Private equity suisse

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Private equity suisse
Private equity
Private equity suisse:
beau
L’investissement non coté a La
cependant, Les années à
venir s’annoncent pLus difficiLes
pour La suisse si eLLe ne se décide
cote.
pas à retrousser ses manches sans
pLus attendre.
tour d’horizon des
principaux défis.
D
’après les associations suisses (SECA) et européennes (EVCA) du private equity, les gérants helvétiques
spécialisés dans l’investissement non coté ont collecté 3,1
milliards de francs en 2014. Cela représente 4,7 fois le
montant moyen collecté au cours des cinq dernières années.
En un an, les gérants ont levé l’équivalent du total des cinq
dernières années (3,3 milliards). Ce total est quasiment identique au pic de collecte enregistré en 2008 (3,2 milliards).
La Suisse va devoir affronter le défi du
paiement des pensions futures.
Comment interpréter ce brusque regain de popularité? Et
surtout, est-il appelé à perdurer? Pour répondre à ces questions, il convient de mettre ces fluctuations en perspective: si
le marché suisse évolue aussi radicalement d’une année à
l’autre, c’est parce que les fonds sont des intervenants parmi
d’autres en matière d’investissements non cotés.
Tenir compTe des invesTisseurs sous le radar
Les individus fortunés, les family offices mais aussi les
grandes entreprises sont également actifs, et leur capital n’est
pas agrégé dans les chiffres des associations mentionnées:
ils sont «sous le radar». Ces 3,1 milliards ne reflètent donc
qu’une partie du financement non coté helvétique. Leur fluctuation est donc moins significative qu’il n’y paraît.
Rapporté aux volumes investis, le total collecté en 2014
représente 3,3 ans d’investissements en moyenne. Le principe de l’investissement non coté est celui de la syndication
entre différents investisseurs (59% des investissements),
Par c y r i l d e m a r i a *
Executive Director, Private Markets Analyst
Chief Investment Office UBS, Zurich
helvétiques ou non. Sachant que les fonds ont une période
d’investissement de cinq ans, et en prenant en compte les
montants investis par les acteurs helvétiques et étrangers
«sous le radar», les montants collectés semblent être en
phase avec les besoins suisses en investissement non coté.
Toutefois, il faut se garder de tout excès de confiance. Certes,
la Suisse jouit d’atouts considérables en matière d’investissement non coté: un cadre juridique et fiscal stable, des fondamentaux macro-économiques robustes et enviables à
l’échelle internationale, un réseau d’entreprises de taille
moyenne très dense et une recherche de pointe. Néanmoins,
quelques nuages noirs s’amassent à l’horizon.
avis de venT frais
Tout d’abord, la Suisse doit concilier rapidement et activement ses impératifs nationaux (notamment liés aux initiatives
populaires récentes) avec la nécessité de préserver son intégration financière, commerciale et réglementaire avec ses
principaux partenaires, que ce soit l’Union européenne ou les
États-Unis. Tous deux sont les principales destinations de ses
investissements non cotés hors de Suisse. Cela est d’autant
plus important que sa croissance économique reste faible:
0,5% attendu cette année, 1–2% à long terme.
Si les effets de change font peser un poids non négligeable
sur cette croissance, le franc fort ouvre des perspectives intéressantes lorsqu’il s’agit d’acquérir des actifs à l’étranger. Les
gérants suisses investissent la majorité du capital collecté
hors du territoire helvétique. La Suisse exporte du capital,
53% de ses investissements non cotés ont lieu hors de
Suisse. Elle en importe également à hauteur de 40% du total
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temps
, avec avis de vent frais
investi. Sachant qu’elle est un petit marché qui a besoin
d’exporter pour se développer, ces liens capitalistiques transfrontaliers sont une nécessité pour cimenter ses exportations.
L’investissement non coté n’en est que plus important:
au-delà du capital, les gérants de fonds de private equity
apportent le savoir-faire nécessaire à l’internationalisation des
entreprises suisses.
Ce savoir-faire est également nécessaire pour diversifier géographiquement les investissements. En effet, les gérants sont
mandatés pour exécuter les opérations à l’étranger que leurs
souscripteurs ne sont pas capables de faire eux-mêmes.
Pour mener cette mission à bien, ces gérants ont besoin d’un
cadre d’exercice clair, stable et neutre. Le succès des investissements non cotés helvétiques est indissolublement lié à
ce contexte international.
Le nuage noir des futures pensions
Ensuite, la Suisse va devoir affronter le défi du paiement des
pensions futures. Certes, les taux de couverture restent
enviables en comparaison internationale. Néanmoins, les
caisses de pension suisses vont devoir investir dans des
actifs à plus fort rendement pour faire face à leurs engagements. D’après la SECA, les engagements des caisses helvétiques en private equity sont de 1 à 2% de leurs actifs
sous gestion. Les caisses anglo-saxonnes ont dépassé ces
seuils et allouent entre 5 et 10%.
Les caisses helvétiques seraient bien inspirées de leur emboîter le pas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, une allocation
significative permet aux caisses de se doter de moyens adéquats pour effectuer ces investissements professionnellement. Ensuite, seule une allocation substantielle permet aux
caisses de réellement changer la performance effective de
leur portefeuille.
Le private equity présente des avantages dans ce sens:
l’horizon d’investissement correspond à celui des caisses
de retraite, et par ailleurs l’univers d’investissement s’en
trouve élargi aux sociétés non cotées. Sachant que les stratégies d’investissement couvrent l’ensemble du spectre du
financement des entreprises, de la création à la restructuration, en passant par le transfert de propriété, les caisses
bénéficieraient d’une diversification et d’une augmentation
des rendements potentiels. En résumé, le private equity
permet d’augmenter significativement le rendement ajusté
du risque du portefeuille des caisses. C’est un atout qu’il
serait déraisonnable d’ignorer.
Le temps presse. Plus les caisses diffèrent leur engagement
dans le non coté, plus elles devront déployer d’efforts. Établir
et déployer un programme d’investissement prend du temps,
en moyenne cinq à sept ans. Par ailleurs, les investissements
non cotés ne sont pas ouverts à tous: accéder aux meilleurs
fonds est difficile.
Le temps presse. Plus les caisses diffèrent
leur engagement dans le non côté, plus elles
devront déployer d’efforts.
La chance des caisses suisses réside dans le fait que cette
expertise est non seulement anglo-saxonne, mais également
helvétique. La SECA estime ainsi que la Suisse représente 20
à 25% du marché international des fonds de fonds de private
equity. Cependant, ce secteur est en phase de concentration
accélérée, ce qui signifie que la Suisse doit être proactive
pour maintenir cette expertise. Pour cela, elle doit disposer
de masses critiques d’actifs sous gestion.
L’expertise en private equity: une ancre soLide
pour La pLace financière suisse
L’investissement non coté est un des segments de la gestion
financière en forte croissance. Il ne représente aucun risque
systémique et nécessite une forte expertise non automatisable, de ce fait source d’emplois. Les caisses de pension ont
tout intérêt à développer l’expertise locale pour bénéficier
d’économies d’échelle, soit faire baisser leurs coûts marginaux, et d’un accès privilégié aux fonds étrangers.
En appuyant le développement des compétences suisses en
private equity, les caisses se dotent de moyens nécessaires
pour activement éviter deux risques classiques: la concentration de leur portefeuille et l’excès d’exposition aux actifs nationaux (home bias investing).
En investissant significativement en private equity, les caisses
de pension positionneront la gestion suisse comme un centre
d’expertise international et compétitif. Alors que la place
financière cherche à développer son savoir-faire, cela ne peut
que susciter des vocations. Les caisses peuvent déjà investir
jusqu’à 15% de leurs actifs dans le non coté. Ce n’est donc
qu’une question de volonté.
•
*Cyril Demaria est l'auteur de Le private equity suisse: acteurs, investissement et
performances (SECA, 2ème éd.), Introduction to private equity (Wiley, 2nd ed.) et de
Private equity fund investing (Palgrave, 2015).
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