GIOVANNI VERGA ET LES TRAITS NATURALISTES EN ITALIE

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GIOVANNI VERGA ET LES TRAITS NATURALISTES EN ITALIE
GIOVANNI VERGA ET LES TRAITS NATURALISTES
EN ITALIE
Claudia Fatima Martins
Universidade Federal do Rio de Janeiro
Brasil
En Italie le représentant du courant littéraire naturaliste a été
Giovanni Verga, qui avec ses romans a apporté, ainsi, un avancement à ce
nouveau style bientôt appelé « Vérisme » par les critiques littéraires. Pour
créer les dialogues, l’écrivain se servait d’un patois en tant que forme
linguistique de représentation de la réalité. Cependant, le Vérisme italien
ne découle pas que du Naturalisme français, les écrivains véristes ont
trouvé une forte influence dans l’oeuvre d’Alessandro Manzoni.
Par Vérisme on comprend un courant artistique et culturel qui a
représenté un versant italien du Naturalisme français. Actif pendant les
trois dernières décennies du dix-neuvième siècle, ce courant joue un rôle
d’hégémonie de 1875 à 1890. Le mot Vérisme a été employé pour la
première fois dans le domaine des arts figuratifs et a obtenu, au fil du
temps, une référence plus large dans le champ de la littérature. Le
Vérisme est appelé aussi provincialisme, parce qu’il reflète la situation de
quelques provinces italiennes, comme la Sicile.
L'origine du terme Verismo, dont, selon un de ses paladins de 1879,
« personne peut-être ne connaît le père», est italienne. L'étymologie est
claire: de vero (vrai, vérité) on a eu verismo (représentation du vrai, dans
tous les domaines de l'art), puis verista, adjectif et substantif (adepte de
verismo); d'où, en français, vérisme, vériste. En France, ces deux mots
sont consacrés, en 1888, par Edouard Rod « Les véristes italiens », dans
le volume Etudes sur le XIXe siècle.
Dans la critique italienne, verismo a d'abord coexisté avec realismo,
venu de France et employé (en dehors de sa vieille acception
philosophique) dès 1862 et pendant une dizaine d'années. Verismo paraît
entrer peu avant 1874 dans l'usage courant pour les arts plastiques,
domaine où était né, aux environs de 1842, le terme français de réalisme.
En 1874, il était ainsi défini: «Vérisme, méthode de ces artistes du dessin
qui, ayant en horreur l’idéal, veulent s'en tenir strictement à la pure
vérité». Le sculpteur italien G. Dupré (1817-1882) déclare dans ses
Discours sur l'art (1879) qu'aux termes académisme, classicisme,
s'opposent désormais ceux de naturalisme et naturaliste. Ces derniers,
caractérisant alors, selon certains artistes, la recherche complaisante et
abusive du laid et du difforme, se voient supplantés par Vérisme et
vériste. Et, chose curieuse, le Réalisme est à un moment donné considéré
comme un excès dans le Naturalisme! Réalisme,
Expérimentalisme, Vérisme, sont en compétition.
Naturalisme,
Les polémiques deviennent de plus en plus subtiles et confuses,
surtout après la pénétration en Italie des théories et des œuvres de Émile
Zola. On ira, en 1878, jusqu’à parler des «véristes» du Trecento, et de
Dante Alighieri précurseur de ce mouvement; en 1880, on étudiera le «
Vérisme » de Giacomo Leopardi... Vérisme l'emportera lors de la grande
querelle de 1878-1879 à propos de la poésie. Malgré des « rencontres »
significatives et des aveux plus ou moins explicites des auteurs,
prosateurs ou poètes, certains critiques voudront soutenir l’indépendance
du Vérisme à l’égard des modèles français, réalistes ou naturalistes.
Certains, d’ailleurs, insistent, à la belle époque du Vérisme, sur sa
valeur d’« art social ». En 1878, le philosophe G. Bovio (1841-1903)
considère que ce mot caractérise toute une époque, « un état général des
mœurs, de la politique, de la religion et du langage ». Cette littérature
aurait pour but, selon F. Fontana, en 1815, le bonheur de l'humanité et
exprimerait «une profonde philosophie sociale».
Le terme, en tout cas, ne sera pas admis sans difficulté. Comme
Brunetière (Renaissance du naturalisme) avait qualifié les mots en isme
de « lourds et inélégants », de Sanctis appellera le Vérisme «un mot non
seulement barbare, mais faux»; et Carducci dira qu’il est « barbarement
élastique ». Et, à la suite des outrances des « poètes rebelles » de 18781879 sévèrement jugées sur le plan moral, le terme, devenu alors
courant, sera employé dans un sens franchement péjoratif : « Vérisme...
vulgaire et nauséabond », écrira Perez, ministre de l'Instruction Publique ;
« recherche de la turpitude », déclareront d’autres.
Aussi, les grands auteurs qui relèvent plus ou moins de ce
mouvement (car il n’y eut jamais de véritable « école ») répudieront-ils
cette étiquette, par ailleurs insupportable à leur souci d’originalité
personnelle. Et le déclin vient vite: il est consommé vers 1890. Le mot n’a
plus gardé qu’une valeur historique. A noter que, quand le cinéma italien
a créé un nouveau style, on a parlé de néo-réalisme et non de néovérisme.
Les principaux représentants du vérisme, entendu avec les réserves
indiquées, et l’étiquette s’appliquant de toute façon à une partie
seulement de leur production, sont pour le « Vérisme à thèse » sociale:
Rovani, Ranieri, Tronconi, Mastriani; pour le Vérisme d’inspiration
provinciale, forme la plus caractéristique et la plus notable, en Sicile,
Giovanni Verga et Luigi Capuana; à Naples, Matilde Serao et Salvatore di
Giacomo; dans les Abruzzes, Gabriele D’Annunzio et E. Scarfoglio; en
Sardaigne, Grazia Deledda; en Toscane, R. Fucini. Pour la poésie: L.
Stecchetti. Pour la musique: Leoncavallo et Mascagni. Pour les beaux-arts
les sculpteurs Bartolini, Duprè ; les peintres Michetti, Morelli, Palizzi.
Les auteurs italiens se scindent après 1870, c'est à dire à
l’apparition du Vérisme. Une partie de ceux-ci se dirige vers le roman
vériste. Verga est l’un des principaux. Son roman le plus célèbre est Les
Malavoglia, écrit en 1881. Dans cette oeuvre, il dénonce les valeurs
bourgeoises comme destructrices d’une identité culturelle. Le récit vériste
transmet un message avec une visée didactique, il est à la recherche de
valeurs authentiques dans un monde dégradé. Les véristes utilisent
parfois le rire comme moyen de libération. Cependant, celui-ci a deux
dimensions. Le rire mêle les situations carnavalesques aux situations
lamentables voire misérabilistes.
L’influence du Naturalisme français sur le mouvement italien est
évidente. Les deux courants ont en commun l’intention d’homologuer la
littérature par la science aussi bien sur le plan de la méthode
(l’impersonnalité de l’oeuvre d’art) que sur le plan des contenus (l’usage
de connaissances scientifiques afin de représenter les phénomènes). La
lignée philosophique du Positivisme, qui refuse la métaphysique et
célèbre le « fait », se trouve à la base de cette conception.
Le Vérisme se tourne vers les classes les plus pauvres et vers les
espaces populaires les plus désespérés, croyant que dans de telles
ambiances on trouverait la vérité toute nue. Le concept d’impersonnalité
du Vérisme naît en opposition au subjectivisme, c’est-à-dire l’introduction
de l’auteur qui parlait de soi-même dans la littérature romantique. On
montrait alors un nouveau comportement aussi bien sur le plan
philosophique que sur le plan social et politique, en raison de quelques
constatations qui venaient à jour, comme les problèmes politiques que le
Romantisme avait faits siens, l’éloignement entre le Nord et le Sud du
pays et les conditions économiques dans lesquelles se trouvait la plupart
de la population.
Ces problèmes constituent la base à partir de laquelle les écrivains
véristes décrivaient la réalité du quotidien et faisaient l’analyse ponctuelle
de ses éléments les plus contradictoires, sans donner la moindre
possibilité d’expression aux lamentations théâtralisées présentes dans
les nouvelles et balades romantiques. Le Vérisme réagissait, alors, à
toutes ces manifestations, au nom de la vérité et de la clarté, quoiqu’il ait
retenu du courant qui l’avait précédé le meilleur des héritages : le
réalisme de Manzoni et la popularité de l’art.
L’impersonnalité cherchée par le mouvement vériste ne peut pas
être absolue, puisque l’écrivain est présent dans le choix des faits, dans
le monde des personnages et dans la façon dont il développe l’histoire de
ces personnages. L’amour au vrai, à l’utile et au besoin d’un langage
vivant, modelé par le patois de Florence, était déjà présent chez
Alessandro Manzoni.
L’écrivain italien, suivant une des caractéristiques prônées par le
Naturalisme, choisit pour objet de représentation littéraire les ambiances
et les personnages des classes les plus pauvres et il se consacre à des
genres littéraires en prose (le roman, la nouvelle, le drame), qui sont plus
adéquats à une proposition d’expression réaliste. Pourtant, entre les
tendances adoptées par Giovanni Verga et celles préconisées par le
Naturalisme nous notons quelques différences : tandis que le récit
naturaliste décrit souvent les espaces du prolétariat urbain, la tendance
vériste se tourne de préférence vers les espaces populaires et de la
campagne.
Néanmoins, les écrivains véristes attribuent en général à leur
activité littéraire la valeur politique qui est une donnée fondamentale chez
plusieurs écrivains liés aux mouvements populaires et sociaux. Cela ne
signifie pourtant pas que l’écrivain Giovanni Verga n’offre pas
d’importants stimuli aux thématiques politiques qui parcourent l’Italie à
l’époque de l’Unification : ce fait met à jour une série de situations qui
sortent du silence et de l’abandon. Cette fonction de dénonciation
s’affirme, en grande partie, au delà des intentions des auteurs véristes.
La représentation littéraire des classes populaires n’est pas une
nouveauté absolue inscrite dans le Vérisme. Ce qui est nouveau c’est la
perspective à partir de laquelle on observe le monde et ses
manifestations. Bien que le Vérisme continue la tendance réaliste, ce
mouvement littéraire est plutôt l’interprète d’une exigence d’objectivité qui
remplace dans l’interprétation de l’auteur une méthode rigoureuse de
représentation des faits.
L’un des traits typiques du Vérisme c’est son caractère régional car
les écrivains véristes viennent, en général, du sud de la péninsule
italienne. Le théoricien du Vérisme le plus connu est le sicilien Luigi
Capuana, qui a approfondi le concept d’impersonnalité, auquel se
consacre aussi Giovanni Verga avec ses oeuvres.
Le Vérisme représente ainsi, en Italie, un réalisme plus précis (avec
des règles comme dans une école). Ce mouvement italien prend son point
de départ dans les classes sociales les plus humbles, comme l’avait fait
Manzoni dans I promessi sposi et ses personnages guidés par la foi. Les
personnages de Verga, au contraire, dû à la nouvelle idéologie du réel
absolu issue de la philosophie positiviste de cette période, reçoivent
l’attention de l’écrivain qui se tourne vers les ambiances populaires
exacerbées, parce qu’il croit que dans ces endroits se trouve le principe
de la représentation de la vérité.
Le théoricien vériste italien Luigi Capuana affirmait que les textes
qui naissaient du mouvement devraient se présenter comme un pur
document humain. D’une façon différente de celle propre au mouvement
français, le Vérisme ne soulignait pas l’hérédité, comme dans les
descriptions des alcoolisés et des malades, mais donnait de l’importance
plutôt aux problèmes de la société italienne de l’époque : le problème
économique (la misère du peuple), social (la question des grandes
différences d’identité entre le Nord et le Sud du pays) et les problèmes
régionaux. En Italie il n’y a pas eu de polémique ouverte en tons de
dénonciation, comme celle qu’on a vue en France, car les écrivains de la
péninsule n’étaient pas considérés comme les représentants d’une classe
sociale spécifique.
Giovanni Verga est né dans la ville de Catania, en Sicile, le 2
septembre 1840. L’activité de l’écrivain s’est développée dans le champ de
la littérature (il faisait la composition de romans historiques et
patriotiques) aussi bien que dans le champ de la politique (il a dirigé le
journal « Roma degli Italiani ») dans sa ville natale. Dans un premier
moment il a été influencé par son professeur Don Antonio Abate, qui était
l’auteur d’oeuvres romantiques, ayant publié le roman Amore e Patria,
écrit entre les années 1856 et 1857.
La lecture passionnée d’Alexandre Dumas, Walter Scott et Radcliffe
l’a poussé à divulguer et à publier quelques épisodes de l’oeuvre I
carbonari della montagna dans le journal Roma degli Italiani, qui
présentait une rhétorique patriotique associée au répertoire romantique.
A propos de la rencontre entre Verga et le Vérisme, on peut affirmer
que tout d’abord l’écrivain voulait fuir une esthétique vériste ennuyeuse
pour un réalisme plus conscient. Lorsqu’en 1875 Verga a composé
l’esquisse titré Padron ‘Ntoni, il ne considérait pas encore le Vérisme
comme un instrument technique doté d’un langage nouveau. C’est avec
l’oeuvre L’amante di Gramigna que l’écrivain s’est montré apte à accepter
la nouvelle esthétique et la doctrine de l’impersonnalité.
Dans sa nouvelle phase vériste par excellence, Verga publie Vita dei
campi. Mais c’est avec le roman I malavoglia que l’auteur continue à
chercher la thématique du focolare, le retour à la chaleur du foyer.
L’auteur sicilien écrit à la troisième personne et transmet au lecteur
l’impression que le narrateur se trouve au dehors des faits racontés.
Cependant, l’emploi de formules et de mots particuliers le définit de façon
précise. C’est le cas, par exemple, des expressions « com’ era giusto » et
« di quel settembre traditore che vi lascia andare un colpo di mare tra
capo e collo, come una schioppettata tra i fichi d’india », qui conduisent
directement le lecteur à l’expérience et à la culture de la région, la Sicile
de Verga où se trouve l’espace du récit.
En employant des proverbes et des expressions locales, l’écrivain
considère que le lecteur connaît l’endroit où se passe l’histoire. Ainsi il se
sert dans le récit d’éléments linguistiques propres au peuple sicilien et ne
présente les personnages que par leurs prénoms, marquant par là la
façon dont ils sont connus dans la ville. Le lecteur est convoqué donc à
participer des faits racontés comme s’il était lui-même un habitant d’Aci
Trezza, la terre natale du personnage principal de I malavoglia.
Le rapport entre auteur et narrateur est ainsi bien particulier, dans
la mesure où l’on a d’un coté Verga l’auteur, cultivé et de bonne origine,
et de l’autre Verga le narrateur, qui participe à la culture et aux
expériences des protagonistes de la famille I malavoglia.
On comprend de cette façon que la recherche formelle (aux niveaux
linguistique et narratif) menée par Verga dans ce roman est très
importante et qu’elle manifeste le résultat d’une étude attentive et d’un
essai de reconstruction intellectuelle. Cette tendance reprend le sens de
toutes les similitudes et des modes d’expression du peuple sicilien, qui se
trouvent disséminés dans le roman, d’une façon telle que le Vérisme se
distingue d’autres courants européens exactement par cet intérêt pour la
vie multiforme des populations paysannes dans les différentes réalités
régionales.
Le discours régionaliste montre comment Verga réussit à unir les
plans de la narration pour atteindre une réalité fictionelle idéale. Le
langage régional se montre suffisamment fort et authentique et révèle le
jeu de la création. Le discours verganien rend possible au lecteur un
voyage fantastique au monde rustique de la Sicile, vu avec tous ses
mystères et sa richesse complexe. L’homme sicilien non seulement se
présente avec ses ressources individuelles, mais il nous permet aussi de
contempler une âme pure qui souffre avec ses semblables,
indépendamment des limitations régionales.
Verga ne mystifie pas le monde rural ni représente la campagne
comme lieu d’évasion de la brutalité du monde moderne. De même, il se
refuse à utiliser le populisme romantique, il croit plutôt que la
représentation artistique doit restituer au roman un besoin de réalité,
c’est-à-dire les événements racontés doivent vraiment paraître avoir eu
lieu. Pour cette raison, il adopte une modalité narrative telle pour que le
lecteur ait une confrontation directe au fait raconté sans le filtre
constitué par le point de vue du narrateur. Ainsi, l’écrivain s’éclipse et,
par conséquent, disparaissent du texte les réactions subjectives, les
commentaires et les réflexions propres au narrateur omniscient.