Tintoret, Portrait d`homme - Musée des Beaux

Transcription

Tintoret, Portrait d`homme - Musée des Beaux
XVIe
Fiche d’œuvre
Jacopo Robusti dit Le Tintoret (Venise, 1518 – id., 1594)
Portrait d’homme, dit de Soranzo, non daté
Mots clés
Art vénitien / Art du portrait
Renaissance italienne / Cinquecento /
Maniérisme / La querelle du dessin et
de la couleur au XVIe siècle en Italie
Portrait d'homme, dit de Soranzo
Huile sur toile, 63 x 51 cm
Achat à M. François Cacault en 1810
Inv. : 170
Gérard Blot/Agence photographique de la RMN © domaine public
L’œuvre
La supériorité de la couleur sur le dessin
Cette huile sur toile non datée a été réalisée par l’un des plus célèbres représentants de l’École vénitienne du
XVIe siècle, l’audacieux Tintoret. Aucune source officielle ne l’atteste avec certitude mais il semblerait qu’il soit
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formé dans un premier temps par Titien , qu’il quitte rapidement, souffrant de sa jalousie et n’approuvant pas
ses méthodes d’enseignement. Il développe cependant un style dans la continuité de celui de son aîné,
dynamique et contrasté, privilégiant les effets de couleurs sur la ligne. Loin des canons de l’école romaine ou
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florentine, il prône en effet la supériorité de la couleur sur la forme et le trait sans pour autant les rejeter. Il
écrit d’ailleurs sur les murs de son atelier « il disegno di Michelangelo, il colorito di Tiziano»3. Il est en ce sens
moins radical que Titien.
Un portrait vibrant, émergeant de l’obscurité
Cette appréhension de la couleur se comprend immédiatement face à l’œuvre. L’aspect flouté et l’absence de
contours nets déstabilisent dans un premier temps le regard du spectateur qui cherche à se fixer sur une ligne.
De près, la superposition de plusieurs touches et couches de couleurs est perceptible, donnant un aspect
vibrant à ce portrait. Le regard est soutenu, les pommettes rehaussées de rose lui donnent davantage de
personnalité. Le fond sombre fait ressortir la barbe aux tonalités rousses, dont les poils sont à peine visibles et
se perdent dans le vêtement. De ce fond sombre émerge également le visage au regard assuré, révélant le
caractère du personnage. Là est toute la force du Tintoret portraitiste : révéler les qualités ou le caractère de
son modèle grâce à la maîtrise du coloris.
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Tiziano Vecellio (Pieve di Cadore, 1488 – Venise, 1572) est également l’un des chefs de fil de l’Ecole vénitienne, admiré pour ses portraits
et scènes religieuses.
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Cette appréhension de la peinture, insistant sur la supériorité du coloris sur le dessin donne lieu à un débat virulent entre l’École
vénitienne s’attachant à la beauté substantielle de l’art et l’École florentine s’attachant à la beauté spirituelle, incarnée par le dessin. Cette
querelle se poursuit tout au long du XVIIe siècle, au-delà des frontières italiennes, et prend le nom en France de « Querelle du coloris ».
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« Le dessin de Michel-Ange, la couleur du Titien ».
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Catherine LE TREUT / Janvier 2014
L’homme sans nom ?
Jusqu’à présent, aucun symbole, attribut ni inscription ne permettait
d’identifier ce personnage. On sait aujourd’hui que cet anonyme est
en fait Lorenzo Soranzo (1519-1575), une personnalité importante de
la République de Venise, qui exerçait des charges politiques et dont
Tintoret a réalisé plusieurs portraits.
L’œuvre du musée des beaux-arts de Nantes est sûrement une étude
préparatoire à ce grand portrait.
Tintoret, Portrait de Lorenzo Soranzo
1553, Kunsthistorisches Museum, Vienne
Huile sur toile, 1,14 x 95,5 cm
© Domaine public
Le portrait à Venise
Même si le portrait est généralement considéré comme un genre moins prestigieux que la peinture religieuse
et mythologique, il a un statut particulier à Venise. Apanage de la classe dominante (patriciens, riches,
marchands, lettrés), il est une façon de mettre en avant l’ancienneté de sa lignée, l’importance d’une fonction
(doge, procurateur, amiral) et de servir à l’édification morale des hommes.
(Extrait du site : http://mini-site.louvre.fr/venise/fr/exposition/prologue.html)
L’artiste en quelques dates
1518-1519 : Naissance de Jacopo Robusti à Venise. Il doit son surnom « il tintoretto », le petit teinturier, au
métier de son père et à sa petite taille. La famille est originaire de Lucques en Toscane.
La période de sa formation est peu documentée. Quelques textes font cependant mention d’un bref séjour
dans l’atelier du Titien (mentionné plus haut).
1540-1550 : Production de très nombreuses œuvres religieuses et profanes (scènes historiques et portraits)
pendant ces dix années. Considéré comme un véritable virtuose de la couleur et un inventeur de compositions
sans précédent, il rencontre le succès rapidement, provoquant admiration et scandales.
Il épouse Faustina Episcopi en 1550 avec qui il a huit enfants, dont trois deviennent peintres et l’assistent dans
son vaste atelier.
1564 : Nomination comme décorateur officiel de la Scuola Grande di San Rocco de Venise. Il réalise un cycle de
peintures consacrées aux vies de Jésus-Christ et de la Vierge Marie.
1578-1580 : Seul séjour connu en dehors de Venise : il travaille à Mantoue pour le duc Guillaume de Gonzague.
1588 : Réalisation de l’un de ses chefs-d’œuvre, Le Paradis, pour le Palais Ducal.
1594 : Décès à Venise à l’âge de 75 ans.
Bonus
Rivalité à Venise
e
L’école vénitienne est dominée au XVI siècle par Titien, Véronèse et Tintoret.
« Titien (Tiziano Vecellio) né à Pieve di Cadore, dans les Dolomites, s’est formé à Venise auprès des Bellini et de
Giorgione. Il acquiert rapidement une grande renommée dès 1520 à Venise et rapidement dans toute l’Italie et
en Europe. [Trente années séparent Tintoret du Titien]. Une forte antipathie semble s’être installée entre eux et
de nombreuses commandes ou promesses de commandes apparaissent comme des tentatives pour surpasser
ou bloquer l’autre. Véronèse (Paolo Caliari) naît en 1528 à Vérone. Il s’installe à Venise dans les années 1550 et
reçoit très vite de très nombreuses commandes émanant d’églises ou du Palais Ducal, faisant ainsi de l’ombre à
Tintoret. Il semble qu’il soit devenu le protégé de Titien voire son pion dans sa rivalité avec Tintoret. Ces trois
peintres vont se côtoyer pendant plus de trente ans, et après la mort de Titien en 1576, les deux autres se
confronteront encore pendant une douzaine d’années. Mais s’ils sont rivaux, ils s’influencent, s’inspirent (…) ».
(Extrait du site : http://mini-site.louvre.fr/venise/fr/exposition/prologue.html)
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Catherine LE TREUT / Janvier 2014
Bibliographie
J. HABERT, Le « Paradis » de Tintoret, catal. expos., Musée du Louvre Éditions, Paris, 2006
R. KRISCHEL, Jacopo Robusti dit Le Tintoret : 1519-1594, Könemann, Cologne, 2000
R. PALLUCCHINI & P. ROSSI, Tintoretto. Le opere sacre e profane, 2 vol., Milan, 1982, rééd. 1994
D. Rosand, Peindre à Venise au XVIe siècle, Titien, Tintoret, Véronèse, Flammarion, 1993
P. ROSSI, Jacopo Tintoretto. I ritratti, Préf. de R. Pallucchini, Venise, 1974
P. DE VECCHI, Tout l'œuvre peint de Tintoret, Flammarion, Paris, 1971
o
J.-P. SARTRE, « Le Séquestré de Venise », in Les Temps modernes, n 141, nov. 1957
G. VASARI, Le Vite de' più eccellenti pittori..., Florence, 1568, trad. franç. A. Chastel dir., Berger-Levrault, Paris,
1981-1986.
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Catherine LE TREUT / Janvier 2014