Le Droit - Sibyllines, théâtre de création

Transcription

Le Droit - Sibyllines, théâtre de création
Cadieux et Haentjens, complices et confiantes | Maud Cucchi | Arts e...
http://www.lapresse.ca/le-droit/arts-et-spectacles/201409/20/01-480...
Publié le 20 septembre 2014 à 14h39 | Mis à jour le 20 septembre 2014 à 14h39
Cadieux et Haentjens, complices et confiantes
Maud Cucchi
Le Droit
Électre, Élisabeth 1ère, ou encore Marguerite Gautier dans La Dame aux
camélias: Anne-Marie Cadieux a choisi d'interpréter des personnages complexes, dont les
destins furent souvent tragiques. Elle s'empare désormais du monologue de Molly Bloom qui
clôt Ulysse, le roman-fleuve de James Joyce et incarne une héroïne libre et décomplexée.
En nuisette, longues jambes sous regard mutin, l'actrice met sa sensualité au service d'«un
spectacle qui dit "oui" à la vie!»... et s'affiche comme tel, la bouche en coeur, sur les murs du
Centre national des arts (CNA). Du 24 au 27 septembre.
La metteure en scène Brigitte Haentjens (à gauche) et la comédienne
Anne-Marie Cadieux.
Martin Chamberland, Archives La Presse
Nager à contre-courant, oui, mais à condition d'être bien entourée. Tel pourrait être le credo
d'Anne-Marie Cadieux, comédienne exigeante et sollicitée des plus grands metteurs en
scène québécois. Robert Lepage, André Brassard, Lorraine Pintal ont travaillé avec elle...
Une quête d'authenticité et de
rigueur qui l'a conduite au théâtre vers des parcours de femmes exceptionnelles. Molly
Bloom avait donc de sérieux atouts pour la séduire.
Sur scène, comme au petit écran avec la série Trauma (Marie-Christine), Les bobos (la thérapeute) ou 30 vies (Émilie Valiquette), Anne-Marie Cadieux sait imposer un
fort caractère, choisit avec soin ses rôles et annonce, catégorique: «Quand on se voit offrir un solo de Brigitte Haentjens, inspiré de James Joyce, il faut se lancer dans
l'aventure à corps perdu.»
Puis elle prend la mesure de «la montagne» de travail à gravir, se demande si son «cerveau sera capable», hésite et doute.
Être seule en scène, rien de plus difficile.
Être seule avec un grand texte, rien de plus audacieux.
On ne parle pas ici des humoristes qui tiennent les salles comme des dompteurs et savent quelle blague actionner pour faire rugir le rire. Non. Ici, il y va de littérature et
d'acteur porte-feu. De personnages qui nous enflamment. De comédiens poètes qui se laissent traverser par le souffle des écrivains qu'ils défendent. Seuls.
«Tout le temps, je me suis dit que ce n'était pas possible, que je ne m'y rendrais pas, que je n'irais jamais sur scène.»
Pour l'accompagner dans ce travail titanesque, deux regards: celui de la metteure en scène Brigitte Haentjens, complice depuis 35 ans, et celui de Jean Marc Dalpé,
pour la traduction québécoise du texte de Joyce. Avec eux, Anne-Marie Cadieux trouve la confiance pour interpréter un texte parfois cru et intime, éminemment singulier.
Adapté des dernières pages d'Ulysse, du romancier irlandais, ce monologue intérieur charrie le chaos d'une existence un peu frustre, un peu brute, «dans un flot
ininterrompu de paroles.» Il prend la forme d'une unique phrase pour révéler en filigrane les états d'âme de la jeune femme.
«Ça a l'air alambiqué, mais ça se joue bien», assure l'actrice d'un seul élan.
Chanteuse lyrique de formation, Molly Bloom est l'épouse de Leopold et l'amante de bien d'autres. Ce même jour, dans le lit conjugal où son mari vient s'affaler après
une journée de déambulation, Molly l'a trompé.
«Elle commet l'adultère mais n'en éprouve aucune culpabilité. Elle est dans l'acceptation totale et dit oui à tout ce qui lui arrive.»
Anne-Marie Cadieux se saisira du texte comme d'une partition musicale, un long travail d'apprentissage à mener, se souvient-elle.
«J'ai travaillé cinq mois avec une répétitrice puis cinq mois seule. Il représente certainement le rôle le plus difficile et le plus grand défi de ma carrière de comédienne.»
Un beau cadeau
Avant d'ajouter, pensive: «C'est un cadeau que Brigitte m'a fait. Elle a toujours réussi à me donner des rôles qui m'emmenaient dans d'autres zones. Dans la vie d'une
comédienne, c'est inestimable d'avoir une telle relation avec un metteur en scène.»
Loin des personnages sombres et autodestructeurs que Brigitte Haentjens a pu lui proposer, Molly Bloom offrait un tout autre tempérament à incarner: une femme du
début du XXe siècle, mariée, dépendante financièrement de son époux, mais moderne dans sa franchise et sa façon de parler.
«Je trouvais l'héroïne formidable: une femme qui aime le sexe et ne s'en cache pas! S'amuse la metteure en scène. C'est un hymne à la vie, à la sensualité, à l'amour
aussi.»
Une sorte de feel good théâtral?
Le théâtre vu par Brigitte Haentjens
Directrice artistique du Théâtre français du Centre national des arts (CNA) depuis 2012, Brigitte Haentjens partage avec franchise son expérience théâtrale dans Un
regard qui te fracasse - Propos sur le théâtre et la mise en scène, livre publié au Boréal et élaboré à partir d'entretiens menés avec Mélanie Dumont, son associée au
volet Enfance/jeunesse du Théâtre français.
Elle y retrace son parcours, depuis sa formation théâtrale à l'école Jacques Lecoq, à Paris, jusqu'à son installation à Ottawa à l'âge de 25 ans, son passage au sein de
compagnies qu'elle a dirigées - dont le Théâtre du Nouvel-Ontario à Sudbury - et revient notamment sur ses doutes de cheminement, ses envies de création théâtrale, la
fondation de sa compagnie Sibyllines.
Ce regard panoramique explore 35 ans de carrière, entre journal et essai, récit et méditation, analyse et témoignage... pour s'arrêter sur une phrase de James Joyce,
justement: «Ce qui importe par dessus tout dans une oeuvre d'art, c'est la profondeur vitale dont elle a pu jaillir.»
Le lancement
Le Théâtre français du CNA organise une discussion publique avec Brigitte Haentjens, animée par Sylvain Schryburt (professeur au Département de théâtre de
l'Université d'Ottawa). Cette rencontre, ouverte à tous, sera suivie d'une séance de dédicace. Le 25 septembre, à 17 h, au Salon du CNA.
POUR Y ALLER >
© La Presse, ltée. Tous droits réservés.
2 sur 2
2014-09-22 10:53