Newsletter Novembre 2012

Transcription

Newsletter Novembre 2012
Novembre 2012 n°7
Nos rubriques :
EDITORIAL
Chers clients, chers amis,
Dans
ce
numéro,
nous
explorons avec Frédéric Jenny
les
sujets
relatifs
à
la
concurrence dans ses aspects
juridiques et économiques.
Il nous explique comment les
organismes
nationaux
ou
européens ont fusionné les
deux disciplines et comment le
droit de la concurrence s’est
lui-même inspiré de cette
fusion.
Dans ce registre, nous sommes
allés chercher dans l’actualité
des exemples qui montrent la
difficulté
de
trouver
des
compromis
qui
puissent
satisfaire toutes les parties.
Nous vous en souhaitons une
bonne lecture et vous réitérons
l’invitation de participer à nos
débats en nous proposant des
sujets.
Philippe Leroy.
LA VALEUR DES CHOSES
ENTRETIEN /FREDERIC JENNY
VU DANS L’ACTUALITE
LA THEORIE ET LA PRATIQUE
EXPLICATION PAR LE GRAPHIQUE
LU POUR VOUS
LA VALEUR DES CHOSES
La juste valeur selon Saint-Thomas d’Aquin
Dans le livre V de l’Ethique à Nicomaque, Aristote définit la justice cumulative et
la justice distributive.
La justice cumulative permet de distribuer la richesse à parts égales selon une
égalité arithmétique. La justice distributive est géométrique, elle distribue
proportionnellement au mérite.
Selon Saint-Thomas d’Aquin, le juste prix –qui n’est donc pas le prix de marchéest celui qui satisfait la justice cumulative et la justice distributive.
ENTRETIEN
Frédéric Jenny, docteur en sciences économies de l’Université Panthéon-Assas
(Paris II), diplômé de l’ESSEC, est le président du comité de la concurrence à
l’OCDE et professeur d’économie à l’ESSEC. Frédéric Jenny a été vice-président
du conseil de la concurrence de 1993 à 2004, président du groupe de travail à
l’OMC sur la concurrence et le commerce international de 1997 à 2003. Frédéric
Jenny a écrit de nombreux ouvrages et articles relatifs au droit, à l'économie de
la concurrence, à la concurrence et au développement, à la concurrence et au
commerce international ainsi qu'à l’analyse économique du droit.
Les sujets relatifs à la concurrence sont-ils davantage des sujets
d’économistes ou de juristes ? Avez-vous en tête des exemples qui
montrent une convergence entre les approches et au contraire un
exemple qui montre une divergence ?
Tout d’abord, je crois qu’il faut bien avoir à l’esprit que le droit de la
concurrence est le seul droit dérivé d’une théorie. Il n’est pas un système de
normes et de valeurs mais, l’application, la mise en œuvre d’une
représentation théorique de l’univers dont on pense qu’elle a des vertus
positives. La conséquence est que le sens du droit de la concurrence ne peut
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être trouvé dans les livres de droit mais dans les livres d’économie. Il est donc
dans la nature du droit de la concurrence d’être une interface entre le droit et
l’économie. Ceci n’est pas toujours bien compris par les juristes mais l’est de
mieux en mieux par ceux qui se spécialisent dans cette matière. Les
économistes eux ne perçoivent parfois pas que les principes généraux du droit
s’appliquent également au droit de la concurrence. Notamment, les standards
de preuve juridique sont différents des standards de la preuve scientifique qui,
elle, repose sur des hypothèses validées plutôt que sur des preuves
matérielles.
Tout cela est au niveau le plus général. Je vais tenter de répondre à votre
question, y a-t-il convergence ou divergence, entre les deux disciplines ?
Convergence ? Il est certain que le droit de la concurrence tel que pratiqué
notamment par les Autorités de concurrence a été de plus en plus influencé par
le droit. Par exemple, par le développement des droits de la défense en droit
de la concurrence a impliqué de nouvelles façons de faire la preuve qui
s’inspirent des standards de preuve juridique et en a exclu d’autres. Il y a là,
un apport du droit vers l’économie ou, du moins, une convergence des
procédures qui a été également facilitée par un montage institutionnel puisque
l’Autorité de concurrence est sous le contrôle d’une juridiction, la Cour d’appel
de Paris.
A l’inverse, dans le domaine du droit tel qu’appliqué par les juridictions, il y a
eu au fil du temps importation de certains concepts et de certaines idées. Je
peux prendre deux exemples. Les économistes utilisent le concept de marché
pertinent, qui est essentiellement un marché sur lequel des relations de
concurrence peuvent s’établir c’est à dire un espace pour lequel il y a
substituabilité entre les produits. Petit à petit, cette notion de marché a été
adoptée par les juristes qui utilisaient antérieurement des notions très
descriptives où l’on considérait qu’étaient sur un même marché des produits
qui se ressemblaient. Cela se voit dans des arrêts de Cour de cassation où l’on
peut lire que telle ou telle cour d’appel n’a pas posé les bonnes questions pour
établir la notion de marché pertinent. En ce sens la Cour de cassation se réfère
implicitement à des notions d’économistes.
Un autre exemple un peu plus technique : il y a peu la Cour de cassation a
rendu un arrêt dans un cas où une entreprise avait une activité de service
public et une activité ouverte à la concurrence. Il y avait une question sur les
coûts communs et la définition de la bonne notion de coûts à prendre en
compte pour savoir si l’entreprise avait pratiqué de la prédation sur le marché
ouvert à la concurrence. La Cour a répondu que la bonne notion était la notion
de coût incrémental ce qui est typiquement une notion d’économistes. Les
juristes n’étaient pas très familiers avec cette notion. Petit à petit, elle s’est
imposée jusqu’à ce qu’elle devienne partie intégrante du raisonnement
juridique en matière de droit à la concurrence.
Des divergences ? Peut-être pas à proprement parler, mais en tout cas, de la
non-convergence. La question de l’action civile a une certaine importance à
l’heure actuelle. Les juristes considèrent en effet que pour que l’on puisse faire
état d’un préjudice et prétendre à des réparations, il faut que le dommage ait
été certain et direct. En revanche les économistes considèrent qu’une pratique
anticoncurrentielle peut avoir des effets directs et indirects qui provoquent un
dommage à l’économie. Ils ont une certaine difficulté à admettre que le
dommage indirect n’est pas réparable juridiquement.
Dans la perspective du développement de l’action civile de groupe, à la suite
des annonces de Madame Taubira ou de Monsieur Hamon, les économistes ont
tenté de dialoguer avec les juges pour améliorer leur définition du préjudice
associé à une pratique anticoncurrentielle. Les magistrats prennent en compte
les effets directs, par exemple l’augmentation du prix pour les acheteurs
victimes d’un cartel. Mais ils éprouvent des difficultés à admettre qu’en
présence d’un cartel, des personnes qui n’ont pas acheté le bien cartellisé
auraient peut-être acheté si les prix avaient été plus bas et qu’ils doivent eux
aussi être considérés comme des victimes. Pourquoi les économistes ne
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parviennent-ils pas à convaincre les juristes d’étendre la notion de préjudice
associé à une pratique anticoncurrentielle ? Parce que cela impliquerait une
approche du dommage spécifique au droit de la concurrence et que les juristes
ne voient pas pourquoi la concurrence devrait être traitée différemment.
Dans le droit anglo-saxon, y aurait-il une approche différente des
dommages indirects ?
La notion de dommage indirect serait traitée différemment mais sans être pour
autant plus proche de celle des économistes.
Aux Etats-Unis, par exemple, pour les ententes, la notion de dommage punitif
se rapprocherait de ce que souhaitent les économistes, c'est-à-dire des
dommages qui vont au-delà du montant du préjudice direct.
Les économistes sont satisfaits de l’existence de dommages punitifs dans
certains pays
car si la société coupable d’une pratique d’entente doit
seulement rembourser les profits excessifs qu’elle a réalisés grâce à sa
pratique anticoncurrentielle si elle se fait prendre elle ne sera pas dissuadée de
mettre en œuvre une telle pratique. Au nom de la dissuasion qui est ellemême modélisée par les économistes et qui doit être plus que proportionnelle
au bénéfice retiré, les économistes pensent que pour qu’une loi soit efficace,
elle doit être dissuasive et pour être dissuasive, les sanctions doivent être plus
que proportionnelles au bénéfice retiré. Ils adhèrent donc aux sanctions
punitives qui permettent en outre de couvrir une partie du dommage indirect
créé par la pratique.
Mais en France, il n’y a pas de dommages punitifs car le préjudice doit être
intégralement mais seulement compensé.
Dans le contexte de crise des années post-libérale, peut-on s’attendre
à des évolutions de la doctrine ? Notamment si l’Etat se veut un peu
plus interventionniste pourra-t-il
vraiment concilier une politique
industrielle avec une politique de concurrence ?
Il y a plusieurs niveaux de réponse à votre question. D’un point de vue
terminologique, il faut bien avoir en tête les différences entre le droit à la
concurrence et la politique de concurrence.
Le droit à la concurrence, c’est l’application stricte des règles qui ont été
édictées. Mais le droit à la concurrence n’interdit pas, justement parce que
c’est un droit, tous les comportements anticoncurrentiels –il en interdit certains
comme l’entente- mais il n’interdit pas l’oligopole ou l’interdépendance
oligopolistique qui conduisent aussi à ce que les prix soient plus élevés et les
quantités offertes plus faibles. Cela n’est pas interdit parce que la règle de droit
a du mal à s’appliquer lorsque ce que l’on vous reproche relève d’une situation
objective dans laquelle vous vous trouvez, plutôt que quelque chose que vous
auriez fait. Si nous sommes deux sur un marché, il est évident que je réagis à
ce que l’autre fait et réciproquement. Il y a une situation proche de l’entente
mais pourtant sans que nécessairement les entreprises se soient formellement
consultées ou même aient communiqué ensemble.
Au-delà du droit à la concurrence, il y a la politique de concurrence qui doit
bien entendu être cohérente avec le droit et qui consiste, par exemple, à faire
en sorte que les Etats n’adoptent pas des règlementations qui pourraient
affaiblir la concurrence. Dans le cadre de leur politique industrielle, les
décisions de l’autorité publique ne doivent pas être contraires à l’un de ses
autres objectifs qui est d’avoir une concurrence saine sur les marchés.
En France, l’Autorité de concurrence applique d’une part le droit à la
concurrence mais elle peut aussi donner un certain nombre d’avis. A ce titre,
elle intervient dans la politique économique.
Maintenant que cette distinction est faite, revenons à votre question.
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L’état est principalement intervenu dans le secteur bancaire en liaison avec la
crise économique. Depuis 2008, il y a eu l’apparition dans ce secteur d’un
problème qui avait été peu traité et qui est le fait que ce secteur là, à la
différence d’autres secteurs, contient un élément systémique. Quand une
entreprise automobile fait faillite, c’est une bonne nouvelle pour ses
concurrents mais lorsqu’une banque fait faillite, ce n’est en aucun cas une
bonne nouvelle pour les autres banques parce que cela affaiblit la confiance de
tout le secteur et le contamine. Cette notion de confiance est au cœur de
l’interdépendance de tout le secteur financier. Cela veut dire que le jeu de la
concurrence ne peut pas être tout à fait le même que dans les autres secteurs
économiques.
Il est important d’avoir une règlementation prudentielle qui va constituer un
socle commun à partir duquel on va faire jouer une concurrence qui est
absolument nécessaire y compris dans ce secteur. Cependant l’introduction de
normes, de ratios de capital par rapport aux engagements, qu’on ne retrouve
pas dans l’industrie automobile, indispensable pour recréer la confiance, peut
avoir tendance à homogénéiser les situations des banques et par là-même
réduire la concurrence ; il se pose la question de la définition du point au-delà
duquel on risque d’aller trop loin.
Pendant l’essentiel des années 90, on a assisté à la dérégulation des secteurs
financiers sans que soit prise en compte l’hypothèse d’un effet externe et d’un
effet systémique auxquels on est aujourd’hui très sensible. La prise en compte
de ce risque entrainera une plus grande régulation aux Etats-Unis et en
Europe. Ce processus est lent mais certain.
Si je prends non plus les banques mais les agences de notation dont la nature
du modèle économique est d’être payé par les sociétés qu’elles notent, à qui de
surcroît elles rendent des services financiers, je peux m’interroger sur le conflit
d’intérêt systémique qui est le leur. D’autant qu’elles sont au nombre de trois
et que l’essentiel des opérations financières requiert deux notes d’agences
différentes. La première vertu des agences de notation, c’est aussi la
confiance, mais nous nous trouvons dans une situation où elles vivent à la fois
les problèmes d’un oligopole restreint et des problèmes de gouvernance. On
comprend qu’il y a des besoins de régulation sur ce marché là également.
Pour le reste de l’économie la politique industrielle est compatible avec la
nécessité de préserver la concurrence si elle ne cherche pas à modifier les prix
résultant du marché et si elle consiste en des incitations horizontales, par
exemple en matière de recherche et de développement, qui ne sont pas
discriminatoires.
Si l’on retient l’un des crédos de l’économie libérale, les agents doivent
eux-mêmes créé leur propre discipline et dans le passé, à Venise, à
Bruges, ce sont les marchands qui se disciplinaient assurant une
stabilité et une prospérité sur une très longue période à leur cité. On
conçoit que dans le monde moderne où la densité d’information est
extrême, il soit difficile pour un banquier français de savoir ce que fait
son homologue américain mais est-ce que les Etats ne vont-ils pas
utiliser le prétexte de la réglementation afin de favoriser leurs
champions nationaux ?
Je vous redonne l’exemple des agences de notation comme exemple d’échec
massif d’autorégulation dont le péché originel remonte à ce que les marchés
eux-mêmes aient imposé l’existence d’une note délivrée par elles pour les
émissions de dette. Elles sont tout d’un coup devenues un service public parce
que tout le monde était obligé de passer par elles alors que les intervenants
auraient dû mettre en œuvre leurs propres moyens d’investigation. A partir du
moment où les agences de notation sont devenues un point de passage obligé,
une mécanique s’est mise en marche sans que cela se fasse par la
règlementation et sans que le marché trouve lui-même un moyen de se
réguler. On a assisté au même phénomène dans les banques. Elles avaient
leurs propres services de notation et d’analyse du crédit qu’elles auraient pu
développer mais elles étaient apparemment très contentes de déléguer cela à
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d’autres. Dans le marché financier l’initiative individuelle a été très utile au
moment du développement des nouveaux produits financiers mais par la suite
beaucoup de mécanismes n’ont pas fonctionné convenablement. Le marché ne
peut donc se satisfaire simplement d’une auto-régulation.
Pour répondre de façon plus générale à votre remarque, l’Europe est dans une
situation assez particulière dans laquelle au nom du droit à la concurrence la
Commission européenne contrôle les aides d’Etat et où, par ailleurs, il n’y a
pas d’autorité de concurrence indépendante : la direction de la concurrence
européenne faisant partie de l’exécutif européen. Cette situation qui comporte
à la fois des avantages mais aussi des inconvénients quant à la cohérence des
actions publiques économiques : quand il s’agit de discuter de régulation, le
commissaire européen à la concurrence peut intervenir « ab initio » et faire
entendre sa voix s’il estime que ce type de réglementation est contraire à la
concurrence. Durant la crise financière, ce type de fonctionnement s’est révélé
beaucoup plus productif et utile que celui du système américain ou du fait
justement de leur indépendance, les autorités de concurrence américaines
n’ont pas été consultées sur les décisions d’intervention de l’état fédéral que ce
soit dans le secteur bancaire ou le secteur automobile. En Europe donc, il y a
une grande cohérence entre politique industrielle et politique de la concurrence
en raison même de la composition et des responsabilités de la Commission
européenne.
Y-a-t-il des échecs de la régulation ?
Je voyage énormément et je peux vous dire qu’il y a beaucoup d’exemples de
pays pour lesquels la régulation a été néfaste. L’Inde, par exemple, n’a aucune
raison de ne pas se développer au niveau où s’est développée la Chine. Sauf
qu’il y a de la réglementation partout, et c’est d’autant plus compliqué que c’est
un Etat fédéral. Il en est de même pour l’Egypte, où il y a à la fois un défaut
réglementaire d’un côté et une totale absence des droits de la propriété de
l’autre, ce qui a conduit d’un point de vue économique à la révolution à laquelle
on a assisté. Il faut que le point de vue du marché et la concurrence soient
représentés avec suffisamment de force pour freiner les risques de régulation.
La bonne question à se poser avant d’imposer une norme réglementaire est de
savoir si elle est vraiment nécessaire et si elle ne va pas indument restreindre la
concurrence. Pour répondre à ce défi, il faut à la fois une autorité de la
concurrence forte et une conscience des enjeux de concurrence au sein de
l’exécutif.
En France, l’Etat a favorisé l’émergence de grands groupes industriels
ou financiers. Qu’en penser d’un point de vue de l’application des règles
sur l’équité dans la compétition économique ? Cela n’implique t-il pas
que l’Etat doive voler au secours de ces groupes quand ils sont en
difficulté ? Est-ce que ce n’est pas une façon de fausser la concurrence
et d’induire des besoins de politique de concurrence pour surveiller ces
acteurs qui deviennent proéminents dans la vie économique ?
Pour la puissance publique, favoriser prioritairement le développement des
grands groupes est moins gênant dans les secteurs qui sont ouverts à la
concurrence internationale que dans les autres secteurs qui ne le sont pas.
En tout état de cause les moyens à la disposition d’un pays comme la France
pour développer des grands groupes sont désormais limités. Quels sont les
moyens que l’Etat peut déployer s’il veut agir ? Il dispose de la subvention et de
la fusion qui entrent toutes les deux dans un cadre de contrôle relativement
strict. Pour la subvention c’est le contrôle des aides d’Etat opéré par la
Commission Européenne. Et pour la fusion, le contrôle des concentrations soit
national effectué par l’Autorité de la concurrence soit pour les opérations de
dimension communautaire, effectué par la Commission européenne. Donc il y a
des contre-pouvoirs. La Commission européenne peut interdire une aide d’Etat
qui restreindrait la concurrence. L’Autorité de la concurrence et la Commission
européenne peuvent s’opposer à certaines opérations si elles estiment que
l’opération de concentration risque de porter préjudice à la concurrence. Par
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exemple si le marché n’est pas suffisamment ouvert, une fusion peut avoir un
effet de restriction de la concurrence au niveau du marché interne.
Est-ce que le fait que l’on contrôle strictement en Europe les interventions de
l’Etat vis-à-vis des entreprises au nom du droit de la concurrence est
inéquitable dans la concurrence internationale ? Je ne sais pas ce qu’est
l’équité des relations commerciales et économiques dans un monde globalisé
dans lequel il y a des pays grands et petits, dans lequel certains sont dotés de
ressources naturelles et d’autres pas, qui ont des droits différents, des langues
et des cultures diverses, qui sont à des niveaux de développement variés
etc.….Mais ce que je sais c’est que la discipline concurrentielle est de nature à
renforcer l’efficacité de nos entreprises en tous cas sur le long terme et que
l’échange commercial, fut-il inégal, favorise la croissance et le développement.
Pourquoi est-ce que les distorsions entre les moyens humains de
production ou de circulation du capital (ou du contrôle des changes) ne
sont-ils pas davantage pris en compte comme des facteurs entravant la
libre compétition ? La circulation du capital et la liberté du change
devrait être des conditions préliminaires de toute liberté de commerce
et ce sont des points qui ne sont traités qu’en dernier.
Il n’y a pas de consensus au niveau international pour que tous les Etats se
plient à une discipline monétaire commune. Le pouvoir de battre monnaie et de
gérer cette monnaie est une fonction régalienne que les états entendent
assumer en toute liberté et ne pas déléguer à une organisation internationale.
Bien entendu cela leur permet de manipuler leur monnaie pour en tirer un
avantage concurrentiel. Mais, il faut se rappeler que le temps n’est pas très
lointain ou la France s’adonnait elle-même aux délices de la dévaluation
compétitive. Et bien d’autres, principalement les pays en voie de
développement, ont envie de conserver cette arme.
Par ailleurs, il n’y a pas de consensus international sur ce que devraient être
les normes sociales. Par exemple, nous vivons dans un pays dans lequel la
notion d’égalité fait partie de la devise du pays. Il s’en suit que nous accordons
une certaine importance aux droits des travailleurs. Mais, ce que nous nous
considérons comme un facteur positif d’égalité, les autres pays le considèrent
comme un facteur restrictif de liberté, c’est une question de philosophie
politique.
Alors entre souveraineté nationale des uns et la philosophie politique des
autres, il est difficile de trouver un accord sur ces sujets.
Les normes environnementales n’échappent d’ailleurs pas à ce genre de
difficultés. A l’OMC il y a actuellement des discussions sur les normes sociales
et les normes environnementales. Quel est le droit fondamental ? Est-ce que
nous avons le droit de polluer ou est-ce que nous avons le droit de ne pas être
pollué? Comment nous sommes-nous développés au XIXème siècle ? On a rasé
nos forêts et on demande aux autres de ne pas raser les leurs.
Si l’on prend l’exemple de la propriété intellectuelle pour laquelle il y a eu
débat pendant 20 à 30 ans mais pour laquelle on a réussi à trouver un accord
commun, on peut espérer que les différences nationales finiront par
s’estomper. On finira par réussir à négocier et à trouver un accord. Mais cela
prendra quelques années au moins.
Je vous comprends mais si je parlais spécifiquement du marché des
capitaux et des moyens humains c’est que je pense que ce contrôle de
change en Chine a introduit des distorsions sur le coût de la main
d’œuvre. S’il y avait eu une vérité des prix interne et externe, alors que
nous ne l’avions pas, la norme humaine/sociale aurait probablement
suivie avec davantage de rapidité.
Je peux vous dire que j’ai grandi dans un pays qui faisait des dévaluations
compétitives tous les deux ou trois ans donc nous n’avons pas été nousmêmes trop regardants sur la question de savoir si nous provoquions des
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distorsions de concurrence vis-à-vis de nos partenaires commerciaux. Alors
aujourd’hui la Chine fait de même mais il est difficile au vu de notre histoire de
lui dire que ce genre de pratique devrait être banni.
Et puis en ce qui concerne la Chine, il faut bien voir que sa croissance, pour
partie dû à la sous évaluation du Yuan, nous permet aussi de développer nos
exportations vis-à-vis de ce pays. Nous gémissons quand le taux de croissance
de la Chine se ralentit, alors que nous voudrions qu’elle réévalue sa monnaie
ce qui aurait pour effet de ralentir sa croissance.
(La suite de l’entretien avec Frédéric Jenny sera publiée dans notre prochaine
lettre)
VU DANS L'ACTUALITE
La politique de concurrence européenne, « trop puriste », est-elle un
frein à la croissance ?
La commission européenne a mis en place en 2004, une politique de
concurrence européenne qui repose sur quatre grands principes : contrôle des
ententes entre les entreprises, contrôle des abus de position dominante,
contrôle des concentrations et des aides de l’Etat.
Depuis, la commission essuie de vives critiques parce que les mesures éditées
ne s’appliquent qu’à la zone européenne et que seules les entreprises
européennes y sont soumises, ce qui les pénalisent.
Dans un rapport commandé par Bercy « Pour en finir avec la Mondialisation
déloyale » paru en mars 2012, Yvon Jacob, ambassadeur des industries, et
Serge Guillon, contrôleur général économique et financier, évoquent notamment
les « trous noirs de la régulation » avec les pays émergents :
politique de change
non-respect des normes sociales, environnementales et de la
propriété intellectuelle
absence de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics.
Ils remarquent également que trop de produits importés ne sont pas conformes
à la réglementation européenne ou encore que 15% des marchés publics
européens sont ouverts aux entreprises étrangères.
Ils énumèrent une vingtaine de propositions qui visent à renforcer « la
réciprocité sur les marchés extérieurs à l’Union Européenne où la concurrence
déloyale est très dommageable ».
Ces propositions préconisent d’effectuer du lobbying auprès de la Commission
européenne pour :
lutter contre la concurrence déloyale des pays non-européens
organiser des réunions (d’échanges, d’informations, de formations
entre les Etats membres, les patronats industriels, la commission)
créer un « groupe d’amis de l’industrie », mettre en place une
mission de concurrence déloyale et un « lieu d’accueil et
d’orientation » pour les entreprises victimes
perfectionner la protection du consommateur par une « réforme du
marquage CE », créer un « office européen de surveillance du
marché interne » etc.
D’après les auteurs ces propositions pourraient servir à relancer une croissance
européenne bloquée et à améliorer la situation commerciale européenne qui
s’est fortement dégradée vis-à-vis de ses autres concurrents dans le monde,
non soumis à la même réglementation et aux mêmes contraintes.
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Un exemple récent la difficulté pour élaborer et adapter un texte :
L’Anti-Counterfeiting Trade Agreement.
Le Parlement européen a rejeté l’accord anti-commercial (Anti-Counterfeiting
Trade Agreement) avec 478 voix contre et 39 pour. Le texte avait pourtant été
signé le 26 janvier 2012 à Tokyo par 22 des 27 gouvernements européens.
L'ACTA ou «accord commercial anti-contrefaçon» était en préparation dans le
plus grand secret depuis 2006. Il y a eu plusieurs rounds de négociations qui ont
inquiété les différentes associations des droits de l’homme et les ONG par un
manque de transparence. L’accord réunissait l'Union européenne, les Etats-Unis,
le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Singapour, la Corée du
Sud, le Maroc, le Mexique et la Suisse, pour une lutte globale contre la
contrefaçon.
Mais ce traité international connait des chapitres très divers... :
« - Imposer aux fournisseurs d'accès à Internet la surveillance de leurs
utilisateurs,
- Interdire ou limiter la copie sur les contenus protégés par le droit d'auteur,
- Criminaliser le partage de fichiers sur Internet et
- Limiter l'utilisation de médicaments génériques à bas prix. » (Source
traiteacta.com)
Ce rejet souhaité par un grand nombre d’internautes, d’eurodéputés, de
collectifs en faveur des droits de l’homme se justifie par le grand flou dénoué sur
le chapitre des droits des individus. Il donnait aux fournisseurs d’accès la
possibilité de se constituer « en police d’internet » : l’article 27 qui concernait la
propriété intellectuelle avait soulevé beaucoup de critiques parce qu’il donnait
aux ayants-droits la possibilité d’obtenir des fournisseurs d’accès à Internet
toutes les informations concernant les individus qui téléchargent illégalement.
Les autres volets d'ACTA menaçaient le secteur des médicaments génériques et
l'accès aux soins des pays les plus pauvres. Ce pacte n’est pas considéré comme
suffisamment discriminant entre les faux médicaments et les médicaments
génériques à bas prix mais ils renforcent les droits de brevets sur les
médicaments. Avec l’application de l’ACTA, les médicaments provenant d’Inde,
l’un des champions mondiaux des médicaments génériques, aurait été saisis
(laissant plusieurs millions de personnes sans traitement et sans soins) car les
génériques produits en Inde sont reconnus dans certains pays et approuvés par
l'Organisation mondiale de la santé tandis qu’ils restent sous le monopole de
brevets dans de nombreux pays où ils transitent.
L’ACTA a-t-il vraiment été enterré ? Un accord initié par l’Europe, INDECT (un
système d’information intelligent soutenant l’observation, la recherche et la
détection pour la sécurité des citoyens en milieu urbain) de la même trempe que
l’Anti-Counterfeiting Trade Agreement
est déjà entrain de soulever la
polémique : son objectif principal est de placer sous surveillance tous les
citoyens de l’Union européenne.
Organe de concurrence européen
Au sein de la Commission européenne c’est la Direction Générale de la
Concurrence qui gère les « pouvoirs d’exécution directe ». L’organe de la
Commission européenne en charge de la concurrence s’assure du respect des
règles qui bénéficient aux consommateurs et permettent aux entreprises d’être
compétitives. Ses pouvoirs sont assez limités, la Direction Générale ne peut
intervenir que si elle constate une violation des règles de concurrence.
Elle emploie 900 personnes et ses frais de fonctionnement s’élèvent à 100
millions d’euros par an.
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Depuis 2010 la politique européenne de concurrence, définie dans les articles
101 à 109 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), est
gérée directement par le commissaire européen chargé de la concurrence
Joaquim Almunia.
Les articles 101 à 109 stipulent l’interdiction des accords anticoncurrentiels
entre les entreprises (ententes et répartition du marché), l’interdiction
d’exploiter une position dominante sur le marché, et exercent le contrôle des
concentrations et des aides de l’Etat ainsi que la surveillance des marchés
libéralisés.
La Direction Générale est en charge des notifications pour les concentrations. En
ce qui concerne les autres missions, elle enclenche des actions suite à des
plaintes ou à des demandes de clémence.
La Direction Générale coopère avec les organismes internationaux compétents
et les autres DG de la Commission européenne en échangeant des informations
de manière à mieux faire comprendre les règles de concurrence et à les
introduire dans des cadres réglementaires et judiciaires. (source europa.eu)
Contrefaçon en Chine :
gouvernements locaux
lutte
entre
le
pouvoir
central
et
les
La Chine, toujours pointée du doigt dès qu’il s’agit de contrefaçon ou du vol de
la propriété intellectuelle, est devenue pour beaucoup d’entreprises
internationales depuis des dizaines années, un lieu de combat pour lutter contre
ceux qui enfreignent les réglementations.
Cela ne paraît pas injustifié quand on sait que selon la Direction des Relations
Economiques et Extérieures (DREE), la contrefaçon chinoise représente toujours
8% du PIB chinois et emploie entre 3 et 5 millions de personnes.
Malgré l’adhésion à toutes les conventions internationales pour la protection de
la propriété intellectuelle et une législation protectrice récemment réformée pour
rendre conforme le droit interne chinois à l’accord sur les droits de la propriété
intellectuelle, la Chine reste encore une usine géante de contrefaçons.
Le gouvernement chinois semble prendre des mesures, il est en effet très
concerné par le manque à gagner induit par cette fabrication illicite (corruption,
banditisme, présence de cartels). N’ayant pas le contrôle sur les produits
contrefaits, il ne perçoit pas les taxes qui s’y rapportent.
Au travers de ses différentes actions, le gouvernement central conduit une
politique crédible dans sa lutte contre la contrefaçon et il communique beaucoup
sur l’action menée: plus de 9 000 personnes ont été arrêtées et 12 854
« fabriques » illégales détruites.
De grandes campagnes publicitaires sont diffusées chaque jour pour faire
prendre conscience à la population du danger d’acheter des produits contrefaits.
Plus d’un million d’enquêteurs et de policiers ont été engagés afin de lutter
contre la contrefaçon. Par exemple, après la révision de la loi sur les brevets par
exemple, des millions de personnes dans l'ensemble du pays ont reçu une
formation. Mais les gouvernements locaux ont des intérêts directs ou indirects
(liens familiaux notamment avec les contrefacteurs).
Comme souvent le problème ne vient pas de la réglementation mais de son
application. Lorsqu’une entreprise étrangère saisit la justice pénale contre un
contrefacteur, la voie la plus rare mais la plus efficace, il lui appartient de
prouver que le contrefacteur présumé réalise un chiffre d’affaires minimum
illicite de 50 000 CNY (6 160 €), 100 000 CNY (12 325 €) ou de 500 000 CNY
(61 620€). Mais comme ces derniers ne publient de comptes ou qu’ils
fractionnent leurs activités en différentes entreprises la preuve du délit est
difficile à établir.
9
Et les administrations locales de l’industrie et du commerce qui gèrent ces litiges
ne transfèrent pas systématiquement les dossiers à la police…
Un exemple de démêlé entre la Chine et l’Union Européenne
L’Union européenne mène depuis septembre 2011 une guerre commerciale avec
la Chine, qui a commencé par l’enquête de la Commission européenne le 6
septembre sur des infractions à la loi anti-dumping qui seraient commises par
des entreprises chinoises suspectées de vendre des panneaux solaires à perte.
« La plainte a été déposée à Bruxelles par un consortium d'une vingtaine
d'entrepreneurs européens qui représente 1/4 de la production européenne"
selon le Guardian. La Chine exporte des panneaux solaires pour près de 21
milliards d’euros vers l’Europe.
En riposte le lobby chinois du vin a demandé au gouvernement chinois
d’enquêter sur les importations de vins européens. « Presque chaque producteur
de vin chinois a subi l’impact de l’Union européenne » a déclaré Wang Zuming,
un responsable de l’association, cité par Chine Nouvelle. “L’UE accorde diverses
subventions à son industrie vinicole, mettant les producteurs chinois dans une
situation désavantageuse“, a ajouté M. Wang. Selon lui les importations de vins
européens sont passées de 36 millions de litres en 2008 à 169 millions en 2011.
Est-il dans l’intérêt de ces deux puissances de se livrer bataille sachant que
l’Europe est le principal partenaire commercial en termes d’importations et
d’exportations de la Chine et que la Chine est le plus important créancier de
l’Europe ?
Tout le monde s’évertue à vouloir le maintien de la bonne entente : le
commissaire au commerce de l’Union européenne a dit qu’il n’était pas question
d’avoir «une rupture diplomatique, ni une guerre commerciale entre la Chine et
l’Union Européenne», «La Chine continuera à aider l’UE par les moyens
appropriés » a annoncé Wen Jiabao (premier ministre chinois).
Alors que le 15ème sommet Europe-Chine vient de s’achever dont le but principal
était surtout de « sauver la face » sur les relations sino-européenne, des
accords ont été signés venant augmenter le nombre de promesses non tenues.
Les relations compliquées entre la Chine et l’Europe ne cachent-elles pas une
autre tension, comme le ralentissement de la croissance mondiale ?
10
LA THEORIE ET LA PRATIQUE
Le paradoxe des monopoles : le conflit entre deux théories économiques
Joseph Schumpeter pense qu’une petite entreprise en situation de concurrence
n’est pas efficace et que seuls les grands monopoles faisant d’importants profits
peuvent accumuler les moyens d’innover.
Le monopole est-il source d’innovation et profitable pour le consommateur?
L’exemple classique est celui d’AT&T (American Telephone and Telegraph
Company) qui, avait dans les années 70 le monopole sur les réseaux
téléphoniques américains. Grâce aux profits dégagés par cette position, la
société a crée des unités de recherche (les Bell Labs) qui firent voir le jour à
d’importantes découvertes informatiques (logiciel Unix) et électroniques
(amélioration continue de la performance des transistors).
Après plusieurs plaintes déposées relativement à sa suite position dominante,
notamment de la part du gouvernement américain, AT&T a dû céder des
licences sur ses brevets, ce qui a permis la diffusion rapide de nouveaux
produits pour les consommateurs.
En Europe aujourd’hui, les monopoles doivent faire le grand écart en étant
soumis à une double pression contradictoire : nationale, avec les politiques
industrielles des Etats, européenne avec la politique concurrentielle édictée par
la Commission européenne.
Les politiques industrielles conduites par les Etats ont tendance à favoriser
l’émergence de champions et ainsi à soutenir les monopoles tandis que les
politiques concurrentielles cherchent à les limiter et à interdire toutes les aides
publiques susceptibles de fausser la concurrence.
L’une et l’autre sont-elles conciliables ? Pas sûr…
La politique de concurrence se justifie par sa capacité à atteindre une situation
économique optimale. En effet, selon la théorie, l’équilibre décentralisé
concurrentiel permet d’atteindre un optimum collectif maximum (équilibre de
Pareto) qui requiert, selon le modèle, des conditions de concurrence pure et
parfaite (sous certaines réserves de transferts de revenus par l’Etat) ainsi
qu’une information parfaite, l’atomicité des marchés et l’absence d’externalités.
Ces résultats théoriques sont toutefois obtenus avec des hypothèses qui sont
très critiquées et impliquent surtout que la recherche de l’équilibre se fasse à un
niveau global.
La politique industrielle européenne en tient compte dans l’article 173 du traité
de Lisbonne, qui stipule que « L’Union et les Etats Membres veillent à ce que les
conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de l’Union soient assurées
». Mais elle n’a pas pu voir le jour tel quel. Face à cette lacune institutionnelle
de l’Union, les états membres ont décidé de mener leur propre politique
industrielle.
La politique industrielle trouve sa légitimité dans le fait que la recherche de
l’optimum théorique global (ou européen) n’est pas forcément compatible avec
les exigences de l’optimum national. Ou que les hypothèses trop théoriques du
modèle de concurrence se heurtent à la réalité de la variété des Etats. C’est
pour faire face à ces contradictions que les Etats trouvent les raisons d’établir
leur politique industrielle propre.
(Source Faut-il avoir peur des monopoles ? Arnaud Parienty, Alternatives économiques et Trésor eco.economie.gouv.fr)
11
Finance comportementale
Eugène Fama fut le premier, en 1965 à donner la définition précise d’un marché
financier efficient : « Sur un marché efficient, la concurrence que se livrent un
grand nombre d’opérateurs avisés crée une situation dans laquelle, à chaque
instant, les prix des différentes valeurs reflètent les effets de l’information
basée, d’une part sur des événements qui se sont déjà produits, d’autre part,
sur des événements que le marché s’attend à voir dans le futur. En d’autres
termes le prix pratiqué est, à tout moment, une bonne estimation de la valeur
intrinsèque du titre ».
Les hypothèses complémentaires à la base de la théorie des marchés efficients
sont :
•
•
•
•
•
la rationalité du comportement et les anticipations des agents,
l’absence de coûts de transaction,
l’atomicité des investisseurs,
l’information commune et gratuite,
la liquidité parfaite.
Après des crises et la forte volatilité des marchés financiers, la question de
l’efficience informationnelle et de la valeur « réelle » des cours de marché est
relancée.
Dans les années 50, George Akerlof (le Prix Nobel 2001) avait déjà ainsi
observé que les individus privilégient les croyances qui les arrangent afin de
diminuer leur anxiété vis-à-vis de l’avenir et de l’inconnu.
La finance comportementale, dont les pères fondateurs sont Richard Thaler et le
prix Nobel Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie en 2002), remet en
question deux hypothèses fondamentales de la théorie des marchés efficients,
d'une part celle de la rationalité des investisseurs, de l’autre part l'absence
d'opportunité d'arbitrage. La finance comportementale est l’application de la
psychologie individuelle et collective à la finance et aux comportements réels
des acteurs sur les marchés financiers.
A travers un certain nombre de travaux ils mettent en évidence différents biais
qui prouvent que les investisseurs ne font pas toujours des choix rationnels et
que leurs préférences peuvent avoir un impact sur la structure des cours
boursiers et créer des anomalies.
La finance comportementale montre que les investisseurs compartimentent leur
décision et font des choix en fonction de référence dont la pertinence n’est pas
toujours explicable.
En résumé, les principes de base de la finance comportementale stipulent que
dans des situations de prises de décisions les individus :
-
Font souvent preuves de sur-confiance en soi,
Préfèrent se placer dans des situations qui leur donnent le sentiment
d’être compétent,
Ont tendance à se conformer à l’opinion générale et à suivre la rumeur
Vont favoriser une option parce qu’elle leur est familière (sociétés
connues, surpondération d’actions domestiques etc.…
Sont trop optimistes (ils sont prêts à acheter à acheter à un prix élevé
puis de la revendre plus cher).
Tout cela dans un contexte où il est de plus en plus contesté que l’information
n’est ni symétrique ni répartie uniformément entre les agents.
La finance comportementale en est encore au stade des concepts. Elle ne
dispose pas encore de l’outil mathématique qui permettrait d’élaborer un modèle
permettant d’en explorer tous les contours. (source www.institut-europlace.com)
12
ANALYSE PAR LE GRAPHIQUE
Graphique 1 : Evolution du total du bilan de la Fed et de la BCE en
milliards d’euros
3 500
Total bilan Fed
Total bilan BCE
3 000
2 500
2 000
1 500
1 000
1-janv.10
1-avr.10
1-juil.10
1-oct.10
1-janv.11
1-avr.11
1-juil.11
1-oct.11
1-janv.12
1-avr.12
1-juil.12
1-oct.12
(Source : Bloomberg)
Le graphique illustre les politiques monétaires réalisées par les deux banques
centrales.
Sur fond de crise de l’euro, la course à la liquidité bat son plein entre la Fed et la
BCE depuis le début de l’année 2010. Le bilan de la BCE est passé de 1 900 à
plus de 3 000 milliards d’euro. Les deux LTRO (Long Term Refinancing
Operation) réalisées le 21 décembre 2011 et le 27 février 2012 pour refinancer
les banques en manque de liquidité ont alourdi son bilan de plus de 500
milliards d’euros. Le bilan de la Fed a quant à lui augmenté de 2 200 à 2 800
milliards de dollars.
Graphique 2 : EUR/USD vs. Bilan Fed/ Bilan BCE
1,6
1,5
Fed/BCE
EUR/USD
1,5
1,5
1,4
1,4
1,3
1,4
1,2
Moyenne
1,3
1,1
1,3
1,0
1,2
0,9
r = 0,8
R² = 0,69
0,8
1-janv.10
1-avr.10
1-juil.10
1-oct.-10
(Source : Bloomberg)
13
1-janv.11
1-avr.11
1-juil.11
r = 0,6
R² = 0,35
1-oct.-11
1-janv.12
1-avr.12
1-juil.12
1,2
1-oct.-12
Le graphique illustre la corrélation du taux de change de l’Euro exprimé en dollar
américain (EUR/USD) avec le rapport du montant total des bilans de la Fed et de
la BCE.
On observe qu’entre le début de l’année 2010 et la fin du mois de février
correspondant à l’annonce de la seconde LTRO, les deux courbes entretiennent
une forte corrélation. Celle-ci se traduit par un coefficient de corrélation (r) de
l’ordre de 0,8 (R² = 0,69) sur la période. Cela signifie que lorsque la BCE injecte
massivement des liquidités durant l’été 2011 entrainant une baisse du rapport
des bilans des deux banques centrales, la monnaie européenne est diluée par
rapport au dollar et le cours EUR/USD chute.
Ensuite, le graphique met en relief le décrochage du cours EUR/USD par rapport
à l’évolution des bilans de la Fed et de la BCE. En effet, l’injection de liquidité de
la BCE au début du mois de mars 2012 à l’occasion de la seconde LTRO n’a pas
été suivie à court terme par une chute du cours EUR/USD mais seulement deux
mois après. L’affaiblissement du lien dépendance entre des deux courbes est
révélé par une baisse du coefficient de corrélation à 0,6 (R² = 0,35).
Comment expliquer ce décrochage ?
Injecter des liquidités directement ou indirectement dans l’économie a pour
objectif de limiter l’inquiétude des marchés. L’effet est double : fluidifier le
marché interbancaire et faire pression sur les taux d’intérêts des obligations
d’Etat en permettant aux banques de réaliser des opérations de « carry trade ».
La LTRO est une opération de prêt avec collatéral. Les banques fournissent des
titres à la BCE. En échange, celle-ci met à disposition des liquidités pour 3 ans à
un taux d'intérêt défiant toute concurrence : 1%. Elle permet ainsi aux banques
d’emprunter à un taux très bas auprès de la BCE pour prêter ensuite aux
gouvernements. Ces opérations contribuent à faire baisser les primes de risque
sur le marché des obligations souveraines dans les pays d’Europe du Sud.
Avec la deuxième LTRO, Mario Draghi a soufflé un vent d’optimisme sur les
marchés qui ont vu s’éloigner les risques de défaut de la Grèce et
d’effondrement de la zone euro. L’injection de liquidité, rassurante à court
terme, a donc soutenu le cours EUR/USD entre 1,30 et 1,35 de mars à mai
2012.
De la même manière, le cours EUR/USD semble avoir été stimulé à la hausse
par les promesses formulées par Mario Draghi début août à savoir : « La BCE
fera tout ce qui est en son pouvoir pour préserver l’euro, croyez-moi cela sera
suffisant ». Les investisseurs n’auront donc pas été déçus début septembre,
lorsque la BCE a annoncé qu’elle rachèterait sur le marché secondaire la dette
des Etats en difficulté. Cette opération repose sur trois grands principes :
- Les pays en difficultés (Espagne, Italie Portugal etc.) devront faire appel à
l’aide financière auprès du fonds européen avant que la BCE ne procède aux
rachats d’obligations ;
- Les rachats d’obligations porteront uniquement sur des échéances entre 1 et 3
ans sans limite de montant ;
- Les banques commerciales transformeront leurs créances sur un Etat en
créance sur la BCE moyennant un taux avantageux. La BCE retirera du marché
la somme créée pour racheter les obligations d’Etat. Les opérations seront donc
stérilisées.
La Fed a quant à elle lancé en septembre son troisième programme de politique
monétaire exceptionnel : le « QE3 ». Elle va s’autoriser 40 milliards de dollars
par mois de rachats de prêts immobiliers et la poursuite de son « Twist »,
opération de rachat d’obligations d’Etat américaines. Ces opérations courront
jusqu’à ce que l’économie montre des signes de reprise d’un point de vue de
l’activité économique mais aussi de l’emploi. On peut déjà estimer que le bilan
de la FED va dépasser les 4 000 milliards de dollars à la fin de l'année 2013.
14
LU POUR VOUS : Joseph Schumpeter
Joseph Schumpeter est l’auteur du Capitalisme, socialisme et démocratie publié
en 1942, traduction française en 1951 édition Payot.
Joseph
1950)
Schumpeter
(1883
-
Joseph
Schumpeter
est
un
économiste autrichien. Professeur à
Harvard, il est avec Keynes, l’un des
pères fondateurs de l’économie du
XXème. Ses théories sur la destruction
créatrice et l’innovation en font un
économiste
à
la
réputation
« hérétique ».
Pour
Joseph
Schumpeter l’économie est dirigée
par un phénomène particulier : la «
destruction créatrice ». C’est « la
donnée fondamentale du capitalisme
et toute entreprise doit, bon gré mal
gré, s’y adapter ». La croissance est
un processus permanent de création,
de destruction et de restructuration
des activités économiques.
« Pourquoi donc tout ce battage au sujet des monopoles? La réponse n'est pas
dépourvue d'intérêt pour quiconque étudie la psychologie des controverses
politiques. Bien entendu, le concept de monopole est employé sur la place
publique avec autant d'imprécision que n'importe quel autre concept.
On parle d'un pays disposant du monopole de ceci ou de cela, même si la
branche en question est extrêmement concurrentielle, et ainsi de suite. Mais ce
n'est pas tout. Les économistes, les fonctionnaires, les journalistes et les
politiciens américains affectionnent de toute évidence ce mot parce qu'il a fini
par devenir un terme péjoratif avec lequel on excite à coup sûr l'hostilité du
public contre n'importe quel intérêt ainsi baptisé. Dans les milieux angloaméricains, les monopoles ont été honnis et assimilés à une exploitation
parasitaire depuis l'époque (XVIe et XVIIe siècles) où l'administration anglaise
avait accoutumé de créer un grand nombre de positions privilégiées qui
correspondaient assez bien au modèle théorique du comportement
monopolistique, tout en justifiant largement une vague d'indignation assez forte
pour avoir fait impression même sur la grande Élizabeth.
Rien n'est aussi tenace que la mémoire d'un peuple. Notre époque nous offre
d'autres exemples, plus importants, de réactions nationales à des événements
survenus il y a des siècles. Les pratiques que nous venons d'évoquer ont
tellement « sensibilisé » le public anglo-saxon aux monopoles qu'il a pris
l'habitude de rendre ce « pouvoir sinistre » responsable de presque tout ce qui
lui paraissait déplaisant dans le comportement des entreprises. Aux yeux,
notamment, d'un bourgeois libéral typique, le monopole est devenu le père de
presque tous les abus - en fait, le botte émissaire favori. Adam Smith, qui
pensait avant tout aux monopoles du modèle Tudor et Stuart, n'y touchait
qu'avec des pincettes. Sir Robert Peel - qui, suivant l'exemple de la plupart des
conservateurs, n'hésitait pas, le cas échéant, à emprunter des armes à l'arsenal
des démagogues - a parlé, au cours de l'épisode célèbre qui a rempli la fin de sa
carrière gouvernementale et qui a si grandement irrité les membres de son
parti, d'un monopole du blé et du pain, en dépit du fait que, bien entendu, la
production anglaise de pain était parfaitement concurrentielle, nonobstant la
production douanière. Aux États-Unis, enfin, le terme monopole et celui
d'entreprise opérant sur une grande échelle sont devenus pratiquement
synonymes.»
En 1890 le Congrès américain vota la "Sherman Antitrust
Act", la première loi fédérale antitrust, autorisant une
action du gouvernement fédéral contre les "combinaisons
sous forme de trusts ou conspiration, dans le but de
restreindre le commerce ou de s'assurer le monopole d'une
industrie donnée ". Cette loi s’adressait en particulier à la
Standard Oil (compagnie de John Davison Rockfeller)
devenue un gigantesque conglomérat de plus de 100 000
employés.
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