"Momo", un grand boulevard !

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"Momo", un grand boulevard !
"Momo", un grand boulevard !
Ce vendredi, lorsqu’André et Laurence sont allés faire les
courses, ils n’avaient pas prévu qu’un débile leur piquerait
leur caddie avant même qu’ils ne soient passés à la caisse.
Cela quelques minutes avant la fermeture du magasin. Ils
n’avaient pas non plus planifié de retrouver le même type,
chez eux, après qu’il a livré les courses et pris une douche.
Et pourtant, c’est bien là le point de départ de « Momo », la
nouvelle pièce de Sébastien Thiéry.
Copyright : C. Nieszawer
Comme à son habitude, l’auteur ne respecte aucune convention,
sauf celles dictées par son imagination, toujours très
surprenante. Très vite, la situation devient ubuesque et les
scènes successives sont autant de pierres qui bâtissent une
comédie très drôle et explosive. Patrick (c’est le nom de
l’étranger), affirme être le fils de Laurence et André, parti
pour Montpellier il y a 20 ans, afin d’essayer d’oublier sa
famille – comme on oublie une histoire d’amour douloureuse.
Malheureusement, il semble que ses parents, eux, aient réussi
à l’effacer de leur mémoire. Est-ce un dangereux cambrioleur ?
Comme face à un fou dangereux, le couple décide de jouer le
jeu pour ne pas le contrarier.
Puis, entre la mère supposée et le fils nouveau, les liens se
reforment, la discussion se créée. Pourquoi est-il revenu ? On
l’apprend de Sarah, la fiancée aveugle de Patrick qui se
révèle ne pas être débile, mais malentendant. Il est de retour
sur les lieux du traumatisme : s’il ne partait pas, il aurait
tué sa famille. Les cœurs s’ouvrent, les larmes coulent,
jusqu’à un dénouement à rebondissements sentimentaux réussis :
il s’avère que Patrick s’est trompé d’immeuble, il a confondu
Laurence et André avec un couple du même âge, portant le même
nom à une lettre près et habitant à côté. Mais l’histoire ne
s’arrête pas là…
Copyright
Nieszawer
:
C.
Une certaine élégance se dégage de la scénographie d’Edouard
Laug, très réaliste au premier abord – la scène d’exposition
se déroule dans les rayons d’un supermarché – elle fait
ensuite place à un grand appartement bourgeois dont les murs
ne sont pas complètement opaques et laissent deviner ce qu’il
se passe dans les chambres bordant le salon. La mise en scène
de Ladislas Chollat utilise bien ce dispositif, aidé par la
musique pour soutenir quelques effets cinématographiques. Le
travail principal semble avoir été fait auprès des acteurs,
tout en essayant de les faire s’émanciper avec finesse de la
mise en scène de boulevard conventionnelle – on pense
notamment à Muriel Robin qui tape avec vigueur sur le canapé
du salon, accessoire symbolique du boulevard bourgeois.
Car oui, ici Thiéry ne signe pas un simple boulevard efficace
– tel « Comme s’il en pleuvait » au théâtre Edouard VII – ce
« Momo » est double ; les situations comiques d’un fond
brûlant. Ce fils de 42 ans qui s’invite dans la vie d’un
couple respectable qui n’a jamais réussi à en avoir relance
les désirs maternels de Laurence qui, consciente de cela, le
considère très vite comme la chair de sa chair, parlant la
même langue que lui. Patrick, lui, semble tout le temps énervé
comme sa mère. De vraies questions existentielles naissent sur
la transmission : « nos souvenirs vont disparaître, si on ne
les donne pas à quelqu’un », dira Laurence, dans une scène
sombre.
Si les acteurs portent tous leurs rôles avec finesse, Muriel
Robin s’illustre particulièrement brillante. Celle qui, telle
Jacqueline Maillan, n’a qu’à paraître sur scène pour rendre le
public hilare, ne cesse jamais d’avoir l’air sévère. Et pour
cause : l’arrivée de ce fils providentiel lui apporte les
réponses aux questions qu’elle n’osait plus se poser.
Pragmatique et autoritaire, tenant avec force les rennes
harnachant un mari craintif, elle se transforme en mère
enamourée. Robin nous impressionne par la finesse de son jeu
dans les instants dramatiques : aucune larme, aucun excès, une
intériorité qui montre que derrière l’humoriste, une grande
actrice existe.
Lors de la scène finale, malgré le quiproquo qui a conduit
Patrick à prendre le couple pour ses parents, Laurence-Muriel
Robin lui demande de rester. Elle plaide contre cette vie
injuste qui lui a interdit d’avoir des enfants. Et Thiéry fait
dire à une actrice très ouvertement lesbienne qu’ « une maman,
ce n’est pas de l’orthographe, c’est dans le cœur que ça se
lit » ; « Momo » devient alors pièce manifeste face au climat
réactionnaire d’un pays encore divisé sur la question de
l’accès à la parentalité pour les couples de même sexe.
Réunie, l’équipe de « Momo » produit un grand théâtre de
boulevard, extrêmement drôle, mêlant ressorts classiques du
rire burlesque et véritable message, en phase avec les
préoccupations sociétales actuelles.
« Momo » de Sébastien Thiéry. Mise en scène de Ladislas
Chollat, actuellement au Théâtre de Paris, 15 rue Blanche,
75009, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations
réservations sur theatredeparis.com
et

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