Libre échange à tout prix

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Libre échange à tout prix
Libre échange à tout prix
Un accord de libre échange entre la République dominicaine, les Etats d’Amérique
centrale et les Etats-Unis est entré en vigueur au début de la nouvelle année à Costa
Rica.En novembre, le congrès costaricain a procédé aux dernières adaptations de sa
législation nationale et déposé en décembre les notes diplomatiques y relatives au
siège principal de l’Organisation des Etats Américainsà Washington. Ainsi se termine
une procédure commencée il y a près de six ans, qui a marqué l’agenda politique
costaricain comme aucun autre thème depuis.
Le TLC (Tratado de Libre Comercio entre la República Dominica, Centroamérica y
los Estados Unidos) crée une zone régionale de libre échange dans laquelle les
marchandises, les prestations et le capital circulent librement. Ces prochaines
années, les douanes et les barrières commerciales disparaîtront progressivement. Le
TLC prévoit en outre des garanties pour les investisseurs étrangers ainsi que la
suppression des monopoles étatiques dans les secteurs des télécommunications et
des assurances.
Avant son entrée en vigueur, alors que l’accord avait déjà été ratifié en 2004 et 2005
dans les autres Etats contractants, l’opposition au TLC était si massive au Costa
Rica que le gouvernement a soumis le 7 octobre 2007 la ratification de l’accord à un
référendum national, le premier dans l’histoire du pays. L’accord a été accepté par
51,6% des voix contre 48,4%, donc par une petite majorité de 3% d’électeurs.
La campagne électorale a été marquée par le parti pris du gouvernement en faveur
du TLC. Avec le soutien d’entrepreneurs et de médias importants du pays, le
gouvernement n’a eu de cesse de signaler que l’accord permettrait la création de
places de travail supplémentaires et la mise en place de meilleures conditions pour
les investisseurs étrangers. Les opposants à l’accord ont quant à eux mis en garde
contre la perte imminente des places de travail, étant donné que l’agriculture en
Amérique centrale n’est pas compétitive par rapport à celle des Etats-Unis. Les
derniers chiffres sur les conséquences de l’accord dans les pays où il est déjà entré
en vigueur semblent donner raison aux opposants.
Une étude publiée fin 2007 par les instituts scientifiques et les organisations à but
non lucratif prouve que les économies nationales d’Amérique centrale dépendent
davantage de celles des Etats-Unis depuis l’entrée en vigueur du TLC. El Salvador
par exemple, qui faisait venir ses denrées alimentaires de base de différents pays
avant 2004, ne les importe pratiquement plus que des Etats-Unis depuis 2005. Et au
Guatemala, la quasi-totalité des importations de maïs et de riz provenaient des EtatsUnis en 2007. En ce qui concerne les investissements directs à l’étranger, ils ont
certes été nombreux dans certains pays, bien que les sociétés étrangères aient
surtout fait l’acquisition d’instituts financiers et d’anciennes entreprises étatiques.
Quant aux places de travail, plusieurs secteurs économiques guatemaltais ont laissé
entendre que près de 200 000 places de travail auraient été supprimées depuis
l’entrée en vigueur du TLC dans leur pays. Le secteur industriel, qui aurait tout
particulièrement dû profiter de l’accord en raison de ces conditions de production
avantageuses, accuse à lui seul la perte de 100 000 emplois. En même temps, les
droits des travailleurs se sont péjorés: temps de travail en hausse, licenciements
collectifs, assassinat de plusieurs représentants syndicaux.
Compte tenu de la situation, des politiciens de l’opposition ainsi que des
représentants syndicaux exigent déjà de nouvelles négociations du TLC au Costa
Rica. Notamment en raison de l’élection de Barack Obama à la présidence des
Etats-Unis. Durant sa campagne
électorale,Obama a en effet évoqué la possibilité de renégocier le TLC – un accord
préjudiciable aux travailleurs américains. Du reste, en 2005, cet accord avait été
accepté seulement par 217 voix contre 215 à la Chambre des représentants
américains.
En dépit de ces faits, le gouvernement costaricain poursuit de manière effrénée la
voie du libre échange. Depuis quelques mois, il négocie un accord de libre échange
avec l’Union Européenne. Simultanément, à l’occasion de la visite du président
chinois Hu Jintao à Costa Rica en novembre dernier, le gouvernement a fait savoir
qu’il négocierait à partir de janvier un accord bilatéral avec l’Empire du Milieu. Enfin,
dans le cadre de son voyage en Asie au début du mois de décembre, le président
costaricain Oscar Arias a annoncé vouloir ouvrir les négociations avec Singapour sur
un accord de libre échange. «Libreéchange à tout prix», telle semble être la devise.
Une devise qui ne tient pas compte des répercussions négatives des accords. Ce qui
a incité le puissant syndicat des dockers à Limón, situé sur la côte Caraïbe, à
qualifier dans une lettre ouverte Arias de président du Costa Rica ayant le plus
voyagé à l’étranger durant son mandat. Ce dernier sait certainement où se trouvent
Singapour et la Chine, mais peut-être pas Limón.
Oliver Luethi, 30 janvier 2009

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