tsahal bombarde le web

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tsahal bombarde le web
01/07 DEC 12
Hebdomadaire Paris
OJD : 631086
Surface approx. (cm²) : 1038
N° de page : 34-35
6-8 RUE JEAN ANTOINE DE BAIF
75212 PARIS CEDEX 13 - 01 55 30 55 30
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CONFLIT ENQUÊTE
L'AUTRE GUERRE DE GAZA
TSAHAL BOMBARDE LE WEB
L'armée israélienne n'a désormais plus besoin
des journalistes. Elle produit elle-même l'info
qu'elle diffuse via Twïtter, Facebook ou YouTube.
Et malgré le cessez-le feu de mercredi dernier,
toujours pas d'accalmie sur le front du Net.
que Tsahal a annonce sa nouvelle offensive. Sur YouTube, elle
a posté la vidéo de I'«élimination» d'Ahmed Jabari, le chef de
la branche armée du Hamas. Sur Facebook, elle incite les internautes à partager ses contenus («si vous pensez qu'Israël a
le droitde se défendre»). Sur l'application photo Instagram, les
soldats se prennent en photo comme de vulgaires biogueuses
mode. Et sur un blog alimenté quotidiennement, l'armée
tient son journal de bord, infographies animées à l'appui.
Pendant la première guerre du Golfe, en 1990, l'armée
Par Richard Sénéjoux et Olivier Tesquet
américaine avait trouvé la meilleure façon de mettre les jourD'abord, un tweet de l'AFP : «larmée israélienne confirme nalistes en coupe réglée : en les embarquant dans l'habitacle
avoir visé le bâtiment où se trouve le bureau de l'AFP à Gaza. » de ses blindés, «embedded», comme on dit dans le jargon.
Puis une réponse - cinglante - des forces de défense israé- Aujourd'hui, les forces de défense israéliennes communiliennes : «Ce bâtiment abritait un QG du renseignement du quent elles-mêmes, en direct. On avait déjà relevé quèlques
escarmouches numériques dans les zones de conflit, entre
Hamas. N'acceptez pas de leur servir de bouclier humain. »
les troupes de la coalition et les talibans, en Afghanistan par
exemple. Mais c'est la première fois qu'on voit une armée se
COMMENT LES ARMÉES SE PASSENT-ELLES
prendre pour un site d'information. Ou un jeu vidéo: il ne
DES JOURNALISTES ?
Lancée le 14 novembre, l'opération «Pilier de défense» manque guère que le flux live des bombardements, en caméÀ LIRE
s'est étalée en temps réel à la face du monde, sur nos écrans. ra subjective, pour compléter la panoplie israélienne. Dans
Arabités
Le conflit israélo-palestinien se prolonge sur Internet. En ce paysage recomposé, quelle place pour la presse?
numériques.
ligne, l'armée veille au grain. Elle surveille l'activité des corLé printemps
respondants et des envoyés spéciaux. Les interpellent par- UN BLOCUS MÉDIATIQUE EST-IL POSSIBLE,
dû Web arabe,
fois. La hasbara, l'«explication», en hébreu, c'était déjà la COMME EN 2009?
Avant de lancer l'opération «Plomb durci», en janvier
d'Yves Gonzaleznorme, l'arme de communication massive d'Israël, une diQuijano,
plomatie à ciel ouvert à destination des opinions publiques 2009, l'armée israélienne avait carrément fermé Gaza aux
ed Smdbad, 2012, internationales. Désormais, elle migre vers les réseaux so- médias. «Par le plus grand des hasards, aucun journaliste
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ciaux, à l'initiative de l'état-major militaire. C'est sur Twitter êtranger n'était présent sur place à ce moment-là », se souACTES
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Eléments de recherche : SINDBAD : collection des éditions Actes Sud, toutes citations
01/07 DEC 12
Hebdomadaire Paris
OJD : 631086
Surface approx. (cm²) : 1038
N° de page : 34-35
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recherches et d'études sur la Méditerranée et le MoyenOrient (Gremmo), auteur d'Arabités numériques.
«Avec l'explosion du numêrique, les images arrivent de
partout: chaînes d'info, Twitter, Facebook... relève Thierry
Thuillier, le directeur de l'info de France Télévisions, lln'est
plus possible de mettre un couvercle sur ce qui se passe à Gaza. La principale difficulté aujourd'hui est de sourcer les
images. » En 2009, France 2 avait par exemple diffusé par
erreur une vidéo montrant les victimes palestiniennes
d'une explosion datant de... 2005. Petit à petit, les méthodes de vérification progressent. L'AFP dispose par
exemple d'un logiciel qui lui a permis de débusquer rapidement la photo truquée de Ben Laden post mortem. Et les
envoyés spéciaux ont appris à vérifier leurs informations
sur les réseaux sociaux 1.
vient Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jerusalem depuis trente ans. On a en mémoire les images de ces
journalistes occidentaux parqués sur une colline et regardant passer les bombes. Pendant trois semaines. «Cette
stratégie fut un échec cuisant, analyse Benjamin Barthe,
grand reporter au Monde, à l'époque correspondant du
quotidien à Ramallah. Cela n'a absolument pas empêché les
images de circuler, avec des fixeurs palestiniens qui ont joué
aux journalistes [face au black-out, Al-Jazira avait aussi décidé de publier ses vidéos libres de droit, pour permettre
leur duplication, NDLR]. C'est
d'ailleurs à la suite de cette opération
que les opinions publiques mondiales
ont bascule contre Israël. » Qui semble
en avoir tiré les conséquences. Cette
fois-ci, le poste-frontière d'Erez, où
passent les journalistes, est resté ouvert. «Tous les médias sont là, et bien
là», constate depuis Gaza Grégory
Philipps, envoyé spécial permanent
de Radio France à Jérusalem. Et les
journalistes sont de plus en plus autonomes et audibles auprès du grand
public grâce à Twitter: «En 2003,
quand l'armée américaine a frappe
l'hôtel Palestine [où stationnaient les
médias, NDLR], seuls certains ont pu
prévenir leur rédaction grâce à leur valise satellitaire. Aujourd'hui, ils utiliseraient tous leur smartphone », analyse
Yves Gonzalez-Quijano, chercheur à
l'université Lyon-II et au Groupe de
ACTES
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La mort d'Ahmed
Jabari, chef militaire
du Hamas,
version israélienne
(à gauche)
et version Hamas.
LE WEB GAZAOUI PEUT-IL RENVERSER
LE RAPPORT DE FORCE ?
A la faveur du Printemps arabe, l'Occident s'est mis à entendre une voix numérique qu'il ne connaissait pas (ou ne
voulait pas entendre). Les mouvements de contestation,
débutés en ligne et poursuivis dans la rue, ont abouti à la
chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte. Les
médias ont apprivoisé les prises de parole anonymes et les
témoignages au ras du sol, et la méfiance des jeunes années
du Web social a disparu. On serait presque tombés dans
l'excès inverse, sacralisant le bruit de la foule. Parce que, en
2011, Internet a aidé le plus petit à l'emporter, on pourrait
croire que Ie modèle est reproductible. Mais le conflit israélo-palestinien n'est pas le soulèvement d'un peuple contre
le pouvoir en place, c'est une guerre asymétrique et violente qui dure depuis plus de soixante ans. Face à la puissance de feu - militaire et numérique - d'Israël, la bande
de Gaza peine à se faire entendre sur les réseaux.
«Les Gazaouissont les plus fragiles vis-à-vis d'Internet, mais
ce sont ceux qui en ont le plus besoin, parce qu'ils vivent dans
l'isolement», avance Yves Gonzalez-Quijano. Dépendants de
l'infrastructure israélienne, branches sur un réseau électrique défaillant, les habitants ont appris à composer avec
des générateurs de secours et des ruses de Sioux. Coupés du
monde, ils ont développé ce que notre
chercheur appelle une «microsphère».
Et même le ferment d'un esprit critique.
«L'utilisation des réseaux sociaux à Gaza
crêe des tensions au sein même du Hamas,
parce que ce sont des outils de consensus et
de débat», explique ainsi Gonzalez-Quijano, qui pointe l'opposition entre deux
cultures politiques radicalement différentes, les anciens contre les modernes.
Faute d'une blogosphère structurée, le
territoire palestinien n'a pas - encore fait émerger de figure connectée de la
société civile, comme Slim Amamou en
Tunisie ou Wael Ghonim en Egypte. Une
question de temps ? •
i Pendant le Printemps arabe, Andy Carvin,
journaliste à la National Public Radio,
une radio américaine, a été l'un
des journalistes les plus actifs grâce
à sa communauté en ligne. Sans jamais
mettre les pieds sur le terrain.
Eléments de recherche : SINDBAD : collection des éditions Actes Sud, toutes citations

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