véristes - Librairie des Signes

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véristes - Librairie des Signes
Les
V ÉRISTES
par Gérard DENIZEAU
bleu nuit éditeur
du même auteur :
15. Gioachino ROSSINI par Gérard Denizeau
dans la même collection:
1. Alexandre BORODINE par André Lischké
2. Le Clavecin des Lumières par Jean-Patrice Brosse
3. Leos JANACEK par Patrice Royer
4. Jean SIBELIUS par Pierre Vidal
5. Etienne Nicolas MÉHUL par Adélaïde de Place
6. Gaston LITAIZE par Sébastien Durand
7. Dietrich BUXTEHUDE par Eric Lebrun
8. Guillaume LEKEU par Gilles Thieblot
9. Jan Dismas ZELENKA par Stéphan Perreau
10. Maurice EMMANUEL par Christophe Corbier
11. André JOLIVET par Jean-Claire Vançon
12. Richard STRAUSS par Christian Goubault
13. Alexandre P. F. BOËLY par Brigitte François-Sappey & Eric Lebrun
14. Gaetano DONIZETTI par Gilles de Van
16. Antonio VIVALDI par Adélaïde de Place & Fabio Biondi
17. Edouard LALO par Gilles Thieblot
18. Michael HAYDN par Marc Vignal
19. Gustav MAHLER par Isabelle Werck
20. Serge RACHMANINOV par Damien Top
21. Frédéric CHOPIN par Adélaïde de Place & Abdel Rahman El Bacha
22. Heitor VILLA-LOBOS par Rémi Jacobs
23. Carlo GESUALDO par Catherine Deutsch
24. Le Clavecin du Roi soleil par Jean-Patrice Brosse
25. Franz LISZT par Isabelle Werck
26. Emile GOUÉ par Damien Top
27. Florent SCHMITT par Catherine Lorent
28. Louis VIERNE par Franck Besingrand
30. Georges BIZET par Gilles Thieblot
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suivants du Code pénal.
ISSN : 1769-2571
© bleu nuit éditeur 2014
www.bne.fr
Gérard DENIZEAU
Les
Véristes
collection horizons
L’Angelus, tableau de Jean-François Millet.
Photo DR.
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Chapitre I
À la recherche du vrai
Dès le milieu du XIXème siècle, le développement des
sciences et de la pensée positiviste nourrissent la nouvelle
objectivité, dressée contre le rêve romantique. En France,
peintres et écrivains en tirent un profit immédiat : Daumier
dénonce la misère sociale (Gens de justice), Millet multiplie les scènes de labeur rustique (l’Angélus), Courbet pratique la religion du vrai, le célèbre Atelier de l’artiste
(1855) illustrant son aphorisme : « Faire, en un mot, de
l’art vivant, tel est mon but ». Si le réalisme littéraire s’affirme surtout après les révolutions européennes de 1848
(France, Italie, Autriche, Prusse, Hongrie...), c’est bien
avant que Balzac a ouvert la voie à ses successeurs,
Flaubert, Zola ou Ibsen, par son tableau visionnaire de la
société moderne et sa contestation des valeurs bourgeoises. Dans l’immensité de sa production romanesque, tous
les détails contribuent à l’unité de l’œuvre et Marx en personne rendra hommage à son génie de sociologue qui s’ignore. C’est autour de lui-même que Balzac élit ses personnages, les lieux de leur action, atteignant à l’audience
universelle par l’épopée du quotidien. Ailleurs, de la Lola
de Valence (1862) du peintre Manet à la Carmen (1875) du
musicien Bizet, se découvre aussi la trace, même colorée
d’exotisme hispanisant, de cette inclination réaliste. Dans
Carmen notamment, le surgissement de la farouche et
superbe gitane scandaleusement libre, provoque un
électrochoc d’autant plus brutal que la musique accentue
l’insolence frondeuse et la révolte pathétique de l’héroïne,
lors même que les rumeurs de la Commune de Paris
encombrent encore toutes les mémoires.
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Cependant, c’est au cœur de l’opéra italien que la fascination pour le vrai exerce le plus rudement son influence dans la deuxième moitié du XIXème siècle. À partir de
Macbeth (1847), l’attention portée à la caractérisation des
personnages hisse ainsi Giuseppe Verdi au rang de grand
dramaturge, indépendamment de son génie purement
musical. Puis, en vingt ans, de Rigoletto (1851) à Aïda
(1871), sa langue musicale ne cesse de gagner en vérité
dramatique, pour culminer, la vieillesse venue, avec
Otello (1887) et Falstaff (1893), ouvrages au sein desquels la mélodie renonce à toutes les séductions éprouvées pour s’inventer note après note. Car désormais, la
musique est au seul service de la vérité expressive, cependant que la trame harmonique et la parure instrumentale
insufflent aux formes nouvelles une vie rayonnante. À
l’extrémité orientale de l’Europe, l’opéra russe se plie,
dès 1862, aux nouveaux préceptes du Groupe des Cinq
(Balakirev, Borodine, Cui, Rimski-Korsakov, Moussorgski) : refus de la vulgarité banale, respect des intentions du livret, détermination formelle imposée par l’action, traduction fidèle du type et du caractère des personnages. Dans Boris Godounov (1874) de Moussorgski,
fresque puissante sur fond d’épopée historique, la foule
s’impose ainsi comme acteur essentiel du drame, mais les
passions des héros – ferveur du jeune Grigori, lâcheté du
vieux Pimène, remords et folie de Boris – sont peintes
avec une saisissante acuité, dans une atmosphère de tension tragique qui touche au paroxysme.
Le temps du vérisme
Loin de s’essouffler au crépuscule du siècle, cette
dévotion pour la vérité culminera avec le naturalisme littéraire français, à très forte connotation sociale, et avec le
vérisme italien, essentiellement lyrique et surtout signalé
par son double refus du drame verdien et du mythe
wagnérien. Il faut cependant se défier d’une détermination trop hâtive du vérisme, d’une définition trop souvent
fondée sur les seules lois de la chronologie. Ainsi
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Giacomo Puccini, si souvent agrégé à l’aventure vériste,
n’en sera-t-il que l’épisodique compagnon de route, tandis que des compositeurs lyriques aussi talentueux et
tourmentés qu’Alfredo Catalani (1854-1893) ou Antonio
Smareglia (1854-1929), tous deux se réclamant explicitement de l’exemple wagnérien, ne peuvent raisonnablement y être intégrés, en dépit de réussites aussi accomplies que La Wally ou Nozze istriane. Car le vérisme, dans
son acception historique la plus stricte, chante avant tout
la protestation des vaincus de la vie, des humbles maltraités de la société, surtout sous la plume de Giovanni Verga
(1840-1922), incontestable figure de proue de ce mouvement. C’est d’ailleurs dans sa très brève nouvelle,
Cavalleria rusticana (1880), que les librettistes d’opéra
trouveront la trame dramatique de quatre ouvrages
lyriques homonymes, celui de Mascagni étant seul appelé à connaître la gloire, dès sa création en 1890. Reste à
préciser que ces « vinti della vita », ces modestes acteurs
d’une existence aussi rude que tourmentée, ne manqueront jamais, chez les auteurs véristes, d’une réelle grandeur, dans leur âpre résignation à la misère, dans leur attachement aux valeurs paysannes ancestrales, dans la simplicité sincère de leurs sentiments. Il est difficile de déterminer avec précision l’apparition du terme « verismo »
en Italie, même si le mot est attesté en 1874, connaissant
une immédiate fortune dans la presse milanaise.
Curieusement, il vaut plus pour les peintres privilégiant le
réel contre l’idéal que pour les écrivains attachés à la
chronique du quotidien. Cependant, c’est en cette même
année 1874 que Verga publie son récit Nedda, éphéméride de l’existence d’une petite Sicilienne qui vit de la culture de l’olivier.
L’une des originalités du répertoire théâtral vériste,
c’est qu’il est moins caractérisé par ses auteurs – même si
les exégètes avancent, toujours avec une hésitante prudence, le nom de Puccini et le titre de Tosca – que par
quatre ouvrages célèbres, chacun dû à un compositeur
dont il demeure, à tout le moins dans l’esprit du grand
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public, l’unique chef-d’œuvre : Cavalleria rusticana
(1890) de Pietro Mascagni (1863-1945), I Pagliacci
(1892) de Ruggero Leoncavallo (1858-1919), Andrea
Chénier (1896) d’Umberto Giordano (1867-1948) et
Adriana Lecouvreur (1902) de Francesco Cilea (18661950). Décourageant toute tentative de synthèse trop
schématique, le poids écrasant de ces quatre partitions
resserrées dans le temps ne constitue pas la moindre difficulté dans l’étude du vérisme. Dans ces conditions, que
reste-t-il vraiment de ce mouvement singulier dans la
conscience collective et sur quel socle historique et esthétique forger une réflexion globale ?
Le vérisme est-il un style ?
Le vérisme est-il, par exemple, un style ayant créé certaines formes et formules originales, ou n’est-il qu’un
moment de l’histoire du théâtre lyrique ? Un moment qui
serait caractérisé par un certain nombre de particularités
induites par le double refus du symbolisme et de l’impressionnisme et par la volonté d’échapper au prestigieux
mais encombrant modèle verdien, quitte à solliciter
l’exemple subversif de Carmen. À tenter de répondre à
cette question, l’historien mesure très vite que la vraie difficulté de définir le vérisme tient à ce qu’il n’invente pas
vraiment – à l’inverse du symbolisme, par exemple – un
vocabulaire d’une réelle originalité.
Par ailleurs, le vérisme est-il exclusivement italien, ou
son équivalent peut-il être découvert dans d’autres foyers
lyriques, de la France à l’Allemagne, de la Russie aux tout
jeunes États-Unis ? Autre motif de perplexité, ce même
vérisme relève-t-il avant tout, dans son versant théâtral,
de la musique ou de la littérature ? Car des deux mouvements influant le plus fortement sur le destin de l’art
lyrique, dans la deuxième moitié du siècle, la
Scapigliatura (littéralement échevellement, par extension
« vie de bohème »), illustrée par Marco Praga, Ugo
Iginio Tarchetti et Arrigo Boito, et le vérisme, dominé par
Luigi Capuana, Federico De Roberto et Giovanni Verga,
8
Danseuse
espagnole,
tableau de
John Singer Sargent.
Photo DR.
c’est ce dernier qui semble l’emporter, de façon irrésistible après 1890. Se présentant comme un mouvement littéraire (même si nous avons évoqué plus haut son versant
artistique), il n’est pas surprenant que, dans sa version
lyrique, les traits caractéristiques en soient plus dramatiques que musicaux : usage du quasi parlando, syllabisme, discours continu, contrastes violents et marqués,
refus de la veine comique, simplicité mélodique, transformation ou suppression de l’air isolé, grandiloquence du
finale, écriture verticale, cadre quotidien de l’action, intrigue routinière, etc. Ce faisceau d’interrogations ne souligne-t-il pas, en creux, la force des liens qui uniraient un
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éventuel style vériste aux derniers feux du romantisme
lyrique ? Enfin, la durée du vérisme dépasse-t-elle la
décennie autour de laquelle tournent les XIXème et
XXème siècles, de Cavalleria rusticana (1890) à Adriana
Lecouvreur (1902), lors même que les compositeurs cités
plus haut ont connu une longue carrière ? Et en miroir,
l’intégration forcée de tous les ouvrages lyriques italiens
du temps à la sphère vériste, quel que soit le sujet traité ou
le traitement du sujet, ne relève-t-elle pas d’un abus complaisant ?
Paradoxalement, la tentative de définir le vérisme en
tant que style montre avant tout le caractère inopérant
d’une analyse qui userait des seuls outils de la stylistique
en tant que mode d’appréhension scientifique d’un style
donné, de ses procédés comme de ses effets, et non de son
histoire ou de celle de ses formules. L’univers vériste
exige une lecture bien plus large que celle des seules partitions. L’attitude morale du compositeur vériste face au
monde et l’engagement artistique de ses interprètes sont
ainsi à prendre en compte aussi bien que les purs formants
esthétiques et techniques, mais également la réception
particulière du public dont la posture change en profondeur selon qu’il vient d’assister à une représentation d’I
Pagliacci ou de Rigoletto, ou même d’Il Tabarro ou de
Madama Butterfly !
Un vérisme mal entendu
Les ennemis du vérisme musical, au premier rang desquels Claude Debussy, ulcéré par ce « broiement » de la
musique, insistent régulièrement sur sa prédilection pour
une violence incontrôlée et sanglante qui, au passage, casserait la voix de ses interprètes. De ce point de vue, révélatrice est l’attitude des adversaires français de Puccini
qui réduisent délibérément sa production à la seule Tosca,
et Tosca à la seule scène de torture (d’ailleurs invisible)
du deuxième acte. Car, à bien y regarder, le répertoire
vériste est souvent bien moins sanglant que la tragédie
verdienne. Plus insidieux encore, le reproche adressé au
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vérisme de déchaîner cette violence au sein d’un univers
populaire, populeux, paysan... Où donc ? Si nombre d’opéras de Verdi (Il Trovatore, Un ballo in maschera, Luisa
Miller... ), voire de Gounod (Mireille) ne reculent pas
devant l’intrusion triviale d’un monde laborieux, bohémien ou rustique, on n’en trouvera nulle trace chez Cilea
ou Giordano, voire, sauf de façon allusive, chez Puccini.
Quel abîme, par exemple, entre le petit pâtre caché du
dernier acte de Tosca et la toute première place offerte par
Gounod au tambourinaire Vincent, triste et modeste héros
de Mireille ! Même chez les champions désignés d’un
vérisme « pur et dur » (Mascagni, Leoncavallo), la rusticité sanglante reste minoritaire. Il est symptomatique,
à ce sujet, que le mépris à l’endroit du vérisme italien
s’accompagne fréquemment d’une dévotion inattendue à
l’égard d’un théâtre lyrique russe (Boris Godounov,
Eugène Onéguine) qui n’épargne pourtant guère ses protagonistes ; non plus d’ailleurs que la Carmen de Bizet
(1875), première héroïne du théâtre lyrique à payer de sa
vie un refus, trop justifié, du magistère masculin. Faut-il
ici rappeler le célèbre mot tenu par le jeune compositeur
français en 1866 : « Je vous déclare que si vous supprimez l’adultère, le fanatisme, le crime, l’erreur, le surnaturel, il n’y a plus moyen d’écrire une note » ? Assurément
une affirmation que n’eût désavouée aucun compositeur
vériste, y compris et peut-être surtout quand les victimes
de ces passions appartiennent à l’univers policé d’une
aristocratie décadente et non aux bas-fonds sordides
d’une paysannerie dégénérée. Si le temps des Lumières
avait multiplié les traités du bonheur, le XIXème siècle
s’est plutôt attaché à donner au malheur les traits de la
malédiction sociale. Aussi, dans les quatre chapitres à
venir, consacrés aux jalons majeurs du vérisme
(Cavalleria rusticana, I Pagliacci, Andrea Chénier,
Adriana Lecouvreur), entendrons-nous la vaine protestation de Turiddu ou de Canio contre leur misère morale,
avant d’écouter le poète Chénier et la comédienne
Lecouvreur élargir cette complainte à l’universel.
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Pietro Mascagni en 1902.
Photo DR.
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Chapitre II
Pietro Mascagni
(1863-1945)
Le 7 décembre 1863, sur la Piazza delle Erbe (aujourd’hui place Cavallotti) de Livourne, vient au monde le
petit Pietro Mascagni, fils de Domenico, boulanger de son
état, et d’Emilia Reboa. Cette dernière disparaît en 1873
à l’âge de trente-deux ans, laissant un veuf et cinq orphelins. Tout en poursuivant ses études lycéennes, le jeune
Pietro apprend le piano et le chant à la Schola Cantorum
de l’église San Benedetto, avant d’entrer, en 1876, à
l’Institut musical de Livourne, et d’y approfondir ses
acquis sous la direction d’Alfredo Soffredini, professeur
dont il gardera un excellent souvenir toute sa vie.
Le temps de la formation
Les premières œuvres, vocales et instrumentales,
voient le jour à partir de 1878 (romance Duolo eterno...),
1879 (symphonie en ut mineur...) et 1880 (Menuet en ut
pour quintette...). De 1880 à 1883, le jeune compositeur
multiplie les partitions sacrées (deux Kyrie, Christe,
Messe, Ave Maria, Pater Noster, In Nativitate Domini,
Salve Regina, In Epiphania, Sinfonia religiosa...), un
genre qu’il n’abordera plus ensuite que rarement
(Requiem de 1887, Messa di Gloria de 1892). Cependant,
c’est avec la cantate In Filanda pour quatre solistes,
chœur et orchestre qu’il fait sa véritable entrée dans la
carrière, en 1881. Suivent une symphonie en fa et nombre de pages pour effectifs très divers, du piano soliste à
l’orchestre avec chœur, en passant par la formation de
chambre.
13
En octobre 1882, Mascagni passe avec succès les
épreuves d’admission au Conservatoire de Milan, où il
étudie l’écriture avec Michele Saladino tout en se liant
d’amitié avec Giacomo Puccini ainsi qu’avec Vittorio
Gianfranceschi, l’ami de toute une vie. Mais cette année
est aussi marquée par la mort de son frère suivie, un an
plus tard, par celle de sa sœur.
Profitant de sa toute nouvelle science compositionnelle, Pietro s’essaie pour la première fois au théâtre
lyrique en 1883, avec l’adaptation de sa cantate In
Filanda. Cette même année, la mort de Richard Wagner
lui inspire une Élégie pour orchestre. Si ces études lui
sont d’un indiscutable profit, le jeune artiste éprouve les
plus grandes difficultés à se plier à la discipline de l’établissement, d’où sa décision de le quitter en 1885 avant la
fin de son cursus complet pour mener la vie aléatoire et
exaltante de directeur d’une petite troupe d’opérette !
Finalement établi avec sa compagne Argenide
Marcellina Carbognani (1862-1946), qu’il a connue à
Parme, dans la cité discrète de Cerignola (Pouilles), il y
enseigne la musique tout en dirigeant l’orchestre local,
étant nommé officiellement « maestro di suono et canto »
par la municipalité en mars 1887. Au début de l’été, un
premier enfant vient au monde, mais il décède précocement en octobre.
1 le 3 février
1889, un
second
enfant,
Domenico
vient au
monde.
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Un heureux concours de circonstances
1888 est une année capitale pour Mascagni. Le 7
février, il épouse officiellement “Lina”, au son de sa propre musique1. En juillet, il s’inscrit au concours lancé par
l’éditeur Sonzogno pour l’écriture d’un opéra en un acte.
Son choix portant sur un sombre récit de Giovanni Verga,
Cavalleria rusticana, il en demande le livret à son ami
Giovanni Targioni-Tozzetti (1863-1934), assisté de Guido
Menasci (1867-1925), un livret qui se révélera d’une
remarquable efficacité scénique. La musique est écrite en
un temps record et le manuscrit promptement expédié au
jury (qui en a 72 autres à dépouiller !). Brillant vainqueur
Pietro Mascagni
vers 1890.
Photo DR.
du concours devant Labilia de Nicola Spinelli et Rudello
de Vincenzo Ferroni, Cavalleria rusticana triomphe dès
le 17 mai 1890, devant le public en délire du théâtre
Costanzi à Rome. Le succès n’est pas seulement foudroyant à l’échelon local, il se propage à une vitesse stupéfiante sur toutes les scènes italiennes, puis européennes, bientôt mondiales.
Mascagni, cependant, n’a garde de s’endormir sur de si
précoces lauriers ; son deuxième opéra, L’amico Fritz, voit
le jour le 31 octobre 1891, également au théâtre Costanzi
de Rome. Le jeune compositeur se rapproche d’Illica,
librettiste prestigieux, et multiplie les partitions lyriques
sans négliger une activité de chef d’orchestre qui lui permet de se faire acclamer dans toute l’Europe et même jusqu’aux Etats-Unis. En cette même année 1891, le 3 janvier, naît un troisième fils, Edoardo, dont le parrain n’est
autre que Sonzogno ; une petite fille, Emilia, agrandit le
cercle familial le 21 août 1892. Quatre mois plus tard, le
10 novembre, le théâtre florentin La Pergola crée I
Rantzau, prélude à la nomination du compositeur à la tête
15
du prestigieux Liceo Rossini de Pesaro, en octobre 1895.
Se succèdent les opéras Guglielmo Ratcliff (16 février
1895, Scala), Silvano (25 mars 1895, Scala), Zanetto (2
mars 1896, Liceo Rossini), et enfin Iris – dont la partition
est saluée par Verdi en personne, pour ses qualités mélodiques et dramatiques –, créé le 22 novembre 1898, dans
son cher théâtre Costanzi, dont il prendra d’ailleurs la
direction artistique en 1909. Dans l’intervalle, il aura triomphé à Vienne comme à Saint-Pétersbourg, aux EtatsUnis comme en Amérique latine, assurant de surcroît, à
partir de 1903, la direction de la Scuola Nazionale di
Musica de Rome. Iris, fruit d’une commande de l’éditeur
Ricordi, marque par ailleurs le début de sa collaboration
avec le librettiste Luigi Illica (1857-1919). Cependant, le
caractère ombrageux de Mascagni s’accommode décidément assez mal des contraintes administratives et, dès
1900, le compositeur – qui a perdu son père l’année précédente – est soumis à une inspection sévère (Boito en est
l’un des rapporteurs), sa gestion du Liceo Rossini provoquant la réprobation du conseil municipal. Fort heureusement, la commission tranche en faveur de Mascagni qui,
conforté dans ses options esthétiques et réglementaires, se
signale à nouveau à l’attention du monde artistique par sa
direction musicale lors des cérémonies funéraires du souverain Umberto 1er.
Une carrière glorieuse mais déclinante
Ces succès répétés ne doivent pas masquer la relative
défaveur de ses partitions lyriques à l’aube du XXème siècle. Contrairement à Puccini, dont le succès mondial ne
cesse de grandir, Mascagni essuie un certain nombre de
déconvenues, même si les scènes les plus prestigieuses
assurent désormais l’essentiel de ses créations : Le
Maschere (17 janvier 1901, Carlo Felice de Gênes),
Amica (16 mars 1905, opéra de Monte-Carlo), Isabeau (2
juin 1911, Coliseo de Buenos Aires), Parisina (15 décembre 1913, Scala)... jusqu’à Nerone dont la première intervient à la Scala, le 16 janvier 1935. Le cas de Le
16
Maschere est particulièrement éclairant ; créé simultanément à Gênes, Milan (Scala), Rome (Costanzi), Turin
(Regio), Venise (Fenice) et Vérone (Filarmonico), l’opéra
ne connaît le succès que dans la capitale, probablement du
fait de la direction par l’auteur lui-même. Car Pietro
Mascagni est désormais une personnalité musicale de
dimension mondiale. C’est à lui, par exemple, qu’il
revient de diriger le Requiem de Verdi à Vienne, pour
saluer la disparition du compositeur ; sa gloire traverse
l’Atlantique, au point qu’il entreprend une tournée dans le
Nouveau Monde en 1902.
Directeur artistique du Teatro Costanzi en août 1909,
il se consacre dès l’année suivante à son opéra Isabeau,
entame une liaison passionnée avec une jeune choriste du
nom d’Anna Lolli. Le 10 avril 1911, il s’embarque pour
l’Amérique du sud ; durant sept mois, il y dirige une tournée marquée par la création d’Isabeau à Buenos-Aires.
Revenu en Italie en avril 1912, Mascagni reçoit le livret
de Parisina, manuscrit du poète d’Annunzio, alors en
France. Il le rejoint, en compagnie de sa fille, et compose
la musique de cet opéra en France ; il en assurera luimême la création, avec un succès mitigé, l’année suivante, à la Scala. En 1915, il écrit la première musique de
film italienne pour Rapsodia Satanica. Les créations de
Lodoletta (30 avril 1917, Costanzi de Rome), de l’opérette Si (13 décembre 1919, Quirino de Rome), d’Il piccolo
Marat (2 mai 1921, Costanzi de Rome), précèdent un
nouveau voyage en Amérique du sud, de mai à octobre
1922. C’est au cours d’une très longue tournée européenne, de Vienne à Prague, de Varsovie à Budapest, qu’il
apprend, le 29 novembre 1924, dans la capitale autrichienne, la mort de Puccini. Trois ans plus tard, c’est à lui
que reviendra l’honneur de représenter l’Italie pour la
commémoration de la mort de Beethoven à Vienne.
Les dernières années
Les distinctions s’accumulent pour le musicien,
notamment avec la montée en puissance du régime mus17
solinien qui en fait l’une des gloires de la nation. En le
faisant élire à la Reale Accademia en 1929, les autorités le
hissent au rang glorieux du physicien Fermi, du poète
d’Annunzio ou du dramaturge Pirandello. Reprenant sa
cantate de jeunesse In Filanda, Mascagni lui donne la
forme définitive du petit opéra Pinotta, créé le 23 mars
1932 au Casino de San Remo. Ayant composé, en 1934,
une nouvelle musique de film pour La canzone del sole, il
achève son ultime ouvrage lyrique, Nerone, créé en 1935.
En 1940, en dépit de la situation troublée de l’Italie (et
du continent), le cinquantenaire de Cavalleria rusticana
est célébré avec faste, l’œuvre connaissant à cette occasion son premier enregistrement discographique, sous la
direction de Mascagni lui-même. Les dernières années
sont frappées du sceau de la mélancolie, le compositeur
vivant cruellement les terribles conflits qui ruinent son
pays et ensanglantent l’Europe. Sa dernière partition, au
titre symbolique d’O Roma felix, est écrite pour voix et
orgue en 1943 ; ayant renoncé à toutes ses fonctions, c’est
à l’hôtel Plaza de Rome qu’il s’éteint, le 2 août 1945.
S’ouvre alors l’ère d’un interminable malentendu, la
contribution de Mascagni à l’histoire lyrique étant désormais réduite à Cavalleria rusticana, son premier opéra, le
plus court, le seul qui relève véritablement du vérisme.
Pis encore, son nom devient indissociable de celui de
Leoncavallo dont I Pagliacci constituera en quelque sorte
le second volet du diptyque vériste par excellence !
18
Iris, carte postale
éditée en 1898.
Photo DR.
Amica, illustration de
couverture en 1905.
Photo DR.
19
Livret de Cavalleria Rusticana
dans son édition originale.
Photo DR.
20
Table des matières
I. À la recherche du vrai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4
II. Pietro Mascagni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12
III. Cavalleria Rusticana . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20
IV. Ruggero Leoncavallo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .42
V. I Pagliacci . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50
VI. Umberto Giordano . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .70
VII. Andrea Chénier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78
VIII. Francesco Cilea . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .98
IX. Adriana Lecouvreur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .106
X. Autres visages du vérisme . . . . . . . . . . . . . .126
XI. Quelle place pour le vérisme
dans l’histoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .146
Tableau synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .156
Catalogue des œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . .162
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167
Discographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .169
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .172
175
la collection
horizons
Sortir des sentiers battus, élargir les horizons,
découvrir les secrets de toutes musiques, vivre en
compagnie de compositeurs, s’imprégner de leur
univers humain et artistique, c’est précisément ce
qu’offre la collection horizons en présentant des
monographies de musiciens peu ou mal connus, mais
aussi des thématiques jamais abordées.
Cette collection propose des livres clairs et attractifs
écrits par les meilleurs spécialistes, sûrement documentés et illustrés, enrichis d’exemples musicaux et
de précieuses annexes.
Ces ouvrages contribueront à la joie comme à
l’intérêt de tous: étudiants, professeurs et mélophiles,
avides de connaissances et de plaisirs musicaux.
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Les
V ÉRISTES
par Gérard DENIZEAU
Q
uatre compositeurs
sont généralement
considérés comme
les pères du mouvement
opératique “vériste”, un
courant musical apparu à la
fin du XVIIIème siècle en
Teatro alla Scala - Milan
Italie et qui influenca de
nombreux compositeurs européens, changeant par la suite non seulement la
structure musicale mais plus encore le choix des sujets traités à l’opéra.
A travers leur vie et leur œuvre majeure qui leur a permis d’atteindre le
Panthéon des compositeurs (et aussi trop souvent d’être réduits à cette
seule composition), découvrez Pietro Mascagni (1863-1945) et Cavalleria
Rusticana, Ruggero Leoncavallo (1857-1919) et I Pagliacci, Umberto
Giordano (1867-1948) et Andrea Chénier, Francesco Cilea (1866-1950) et
Adriana Lecouvreur, mais aussi d’autres compositeurs influencés par ce
mouvement, comme Puccini ou Charpentier.
Gérard Denizeau est l'auteur d'ouvrages sur les beaux-arts et la musique, dont Lurçat et Peindre la
musique (Acatos), Musique & arts visuels et le Visuel et le sonore (Champion), Chagall et Corot (Cercle
d'art). Chez Larousse, il a notamment publié les Genres musicaux (1998-2010), Le Guide de la musique
(2005), Le dialogue des arts (2008) et Les grands compositeurs (2010). Après sa biographie sur Rossini
dans cette même collection, il signe ici une analyse originale et inédite sur la musique italienne.
Version PDF
collection
ISBN 978-2-35884-017-0
9 782358 840170
En couverture : Illustration JPB - Photos DR - © bne 2011 - Maquette :
Avec ce nouvel opus de la collection horizons, Gérard Denizeau analyse ce
courant musical populaire et ces compositeurs qui ont donné un souffle nouveau à l’opéra, dans un ouvrage richement illustré.