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VIGNOBLE | Mais qu'est-il donc arrivé à ce raisin-là? Il était vert et lisse. Le voilà tout
ratatiné. Fripé comme un cul de bébé. Et méchamment violacé avec ça. Pauvre baie, se
dit-on. On a pourtant tort de le plaindre, ce fruit flétri et attaqué par la pourriture
noble. Car il se changera, une fois pressé puis fermenté, en nectar délicieux. Soit en vin
liquoreux, aux parfums entêtants et à la bouche moelleuse.
© PIERRE ABENSUR | Les 800 m2 de raisins vendangés se transformeront en un petit
millier de bouteilles liquoreuses.
JÉRÔME ESTÈBE | 18.01.2008 | 00:00
Mais qu'est-il donc arrivé à ce raisin-là? Il était vert et lisse. Le voilà tout ratatiné. Fripé
comme un cul de bébé. Et méchamment violacé avec ça. Pauvre baie, se dit-on. On a pourtant
tort de le plaindre, ce fruit flétri et attaqué par la pourriture noble. Car il se changera, une fois
pressé puis fermenté, en nectar délicieux. Soit en vin liquoreux, aux parfums entêtants et à la
bouche moelleuse.
Bon, reprenons depuis le début. Nous voilà sur un coteau de Dardagny, par une journée
radieuse de janvier, en pleine vendange. Tardive, la vendange, vous l'aurez noté. C'est que
Bernard Vuagnat-Mermier, boss du Clos de la Donzelle, et son chef de culture, le barbu et
amène Claudio Stefani, ont fait le pari pour la deuxième fois de laisser 800m2 de chenin blanc
se flétrir. Sécher sur souche. Une technique traditionnelle pour obtenir un raisin concentré en
sucre, technique peu pratiquée à Genève, si ce n'est par Jean-Charles Crousaz avec son
Gewurztraminer.
Un raisin flétri, c'est bien. Un raisin partiellement grignoté par la pourriture noble, c'est
mieux. Cette année, le chenin de la Donzelle a effectivement subi une attaque de la part de
l'illustre champignon: botrytis cinerea pour les intimes. D'où sa couleur. «La pourriture noble
provoque des fissures dans l'enveloppe du raisin, en la rendant perméable, et favorise donc sa
déshydratation par évaporation», explique le vigneron, en soupesant amoureusement une
grappe. «Elle accélère non seulement le desséchement, mais garantit plus de complexité dans
le vin à venir.»
Cela dit, ce fameux botrytis cinerea peut aussi vous zigouiller une vendange à coup de
pourriture grise. Un fléau. Chaleur et humidité le rendent redoutable. Il ne devient miraculeux
que sur certains terroirs, bridé dans son attaque par des conditions climatiques
exceptionnelles. Cette année à Dardagny, le champignon n'a ainsi fait que caresser le fruit.
Bingo! Et puis n'oublions pas que le raisin non vendangé à maturité peut servir de goûter aux
étourneaux, voire aux «étourneaux à deux pattes». Bernard Vuagnat et Claudio Stefani ont
donc gardé leur vigne à l'oeil, jusqu'à ces vendanges hivernales.
Star de la Loire
On notera au passage que le chenin blanc, cépage star du val de Loire, se prête aimablement à
l'exercice, grâce à son acidité. A Vouvray, sur les terroirs de Bonnezaux ou de Chaume, sur
les bords du Layon ou de l'Aubance, il donne naissance à quelques-uns de plus beaux
liquoreux du cosmos.
Mais revenons à Dardagny. Ramenées au domaine, les grappes, en parfait état sanitaire, sont
directement pressées. Comme ça, en plein air, entières, sans faire de manière. Dès le premier
jus craché par le pressoir, le vigneron établit sa teneur en sucre du moût avec son engin
magique: le réfractomètre. Cent-vingt degrés oechslé. Moins qu'espéré. «Mais pas de souci.»
On en profite pour déboucher la cuvée 2005 dudit breuvage, «vendangé sous la neige», soit la
précédente expérience de vendanges tardives menée au Clos de la Donzelle. Vin qui, avec ses
notes de fruits confits et de miel, cache une bouche harmonieuse, grasse mais zébrée d'une
fine amertume. Très joli. Oui, ça vaut le coup de vendanger le chenin blanc en plein hiver.
Clos de la Donzelle, Dardagny, 022 754 02 81.
Vins doux: mutés, botrytisés ou passerillés?
Derrière ces vins doux, que l'on aime à siroter sur un foie gras ou un roquefort, se cachent
maintes techniques distinctes. Dans tous les cas, il s'agit de concentrer le sucre du raisin.
Naturellement ou artificiellement. Petite leçon d'oenologie liquoreuse.
Vendanges tardives: Les grappes demeurent sur souche bien après leur maturité normale.
Elles flétrissent au soleil, concentrant leur douceur. Sur certains terroirs, apparaît, cerise sur le
gâteau, la pourriture noble (voir ci-dessus). La mention «grains nobles» signifie une sélection
de baies botrytisées. Passerillage: Les baies vendangées sont posées sur des claies dans des
locaux bien aérés (ou sur paille comme dans le Jura) jusqu'à dessiccation.
Pincement. Le pédoncule de la grappe est pincé avant vendanges. La sève ne circule plus. La
baie sèche. Et toc. Mutage. Durant la fermentation, on ajoute de l'alcool neutre au moût, qui
bloque l'action des levures. Le sucre n'est dès lors pas entièrement transformé en alcool. Voilà
la technique utilisée, entre autres, pour les Banyuls et Porto.
Cryoextraction. La vendange est congelée. Les baies les moins riches en sucre gèlent, la glace
demeurant dans le pressoir. Mais pas les raisins les plus riches, qui libèrent un jus bien
concentré.
(jest)
Sources : Tribune de Genève