Extrait de Vivre et travailler avec les Russes. Petites idées pour

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Extrait de Vivre et travailler avec les Russes. Petites idées pour
Extrait de Vivre et travailler avec les Russes. Petites idées pour approcher un grand peuple.
Catherine de Loeper
Partie IV Pratiques de travail : une étude à Moscou, de la formation-développement et du coaching
L'arrivée à Moscou, chocs et facteurs qui jouent sur l'acclimatation
Un des thèmes abordés par les Français vivant à Moscou fut la dureté de la vie et des rapports entre les
gens : « C'est dur, à Moscou ! » Dans cette appréciation sont résumés sans doute beaucoup d'éléments : le
rythme trépidant de la ville, le climat, la rudesse des rapports sociaux, le choc lié à la langue et à la culture,
mais aussi le fait de se sentir accueilli ou non et les difficultés liées à l'organisation de la vie quotidienne, en
rapport avec la politique des ressources humaines de l'entreprise. Ce qui est ressenti est souvent d'autant plus
étonnant pour les personnes qu'elles ne s'attendent pas aux différences : les Russes et les Français ont l'air
semblable.
Pour les professionnels qui venaient d'arriver et pour lesquels le logement ne faisait pas partie des
avantages du contrat, pour ceux qui étaient là depuis un certain temps et qui devaient trouver des
fournisseurs de services (serrurier, plombier etc.), ce qu'ils vivaient pouvait ressembler à une épreuve.
Être accueilli est le problème numéro un : « Je suis en état de survie », ou « J'ai tourné toute la journée,
sans m'éloigner pour ne pas me perdre, ce fut une véritable spirale ! » La langue est une barrière importante,
tout est écrit en cyrillique et il faut prendre ses repères pour se déplacer, faire ses courses ou trouver un
appartement. Pour certains, ces difficultés à l'arrivée dans le pays ont pu durer un certain temps et le livret
d'accueil de l’entreprise est d'autant plus important, qui propose conseils, adresses utiles et informations
concernant les formalités administratives (l'enregistrement auprès de l'OVIR[1]). Les noms et les
coordonnées de médecins francophones, les lieux où se faire soigner si l'on tombe malade, sont des données
indispensables et qui rassurent. Mais tout est tellement nouveau qu'il faut quelquefois du temps pour
assimiler l'information. L'accueil physique et le contact avec un référent disponible peut alors aider à amortir
les chocs et à faire passerelle entre les mondes si différents que sont la France et la Russie. Certains expatriés
vont peut être souhaiter travailler tout de suite, car le fait de travailler toute la journée leur permet de
s'intégrer et de mieux vivre cette transition en créant les liens indispensables à leur adaptation. D'autres
auront besoin de régler leur installation matérielle (ou celle de leur famille) avant d'avoir la disponibilité
d'esprit pour travailler.
Avant le départ, une initiation minimale à la langue russe paraît réaliste pour se repérer et rassure. Elle
devrait s'accompagner d'une initiation à la culture, à quelques situations typiques et aux phénomènes qui
accompagnent l'expatriation. Cette formation n'éviterait peut-être pas complètement certains chocs mais
permettrait d'anticiper et de mieux passer le cap. Le plus pertinent est une sensibilisation à ces phénomènes à
travers des études de cas choisies aussi bien dans la vie professionnelle que dans la vie quotidienne, sous
forme de coaching, au rythme et selon les préoccupations de chacun. Personne n'imagine à l'avance ce qu'il
va vivre en expatriation, mais il y a toujours au départ une préoccupation personnelle à partir de laquelle on
peut travailler. Être informé de quelques phénomènes et pouvoir y réfléchir à l'avance, tout en faisant le lien
avec des situations vécues, permet d'être mieux préparé à répondre à des situations inédites. Cela joue un peu
comme un entraînement. Ce type de préparation peut d'ailleurs se faire en groupe, ce qui lui donne du
dynamisme. Le travail peut ensuite se prolonger individuellement ou dans un groupe de travail où l'on
explore les situations qui posent problème à l'arrivée dans le pays et au fil du temps.
Le fait de comprendre ou non la langue russe et de pouvoir s'exprimer en russe est un thème qui est
revenu plusieurs fois. Certains interviewés avaient pourtant appris le russe mais n'étaient pas opérationnels
pour se faire comprendre. La plupart ne le parlait ni ne le lisait. Ce point ne touche pas tous les
professionnels de la même façon : ceux qui ont un interprète et un chauffeur en permanence sont favorisés,
car le contact est toujours médiatisé.
Le problème du logement est capital : deux des interviewés qui ne bénéficiaient pas d'un logeme nt de
fonction, m'ont dit que se loger était le problème numéro un. C'est une période éprouvante : le temps manque
du fait du travail, l'hôtel coûte cher, les appartements visités sont aussi très chers, et surtout décevants, sales,
dans des escaliers délabrés. Mes interlocuteurs avaient réussi à négocier et à faire baisser le prix de
l'appartement, de 25 % pour l'un, de 70 % pour l'autre, mais ils évoquaient des collègues qui s'étaient fait
« plumer ». Pour les premières nuits, ils avaient été orientés uniquement vers des hôtels chers alors qu'il y en
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avait de plus abordables. Fournir une liste d'hôtels ou de lieux d'hébergement à prix variés est sans doute
utile, orienter dans le maquis des agences de location et informer des us et coutumes de ce marché
également. Quand le logement est fourni par l'entreprise, des informations concernant l'installation du
téléphone, de la télévision et des services (plombier, serrurier) dont on peut avoir besoin, sont les bienvenues.
L'entreprise, quand elle rembourse, ferait d'ailleurs des économies importantes.
Pouvoir manger à son goût est le deuxième choc à l'arrivée. Manger est une activité très culturelle : ce
n'est pas juste répondre à un besoin de s'alimenter, de prendre la quantité de lipides, protides, glucides et
vitamines nécessaires. Ce que l'on mange, l'aspect de la nourriture, comment elle est emballée, les façons de
la préparer et de la manger, font partie du patrimoine de chaque société et de l'histoire de chacun d'entre
nous. Il y aurait globalement moins de choses au goût français dans les magasins. Mais pour l'une, habiter
près d'un petit marché de fruits et légumes va être un plaisir, un autre va être déçu de ne pas trouver la viande
qu'il aime et de devoir se contenter de bacon enveloppé dans du plastique, dont il sait que cela l'a rendu
malade. Savoir où faire ses courses pour trouver les produits que l'on aime est capital. Tout cela peut faire
partie de l'accueil ou de la préparation et c'est sûrement aussi utile, dans un autre registre, que les formalités
administratives.
Beaucoup d'interviewés m'ont dit que les rapports humains sont durs. L'absence de sourire sur le visage
des gens est cité plusieurs fois : « Dans la rue, personne ne sourit. Les gens ne sont pas aimables. » On se fait
bousculer, personne ne présente des excuses, ce qui peut donner le sentiment que les gens sont impolis ou
même hostiles. La conduite automobile est très brutale[2]. Dans certaines grandes artères du centre, les
voitures roulent à cent kilomètres heure et dix minutes de conduite dans ces conditions pour se rendre à son
travail sont très éprouvantes. Il faut être prudent pour traverser. Deux Français m'ont dit avoir vu des morts
sur la chaussée et avoir été choqués par ce qui leur a semblé être l'indifférence des gens et l'absence de
formalités de la part de la police. Il semble difficile, pour certains, de se lier avec des Russes. On peut sans
doute se sentir seul ou isolé dans une grande ville comme Moscou.
Les Français sont sensibles au temps qu'il fait. Le climat est dur à Moscou, l'hiver est long, l'été, très
court. L'un des interviewés m'a expliqué qu'il est arrivé au printemps et qu'il a dû se présenter le premier jour
au travail les pieds trempés, le pantalon du costume mouillé jusqu'à mi-mollets, du fait du dégel. Au
printemps, à Moscou, la neige peut fondre d'un seul coup et l'eau ne s'écoule pas assez vite. Il est donc
recommandé d'avoir des bottes ou des chaussures qui ne craignent pas le gros temps, et une paire de
chaussures plus légères que l'on enfile quand on arrive. On comprend pourquoi on vous offre des chaussons
quand vous arrivez chez les gens. Si c'est dans un théâtre, on laisse ses bottes au vestiaire. Tous les lieux
publics ont des vestiaires et les femmes élégantes ont leurs escarpins dans un petit sac. Le climat dont on
parle peut aussi être une métaphore de l'ambiance. Y-a-t-il moins de joie de vivre et un certain fatalisme chez
les Russes ? Cela a été évoqué une fois ou deux : « Les gens sont très différents, nostalgiques, fatalistes. »
L'un de mes interlocuteurs parlera de « chape de plomb » : « Tous les Russes sont sous une chape de plomb,
même les plus jeunes. » N'oublions pas toutefois qu'en France nous avons un taux important de personnes
qui prennent des anxiolytiques et que les Français, dans les sondages, sont très pessimistes par rapport à
l'avenir.
L'adaptation à l'étranger, que ce soit en Russie ou ailleurs, dépend du désir de l'expatrié de séjourner dans
ce pays et de ses ressources propres, mais aussi du sens que prend cette expatriation pour ses proches et pour
l'entreprise. Il va être influencé également par l'accueil dont il va bénéficier à l'arrivée, de la part de
l'entreprise, et aussi par les rencontres sur place, selon les personnes ou les groupes auxquels il va pouvoir se
lier. Le plus souvent, on fait porter la responsabilité d'éventuelles difficultés à s'adapter à l'expatrié seul. Or,
c'est toujours une conjonction entre plusieurs facteurs, dont certains sont liés à l'expatrié et à sa capacité à
créer des liens, d'autres à l'entreprise (organisation et management), et d'autres enfin au pays d'accueil.
Certains pays intègrent les étrangers plus que d'autres et il y a toujours deux paramètres à prendre en
compte : les capacités d'intégration de l'individu, et celles de son environnement.
[1]. Le « Département des visas et de l'enregistrement », en russe Atdel viz i reguistratsii (Отдел виз и регистрации), auprès duquel
tout étranger devait s'enregistrer dans les trois jours (avec son passeport et sa carte de débarquement). Il a depuis été remplacé par le
Service fédéral des migrations, mais l'obligation reste la même. Les hôtels font les démarches pour les étrangers qu'ils hébergent.
[2]. Brafman N., « Violence routière : la Russie championne mondiale », Le Monde du 22 novembre 2009. On y apprend que 30 000
personnes sont mortes sur les routes en 2008.
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