Benjamin F. Brägger, docteur en droit, Exécution des peines en

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Benjamin F. Brägger, docteur en droit, Exécution des peines en
Benjamin F. Brägger, docteur en droit
Chargé de cours en droit de l'exécution des peines
aux universités de Berne et Lausanne
Brugerastrasse 34
3186 Guin
079 660 64 89
Exécution des peines en milieu ouvert
L'exemple des Etablissements de Witzwil
Sommaire
I. Objectifs généraux et tâches de l'exécution des peines en Suisse ................................2 II. L'exécution des peines en milieu ouvert en Suisse ........................................................3 III. 1. Définition................................................................................................................3 2. Objectifs et tâches: l'exemple de Witzwil ...............................................................4 a. Application systématique du principe de normalisation................................4 b. Préparation permanente en vue de la libération...........................................4 c. Economie de moyens ...................................................................................5 d. Réduction du risque de récidive ...................................................................5 Résumé...........................................................................................................................5 Bösingen, le 20 juin 2012
2
I. Objectifs généraux et tâches de l'exécution des peines en Suisse
Conformément à l'article 75, alinéa 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP;
RS 311.0), l'exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement
social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d'infractions. La
réintégration des personnes concernées (leur réinsertion sociale) doit être axée sur la
réduction du risque de récidive; elle constitue l'objectif général de l'exécution des peines
et mesures en Suisse.
Pour parvenir à ce but, l’exécution de la peine privative de liberté doit créer des conditions
d'existence qui se rapprochent le plus possible de celles de la vie courante, assurer au
détenu l’assistance nécessaire, réduire les effets néfastes de la détention et tenir compte de
manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus
(art. 75, al. 1, 2e phrase). En corollaire à ces quatre règles – à respecter strictement dans
l'organisation de l'exécution des peines en Suisse – la recherche a défini les principes
fondamentaux suivants 1 :
a)
b)
c)
d)
principe de normalisation
principe du moindre mal (principe du nil nocere)
principe d'assistance nécessaire (principe d'assistance et d'encadrement)
principe de sécurité (incapacitation)
Ces principes traduisent la volonté de mettre en place une exécution de peine tournée vers
le respect de l'humain et la réinsertion sociale. Il est donc incompatible, tant avec
l'essence du droit suisse qu'avec sa tradition, d'isoler totalement les personnes détenues du
monde extérieur. Si la sécurité publique est en cause, le droit des mesures et en particulier
l'internement représente un moyen de protéger la collectivité des crimes les plus graves.
Tolérer ou même vouloir le rabaissement des personnes détenues et les châtiments
corporels dans le but de les neutraliser définitivement (à l'instar de la politique adoptée par
les Etats-Unis en matière de criminalité), c'est sortir du cadre moral et légal choisi par la
Suisse 2 .
L'exécution des peines en groupe avec encadrement socio-pédagogique 3 et le plan
d'exécution, rendu obligatoire par le CP dès 2007 4 , sont les piliers d'une exécution des
peines visant la réinsertion sociale. Cet instrument de planification fixe les conditions que la
personne détenue doit remplir pour pouvoir profiter du système de l'exécution progressive
(allégements sous forme de congés ou de transfert en milieu ouvert).
L'objectif de la réinsertion sociale et celui de la protection de la collectivité se contredisent
manifestement; ceci se reflète par des difficultés au quotidien de l'exécution de peine et
dans la mise en oeuvre du plan d'exécution. L'article 75, alinéa 1 a pour but d'empêcher la
récidive, dans le respect des quatre règles énoncées, mais ne donne pas la prééminence
à l'un ou l'autre objectif. Il faut donc effectuer une pesée des intérêts et tenir compte de la
situation concrète.
1
Cf. Brägger, in Basler Kommentar zum Strafrecht (BSK), art. 75, ch. 1 ss
Cf. Brägger, in BSK, art. 74, ch. 10, avec les références citées
3
Cf. Schneeberger Georgescu, Betreuung im Strafvollzug, Das Betreuungspersonal zwischen Helfen
und Strafen, Berne 1996
4
Cf. art. 75, al. 3 et 4 CP; Brägger, Die revidierten Bestimmungen des Allgemeinen Teils des
Strafgesetzbuches zum Straf- und Massnahmenvollzug: Das Neue scheint nicht gut, und das Gute ist
nicht wirklich neu!, in: ZStrR 126(2008) 391-410, p. 399 ss; sur le plan d'exécution: Der individuelle
Vollzugsplan, Kriminalität, Justiz und Sanktionen (KJS), vol. 7, Berne 2005
2
3
Une telle pesée des intérêts tient toujours compte du régime d'exécution et de la phase de
progression. Les intérêts du détenu et de la protection de la collectivité seront évalués dans
le respect du principe de proportionnalité. Cette appréciation doit se faire à la lumière de la
jurisprudence du Tribunal fédéral; celle-ci précise que pour les peines privatives de liberté
limitées dans le temps, il faut analyser la dangerosité, et en particulier le fait que le risque qui
lui est lié baisse, augmente, ou ne varie pas en cas d'exécution de la totalité de la peine. Il
faut aussi examiner si une libération conditionnelle couplée à des conditions et encadrée par
la probation a plus de chance de permettre une réinsertion sociale que l'exécution totale de
la peine (ATF 124 IV 193 consid. 4d, aa et bb).
II. L'exécution des peines en milieu ouvert en Suisse
1. Définition
En vertu de l'article 76 CP, les peines privatives de liberté sont exécutées dans un
établissement fermé ou ouvert. Le détenu est placé dans un établissement fermé ou dans
la section fermée d’un établissement ouvert s’il y a lieu de craindre qu’il ne s’enfuie ou ne
commette de nouvelles infractions.
Ainsi, l'ordre juridique suisse institue le principe de l'exécution en milieu ouvert, dont on
ne s'écarte que si le placement en milieu ouvert constitue un risque pour la sécurité de la
collectivité.
Dans un établissement ouvert – notion qui comprend celle d'établissement semi-ouvert – les
mesures destinées à empêcher les fuites ou évasions sont réduites, voire inexistantes 5 . Ces
établissements ne disposent généralement pas d'enceinte de sécurité. Récemment, ils sont
de plus en plus souvent entourés de clôtures, ou même de détecteurs. Au vu du débat
politique actuel, leurs standards en matière de sécurité font l'objet d'améliorations, tant sur le
plan de la construction que sur le plan technique.
Les bâtiments centraux des pénitenciers sont désormais flanqués de clôtures recourant à
une certaine technologie et déclenchant des alarmes. Pendant la nuit, les personnes
détenues sont en cellule, qu'on peut qualifier de chambres au vu de leur standard élevé. Les
fenêtres sont construites de manière à ce qu'une évasion requière l'usage d'une énergie
considérable (pour scier les grilles ou briser les vitres de sécurité). Pendant la journée, les
personnes détenues travaillent dans les ateliers de l'établissement ou dans le domaine
agricole situé au-delà du périmètre sécurisé. Les chefs d'ateliers – agents de détention
disposant souvent d'une formation socio-éducative – encadrent les personnes détenues, les
forment sur le plan professionnel et les surveillent pendant le travail. En dehors de ce temps
de travail, les surveillants – agents de détention disposant de plus en plus souvent d'une
formation socio-éducative – prennent le relai. La sécurité est essentiellement assurée par le
personnel et les mesures prises par celui-ci (sécurité active), et non par des mesures de
construction (sécurité passive). Certains détenus bénéficient de postes moins surveillés ou
sont encadrés de manière plus sporadique, selon le principe de normalisation. Après le
temps de travail et jusqu'à la fermeture des cellules, les personnes détenues peuvent se
déplacer librement dans le périmètre de sécurité. Les congés relationnels permettent de
maintenir ou de reconstruire un réseau de contact hors de la criminalité, qui sera d'une aide
précieuse au moment de la réinsertion sociale après la libération. Les congés constituent
donc un élément essentiel de l'exécution progressive en milieu semi-ouvert.
Les établissements ouverts, les sections ouvertes des établissements fermés et les foyers
de transition privés n'ont généralement pas de clôtures. Les chambres ne sont pas
sécurisées par des moyens relevant de la construction; il n'y a ni barreaux ni vitrage
renforcé, ni fermeture le soir. Toujours dans l'esprit de l'exécution progressive, cette
5
Cf. Kaiser/Schöch, Strafvollzug, 5e éd., Heidelberg 2003, p. 143
4
approche favorise grandement la réinsertion sociale dans la phase finale de l'exécution des
peines, juste avant la libération. L'exécution en milieu ouvert peut servir d'allégement de
l'exécution de peine, avec des contacts extérieurs plus fréquents (pour les peines de longue
durée), ou de phase de travail externe, où la personne détenue travaille à l'extérieur de
l'établissement et ne vit au foyer que pendant la semaine 6 .
2. Objectifs et tâches: l'exemple de Witzwil
Les Etablissements de Witzwil couvrent l'ensemble des formes de l'exécution des peines
en milieu ouvert et semi-ouvert. L'établissement est également en mesure de réagir
rapidement aux cas difficiles puisqu'il dispose d'une section fermée où les transférer 7 .
L'aspect sécuritaire peut être pris en compte de manière appropriée tout au long de
l'exécution de la peine en milieu ouvert.
a. Application systématique du principe de normalisation
Par son système de sections ou pavillons bénéficiant d'un encadrement social intégré et son
concept de transmission socio-éducative de compétences professionnelles, l'établissement
concrétise de manière exemplaire le principe de normalisation, qui veut une adéquation
aussi forte que possible entre les conditions de l'exécution des peines et les situations de vie
ordinaires. Le détenu bénéficie d'un grand crédit de confiance au quotidien, ce qui le rend
autonome et l'aide à résister à certaines tentations. Une telle pratique de l'exécution en
milieu ouvert offre les meilleures conditions préalables à l'octroi d'allégements dans le
système de l'exécution progressive, afin de rendre l'exécution des peines voisine des
situations de vie ordinaires 8 .
b. Préparation permanente en vue de la libération
L'admission des détenus à la Section d'observation et de tri des Etablissements de Witzwil
permet l'élaboration d'un plan d'exécution détaillé, fondé sur les résultats de l'évaluation
dans cette section; le déroulement de l'exécution est donc défini, dès le premier jour, dans la
perspective de la libération. Les congés, le travail externe, le travail et le logement externes
(cf. art. 77a CP) 9 constituent un terrain d'exercice idéal en vue de la libération, et
augmentent les chances de réinsertion sociale. Les deux phases (travail externe, travail et
logement externes) sont pratiquées à Witzwil.
Le plan d'exécution définit les objectifs de l'exécution de la peine et règle la question de
l'hébergement, de l'occupation, de la formation, de l'encadrement, de la thérapie, et des
phases de progression (allégements) 10 . Il est élaboré d'entente entre le détenu et la direction
de l'établissement; l'intéressé est tenu de participer activement (cf. art. 75, al. 4 CP).
L'objectif du plan d'exécution est de mettre en oeuvre le but de la réinsertion sociale en
tenant compte du déroulement de l'exécution de la peine propre à chaque détenu. Le plan
indique les traits et besoins particuliers ainsi que les faiblesses du détenu, et comprend des
propositions précises et structurées, objectifs à l'appui, afin de corriger la situation et de
pallier certains manques. En Allemagne, on parle d'une évaluation de traitement (Behandlungsuntersuchung) permettant de cerner, dans la phase d'admission, la personnalité et les
conditions de vie du détenu. Idéalement, ce diagnostic de la personnalité délinquante recourt
à l'anamnèse, l'exploration, l'observation comportementale et une procédure de test
standard. Un entretien avec le détenu met ensuite à profit les connaissances acquises pour
fixer quels points doivent être traités et dans quel ordre pour améliorer les chances de
6
Cf. Brägger, in BSK, art. 76, ch. 1 ss, avec les références citées
Cf. Brägger, Geschlossene Wohngruppe der Anstalten Witzwil – Eine Spezialität des halboffenen
Strafvollzuges in der Schweiz, in KrimBul 2/1997, p. 7 à 20
8
Cf. Kaiser/Schöch, loc. cit.
9
Cf. Kaiser Schöch, loc. cit.
10
ATF 6A.32/2003, 1 à 5, consid. 3.3 et 4
7
5
réinsertion sociale. La durée du séjour en exécution de peine est très importante; plus le
séjour est court, plus les chances d'une amélioration sont faibles. La procédure doit
permettre de se forger une idée claire du détenu sur certains points: santé (physique et
psychique), problèmes de dépendance, formation scolaire et professionnelle, situation de
travail, finances (état des dettes), sécurité sociale (assurances), temps libre et utilisation des
loisirs, réseau de relations (à cultiver pendant l'exécution de peine), compréhension des
normes et valeurs, hébergement (en vue de la libération). Après une analyse des forces et
faiblesses, on établit un plan d'exécution muni d'objectifs et de priorités 11 . Les
Etablissements de Witzwil appliquent des standards stricts avec beaucoup de professionnalisme dans l'évaluation effectuée dans la Section d'observation et de tri. En outre, le plan
d'exécution est régulièrement soumis à un examen interdisciplinaire, et adapté au besoin.
Cette approche permet de faire progresser le détenu concrètement par des objectifs
réalistes, contrôlés périodiquement. Le temps imparti est ainsi mis à profit de manière
judicieuse, et l'exécution de la peine respecte l'objectif légal de réinsertion sociale.
Le principe essentiel consiste à réintégrer les détenus et à éviter qu'ils récidivent. Le plan
d'exécution a pour but de réunir ces éléments dans une évaluation prospective, afin de
contribuer à la protection de la collectivité pour les phases d'allégement de l'exécution. Une
pesée des intérêts met donc en regard l'objectif général de réinsertion sociale et la règle de
protection. A Witzwil, cette pesée des intérêts est le fruit de séances interdisciplinaires
menées avec beaucoup de professionnalisme, pour le bien du détenu et pour celui de la
société en général. En effet, une exécution des peines qui ne dispose pas de terrain
d'exercice (congés, allégements de l'exécution) ne fait que renforcer le risque de récidive et
repousser le problème vers le moment de la libération.
c. Economie de moyens
Le milieu ouvert permet de réaliser à moindre frais l'objectif général de l'exécution des
peines 12 . Les coûts de sécurité sont moins marqués que dans l'exécution en milieu fermé.
De plus, les ateliers et exploitations agricoles fournissent une production correspondant à la
réalité de ces secteurs, ce qui génère des recettes bienvenues pour l'équilibre budgétaire de
l'établissement. Enfin, une grande part de l'approvisionnement des détenus est produite sur
le domaine de l'établissement et à l'aide du travail des détenus.
d. Réduction du risque de récidive
Les résultats de recherches récentes montrent que les détenus bénéficiant d'une libération
après l'exécution des peines en milieu ouvert sont mieux préparés aux défis de la réinsertion
sociale, montrent moins d'effets néfastes dus à la détention et sont par conséquent moins
enclins à la récidive que les détenus libérés après l'exécution de peine en milieu fermé 13 .
III. Résumé
L'exécution des peines en milieu ouvert et semi-ouvert est clairement axée sur l'objectif
général de la réinsertion sociale et la réduction du risque de récidive. Cette forme
d'exécution de peines répond de manière idéale aux exigences et buts légaux; elle permet
11
Cf. Brägger, in BSK, art. 75, ch. 19 ss, avec les références citées
Cf. Kaiser/Schöch, op. cit., p. 144
13
Cf. l'étude du Ministère de justice du Royaume-Uni: Compendium of reoffending statistics and
analysis, Ministry of Justice, Statistics bulletin, 4 novembre 2010, p. 54 ss, à l'adresse
www.justice.gov.uk, sous Statistics – Compendium (état 19 juin 2012), qui indique un taux de récidive
deux à quatre fois inférieur pour les détenus libérés de l'exécution en milieu ouvert; cf. également
Arloth, Kommentar StVollzG, 3e éd., Munich 2011, § 10, ch. 1, qui évoque aussi le facteur de sélection
positive
12
6
en outre une économie de moyens 14 . Les Etablissements de Witzwil montrent l'exemple en
organisant l'exécution des peines dans des sections sous forme de pavillons avec assistance
sociale intégrée. Les effets néfastes de la détention tels qu'on les connaît dans l'exécution
des peines en milieu fermé, en raison de l'isolation sécurisée à long terme, sont ainsi
éliminés. La réinsertion professionnelle se fait selon les principes de l'accompagnement
socio-éducatif, ce qui facilite grandement l'accès au marché du travail après la libération. Du
fait de la collaboration interdisciplinaire, les faiblesses du détenu sont approchées de
manière ciblée et transformées en forces. Les détenus sont très bien préparés à leur
libération au moyen de l'exécution progressive, qui prévoit des phases d'allégement (congés,
etc.). Les statistiques de récidive montrent, par rapport à l'exécution des peines en milieu
fermé, une performance nettement meilleure.
14
Pour l'exécution des peines en milieu ouvert en Europe et ses avantages, cf. l'étude du Ministère de
Justice de la France: Gontard, Le régime ouvert de détention peut-il être étendu dans le champ
pénitentiaire français? Synthèse du rapport, Paris 2010, à l'adresse www.gouv.fr, sous synthèse (état
20 juin 2012)