GRENOBLE ET SA RÉGION « Au restaurant, avant, cela

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GRENOBLE ET SA RÉGION « Au restaurant, avant, cela
page 6 Dimanche 3 février 2013
Le Dauphiné Libéré
GRENOBLE ET SA RÉGION
L’INTERVIEW DU DIMANCHE LaurentGras, restaurateur grenoblois qui défend la création du label “Maître restaurateur”
« Au restaurant, avant, cela sentait la cuisine… »
Président de l’Umih 38
(Union des métiers
et des industries de
l’hôtellerie), Laurent
Gras, chef du “Pèr’Gras”
à Grenoble, présente
le label “Maître
restaurateur”, basé
sur le fait maison,
et plus largement
sa profession.
F Qu’entend­on par
“Maître restaurateur” ?
« Les “Maîtres restaura­
teurs” aujourd’hui en Isère, ce
sont 40 professionnels que l’on
va réunir en association le
11 février.L’objectif sera d’ex­
pliquer notre démarche au
grand public.Il faut bien com­
prendre que “Maître restaura­
teur”, c’est un label d’État que
le préfet décerne à un profes­
sionnel qui s’est engagé à pro­
poserdufaitmaison,àtransfor­
mersurplacedesproduitsfrais,
de petits producteurs.On s’im­
plique également dans la
transmission du savoir, avec du
personnel en cuisine, des ap­
prentis, des stagiaires, et dans
la formation auprès des lycées
hôteliers. »
F Comment obtient­on
ce label ?
« On n’est pas noté par un
guide.Ce titre­là, ce sont les
services de la Direction dépar­
tementale de la protection des
populations(DDPP)quinousle
décernent.Il résulte d’une dé­
marche volontaire du restaura­
teur qui va déclencher un audit
externe auprès d’un organis­
meagrééqu’ilvapayerlui­mê­
me. Puis un inspecteur, en
client mystère, va se rendre
dans l’établissement pour dé­
jeuner ou dîner.Il va payer sa
note puis demander à voir le
patron et à faire le tour de la
cuisine, afin de vérifier les ma­
tières premières, la chambre
froide.Vérifier le fait maison,
mais aussi l’accueil et le servi­
ce.Une fois que cet audit est
réalisé, il faut joindre les photo­
copies des diplômes obtenus.
Les services de la DDPP font
alors leur travail, au préfet en­
suite de décerner ou non ce la­
bel. »
F Comment vous
positionnez­vous par
rapport aux restaurants
distingués par des guides ?
« C’estuntitred’Étatnéavec
la baisse de la TVA.Nous som­
mes aujourd’hui 2 000 en Fran­
ce et notre objectif est d’être
5 000 à court terme. Mais le
“Maître restaurateur” n’a pas
vocation à remplacer les étoilés
Michelin. Un établissement
comme “La Ferme à Dédé” l’a
obtenu.Le “Maître restaura­
teur” d’aujourd’hui, c’est le
restaurant d’il y a 30 ans, avec
ses plats, des pâtisseries mai­
son, des suggestions du mar­
ché. Quand on allait au restau­
rant, avant, cela sentait la cuisi­
ne.Aujourd’hui, on est parfois
plus préoccupé par la décora­
tion. Pour obtenir ce label, il
faut proposer quatre entrées,
quatre plats, quatre desserts,
mais il faut que cela soit fait
maison.C’est une belle satis­
faction car ce n’est pas réservé
à la seule gastronomie, à l’éli­
te. »
F Que répondez­vous
à ceux qui pointent les prix
pratiqués dans la restauration
aujourd’hui ?
« On peut manger des pro­
duits simples et pas trop chers,
après, il faut savoir qu’un éta­
blissement reçoit du public
avec du personnel qualifié en
salle et en cuisine, avec des mi­
ses aux normes imposées, no­
tamment en termes d’accessi­
bilité… Tout cela, c’est le con­
sommateur qui va le payer.Les
marges dans la restauration
sont à pleurer, quand on fait 2 à
3%demarge,c’estdéjàbien. »
F Mais le grand public ne
le comprend pas forcément…
« On a eu le sentiment
qu’avec la baisse de la TVA, le
grand public s’est méfié de no­
tre métier.Ce qu’il ne sait pas
forcément, ce sont les investis­
sements auxquels nous som­
mes confrontés : un fourneau
professionnel, c’est entre 20 et
30 000 euros, une ventilation
15 000 euros, et les banquiers
vous financent sur sept ans. »
F Qu’attendez­vous
de ce label ?
« La démarche des “Maîtres
restaurateurs”, c’est la même
démarchequelesartisansbou­
langers il y a 15 ans qui avaient
réagi au développement des
Points chauds.On veut défen­
dre notre savoir­faire pendant
que certains se contentent
d’acheter au supermarché, de
réchauffer le plat et de vous le
présenter avec un grand souri­
re.Il faut que les gens sachent
que c’est du fait maison, avec
des salariés, du savoir­faire, et
après, le client est libre de choi­
sir. »
F Quelles sont vos
principales difficultés ?
« Il y a un problème de coût
du travail.Restaurateur est un
métier périlleux, avec d’énor­
mes charges financières, tout
en sachant que l’on n’est pas la
catégorie préférée des ban­
quiers. Pour vous donner un
exemple, dans notre restau­
rant, on fait 1,3 million d’euros
hors taxe de chiffre d’affaires,
et à la fin l’année, quand il reste
30 000 euros de bénéfice, on
considère que c’est une bonne
année. Il faut souvent faire le
joint pour boucler les horaires,
avec l’aide de votre compa­
gne.Notremétierestloind’être
facile. »
F Est­ce que cela a des
incidences sur votre travail ?
« Plus de 50 % des établisse­
ments à Grenoble vous propo­
sent du tout prêt, c’est malheu­
reux, mais tant que l’on aura
une fiscalité et un coût du tra­
vail aussi lourd, ce sera comme
ça.On a aujourd’hui au moins
40 professionnels en Isère qui
font l’effort… Jusqu’à quand ?
Je ne sais pas.On verra ce qui
va se passer avec la remontée
de la TVA, car si, en contrepar­
tie, le coût du travail ne baisse
pas, on ne fera plus face.Il faut
donc se poser les bonnes ques­
tions. »
F Êtes­vous inquiet ?
« On ne peut pas continuer
comme ça.On nous demande
d’acheter au petit producteur,
d’embaucher, mais si on re­
vientsurlabaissedelaTVA,on
sera dans une impasse. Ce la­
bel de “Maître restaurateur”
estunoutilpourdéfendrenotre
métier, à la condition de pou­
voir encore le faire. »
Propos recueillis
par F. A.
À NOTER
Aujourd’hui, de 11 h 30 à 15 h,
1 400 touristes étrangers, en
provenance principalement de
Grande-Bretagne, seront accueillis
à leur arrivée à l’aéroport
de Grenoble-Isère.
Isère Tourisme, les Maîtres
Restaurateurs et Chartreuse Diffusion
se sont associés à cette initiative dans
le but de faire découvrir et déguster
quelques-unes de nos spécialités
régionales à ceux qui viennent
skier dans nos stations.
LaurentGras : « On défend notre patrimoine, la production locale, mais on est sujet à une fiscalité qui ne nous permet
pas de tenir la barre. » Photos DR