véristes - Librairie des Signes
Transcription
véristes - Librairie des Signes
Les V ÉRISTES par Gérard DENIZEAU bleu nuit éditeur du même auteur : 15. Gioachino ROSSINI par Gérard Denizeau dans la même collection: 1. Alexandre BORODINE par André Lischké 2. Le Clavecin des Lumières par Jean-Patrice Brosse 3. Leos JANACEK par Patrice Royer 4. Jean SIBELIUS par Pierre Vidal 5. Etienne Nicolas MÉHUL par Adélaïde de Place 6. Gaston LITAIZE par Sébastien Durand 7. Dietrich BUXTEHUDE par Eric Lebrun 8. Guillaume LEKEU par Gilles Thieblot 9. Jan Dismas ZELENKA par Stéphan Perreau 10. Maurice EMMANUEL par Christophe Corbier 11. André JOLIVET par Jean-Claire Vançon 12. Richard STRAUSS par Christian Goubault 13. Alexandre P. F. BOËLY par Brigitte François-Sappey & Eric Lebrun 14. Gaetano DONIZETTI par Gilles de Van 16. Antonio VIVALDI par Adélaïde de Place & Fabio Biondi 17. Edouard LALO par Gilles Thieblot 18. Michael HAYDN par Marc Vignal 19. Gustav MAHLER par Isabelle Werck 20. Serge RACHMANINOV par Damien Top 21. Frédéric CHOPIN par Adélaïde de Place & Abdel Rahman El Bacha 22. Heitor VILLA-LOBOS par Rémi Jacobs 23. Carlo GESUALDO par Catherine Deutsch 24. Le Clavecin du Roi soleil par Jean-Patrice Brosse 25. Franz LISZT par Isabelle Werck 26. Emile GOUÉ par Damien Top 27. Florent SCHMITT par Catherine Lorent 28. Louis VIERNE par Franck Besingrand 30. Georges BIZET par Gilles Thieblot Directeur de collection : Ludovic DRAEFT Graphiste : Jean-Philippe BIOJOUT - Relecture : Michèle LACORE Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit - photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre - sans le consentement des auteurs, de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de Copie est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. ISSN : 1769-2571 © bleu nuit éditeur 2014 www.bne.fr Gérard DENIZEAU Les Véristes collection horizons L’Angelus, tableau de Jean-François Millet. Photo DR. 4 Chapitre I À la recherche du vrai Dès le milieu du XIXème siècle, le développement des sciences et de la pensée positiviste nourrissent la nouvelle objectivité, dressée contre le rêve romantique. En France, peintres et écrivains en tirent un profit immédiat : Daumier dénonce la misère sociale (Gens de justice), Millet multiplie les scènes de labeur rustique (l’Angélus), Courbet pratique la religion du vrai, le célèbre Atelier de l’artiste (1855) illustrant son aphorisme : « Faire, en un mot, de l’art vivant, tel est mon but ». Si le réalisme littéraire s’affirme surtout après les révolutions européennes de 1848 (France, Italie, Autriche, Prusse, Hongrie...), c’est bien avant que Balzac a ouvert la voie à ses successeurs, Flaubert, Zola ou Ibsen, par son tableau visionnaire de la société moderne et sa contestation des valeurs bourgeoises. Dans l’immensité de sa production romanesque, tous les détails contribuent à l’unité de l’œuvre et Marx en personne rendra hommage à son génie de sociologue qui s’ignore. C’est autour de lui-même que Balzac élit ses personnages, les lieux de leur action, atteignant à l’audience universelle par l’épopée du quotidien. Ailleurs, de la Lola de Valence (1862) du peintre Manet à la Carmen (1875) du musicien Bizet, se découvre aussi la trace, même colorée d’exotisme hispanisant, de cette inclination réaliste. Dans Carmen notamment, le surgissement de la farouche et superbe gitane scandaleusement libre, provoque un électrochoc d’autant plus brutal que la musique accentue l’insolence frondeuse et la révolte pathétique de l’héroïne, lors même que les rumeurs de la Commune de Paris encombrent encore toutes les mémoires. 5 Cependant, c’est au cœur de l’opéra italien que la fascination pour le vrai exerce le plus rudement son influence dans la deuxième moitié du XIXème siècle. À partir de Macbeth (1847), l’attention portée à la caractérisation des personnages hisse ainsi Giuseppe Verdi au rang de grand dramaturge, indépendamment de son génie purement musical. Puis, en vingt ans, de Rigoletto (1851) à Aïda (1871), sa langue musicale ne cesse de gagner en vérité dramatique, pour culminer, la vieillesse venue, avec Otello (1887) et Falstaff (1893), ouvrages au sein desquels la mélodie renonce à toutes les séductions éprouvées pour s’inventer note après note. Car désormais, la musique est au seul service de la vérité expressive, cependant que la trame harmonique et la parure instrumentale insufflent aux formes nouvelles une vie rayonnante. À l’extrémité orientale de l’Europe, l’opéra russe se plie, dès 1862, aux nouveaux préceptes du Groupe des Cinq (Balakirev, Borodine, Cui, Rimski-Korsakov, Moussorgski) : refus de la vulgarité banale, respect des intentions du livret, détermination formelle imposée par l’action, traduction fidèle du type et du caractère des personnages. Dans Boris Godounov (1874) de Moussorgski, fresque puissante sur fond d’épopée historique, la foule s’impose ainsi comme acteur essentiel du drame, mais les passions des héros – ferveur du jeune Grigori, lâcheté du vieux Pimène, remords et folie de Boris – sont peintes avec une saisissante acuité, dans une atmosphère de tension tragique qui touche au paroxysme. Le temps du vérisme Loin de s’essouffler au crépuscule du siècle, cette dévotion pour la vérité culminera avec le naturalisme littéraire français, à très forte connotation sociale, et avec le vérisme italien, essentiellement lyrique et surtout signalé par son double refus du drame verdien et du mythe wagnérien. Il faut cependant se défier d’une détermination trop hâtive du vérisme, d’une définition trop souvent fondée sur les seules lois de la chronologie. Ainsi 6 Giacomo Puccini, si souvent agrégé à l’aventure vériste, n’en sera-t-il que l’épisodique compagnon de route, tandis que des compositeurs lyriques aussi talentueux et tourmentés qu’Alfredo Catalani (1854-1893) ou Antonio Smareglia (1854-1929), tous deux se réclamant explicitement de l’exemple wagnérien, ne peuvent raisonnablement y être intégrés, en dépit de réussites aussi accomplies que La Wally ou Nozze istriane. Car le vérisme, dans son acception historique la plus stricte, chante avant tout la protestation des vaincus de la vie, des humbles maltraités de la société, surtout sous la plume de Giovanni Verga (1840-1922), incontestable figure de proue de ce mouvement. C’est d’ailleurs dans sa très brève nouvelle, Cavalleria rusticana (1880), que les librettistes d’opéra trouveront la trame dramatique de quatre ouvrages lyriques homonymes, celui de Mascagni étant seul appelé à connaître la gloire, dès sa création en 1890. Reste à préciser que ces « vinti della vita », ces modestes acteurs d’une existence aussi rude que tourmentée, ne manqueront jamais, chez les auteurs véristes, d’une réelle grandeur, dans leur âpre résignation à la misère, dans leur attachement aux valeurs paysannes ancestrales, dans la simplicité sincère de leurs sentiments. Il est difficile de déterminer avec précision l’apparition du terme « verismo » en Italie, même si le mot est attesté en 1874, connaissant une immédiate fortune dans la presse milanaise. Curieusement, il vaut plus pour les peintres privilégiant le réel contre l’idéal que pour les écrivains attachés à la chronique du quotidien. Cependant, c’est en cette même année 1874 que Verga publie son récit Nedda, éphéméride de l’existence d’une petite Sicilienne qui vit de la culture de l’olivier. L’une des originalités du répertoire théâtral vériste, c’est qu’il est moins caractérisé par ses auteurs – même si les exégètes avancent, toujours avec une hésitante prudence, le nom de Puccini et le titre de Tosca – que par quatre ouvrages célèbres, chacun dû à un compositeur dont il demeure, à tout le moins dans l’esprit du grand 7 public, l’unique chef-d’œuvre : Cavalleria rusticana (1890) de Pietro Mascagni (1863-1945), I Pagliacci (1892) de Ruggero Leoncavallo (1858-1919), Andrea Chénier (1896) d’Umberto Giordano (1867-1948) et Adriana Lecouvreur (1902) de Francesco Cilea (18661950). Décourageant toute tentative de synthèse trop schématique, le poids écrasant de ces quatre partitions resserrées dans le temps ne constitue pas la moindre difficulté dans l’étude du vérisme. Dans ces conditions, que reste-t-il vraiment de ce mouvement singulier dans la conscience collective et sur quel socle historique et esthétique forger une réflexion globale ? Le vérisme est-il un style ? Le vérisme est-il, par exemple, un style ayant créé certaines formes et formules originales, ou n’est-il qu’un moment de l’histoire du théâtre lyrique ? Un moment qui serait caractérisé par un certain nombre de particularités induites par le double refus du symbolisme et de l’impressionnisme et par la volonté d’échapper au prestigieux mais encombrant modèle verdien, quitte à solliciter l’exemple subversif de Carmen. À tenter de répondre à cette question, l’historien mesure très vite que la vraie difficulté de définir le vérisme tient à ce qu’il n’invente pas vraiment – à l’inverse du symbolisme, par exemple – un vocabulaire d’une réelle originalité. Par ailleurs, le vérisme est-il exclusivement italien, ou son équivalent peut-il être découvert dans d’autres foyers lyriques, de la France à l’Allemagne, de la Russie aux tout jeunes États-Unis ? Autre motif de perplexité, ce même vérisme relève-t-il avant tout, dans son versant théâtral, de la musique ou de la littérature ? Car des deux mouvements influant le plus fortement sur le destin de l’art lyrique, dans la deuxième moitié du siècle, la Scapigliatura (littéralement échevellement, par extension « vie de bohème »), illustrée par Marco Praga, Ugo Iginio Tarchetti et Arrigo Boito, et le vérisme, dominé par Luigi Capuana, Federico De Roberto et Giovanni Verga, 8 Danseuse espagnole, tableau de John Singer Sargent. Photo DR. c’est ce dernier qui semble l’emporter, de façon irrésistible après 1890. Se présentant comme un mouvement littéraire (même si nous avons évoqué plus haut son versant artistique), il n’est pas surprenant que, dans sa version lyrique, les traits caractéristiques en soient plus dramatiques que musicaux : usage du quasi parlando, syllabisme, discours continu, contrastes violents et marqués, refus de la veine comique, simplicité mélodique, transformation ou suppression de l’air isolé, grandiloquence du finale, écriture verticale, cadre quotidien de l’action, intrigue routinière, etc. Ce faisceau d’interrogations ne souligne-t-il pas, en creux, la force des liens qui uniraient un 9 éventuel style vériste aux derniers feux du romantisme lyrique ? Enfin, la durée du vérisme dépasse-t-elle la décennie autour de laquelle tournent les XIXème et XXème siècles, de Cavalleria rusticana (1890) à Adriana Lecouvreur (1902), lors même que les compositeurs cités plus haut ont connu une longue carrière ? Et en miroir, l’intégration forcée de tous les ouvrages lyriques italiens du temps à la sphère vériste, quel que soit le sujet traité ou le traitement du sujet, ne relève-t-elle pas d’un abus complaisant ? Paradoxalement, la tentative de définir le vérisme en tant que style montre avant tout le caractère inopérant d’une analyse qui userait des seuls outils de la stylistique en tant que mode d’appréhension scientifique d’un style donné, de ses procédés comme de ses effets, et non de son histoire ou de celle de ses formules. L’univers vériste exige une lecture bien plus large que celle des seules partitions. L’attitude morale du compositeur vériste face au monde et l’engagement artistique de ses interprètes sont ainsi à prendre en compte aussi bien que les purs formants esthétiques et techniques, mais également la réception particulière du public dont la posture change en profondeur selon qu’il vient d’assister à une représentation d’I Pagliacci ou de Rigoletto, ou même d’Il Tabarro ou de Madama Butterfly ! Un vérisme mal entendu Les ennemis du vérisme musical, au premier rang desquels Claude Debussy, ulcéré par ce « broiement » de la musique, insistent régulièrement sur sa prédilection pour une violence incontrôlée et sanglante qui, au passage, casserait la voix de ses interprètes. De ce point de vue, révélatrice est l’attitude des adversaires français de Puccini qui réduisent délibérément sa production à la seule Tosca, et Tosca à la seule scène de torture (d’ailleurs invisible) du deuxième acte. Car, à bien y regarder, le répertoire vériste est souvent bien moins sanglant que la tragédie verdienne. Plus insidieux encore, le reproche adressé au 10 vérisme de déchaîner cette violence au sein d’un univers populaire, populeux, paysan... Où donc ? Si nombre d’opéras de Verdi (Il Trovatore, Un ballo in maschera, Luisa Miller... ), voire de Gounod (Mireille) ne reculent pas devant l’intrusion triviale d’un monde laborieux, bohémien ou rustique, on n’en trouvera nulle trace chez Cilea ou Giordano, voire, sauf de façon allusive, chez Puccini. Quel abîme, par exemple, entre le petit pâtre caché du dernier acte de Tosca et la toute première place offerte par Gounod au tambourinaire Vincent, triste et modeste héros de Mireille ! Même chez les champions désignés d’un vérisme « pur et dur » (Mascagni, Leoncavallo), la rusticité sanglante reste minoritaire. Il est symptomatique, à ce sujet, que le mépris à l’endroit du vérisme italien s’accompagne fréquemment d’une dévotion inattendue à l’égard d’un théâtre lyrique russe (Boris Godounov, Eugène Onéguine) qui n’épargne pourtant guère ses protagonistes ; non plus d’ailleurs que la Carmen de Bizet (1875), première héroïne du théâtre lyrique à payer de sa vie un refus, trop justifié, du magistère masculin. Faut-il ici rappeler le célèbre mot tenu par le jeune compositeur français en 1866 : « Je vous déclare que si vous supprimez l’adultère, le fanatisme, le crime, l’erreur, le surnaturel, il n’y a plus moyen d’écrire une note » ? Assurément une affirmation que n’eût désavouée aucun compositeur vériste, y compris et peut-être surtout quand les victimes de ces passions appartiennent à l’univers policé d’une aristocratie décadente et non aux bas-fonds sordides d’une paysannerie dégénérée. Si le temps des Lumières avait multiplié les traités du bonheur, le XIXème siècle s’est plutôt attaché à donner au malheur les traits de la malédiction sociale. Aussi, dans les quatre chapitres à venir, consacrés aux jalons majeurs du vérisme (Cavalleria rusticana, I Pagliacci, Andrea Chénier, Adriana Lecouvreur), entendrons-nous la vaine protestation de Turiddu ou de Canio contre leur misère morale, avant d’écouter le poète Chénier et la comédienne Lecouvreur élargir cette complainte à l’universel. 11 Pietro Mascagni en 1902. Photo DR. 12 Chapitre II Pietro Mascagni (1863-1945) Le 7 décembre 1863, sur la Piazza delle Erbe (aujourd’hui place Cavallotti) de Livourne, vient au monde le petit Pietro Mascagni, fils de Domenico, boulanger de son état, et d’Emilia Reboa. Cette dernière disparaît en 1873 à l’âge de trente-deux ans, laissant un veuf et cinq orphelins. Tout en poursuivant ses études lycéennes, le jeune Pietro apprend le piano et le chant à la Schola Cantorum de l’église San Benedetto, avant d’entrer, en 1876, à l’Institut musical de Livourne, et d’y approfondir ses acquis sous la direction d’Alfredo Soffredini, professeur dont il gardera un excellent souvenir toute sa vie. Le temps de la formation Les premières œuvres, vocales et instrumentales, voient le jour à partir de 1878 (romance Duolo eterno...), 1879 (symphonie en ut mineur...) et 1880 (Menuet en ut pour quintette...). De 1880 à 1883, le jeune compositeur multiplie les partitions sacrées (deux Kyrie, Christe, Messe, Ave Maria, Pater Noster, In Nativitate Domini, Salve Regina, In Epiphania, Sinfonia religiosa...), un genre qu’il n’abordera plus ensuite que rarement (Requiem de 1887, Messa di Gloria de 1892). Cependant, c’est avec la cantate In Filanda pour quatre solistes, chœur et orchestre qu’il fait sa véritable entrée dans la carrière, en 1881. Suivent une symphonie en fa et nombre de pages pour effectifs très divers, du piano soliste à l’orchestre avec chœur, en passant par la formation de chambre. 13 En octobre 1882, Mascagni passe avec succès les épreuves d’admission au Conservatoire de Milan, où il étudie l’écriture avec Michele Saladino tout en se liant d’amitié avec Giacomo Puccini ainsi qu’avec Vittorio Gianfranceschi, l’ami de toute une vie. Mais cette année est aussi marquée par la mort de son frère suivie, un an plus tard, par celle de sa sœur. Profitant de sa toute nouvelle science compositionnelle, Pietro s’essaie pour la première fois au théâtre lyrique en 1883, avec l’adaptation de sa cantate In Filanda. Cette même année, la mort de Richard Wagner lui inspire une Élégie pour orchestre. Si ces études lui sont d’un indiscutable profit, le jeune artiste éprouve les plus grandes difficultés à se plier à la discipline de l’établissement, d’où sa décision de le quitter en 1885 avant la fin de son cursus complet pour mener la vie aléatoire et exaltante de directeur d’une petite troupe d’opérette ! Finalement établi avec sa compagne Argenide Marcellina Carbognani (1862-1946), qu’il a connue à Parme, dans la cité discrète de Cerignola (Pouilles), il y enseigne la musique tout en dirigeant l’orchestre local, étant nommé officiellement « maestro di suono et canto » par la municipalité en mars 1887. Au début de l’été, un premier enfant vient au monde, mais il décède précocement en octobre. 1 le 3 février 1889, un second enfant, Domenico vient au monde. 14 Un heureux concours de circonstances 1888 est une année capitale pour Mascagni. Le 7 février, il épouse officiellement “Lina”, au son de sa propre musique1. En juillet, il s’inscrit au concours lancé par l’éditeur Sonzogno pour l’écriture d’un opéra en un acte. Son choix portant sur un sombre récit de Giovanni Verga, Cavalleria rusticana, il en demande le livret à son ami Giovanni Targioni-Tozzetti (1863-1934), assisté de Guido Menasci (1867-1925), un livret qui se révélera d’une remarquable efficacité scénique. La musique est écrite en un temps record et le manuscrit promptement expédié au jury (qui en a 72 autres à dépouiller !). Brillant vainqueur Pietro Mascagni vers 1890. Photo DR. du concours devant Labilia de Nicola Spinelli et Rudello de Vincenzo Ferroni, Cavalleria rusticana triomphe dès le 17 mai 1890, devant le public en délire du théâtre Costanzi à Rome. Le succès n’est pas seulement foudroyant à l’échelon local, il se propage à une vitesse stupéfiante sur toutes les scènes italiennes, puis européennes, bientôt mondiales. Mascagni, cependant, n’a garde de s’endormir sur de si précoces lauriers ; son deuxième opéra, L’amico Fritz, voit le jour le 31 octobre 1891, également au théâtre Costanzi de Rome. Le jeune compositeur se rapproche d’Illica, librettiste prestigieux, et multiplie les partitions lyriques sans négliger une activité de chef d’orchestre qui lui permet de se faire acclamer dans toute l’Europe et même jusqu’aux Etats-Unis. En cette même année 1891, le 3 janvier, naît un troisième fils, Edoardo, dont le parrain n’est autre que Sonzogno ; une petite fille, Emilia, agrandit le cercle familial le 21 août 1892. Quatre mois plus tard, le 10 novembre, le théâtre florentin La Pergola crée I Rantzau, prélude à la nomination du compositeur à la tête 15 du prestigieux Liceo Rossini de Pesaro, en octobre 1895. Se succèdent les opéras Guglielmo Ratcliff (16 février 1895, Scala), Silvano (25 mars 1895, Scala), Zanetto (2 mars 1896, Liceo Rossini), et enfin Iris – dont la partition est saluée par Verdi en personne, pour ses qualités mélodiques et dramatiques –, créé le 22 novembre 1898, dans son cher théâtre Costanzi, dont il prendra d’ailleurs la direction artistique en 1909. Dans l’intervalle, il aura triomphé à Vienne comme à Saint-Pétersbourg, aux EtatsUnis comme en Amérique latine, assurant de surcroît, à partir de 1903, la direction de la Scuola Nazionale di Musica de Rome. Iris, fruit d’une commande de l’éditeur Ricordi, marque par ailleurs le début de sa collaboration avec le librettiste Luigi Illica (1857-1919). Cependant, le caractère ombrageux de Mascagni s’accommode décidément assez mal des contraintes administratives et, dès 1900, le compositeur – qui a perdu son père l’année précédente – est soumis à une inspection sévère (Boito en est l’un des rapporteurs), sa gestion du Liceo Rossini provoquant la réprobation du conseil municipal. Fort heureusement, la commission tranche en faveur de Mascagni qui, conforté dans ses options esthétiques et réglementaires, se signale à nouveau à l’attention du monde artistique par sa direction musicale lors des cérémonies funéraires du souverain Umberto 1er. Une carrière glorieuse mais déclinante Ces succès répétés ne doivent pas masquer la relative défaveur de ses partitions lyriques à l’aube du XXème siècle. Contrairement à Puccini, dont le succès mondial ne cesse de grandir, Mascagni essuie un certain nombre de déconvenues, même si les scènes les plus prestigieuses assurent désormais l’essentiel de ses créations : Le Maschere (17 janvier 1901, Carlo Felice de Gênes), Amica (16 mars 1905, opéra de Monte-Carlo), Isabeau (2 juin 1911, Coliseo de Buenos Aires), Parisina (15 décembre 1913, Scala)... jusqu’à Nerone dont la première intervient à la Scala, le 16 janvier 1935. Le cas de Le 16 Maschere est particulièrement éclairant ; créé simultanément à Gênes, Milan (Scala), Rome (Costanzi), Turin (Regio), Venise (Fenice) et Vérone (Filarmonico), l’opéra ne connaît le succès que dans la capitale, probablement du fait de la direction par l’auteur lui-même. Car Pietro Mascagni est désormais une personnalité musicale de dimension mondiale. C’est à lui, par exemple, qu’il revient de diriger le Requiem de Verdi à Vienne, pour saluer la disparition du compositeur ; sa gloire traverse l’Atlantique, au point qu’il entreprend une tournée dans le Nouveau Monde en 1902. Directeur artistique du Teatro Costanzi en août 1909, il se consacre dès l’année suivante à son opéra Isabeau, entame une liaison passionnée avec une jeune choriste du nom d’Anna Lolli. Le 10 avril 1911, il s’embarque pour l’Amérique du sud ; durant sept mois, il y dirige une tournée marquée par la création d’Isabeau à Buenos-Aires. Revenu en Italie en avril 1912, Mascagni reçoit le livret de Parisina, manuscrit du poète d’Annunzio, alors en France. Il le rejoint, en compagnie de sa fille, et compose la musique de cet opéra en France ; il en assurera luimême la création, avec un succès mitigé, l’année suivante, à la Scala. En 1915, il écrit la première musique de film italienne pour Rapsodia Satanica. Les créations de Lodoletta (30 avril 1917, Costanzi de Rome), de l’opérette Si (13 décembre 1919, Quirino de Rome), d’Il piccolo Marat (2 mai 1921, Costanzi de Rome), précèdent un nouveau voyage en Amérique du sud, de mai à octobre 1922. C’est au cours d’une très longue tournée européenne, de Vienne à Prague, de Varsovie à Budapest, qu’il apprend, le 29 novembre 1924, dans la capitale autrichienne, la mort de Puccini. Trois ans plus tard, c’est à lui que reviendra l’honneur de représenter l’Italie pour la commémoration de la mort de Beethoven à Vienne. Les dernières années Les distinctions s’accumulent pour le musicien, notamment avec la montée en puissance du régime mus17 solinien qui en fait l’une des gloires de la nation. En le faisant élire à la Reale Accademia en 1929, les autorités le hissent au rang glorieux du physicien Fermi, du poète d’Annunzio ou du dramaturge Pirandello. Reprenant sa cantate de jeunesse In Filanda, Mascagni lui donne la forme définitive du petit opéra Pinotta, créé le 23 mars 1932 au Casino de San Remo. Ayant composé, en 1934, une nouvelle musique de film pour La canzone del sole, il achève son ultime ouvrage lyrique, Nerone, créé en 1935. En 1940, en dépit de la situation troublée de l’Italie (et du continent), le cinquantenaire de Cavalleria rusticana est célébré avec faste, l’œuvre connaissant à cette occasion son premier enregistrement discographique, sous la direction de Mascagni lui-même. Les dernières années sont frappées du sceau de la mélancolie, le compositeur vivant cruellement les terribles conflits qui ruinent son pays et ensanglantent l’Europe. Sa dernière partition, au titre symbolique d’O Roma felix, est écrite pour voix et orgue en 1943 ; ayant renoncé à toutes ses fonctions, c’est à l’hôtel Plaza de Rome qu’il s’éteint, le 2 août 1945. S’ouvre alors l’ère d’un interminable malentendu, la contribution de Mascagni à l’histoire lyrique étant désormais réduite à Cavalleria rusticana, son premier opéra, le plus court, le seul qui relève véritablement du vérisme. Pis encore, son nom devient indissociable de celui de Leoncavallo dont I Pagliacci constituera en quelque sorte le second volet du diptyque vériste par excellence ! 18 Iris, carte postale éditée en 1898. Photo DR. Amica, illustration de couverture en 1905. Photo DR. 19 Livret de Cavalleria Rusticana dans son édition originale. Photo DR. 20 Table des matières I. À la recherche du vrai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4 II. Pietro Mascagni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12 III. Cavalleria Rusticana . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20 IV. Ruggero Leoncavallo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .42 V. I Pagliacci . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50 VI. Umberto Giordano . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .70 VII. Andrea Chénier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78 VIII. Francesco Cilea . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .98 IX. Adriana Lecouvreur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .106 X. Autres visages du vérisme . . . . . . . . . . . . . .126 XI. Quelle place pour le vérisme dans l’histoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .146 Tableau synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .156 Catalogue des œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . .162 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167 Discographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .169 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .172 175 la collection horizons Sortir des sentiers battus, élargir les horizons, découvrir les secrets de toutes musiques, vivre en compagnie de compositeurs, s’imprégner de leur univers humain et artistique, c’est précisément ce qu’offre la collection horizons en présentant des monographies de musiciens peu ou mal connus, mais aussi des thématiques jamais abordées. Cette collection propose des livres clairs et attractifs écrits par les meilleurs spécialistes, sûrement documentés et illustrés, enrichis d’exemples musicaux et de précieuses annexes. Ces ouvrages contribueront à la joie comme à l’intérêt de tous: étudiants, professeurs et mélophiles, avides de connaissances et de plaisirs musicaux. 176 Les V ÉRISTES par Gérard DENIZEAU Q uatre compositeurs sont généralement considérés comme les pères du mouvement opératique “vériste”, un courant musical apparu à la fin du XVIIIème siècle en Teatro alla Scala - Milan Italie et qui influenca de nombreux compositeurs européens, changeant par la suite non seulement la structure musicale mais plus encore le choix des sujets traités à l’opéra. A travers leur vie et leur œuvre majeure qui leur a permis d’atteindre le Panthéon des compositeurs (et aussi trop souvent d’être réduits à cette seule composition), découvrez Pietro Mascagni (1863-1945) et Cavalleria Rusticana, Ruggero Leoncavallo (1857-1919) et I Pagliacci, Umberto Giordano (1867-1948) et Andrea Chénier, Francesco Cilea (1866-1950) et Adriana Lecouvreur, mais aussi d’autres compositeurs influencés par ce mouvement, comme Puccini ou Charpentier. Gérard Denizeau est l'auteur d'ouvrages sur les beaux-arts et la musique, dont Lurçat et Peindre la musique (Acatos), Musique & arts visuels et le Visuel et le sonore (Champion), Chagall et Corot (Cercle d'art). Chez Larousse, il a notamment publié les Genres musicaux (1998-2010), Le Guide de la musique (2005), Le dialogue des arts (2008) et Les grands compositeurs (2010). Après sa biographie sur Rossini dans cette même collection, il signe ici une analyse originale et inédite sur la musique italienne. Version PDF collection ISBN 978-2-35884-017-0 9 782358 840170 En couverture : Illustration JPB - Photos DR - © bne 2011 - Maquette : Avec ce nouvel opus de la collection horizons, Gérard Denizeau analyse ce courant musical populaire et ces compositeurs qui ont donné un souffle nouveau à l’opéra, dans un ouvrage richement illustré.