marché secondaire la dette des Etats en difficulté. Cette opération repose sur trois grands principes : - Les pays en difficultés (Espagne, Italie Portugal etc.) devront faire appel à l’aide financière auprès du fonds européen avant que la BCE ne procède aux rachats d’obligations ; - Les rachats d’obligations porteront uniquement sur des échéances entre 1 et 3 ans sans limite de montant ; - Les banques commerciales transformeront leurs créances sur un Etat en créance sur la BCE moyennant un taux avantageux. La BCE retirera du marché la somme créée pour racheter les obligations d’Etat. Les opérations seront donc stérilisées. La Fed a quant à elle lancé en septembre son troisième programme de politique monétaire exceptionnel : le « QE3 ». Elle va s’autoriser 40 milliards de dollars par mois de rachats de prêts immobiliers et la poursuite de son « Twist », opération de rachat d’obligations d’Etat américaines. Ces opérations courront jusqu’à ce que l’économie montre des signes de reprise d’un point de vue de l’activité économique mais aussi de l’emploi. On peut déjà estimer que le bilan de la FED va dépasser les 4 000 milliards de dollars à la fin de l'année 2013. 14 LU POUR VOUS : Joseph Schumpeter Joseph Schumpeter est l’auteur du Capitalisme, socialisme et démocratie publié en 1942, traduction française en 1951 édition Payot. Joseph 1950) Schumpeter (1883 - Joseph Schumpeter est un économiste autrichien. Professeur à Harvard, il est avec Keynes, l’un des pères fondateurs de l’économie du XXème. Ses théories sur la destruction créatrice et l’innovation en font un économiste à la réputation « hérétique ». Pour Joseph Schumpeter l’économie est dirigée par un phénomène particulier : la « destruction créatrice ». C’est « la donnée fondamentale du capitalisme et toute entreprise doit, bon gré mal gré, s’y adapter ». La croissance est un processus permanent de création, de destruction et de restructuration des activités économiques. « Pourquoi donc tout ce battage au sujet des monopoles? La réponse n'est pas dépourvue d'intérêt pour quiconque étudie la psychologie des controverses politiques. Bien entendu, le concept de monopole est employé sur la place publique avec autant d'imprécision que n'importe quel autre concept. On parle d'un pays disposant du monopole de ceci ou de cela, même si la branche en question est extrêmement concurrentielle, et ainsi de suite. Mais ce n'est pas tout. Les économistes, les fonctionnaires, les journalistes et les politiciens américains affectionnent de toute évidence ce mot parce qu'il a fini par devenir un terme péjoratif avec lequel on excite à coup sûr l'hostilité du public contre n'importe quel intérêt ainsi baptisé. Dans les milieux angloaméricains, les monopoles ont été honnis et assimilés à une exploitation parasitaire depuis l'époque (XVIe et XVIIe siècles) où l'administration anglaise avait accoutumé de créer un grand nombre de positions privilégiées qui correspondaient assez bien au modèle théorique du comportement monopolistique, tout en justifiant largement une vague d'indignation assez forte pour avoir fait impression même sur la grande Élizabeth. Rien n'est aussi tenace que la mémoire d'un peuple. Notre époque nous offre d'autres exemples, plus importants, de réactions nationales à des événements survenus il y a des siècles. Les pratiques que nous venons d'évoquer ont tellement « sensibilisé » le public anglo-saxon aux monopoles qu'il a pris l'habitude de rendre ce « pouvoir sinistre » responsable de presque tout ce qui lui paraissait déplaisant dans le comportement des entreprises. Aux yeux, notamment, d'un bourgeois libéral typique, le monopole est devenu le père de presque tous les abus - en fait, le botte émissaire favori. Adam Smith, qui pensait avant tout aux monopoles du modèle Tudor et Stuart, n'y touchait qu'avec des pincettes. Sir Robert Peel - qui, suivant l'exemple de la plupart des conservateurs, n'hésitait pas, le cas échéant, à emprunter des armes à l'arsenal des démagogues - a parlé, au cours de l'épisode célèbre qui a rempli la fin de sa carrière gouvernementale et qui a si grandement irrité les membres de son parti, d'un monopole du blé et du pain, en dépit du fait que, bien entendu, la production anglaise de pain était parfaitement concurrentielle, nonobstant la production douanière. Aux États-Unis, enfin, le terme monopole et celui d'entreprise opérant sur une grande échelle sont devenus pratiquement synonymes.» En 1890 le Congrès américain vota la "Sherman Antitrust Act", la première loi fédérale antitrust, autorisant une action du gouvernement fédéral contre les "combinaisons sous forme de trusts ou conspiration, dans le but de restreindre le commerce ou de s'assurer le monopole d'une industrie donnée ". Cette loi s’adressait en particulier à la Standard Oil (compagnie de John Davison Rockfeller) devenue un gigantesque conglomérat de plus de 100 000 employés. Pour tout désabonnement à la newsletter, envoyer un mail à l'adresse suivante [email protected] 15 l 16