Fethullah Gülen et le concept de responsabilité

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Fethullah Gülen et le concept de responsabilité
Fethullah Gülen et le concept de responsabilité
Simon Robinson
Le concept de responsabilité constitue un pont important entre pratique, valeur et croyance. Certains
spécialistes chrétiens de la théologie et de l’éthique y voient par exemple le cœur de l’identité religieuse (Niebuhr, 1963 ; Schweiker, 1995). Pour certains philosophes et certains spécialistes des
sciences sociales, une responsabilité globale est le fondement même de l’éthique (Bauman, 1989).
Dans le monde des affaires, la responsabilité de l’entreprise est vite devenue le concept central de la
déontologie. De ce point de vue, elle est liée à la mission, à l’identité et à la pratique (Brown, 2005 ;
Robinson, 2008).
Carroll (2007) a noté à juste titre que la responsabilité est un concept clé des écrits de Fethullah Gülen,
et il a élaboré une pénétrante comparaison avec l’existentialisme. Dans le présent document, je vais
explorer le sens de la responsabilité chez Gülen et son utilisation, ce qui comportera une analyse de la
responsabilité en termes d’imputabilité (imputability), d’obligation de rendre compte (accountability)
et de responsabilité (liability). Je vais soutenir que la conception de la responsabilité chez Gülen est
ancrée dans l’obligation de rendre des comptes, et qu’elle se fonde sur une théologie de la création
orientée vers l’action. Sa conception de l’imputabilité en est issue, et conduit à l’idée de responsabilité
universelle. Je vais comparer ces conceptions de la responsabilité avec celles de philosophes et de
théologiens d’autres religions. L’étude examinera ensuite l’idée que Gülen se fait de la responsabilité
dans différents contextes : société civile, éducation, affaires. Elle la comparera à d’autres approches et
envisagera le rôle de Gülen dans les débats contemporains dans ces domaines.
Le présent papier comprend une critique du concept de responsabilité chez Gülen et conclue qu’il apporte une contribution importante au débat contemporain, qui peut constituer un élément important
d’une théorie et une pratique du dialogue.
Responsabilité
Schweiker (1995) résume en identifiant trois aspects de la responsabilité, liés entre eux, dont les deux
premiers sont issus de la pensée d’Aristote (Alexander, 2008) :
§
L’imputabilité (imputability) concerne les actes qu’on peut attribuer à une personne. La personne
peut donc être considérée comme responsable de ces actes et des décisions qui y ont conduit.
§
L’obligation de rendre des comptes (accountability). La personne a des comptes à rendre à
quelqu’un.
§
La responsabilité proprement dite (liability). La personne est responsable de quelque chose ou de
quelqu’un.
Imputabilité
Il existe de l’imputabilité des conceptions radicales et des conceptions allégées. Les points de vue
allégés (McKenny, 2005, p. 242) parlent simplement de relation causale entre la personne et chacun de
ses actes, qui montre que l’acte peut être attribué à la personne. Une telle conception ne permet pas de
déterminer dans quelle mesure la personne est impliquée et donc si elle est pleinement responsable de
cet acte. Une conception plus radicale suggère que la responsabilité met en jeu un processus de prise
de décision rationnelle qui permet à la personne d’être pleinement propriétaire de l’acte qui naît de
cette décision. Taylor (1989) soutient que cette prise de décision constitue une appréciation solide de
la situation qui relie l’acte à une prise de décision approfondie, et c’est ce qui constitue l’identité morale de la personne. Pour qu’elle soit totalement responsable, il est nécessaire que la personne soit
consciente de son contexte social, des relations importantes, de l’effet réciproque de ces relations, etc.
Obligation de rendre des comptes
Le deuxième aspect de la responsabilité est l’obligation de rendre des comptes. Il se fonde sur les relations contractuelles, formelles ou informelles. Le contrat établit un ensemble d’attentes mutuelles. À
un certain niveau, elles se traduisent par des cibles discernables qui forment la base de tout projet, et
sans lesquelles on ne peut établir la compétence d’une personne. À un autre niveau, on trouvera des
attentes morales plus larges sur la manière dont chacun doit se comporter dans tout contrat, qui expri-
ment l’importance de l’ouverture et de la transparence dans les relations ainsi que d’autres comportements de ce type assurant le fondement de la confiance.
Responsabilité proprement dite
La responsabilité proprement dite (qu’il faut distinguer de la responsabilité légale) va au-delà de
l’obligation de rendre des comptes et intègre l’idée de prendre soin des autres, de sens d’une responsabilité plus large pour certains projets ou certaines personnes. Toute personne, toute profession, doit
mettre cela au point dans son contexte, sans contrat explicite. Le mettre au point suppose d’avoir conscience des limites de la personne ou de l’organisation, d’éviter d’endosser trop de responsabilités, et
d’être capable de travailler avec autrui en négociant et partageant la responsabilité. C’est de ce point
de vue que commencent à apparaître différents domaines de responsabilité : personnelle, professionnelle, de l’entreprise, civile, environnementale et globale. La responsabilité va au-delà des codes et
Niebuhr, théologien chrétien dont le nom est le plus souvent associé au concept de responsabilité, soutient qu’elle va même au-delà des éthiques téléologique et déontologique. Il soutient que ces dernières
n’épuisent pas toutes les possibilités éthiques. La première est construite sur l’image de la personne en
tant qu’elle fait, et l’éthique est alors un moyen en vue d’une fin, et sa dénomination la plus claire est
l’utilitarisme. La seconde se fonde sur l’image de la personne en tant que citoyenne obéissant à la loi.
L’une comme l’autre exposent une anthropologie individuelle, dans laquelle l’homme existe indépendamment de la société. Niebuhr suggère donc une troisième image, celle de l’être humain essentiellement social et réagissant donc toujours aux relations sociales existantes auxquelles il participe.
Niebuhr écrit : « Ce qui est implicite dans le domaine de la responsabilité est l’image de l’homme –
celui qui répond, qui est engagé dans le dialogue, qui agit en réaction à l’action qu’il subit. » (1963, p.
56)
Cela se fonde sur une théologie de la création qui met surtout l’accent sur la connexion entre l’être
humain et les actions des autres, qui sont aussi porteuses de l’action de Dieu à notre égard : « La responsabilité affirme : Dieu est en action dans tous les actes qui agissent sur nous. Aussi, réagis à tout
acte te concernant comme si tu réagissais à un acte venant de lui. » (Niebuhr 1963, p. 126)
Dans tout cela, Niebuhr tend à se focaliser sur la responsabilité telle qu’elle s’exprime dans le domaine
civil, sur la personne en tant qu’elle est citoyenne. La responsabilité ne peut, pour lui, être confinée
aux limites de l’Église et comporte un puissant élément existentiel. Ce sens de la responsabilité, lié à
la nature relationnelle de l’homme, est beaucoup développé par la suite dans le mouvement féministe,
où la femme devient le centre même des réseaux. Cette approche tend à se concentrer sur la responsabilité et tant qu’obligation de répondre immédiatement à l’autre.
Bonhoeffer (1955) déplace la responsabilité vers une perspective plus christologique. Pour lui, la responsabilité est essentiellement une attitude de service, centrée sur la personne du Christ. Le Christ
résume l’attitude de responsabilité de « l’homme vis-à-vis des autres », consacré au service d’autrui,
ce qui suppose une obéissance au Christ, et à travers lui une réponse aux réalités rencontrées dans les
relations quotidiennes. C’est cette relation au Christ qui permet une réponse par le service qui implique qu’on accepte à la fois la liberté de répondre et le cadeau que tous partagent, sous une même
forme. Ce n’est donc pas une conception facile de la responsabilité, car elle exige à la fois une responsabilité globale de l’autre et une responsabilité de ses propres valeurs et pratiques, y compris les fautes
et les limites morales. Au cœur de tout cela, on trouve l’acceptation de la responsabilité personnelle
mais aussi le sentiment de devoir rendre immédiatement des comptes à Dieu, avec un horizon eschatologique réduit.
Gülen
La conception que Gülen se fait de la responsabilité est fermement établie dans l’obligation de rendre
des comptes, et donc fondée sur sa théologie de la création. Dieu a créé le monde et désigné
l’humanité pour en être le lieutenant (2 : 30). L’humanité est donc responsable de la gestion de toute la
création. La relation au Dieu créateur signifie également que l’humanité assume la responsabilité pour
le compte de Dieu. En ce sens elle représente Dieu, elle est Son suppléant, mais elle se tient aussi devant lui. L’humanité est donc à la fois responsable avec Dieu et vis-à-vis de Dieu du monde dans son
ensemble. Cette responsabilité fait le lien de l’action avec ce monde et avec l’au-delà. Ce que nous
faisons aujourd’hui aura un effet dans les deux royaumes, et donc sur notre évaluation des deux
royaumes.
Pour qu’il soit possible d’assumer cette responsabilité, Dieu à offert toutes sortes de ressources : « Si
l’être humain est le lieutenant de Dieu sur terre, le préféré de toute Sa création, l’essence et la substance de l’existence dans son ensemble et le miroir le plus éclatant du Créateur – et il ne fait pas de
doute que tel est le cas – alors l’Être divin qui a envoyé l’être humain dans ce royaume nous a donné le
droit, la permission et la capacité de découvrir les mystères qui sont scellés dans l’âme de l’univers, de
découvrir la force, le pouvoir et le potentiel qui y sont cachés, d’utiliser toute chose à cette fin, et
d’être les représentants des caractéristiques qui sont les Siennes, comme la connaissance, la volonté et
le pouvoir. » (Gülen 2004, p. 122)
Cette responsabilité n’est pas simple. Niebhur, par exemple, considère simplement la responsabilité de
répondre aux besoins de la communauté et du monde au sens large. Pour Gülen, cette responsabilité
est téléologique. Toutes les ressources doivent être utilisées pour réaliser le but divin. Toute idée de
réponse doit donc être pensée en termes de souveraineté globale de Dieu et de son désir de voir
l’humanité réaliser Ses plans. Ce niveau d’obligation de rendre des comptes est cependant décliné de
façon lourde de sens. La tâche du lieutenant n’est pas seulement de croire en Dieu et de L’adorer mais
aussi de « comprendre les mystères au sein des choses et la cause des phénomènes naturels et donc
d’intervenir dans la nature » (Gülen 2004, p. 122)
Il considère ceux qui le font comme des « êtres humains authentiques » et soutient qu’ils exercent leur
libre arbitre « de manière constructive, travaillant avec le monde et le développant, protégeant
l’harmonie entre l’existence et l’humanité, récoltant les bienfaits de la terre et des cieux au profit de
l’humanité, essayant d’élever la nuance, la forme et la saveur de la vie à un niveau plus humain, dans
le cadre des ordres et des règles du Créateur. C’est la vraie nature d’un lieutenant, et en même temps
c’est là où on trouve ce que signifie être un serviteur et un amoureux de Dieu » (Gülen 2004, p. 124)
L’ampleur de cette approche apparaît vite. D’abord, nous sommes invités à prendre la science au sérieux. Elle n’est pas considérée comme autonome ni hostile à la religion. Au contraire, la science nous
révèle les lois de la nature et nous aide en conséquence à discerner la finalité de la création. Cela
montre clairement pourquoi Gülen, bien que fermement créationniste, se soucie de la science comme
élément de son travail éducatif. En deuxième lieu le libre arbitre, essentiel pour tout idée de responsabilité, doit être utilisé pour être au service, et cela doit servir à maintenir l’équilibre entre
l’environnement et l’humanité, tirant le meilleur parti des ressources accordées à la création, au profit
de l’humanité dans son ensemble et dans le but d’élever le niveau de civilisation de tous. Il est clair,
dans tout cela, qu’on doit agir sur le monde naturel à des fins positives. Ce sont des teloi tout à fait
distinctes, qui peuvent impliquer des différences et des conflits. En conséquence, le lieutenant doit dès
l’origine assumer la responsabilité de travailler dans le cadre de ces teloi au sens large, dans le cadre
des valeurs transmises par le Créateur. Nasr (Schweiker, Johnson & Jung, 2006, p.300) suggère un
développement un peu plus poussé de la responsabilité, qui prolonge le point de vue de Gülen. Il analyse le verset 7 : 172 du Coran où Dieu, avant la création, demande aux êtres humains : « Ne suis-je
point votre Seigneur ? » et où ils répondent : « Si, en vérité, nous en témoignons. » Il soutient que le
verbe utilisé dans la réponse des hommes est au pluriel. La réponse positive est par conséquent celle
non pas d’une personne individuelle ni d’un sexe particulier mais de tous les êtres humains. Selon
Nasr, « être un humain, c’est avoir dit oui, et nous entendons la trace de cette affirmation, profondément enfouie au sein de notre être » (ibid.). La responsabilité est donc partagée, c’est une réponse de la
société. C’est l’indication qu’une responsabilité immense repose sur l’humanité, dont Nasr remarque
qu’elle est des plus profondes précisément par le fait que, contrairement à la nature, l’être humain est
libre de répondre. Ce n’est pourtant pas seulement la liberté de répondre. C’est aussi la liberté sur la
façon de répondre, dans le cadre des valeurs divines. C’est cette liberté qui met l’humanité en situation
de devoir authentiquement rendre des comptes à Dieu, d’avoir à répondre de ses actes. Une telle liberté exige qu’on assume toujours la responsabilité de travailler en allant dans le sens des valeurs de Dieu
a mises en œuvre, car aucune ne peut être stéréotypée, et ceci nous conduit inévitablement à la question de l’imputabilité.
Imputabilité
L’imputabilité, chez Gülen, naît de l’obligation de rendre des comptes. L’autonomie personnelle dans
la fonction d’intermédiaire est un don de Dieu qui permet à la personne d’assumer la fonction de khalifa. Ce rôle de représentant donne à l’individu la liberté de transformer la société, aussi longtemps que
la source de cette liberté et de cette représentativité est reconnue. Dieu « seul détermine, répartit, crée
et répand devant nous les provisions » (Gülen 1999, 94). C’est donc un rôle de médiateur, une forme
limitée de subjectivité qui est, selon les termes de Vahdat, « projetée sur les attributs de la divinité
monothéiste – attributs tels que la toute-puissance, l’omniscience et la volition – ensuite partiellement
réappropriés par les êtres humains. Dans ce schéma, la subjectivité humaine n’est donc pas niée, elle
n’est pas indépendante de la subjectivité de Dieu et, en ce sens, elle sert d’intermédiaire. » (Vahdat,
2002, p. 134)
Au cœur de tout cela, il y a un accent important mis sur l’action. La responsabilité fait que l’action est
un point critique. Gülen oppose la soumission passive au service actif. Le concept de hizmet est ici
central, qui concerne l’incarnation dans la pratique de la conscience intérieure de Dieu. Ce n’est donc
pas une affaire de piétisme. « Ceux qui se sentent en permanence en présence de Dieu n’ont pas besoin
de s’isoler des gens. » (Gülen, 1995, p. 87)
Le rôle de représentant se fonde alors sur une anthropologie holistique et dynamique, qui rassemble
l’émotion, l’esprit, la rationalité et l’action. « Dieu ne crée pas les gens seulement pour les voir devenir
des reclus passifs, des activistes sans raison ni spiritualité, ou des rationalistes sans réflexion spirituelle
ni activisme. » (Gülen, 1999, p. 46)
Pour Gülen, le hizmet est un principe clé, à savoir la responsabilité de mettre sans cesse les valeurs en
pratique. Tout sentiment de libre arbitre se place alors complètement dans le contexte du hizmet, attentif à l’exemple du Prophète en tant qu’homme d’action, qui « insistait sur l’éducation, le commerce,
l’agriculture, l’action et la pensée. En outre, il incitait les gens de son peuple à faire à la perfection ce
qu’ils avaient à faire, et il condamnait l’inaction et la mendicité. » (Gülen 1995, p. 105)
On en vient inévitablement à se demander si cela ne pose pas la question de la responsabilité conditionnelle, c’est-à-dire si le salut ne dépend pas de la réaction. Gülen est parfaitement clair : il ne peut y
avoir de promesse de salut, suggérant ainsi qu’on doit répondre à Dieu par un équilibre entre espérance
et crainte, et que l’espérance repose sur les bonnes actions (Gülen, 1995, p. 40). Pour le croyant, pourtant, ce n’est pas le salut qui compte mais de faire en sorte que Dieu soit satisfait, « de penser uniquement à son approbation de ce qu’on dit, fait et pense quotidiennement » (Gülen 2004b, p. 6). Cela
signifie que la personne est sans cesse engagée dans une activité particulière, et se demande en permanence : « Mon Seigneur, que puis-je faire d’autre ? » Gülen ne peut pas ne pas insister sur une bonne
gestion du temps et une bonne planification de ce qu’on fait. Tout cela participe de ce que veut dire
être responsable. Plus les contextes où l’on assume cette responsabilité sont nombreux, plus le niveau
de responsabilité augmente – « plus de bienfaits signifie plus de responsabilité » (Gülen 2000, p. 133).
L’imputabilité concerne tout ce qui relève de la relation et fait partie intégrante d’une relation continuelle, et l’humanité ne peut s’en dispenser. Cela fait écho au point de vue de Niebuhr à propos de la
réponse existentielle au réseau interconnecté qu’est la vie humaine et naturelle. Gülen souligne également qu’il faut maintenir la responsabilité dans ce cadre relationnel, justement pour éviter que disparaisse la fonction d’intermédiaire. Gülen écrit : « En assumant des responsabilités particulières
s’appuyant en permanence sur l’action et la pensée, en affrontant et en supportant des difficultés particulières, on pourrait presque dire en nous condamnant à le faire, même si le prix à payer est très élevé,
il nous faut toujours agir, nous battre. Si nous n’agissons pas tels que nous sommes, nous sommes
entraînés dans les remous provoqués par les coups et les actions des autres, dans les tourbillons des
plans et des pensées des autres, et nous sommes alors contraints d’agir pour le compte des autres. Se
tenir à l’écart de l’action, ne pas intervenir dans ce qui se passe autour de nous, ne pas participer aux
événements qui nous environnent et leur rester indifférents, revient à nous laisser fondre, comme de la
glace qui se transforme en eau. » (Gülen, 2005, p. 96)
Gülen n’analyse pas ici la dynamique de la responsabilité. On peut pourtant avancer que, en ne réagissant pas, en n’agissant pas, nous nions ou rejetons la responsabilité d’agir et laissons cette responsabilité aux autres. En ce sens la responsabilité, comparable à l’idée de pouvoir chez Tawney (1930), est
sociale et sera, sous une forme ou une autre, assumée par les autres si nous ne la revendiquons pas.
Cette idée trouve un écho puissant chez les penseurs postérieurs à l’Holocauste, cités plus bas.
Développer la responsabilité
Cette vision de la responsabilité, organisée autour du rôle d’intermédiaire tourné vers l’action, occupe
une place centrale dans les idées de Gülen sur l’éducation. Gülen situe le siège de ce pouvoir, et avec
lui de ce rôle d’intermédiaire « dans l’âme », selon la terminologie de R. H. Tawney (1930). Pour
Gülen, l’âme a trois facettes : rationnelle, irascible et concupiscente » (Mohamed, 2007, p. 556). Pour
manier ces facultés, il faut posséder les quatre vertus cardinales de courage, de sagesse, de tempérance
et de justice. Ces vertus calment le désir sexuel et la colère, et conduisent à un certain niveau de contrôle de soi rationnel. Cela ne supprime pas les émotions, mais cela les apaise. Il en résulte que la personnalité morale est au centre de la conception que se fait Gülen du rôle d’intermédiaire et de la responsabilité, ce qui permet de fonder la responsabilité personnelle et, à partir de là, toute approche de la
responsabilité sociale ou civique (Toguslu, 2007, p. 450). Toute responsabilité se fonde sur des valeurs
universelles comme « le dévouement, la simplicité, la confiance, la loyauté, la fidélité, l’humilité, la
modestie et la capacité à entrer en relation » (ibid., p. 455), ce qui conduit à concevoir l’éducation
comme le fondement du développement de la personnalité, se centrant sur l’autocritique et le renouveau perpétuels. Un tel examen de conscience « permet au croyant de se corriger des erreurs passées et
d’être absorbé dans la vision de Dieu, car il réalise en permanence le renouveau de soi dans son monde
intérieur » (Gülen, 1999). Le fondement de l’approche de l’éducation par Gülen est qu’elle doit précisément se préoccuper de développement de la personnalité. C’est ainsi qu’elle permet de développer le
sens de la responsabilité de sa propre pensée et des valeurs qui la sous-tendent, et de la façon dont ces
dernières s’expriment dans la pratique. Réaliser ce développement signifie que l’enseignant doit incarner les mêmes vertus dans sa pratique et que la communauté éducative dans son ensemble incarne ces
vertus. Dans l’éducation, l’accent mis sur l’excellence à atteindre dans la scolarité n’est pas en soi
affaire de compétition mais concerne plus la façon dont la personne peut commencer à développer
toutes les attitudes qui sont à la base de cette approche.
La liberté et le sens du rôle d’intermédiaire qui est au cœur de tout cela sont très différents de la vision
libérale de la liberté négative (Berlin, 1969), qui est liberté de faire ce qu’on veut, et donc liberté
d’exercer toute contrainte. Pourtant, Gülen semble accorder peu d’intérêt à la liberté positive dont
Berlin suggère qu’on la rencontre à travers les approches d’égalité des chances et donc des libertés.
Gülen est beaucoup plus proche d’auteurs comme Novak quand il se focalise sur la liberté morale
(1990). L’idée de liberté morale chez Novak se fonde sur l’œuvre de Thomas d’Aquin, en insistant sur
l’acquisition de la maîtrise de soi et sur le contrôle des passions. Il s’agit, à travers une prise de décision fondée sur la réflexion, de développer l’autonomie et le rôle d’intermédiaire de l’individu. La
capacité à jouer ce rôle d’intermédiaire s’obtient par le développement des vertus qui sous-tendent ces
activités (1990, p. 16). Sur cette question, Novak se soucie avant tout de la façon dont l’individu assume la responsabilité de ses propres décisions. C’est précisément ce type de liberté qui est « à la racine de l’autonomie, de la responsabilité et de la dignité humaine » (ibid., p. 18) qui, toutes, permettent
à l’individu d’agir à l’image de Dieu. Comme Gülen, Novak voit dans l’exercice de la responsabilité
personnelle un chemin qui mène à une responsabilité sociale plus large. Un bon exemple en est fourni
par la façon dont le monde économique et le monde éducatif travaillent ensemble au développement
des écoles Gülen (Mohamed, 2007).
Responsabilité de l’entreprise
Gülen considère aussi que la responsabilité s’exerce en rapport avec les affaires et les activités professionnelles. La responsabilité de l’entreprise a eu tendance à distinguer l’approche libérale de Friedman
(1983) ou de Sternberg (2000) de la conception plus interactive fondée sur l’analyse des parties prenantes (Robinson, 2008). La conception de Gülen est très différente de celle de Friedman et Sternberg. La responsabilité se limite pour eux à devoir rendre des comptes, ce qui est directement lié à la
relation entre dirigeant et propriétaire. Il en découle que le but de l’activité économique est étroitement
définie comme l’augmentation des profits du propriétaire, dans un cadre légal. La conception de la
responsabilité chez Gülen représente une contestation radicale de ce point de vue. En premier lieu,
l’obligation de rendre des comptes à Dieu fait qu’on abandonne toute vision étroite quand il s’agit de
définir ou d’imputer la responsabilité. La responsabilité transcende précisément tous les intérêts.
En deuxième lieu, la conception de Friedman tente de limiter la définition de la responsabilité à la
simple obligation de rendre des comptes et, par voie de conséquence, pressent mal le rôle
d’intermédiaire ou la liberté du dirigeant. En troisième lieu, et par extension, Friedman et Sternberg
n’ont aucun sens du champ de la responsabilité de l’activité économique. Pour Gülen, la responsabilité
de la création va de pair avec l’obligation de rendre des comptes à Dieu. Il en résulte pour lui que la
responsabilité de l’entreprise peut inclure des aspects caritatifs mais que, dans les faits, elle résout
cette question de responsabilité de manière créative et en partenariat.
Les approches de la responsabilité de l’entreprise fondées sur la théorie des parties prenantes se rattachent plus à une vision interactive et interdépendante de l’environnement sociétal et physique (Heath
and Norman 2004), et ont donc des points communs avec le point de vue de Gülen, lequel accorde
cependant plus d’attention aux valeurs et à la spiritualité sous-jacentes. Il en résulte une impulsion
visant à développer la responsabilité chez l’autre plutôt que de simplement répondre aux besoins ou
satisfaire les intérêts des parties prenantes. Il se retrouve donc à contester, comme Sternberg, toutes les
théories sur les parties prenantes qui reposent uniquement sur la satisfaction des besoins.
Le fondement de l’approche de l’économie de Gülen s’exprime plus en termes de sacralisation de
l’économie et de la science. En ce qui concerne la science, le technologue est vu comme un créateur
qui exploite des ressources naturelles (Gülen, 1995, p. 17), ce qui soulève de graves questions sur la
façon dont est conçue la responsabilité à propos de l’exploitation des ressources naturelles et sur ce
qu’est pour Gülen la théologie de l’écologie. De ce point de vue, il ne semble pas qu’il y ait une écologie distincte de la théologie de la création.
D’un point de vue économique, il accepte le cadre du libre marché, ce qui semble identique au point
de vue de Michael Novak, celui de l’éthique catholique des affaires, selon lequel la création de richesses est acceptable en soi, et le marché une force positive en faveur du bien et même de la création
d’une communauté (1990). Novak ne voit pas en cela un capitalisme débridé et plaide pour le développement d’une forme de liberté différente à la base du capitalisme, un cadre de valeurs morales partagées (1990). Pour Gülen aussi existe un cadre moral. Il consiste à situer l’activité de création de richesses dans un contexte social plus vaste. Même les transactions élémentaires doivent être soumises à
la loi de Dieu. « Ce faisant, les musulmans se soumettent au décret de Dieu en cette affaire particulière
et transcendent ainsi leurs propres préférences matérielles. Par exemple, un commerçant musulman
doit informer sa clientèle de tout défaut dans sa marchandise. Même si cela peut diminuer voire annuler le profit qui en résulte, [il] aura la satisfaction d’avoir obéi à Dieu et non pas satisfait ses propres
désirs. » (Gülen, 2000, p. 29)
Les conceptions contemporaines de la responsabilité de l’entreprise tendent à concerner autant la responsabilité des relations internes à l’entreprise que les relations externes (Robinson, 2008). Il y a deux
façons de l’aborder. La première observe le développement d’une communauté qui respecte les droits
de l’homme et le bien-être au travail, et qui accorde une certaine attention à l’expression démocratique
des salariés. La seconde s’intéresse à l’incitation des salariés à assumer une responsabilité personnelle.
À un certain niveau, cela revient à une pratique sage consistant à inciter les salariés à évoquer toute
question concernant la marche des affaires, quitte à aller jusqu’à la dénonciation. Cela suppose qu’on
permet à l’entreprise dans son ensemble de réfléchir et d’être autocritique, les salariés étant parties
prenantes à cette culture de la réflexion. À un autre niveau, Bauman remarque que les structures
mêmes de l’organisation ont un impact majeur sur le fait que les salariés de l’organisation prendront
ou non au sérieux leur responsabilité personnelle. S’ajoutant au stress provoqué par les dangers de la
négation de la responsabilité (voir ci-dessous), cela signifie que les structures et les processus doivent
permettre à la responsabilité des salariés d’être engagée, et de relier cette responsabilité à la responsabilité de l’entreprise. Il faut donc faire attention aux structures qui fractionnent la responsabilité fonctionnelle, car cela peut aussi disperser la responsabilité individuelle (Bauman, 1989, ainsi que Robinson, 1992, et Megone & Robinson, 2002). Gülen accorde peu de considération à cet aspect de
l’organisation du travail, et il y a deux raisons à cela. D’abord, dans le contexte de l’entreprise, la res-
ponsabilité reste avant tout centrée sur Dieu plutôt que sur la psychologie organisationnelle et son
utilisation. En second lieu, le contexte de l’entreprise qu’il fréquente est en grande partie celui des
petites et moyennes entreprises, où le risque est moindre d’une division du travail qui affecte le sens
de la responsabilité partagée. Pourtant, même dans les petites entreprises, il reste important, dans
l’esprit de Gülen, de permettre aux autres de développer leur responsabilité, ce qui tendrait à suggérer
que l’entreprise a dans ce domaine un rôle formateur vis-à-vis de ses employés.
Pourtant le souci du bien-être au travail n’est pas un sujet que Gülen évite nécessairement. Il admet
qu’il est important pour le musulman d’être un citoyen actif. Tout citoyen doit respecter les droits de
l’homme ratifiés par le contexte social et politique où il agit, y compris la législation sur le bien-être
au travail. Cela nous amène à la question de la responsabilité civique
La responsabilité civique
En tout cela Gülen voit l’importance d’une société civile et de la responsabilité qu’a le musulman
d’apporter sa contribution à cette société civile, et pas seulement à la communauté musulmane. Il y a
ici plusieurs aspects. D’abord Gülen admet l’idée d’un bien commun que tous peuvent posséder (Vicini 2007). Ensuite il suffit d’un pas pour passer de l’idée d’un bien commun à celle des droits de
l’homme. Comme l’avance Keles (2007), Gülen trouve dans le Coran le fondement des droits de
l’homme. Troisièmement, ce point est renforcé par la philosophie de Gülen d’une éducation qui développe les valeurs et les vertus universelles. L’éducation y devient un moyen essentiel de développement des citoyens. L’éducation doit se fonder sur la science, les capacités à s’exprimer et l’excellence
de l’éducation si elle doit permettre aux gens de se développer et d’assumer des fonctions de direction
dans les affaires et dans la société. Dans tous ces domaines, il est possible à l’islam de prendre sa place
dans l’époque postmoderne comme élément crucial du développement de la société. Comme Ünal and
Williams (2000, p. 308) l’ont dit, « l’éducation par l’apprentissage et un mode de vie louable sont des
devoirs sublimes qui manifestent le nom divin Rabb (Celui qui éduque, Celui qui soutient). En le réalisant, on atteint le niveau de l’humanité véritable et on devient un élément bénéfique de la société. »
Vicini (2007, p. 441) remarque qu’à travers la tension vers l’action, et donc la nature publique de la
capacité de réaction islamique, Gülen considère que les musulmans sont aussi des citoyens capables de
partager des responsabilités et de débattre des pratiques et des visions du monde qui les sous-tendent.
Ceci est encore accentué par le souci des valeurs universelles et par la responsabilité partagée de la
société. En conséquence Gülen peut mettre l’accent sur le dar al-hizmet, avec les musulmans participant au dialogue créatif sur la société (Yilmaz, 2002). Le sentiment que les musulmans éprouvent
d’être responsables de la société s’étend au souci pour la paix et même pour la démocratie. Dans un
entretien cité par Keles (2007, p. 701), Gülen remarque : « Répétons-le, nous soutenons une renaissance qui permet de poser la question des dictatures et de la fin des dictateurs, et de travailler à aller
vers une société démocratique. » Autrement dit, le musulman, en tant que citoyen, ne doit pas se contenter d’accepter le cadre légal où il se trouve mais doit travailler pour aller vers la démocratie qui est
un idéal pour la société civile.
Ce niveau de responsabilité globale n’est pourtant pas assumé en termes d’égalité ou d’une conception
de la distribution des richesses par l’état, ou de la mise en cause du marché comme moyen de redistribution. Au contraire, Gülen admet les différences socioéconomiques et la stratification de la société,
qu’il considère comme faisant partie de la création de Dieu et permettant la diversité des activités nécessaires à de « bonnes relations mutuelles ». Ce point de vue est proche de celui de Michael Novak
quand il met l’accent sur l’éthique professionnelle du catholicisme romain et sur le libre marché
comme moyen essentiel au développement de la communauté, grâce au développement des relations
mutuelles, et des capacités de chaque individu. On pourrait aisément qualifier ces deux approches de
néoconservatrices. Il est pourtant significatif que les deux points de vue ne se considèrent pas comme
individualistes en tant que tels mais comme bâtisseurs de pont. Gülen en tire l’idée d’une société de
responsabilité mutuelle et de division du travail, et donc de la responsabilité : « Dieu Tout Puissant a
créé les gens dotés de dispositions et de potentiels différents, afin que la vie sociale des êtres humains
soit confortée par l’assistance mutuelle et la division du travail. » (1996, p. 239)
En tout cela, Gülen affirme clairement qu’on a besoin de développer les vertus qui permettent à la
personne de se développer et d’accomplir le bien. Gülen considère l’oisiveté comme un vice compa-
rable à celui de la théologie de Calvin. L’oisiveté est avant tout une ouverture vers les tentations de
Satan. Hikmet Işık, disciple de Gülen, affirme qu’il faut faire obstacle à Satan en assumant un devoir,
une responsabilité ou un service pour la cause de Dieu, afin d’acquérir certaines lumières intellectuelles et spirituelles (2000, p. 47).
Obligation (liability) et responsabilité universelle
Comme l’a fait remarquer Carroll (2007), à la base de la conception de Gülen de la responsabilité, on
trouve la responsabilité qui s’étend jusqu’à la responsabilité universelle. La responsabilité des autres
ou de projets peut souvent se réduite à des rôles particuliers, qui particularisent et en même temps
élargissent le champ de la responsabilité. Les ingénieurs, par exemple, ne peuvent être tenus pour responsables vis-à-vis des générations futures qui utilisent leurs ponts ou subissent l’influence de leurs
centrales nucléaires. Il se peut qu’ils partagent ce sens de la responsabilité morale avec d’autres, en
particulier avec les entreprises et avec l’État. Le sentiment d’être responsable universellement de toute
chose est donc au cœur de la conception de Gülen.
Méditant sur des grandes figures turques, il écrit : « Leur responsabilité est telle que ce qui entre dans
la compréhension individuelle et dans le libre arbitre conscient ne leur reste jamais étranger : la responsabilité pour la création d’événements, de la nature et de la société, pour la passé et l’avenir, pour
les morts et les vivants, pour les jeunes et les vieux, pour les érudits et les illettrés, pour
l’administration et la sécurité … pour toute personne et toute chose. Et bien sûr ils ressentent dans leur
cœur la souffrance de toutes ces responsabilités, qui se manifeste en palpitations exaspérantes, une
exaspération de l’âme, et qui toujours rivalise pour capter leur attention. La souffrance et la détresse
qui naissent de la conscience de cette responsabilité, si elles ne sont pas temporaires, sont une prière,
une supplique, qui ne seront pas rejetées, et une source puissante pour d’autres projets. » (Gülen, 2005,
p. 95)
Cette déclaration puissante met en jeu différents éléments importants. D’abord, Gülen montre que
l’essentiel de sa théologie est ce qu’on appelle en Occident une théologie pratique ou de la praxis. Il
fonde ses idées sur une réflexion sur la pratique particulière des autres plutôt que sur la mise en œuvre
de concepts généraux. Deuxièmement, sans en tirer toutes les conséquences, il commence à relier responsabilité et prise de conscience. C’est beaucoup dans les Évangiles du Nouveau Testament (Robinson, 2007) que la responsabilité pour le mendiant à la porte est rattachée à la conscience de la présence
du mendiant à cet endroit, suggérant que la conscience de l’autre a toujours un fondement éthique et
pas seulement épistémologique. En troisième lieu, le sens de la responsabilité est universelle et concerne chaque chose et chacun, le passé, le présent comme le futur. Il ne s’agit pas de responsabilité
globale au sens de Jonas. Jonas (1984) réfléchit en philosophe de formation juive qui cherche à proposer une justification ontologique plus que théologique à la responsabilité pour l’environnement au sens
large. Néanmoins, comme le remarque Vogel (2006, p. 215), son fondement ontologique est analogue
à la théologie juive de la création. Il avance d’abord que la nature vivante est bonne en soi, ce dont
témoigne la capacité de la matière à s’organiser elle-même pour vivre (correspondant au témoignage
de Dieu du caractère bon de sa création). En deuxième lieu, il affirme que la création de l’humanité est
un événement de la plus haute importance qui induit une responsabilité réfléchie de gestion de la nature (correspondant à l’homme créé à l’image de Dieu). Troisièmement, il prétend que l’impératif de
responsabilité est réalisé par la capacité de l’humanité de se sentir responsable du tout (correspondant
à l’inscription par Dieu, dans le cœur de l’homme, de la conscience du bien). En ce domaine, la responsabilité est fondée sur une identification à l’environnement et sur une conscience aiguë du rôle de
l’homme dans la relation à l’environnement. La responsabilité universelle du Gülen se fonde plus sur
le Créateur que sur le créé, sur une identification à Dieu en tant que créateur. Jonas tend à considérer
que la responsabilité (liability) concerne la responsabilité des conséquences ou des conséquences potentielles des actions humaines. Gülen y voit beaucoup plus la responsabilité pour le projet de création
de Dieu. À partir de visions différentes du monde, les deux formulent l’impératif de responsabilité
pour l’ensemble de la création. En quatrième lieu, on trouve en écho dans les déclarations de Gülen
une approche plus mystique de la responsabilité, telle qu’elle est proposée dans Les Frères Karamazov
de Dostoïevski. Markel reconnaît ce lien avec tout et dit que « chacun est réellement responsable vis-àvis de tous les hommes, pour tous les hommes et toute chose » (1993, p. 41), vision reprise plus tard
par le starets Zosime. Ce dernier déplace pourtant la responsabilité d’une responsabilité pour les con-
séquences à une responsabilité pour les péchés de l’humanité : « Dès que tu te rends sincèrement responsable de tout et de tous les hommes, tu vois sur le champ qu’il en est réellement ainsi, et que tu
dois blâmer chacun de toute chose. » (1993, p. 78).
Pour Gülen, ce point de vue est cause de nombreux problèmes, en particulier parce qu’il remet en
question le rôle d’intermédiaire. Si nous devons être blâmés pour chaque personne, il est alors difficile
d’imaginer comment on peut prendre au sérieux la responsabilité morale individuelle. Arendt propos
une autre manière d’appréhender la responsabilité (liability). Elle dit de l’humanité que « sous une
forme ou une autre, les hommes doivent assumer la responsabilité de tous les crimes commis par les
hommes, et toutes les nations partagent le fardeau du mal commis par toutes les autres » (1991, p.
282). Arendt ne veut pas nécessairement parler ici de stricte responsabilité morale pour les péchés des
autres, mais plus du sentiment que l’humanité doit assumer la responsabilité d’apprendre de ces péchés. Un autre auteur postérieur à l’Holocauste, Bauman, approfondit cette conception en disant que
les êtres humains tendent à éviter la responsabilité. On peut y voir (sans que ce soit l’intention) une
analogie laïque du péché originel. De ce point de vue, le péché est considéré en termes d’évitement ou
de négation de la responsabilité. Bauman (1989) cite la recherche de Milgram (2005) – voir aussi
Zimbardo (2007) – qui confirme qu’une majorité de participants choisissent de ne pas assumer leur
responsabilité personnelle mais de la transmettre à des représentants institutionnels, sans contester ni
les valeurs ni les pratiques. Ceci suggère que la responsabilité personnelle est étroitement liée à la
responsabilité universelle, repoussant la responsabilité au-delà des codes d’un groupe ethnique étroit.
Bauman note qu’une des questions clés soulevées par l’Holocauste a été la façon dont le Troisième
Reich a soigneusement tracé des limites précises autour de la race aryenne, au point de n’avoir à assumer aucune responsabilité pour quoi que ce soit et pour quiconque en dehors de ces limites. Bauman
ajoute le sentiment profond que l’obligation de rendre collectivement des comptes est une protection
contre une telle univocité.
Une telle conception de la responsabilité, partagée par Gülen et par les gens du Livre, ouvre des perspectives illimitées. C’est précisément pourquoi Jésus exhorte des disciples à ne pas limiter leur pardon
à sept fois, ni même à soixante-dix fois sept fois (Matthieu 18 : 22). Ce qu’exprime cette parole est
que, une fois qu’on a épuisé les ressources de la règle – pardonner sept fois – on reste responsable
d’autrui. Chez Gülen, il semble que l’accent soit mis plus sur la responsabilité vis-à-vis de Dieu que
sur la responsabilité d’autrui. Cette dernière est clairement présente, mais elle est atténuée par la nécessité d’assumer une responsabilité en réponse à l’appel de Dieu.
En cinquième lieu, Gülen partage avec plusieurs auteurs de la tradition judéo-chrétienne, et avec Bauman, un fort sentiment de souffrance qui accompagne la conscience de la responsabilité universelle.
Pour Bauman, « le moi moral est toujours hanté par la crainte de ne pas être assez moral » (1989).
Rien ne peut parfaitement répondre à l’appel de l’autre, et on ne peut jamais être satisfait (Vicini, p.
438).
Pour Bauman comme pour Levinas (1998), ceci est en partie inévitable, en raison du caractère incommensurable d’autrui. La personne responsable doit en conséquence toujours découvrir la bonne réponse à travers la relation. Pour Gülen, l’autre est avant tout Dieu, ce qui implique en particulier un
élan visant à toujours trouver ce qu’est le projet suivant. Pourtant, comme le fait observer Carroll
(2007, p. 98), c’est aussi l’écho de thèmes plus mystiques et relationnels puisés chez Rumi, qui voit
dans la souffrance une condition pour aimer autrui et en être responsable. « C’est un désir ardent, une
souffrance, une palpitation du cœur, une conscience frissonnante qu’on ne peut éviter tant qu’on est
‘amoureux’. » (ibid., p. 98) Il est donc inévitable qu’il y ait chez Gülen un fort aspect existentiel, qui
assure une passerelle entre lui est des auteurs comme Bauman.
Critiques et interrogations supplémentaires
On peut considérer que la conception de Gülen de la responsabilité est démultipliée. Si aucune réponse
ne suffit, et si la réactivité implique la souffrance, comment la personne peut-elle jamais être en paix ?
En outre, la responsabilité universelle repose en fin de compte sur l’obligation de rendre des comptes à
Dieu, ce qui s’exprime en une eschatologie. Gülen est conscient du risque de voir l’action devenir une
justification du salut, d’où son insistance sur le seul objectif de plaire à Dieu. Cependant, même l’idée
de plaire à Dieu comporte un élément de conditionnalité. L’action est entreprise comme un moyen en
vue d’une fin. La théologie chrétienne mettrait plus l’accent sur la justification par la foi, insistant
donc sur la grâce de Dieu, ce qui soulève la question de la responsabilité de Dieu à propos du salut, la
responsabilité de l’homme consistant seulement à y répondre.
Derrière de telles tensions théologiques, se posent les questions du souci des autres et du souci de soi.
L’« homme serviteur » de Gülen est une figure héroïque, mais qui précisément sera « décidé à traverser les océans de pus et de sang » (Gülen, 2000c). Cela implique de pousser l’ego jusqu’aux derniers
retranchements de l’accomplissement du service. Cela semble ne pas être en cohérence avec les vertus
de la moyenne, ni avec l’accent mis par Gülen sur une rationalité équilibrée. Les théologiennes chrétiennes féministes prétendraient en outre que l’accent mis sur un service poussé à l’extrême porterait
en germe le risque de n’avoir de respect ou de souci ni pour soi ni pour sa famille (voir Robinson,
2001).
En liaison avec ce point, l’homme qui assume un service donne l’impression d’être plutôt triste. De
nombreux théologiens juifs et chrétiens mettent l’accent sur la joie dans la création, identique à l’eros,
autant que sur la détermination à servir. On peut y voir une analogie avec le Créateur Lui-même (Robinsons, 2001). À aucun endroit chez Gülen cette question n’est systématiquement traitée, mais certains éléments semblent en émerger parfois, et c’est pourquoi il peut dire, parlant de l’homme qui assume un service, qu’il aime sa responsabilité au point de donner le paradis en échange (2005, p. 97).
L’accent mis par Gülen sur le fait que les humains accomplissent tout ce dont ils sont capables dans le
contexte du service soulève également la question de la responsabilité en relation avec le handicap et
la santé mentale. La façon dont ces sujets interfèrent avec la perfectibilité de la responsabilité n’est pas
claire. De nombreuses personnes handicapées ou souffrant de maladies mentales n’ont pas les capacités intellectuelles qui conviennent à la vision holistique de Gülen, ce qui soulève la question de la responsabilité de la famille, de la communauté et de la société dans les soins à apporter à ces personnes.
Gülen n’analyse pas systématiquement des sujets comme la négociation en matière de subsidiarité ou
de responsabilité à ce niveau. On ne trouve pas non plus chez lui de réflexion sur la façon de définir ou
traiter la responsabilité dans des cas où la capacité rationnelle est réduite.
L’accent mis sur le rôle d’intermédiaire soulève aussi la question de savoir si l’autonomie du lieutenant est réelle. Le lieutenant peut-il réellement critiquer la théorie, la valeur et la tradition autant que la
pratique ? Bien sûr, pour Gülen, l’autonomie est relationnelle et non libérale, et cela signifie que la
tradition doit être prise au sérieux, précisément parce qu’elle représente la parole et l’histoire de la
communauté. Pourtant, en affirmant les responsabilités du monde économique, des citoyens, etc., et en
insistant sur l’universalité des valeurs islamiques, Gülen établit une tension permanente entre tradition
et critique autonome. Au contraire, Hauerwas (voir Hauerwas & Wells, 2004) voit dans la communauté religieuse le fondement de toute réponse éthique. Pour lui, la communauté chrétienne de pratique
explore l’histoire du Christ pour en voir les implications pratiques. Par définition, la communauté
n’apprend pas dans une autre perspective. Pour Gülen, l’insistance sur l’humanité et sur les valeurs
universelles ouvre, pour la communauté religieuse, la possibilité de critique et d’apprentissage à partir
de groupes extérieurs à la communauté. En cela, la responsabilité est essentiellement liée au dialogue.
Il est impossible de traiter de responsabilité en dehors d’un dialogue entre cultures et entre religions. Il
est donc essentiel de maintenir la tension entre les différentes perspectives, laquelle mène à un apprentissage mutuel permanent, toujours reformulé.
Le dialogue pour la responsabilité
Gülen ne traite pas en détail de la relation entre responsabilité et dialogue. Je voudrais cependant suggérer qu’on peut y trouver plusieurs aspects.
1. D’abord, le dialogue permet de développer le rôle d’intermédiaire. Il suppose de formuler valeurs
et pratique, ce qui clarifie à la fois ce que nous pensons et ce que nous disons. La formulation et le
développement narratifs deviennent essentiels à la réflexion et à l’apprentissage. Cela permettra à
la personne ou à l’entreprise de voir exactement comment valeurs et pratique s’articulent, ce qui
conduit à l’apprentissage.
2. Le dialogue exige que se développe un engagement vis-à-vis de soi et de l’autre. Il est impossible
de poursuivre le dialogue si on ne lui donne ni espace ni durée pour se développer, ce qui en retour
exige une attitude de non-jugement. L’engagement vis-à-vis de soi et des autres est également es-
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sentiel si une critique potentielle des valeurs et des pratiques doit émerger de la formulation et de
la réflexion.
Le dialogue permet l’écoute, et avec elle l’empathie, l’appréciation et la capacité à être réactif.
Nous n’apprenons sur l’autre comme sur nous-mêmes que si nous sommes ouverts aux deux.
Le dialogue permet que se développe dans toute situation une présentation plus réaliste et véridique des faits. On en a de bons exemples dans le domaine économique où les entreprises et les
ONG parviennent souvent à des chiffres différents. Dans le cas de la plate-forme Brent Spar, cela
a abouti à un conflit et à une décision inefficace qui auraient pu être évités grâce à un dialogue
plus efficace (Entine, 2002).
Le dialogue lui-même fixe pour ceux qui y participent une obligation de rendre des comptes, en
particulier parce qu’il fixe un contrat, formel ou informel, qui détermine les attentes qui sont en
permanence mises à l’épreuve par le dialogue.
Le dialogue permet de développer une responsabilité partagée, et non la simple reconnaissance
d’intérêts partagés. Cela conduit à négocier la responsabilité.
Le dialogue développe l’imagination et la créativité. Il montre ce qui est possible, en particulier là
où la responsabilité est partagée, augmentant ainsi la capacité à être réactif.
Enfin, à travers tout cela, il permet un réel partenariat, poussant chacun à engager sa responsabilité
personnelle autant que celle du groupe.
Conclusion
Le concept de responsabilité est un concept important en éthique. Certains y voient un principe essentiel et fondamental (Tanner, 1993). D’autres, comme Finch et Mason (1993), avancent que la négociation de la responsabilité est au cœur de la prise de décision morale. Dans leur recherche sur des familles monoparentales, ils concluent qu’une telle négociation est une approche plus courante pour une
prise de décision morale que, par exemple, la référence aux principes. Ils avancent un argument important, qui est que l’acte même de négocier développe un sentiment partagé de la signification morale et
de l’identité éthique. D’autres, comme Schweiker (1995), prétendent que le concept de responsabilité
est trop mince pour être un principe consistant. La responsabilité repose toujours sur la finalité de cette
responsabilité, qui est pour Schweiker le maintien de l’intégrité de la vie et la réponse à Dieu. La responsabilité, affirme-t-il, reste cependant importante en termes d’utilisation de la liberté individuelle et
en raison du pouvoir croissant dont dispose l’humanité. Gülen partage certaines des idées de Schweiker, quand il met l’accent sur la fondamentale obligation de rendre des comptes à Dieu. La question
n’est alors pas de savoir comment on contrôle le pouvoir de l’humanité, ni comment on est responsable des conséquences en tant que telles, mais plutôt comment tout pouvoir peut être utilisé pour répondre à Dieu et remplir la fonction de lieutenant. C’est un fondement pour construire une riche conception de la responsabilité intégrant :
• La responsabilité universelle. C’est sur ce point que Gülen est le plus proche de faire de la responsabilité un principe consistant, susceptible d’être identifié à l’amour inconditionnel de l’agape, ou
hesed. Cette sorte d’amour sans limites est précisément ce qui constitue la responsabilité comme
conscience, attention et capacité de réaction permanentes, vis-à-vis de Dieu comme des autres, une
responsabilité qu’on ne peut jamais assumer en suivant des règles. La nature existentielle de cette
responsabilité signifie aussi qu’on ne peut jamais être certain que la réponse est correcte et suffisante.
• La responsabilité en tant qu’obligation de rendre des comptes à Dieu, et que responsabilité de Sa
création. L’humanité, en tant que lieutenant, a reçu cette responsabilité de Dieu, ce qui fonde une
éthique du service infini, établie dans la relation à Dieu, mais profondément orientée vers les
autres.
• La responsabilité en tant qu’intermédiaire, qui implique une réflexion rationnelle et une autocritique. L’insistance sur le développement de la rationalité est en partie liée au rôle de lieutenant.
Par exemple, si l’on ne comprend pas la rationalité scientifique, on ne peut rien changer à la création de Dieu. Les critères utiles à l’autocritique sont aussi moraux, en particulier par leur souci de
vertus telles que l’humilité. Redisons-le, cela place Dieu au centre de l’action, et non la personne.
En tout cela, la responsabilité exige de réagir, et donc d’agir. En tant que telle, la responsabilité est
liée à l’identité, et elle est donc analysée dans la pratique, en particulier à travers les rôles assumés
dans les domaines économiques, éducatifs et sociaux. Au cœur, on trouve un dialogue créatif et
critique.
Ces trois éléments de la responsabilité établissent une dynamique remarquable, qui jette un pont. Le
premier, avec des auteurs comme Sacks (2005), apporte une contribution au discours public sur la
responsabilité dans la vie publique, plaçant la barre au plus haut niveau. C’est une contestation des
philosophies restrictives comme celle de Friedman et de Sternberg, tout en faisant en même temps le
lien avec des penseurs existentialistes. Comme le note Carroll (2007), il y a beaucoup en commun
entre Gülen et Sartre en termes d’appréhension existentielle de la responsabilité. Là où Gülen diffère
de Sartre, c’est d’une part sur une appréhension plus large, fondée sur la relation à Dieu, et sur l’accent
mis sur l’obligation de rendre des comptes à Dieu. Cela fixe un cadre moral qui n’est pas clairement
exprimé chez Sartre. La responsabilité fondée sur le fait de rendre des comptes à Dieu constitue un
défi et une passerelle supplémentaires, en particulier dans le domaine des affaires et de la vie publique.
En même temps, il peut y avoir avec toutes les acteurs de la vie publique, un dialogue centré sur la
pratique, traitant de la façon d’assumer la responsabilité – question que se pose tout le monde – et du
partage des croyances et systèmes de valeurs sous-jacents – ce qu’on évite ostensiblement de faire en
éthique appliquée (Robinson, 2007). Cela porte le dialogue au-delà de la réponse existentialiste simpliste pour en faire à la fois un dialogue et une planification fondés sur la réflexion.
Gülen défend une conception forte du rôle d’intermédiaire, insistant donc sur la rationalité et le dialogue, ce qui d’un certain point de vue institue la passerelle la plus importante. Le dialogue centré sur
la pratique fonde un engagement partagé à apprendre et à agir d’une façon telle que tous peuvent engager leur responsabilité. Cela veut dire que le pouvoir doit être partagé et ne peut être revendiqué ni
par la relation ni politiquement. En tout cela, il incarne les principes jumeaux de respect et de justice.
Le respect implique attention, appréciation et tolérance, s’il doit y avoir un dialogue qui implique authentiquement d’écouter ce qui fait la différence et la particularité d’autrui. La responsabilité est liée à
l’identité, ce qui exige aussi le respect, en particulier parce que tout apprentissage met en jeu des émotions liées à cette identité. La justice affirme l’universalité des valeurs humaines, et peut donc contester la tradition devenue égocentrique et tournée vers l’intérieur d’elle-même. Ces deux principes doivent s’équilibrer dans la pratique de la responsabilité.
En tout cela, Gülen reste enraciné dans la tradition, tout en proposant une conception de la responsabilité qui dépasse la simple adhésion à des codes ou à des principes éthiques. Les principes importants
sont universels, et imposent que soient assumés le rôle d’intermédiaire, l’obligation de rendre des
comptes et une responsabilité sans limites, si l’on veut qu’ils prennent leur sens dans la pratique. Aussi, pour Gülen comme pour Niebuhr, la responsabilité trouve son fondement dans les relations, et
avant tout dans la relation à Dieu.
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