Œuvre commentée L`Homme au gant de Tiziano Vecellio, dit Titien
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Œuvre commentée L`Homme au gant de Tiziano Vecellio, dit Titien
Œuvre commentée L'Homme au gant de Tiziano Vecellio, dit Titien, un portrait énigmatique Document réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Service éducatif, Palais Fesch- musée des Beaux- Arts L'Homme au gant de Titien Huile sur toile, 88x73cm « Sur un fond gris uniforme, légèrement teinté de brun, se dresse la figure, vue à mi-corps, d'un jeune gentilhomme, les lèvres et le menton ombrés d'une barbe naissante, la tête coiffée d'une barrette de couleur sombre qui laisse le front libre, un vêtement de brocard noir, de coupe soignée, couvrant avec une chemise blanche richement plissée le carré visible de la poitrine. La main droite du jeune homme tient un gant ; la main gauche est recouverte d'un gant semblable au précédent, de couleur pâle, d'un brun grisâtre, relevé largement sur le dos de la main, de sorte que la doublure, couleur de rouille est visible. Cette petite tache d'un brun rouge produit un effet coloré fort piquant, au milieu de la tonalité paisible de l'ensemble de l'image, qui se tient dans les gris, les noirs et les bruns. » « C'est par ces mots qu'en 1930, dans les pages de la Gazette des Beaux-Arts, Wilhelm Suida décrit la magie de sa rencontre inattendue avec ce trésor enfoui dans les dépôts du Louvre, rendant ainsi au corpus de Titien une œuvre importante, que l'on peut dater des années 1510. » Sources : Joannides P., Titien, l'étrange homme au gant, Silvana Editoriale, 2010. Brothier C., Titien, l'étrange homme au gant, édition jeune public, Silvana editoriale, 2010. Rappel sur le genre du portrait : Le portrait est une œuvre représentant une personne réelle ou fictive. Selon l’historien de l’art Tzvetan Todorov, le portrait est « une image représentant un ou plusieurs êtres humains qui ont réellement existé, peinte de manière à transparaître leurs traits individuels. » Représenter des personnes est une chose très ancienne (le portrait apparaît dès le V e siècle avant J.C sur les monnaies des rois perses), mais les peindre afin qu’on les reconnaisse apparaît cependant assez tard dans l’histoire de la peinture. C'est au XIVe siècle en Italie, plus précisément à Florence, qu'on commence à réaliser des portraits avec des personnes identifiables. Les personnalités importantes de l'époque se font représenter dans les peintures religieuses dont ils passent commande. Ainsi n'est-il pas rare de voir des princes italiens côtoyer l'Enfant Jésus, la Vierge et les saints dans des Nativité ou autre adoration des mages … L'Adoration de l'Enfant, Rogier van der Weyden ©fr.wahooart.com Au XVe siècle, le portrait devient un art à lui seul. Durant les deux premiers tiers du Quattrocento, les personnes se font représenter de profil, sans doute en référence aux effigies gravées sur les pièces antiques et modernes. Puis, sans disparaître pour autant (Raphaël et Titien eux-mêmes ont pu à l'occasion l'utiliser), le portrait de profil s'efface aux profit des représentations en buste, puis de trois-quarts. Dans les Flandres, les personnalités sont placées dans leur cadre quotidien, tandis qu'en Italie, elles sont plus volontiers représentées devant un décor. Double Portrait du duc et de la duchesse d'Urbino (Federigo da Montefeltro et Battista Forza), Piero della Francesca ©monique-tourette-comte.com Les grands innovateurs du portrait italien de la fin du XVe siècle furent Botticelli et Léonard de Vinci, qui introduisirent un certain dynamisme dans l'art du portrait. L'évolution du portrait fut également grandement influencée par le portraitiste nordique majeur du dernier tiers du XVe siècle : Hans Memling, favori auprès des marchands italiens résidant dans les Flandres, dont beaucoup de portraits furent importés en Italie. C'est lui, notamment, qui incorpora des décors et des arrière-plans dans les portraits. Lui et ses disciples utilisèrent le monde naturel pour faire écho à la personnalité des figures représentées. La Joconde de Léonard en est le meilleur exemple ; le paysage peut être vu est comme une évocation de l'âme de Mona Lisa. Baldassare Castiglione, Raphaël ©fr.wikipedia.org La première décennie du XVIe siècle est une période d'accélération brutale dans le développement du portrait. Les formats s'agrandissent, et l'art du portrait se transforme essentiellement en art de cour. Les grands portraitistes de cette époque sont Raphaël en Italie centrale, Giorgione, puis Titien à Venise. D'ailleurs, Raphaël et Titien ne tardent pas à s'affronter à distance. Cependant, comme le fait remarquer Paul Joannides, spécialiste de la jeunesse de Titien, dans son ouvrage Titien, l'étrange homme au gant, « dans l'arène de l'art du portrait, la compétition en matière d'inventivité tourna à l'avantage de Titien. » À Venise, le portrait de cour s'impose donc grâce à Titien qui peint les souverains européens, notamment l'empereur Charles Quint. Au XVIIe siècle, le portrait se développe partout en Europe pour, enfin, connaître un âge d'or au XVIIIe siècle. Les personnalités continuent de commander leur portrait. Les représentations de la famille et des enfants se multiplient ; les tableaux se font le reflet de l'intimité des personnes, mettant en évidence leur expressivité et leur sensibilité. Avec l'apparition de la photographie au XIX e siècle, le rapport au portrait change, il devient plus un hommage ou un témoin de l'intimité entre le peintre et une personne de son entourage. Tiziano Vecellio, dit Titien, quelques éléments biographiques : La date de naissance de Tiziano Vecellio (ou Vecelli) ou Tiziano de Cador, appelé également Titien en français, n'est pas certaine et doit se situer entre 1489 et 1490. Il est né à Pieve di Cadore en Vénétie où son père, Gregorio Vecellio, occupait diverses charges, dont celles de capitaine de la milice et d'inspecteur des mines. À l'âge de 9 ou 10 ans, le jeune Titien s'installe à Venise avec son frère Francesco. Leur père les envoie chez leur oncle, fonctionnaire d’État et découvreur de jeunes artistes qui les met en apprentissage chez un mosaïste. Francesco quitte l'art pour une vie militaire, contrairement à Titien qui intègre l'atelier du peintre Gentile Bellini, puis de son frère Giovanni Bellini, les peintres vénitiens les plus renommés de cette époque. Dans l'atelier, Titien fait la connaissance de Giorgio da Castelfranco, connu sous le nom de Giorgione, avec il se lie d'amitié et devint associé. Ensemble, ils travaillent sur une très grande fresque (1508). Deux ans plus tard, Giorgione meurt de la peste, et il est probable que de nombreux tableaux de Giorgione, inachevés, aient été terminés par Titien. A partir de 1510, la notoriété de Titien grandit, non seulement à Venise où il devient peintre officiel de la République à la mort de Giovanni Bellini en 1516, mais également dans toute l'Italie. Il établit un atelier sur le Grand Canal, de nombreux artistes y passent, dont Tintoret et le Greco. Son talent, affirmé et apprécié, attire les princes des cours italiennes qui lui commandent leur portrait. Sa grande carrière de portraitiste commence. Cependant, il ne se limite pas à ce genre. En 1520, il exécute, par exemple, une importante commande pour la décoration du Palais des Doges et peint de grandes scènes bibliques et mythologiques : Le couronnement d'épines, Danaé, la Présentation de Marie au temple, le Concert champêtre, Diane et Callisto et la Vénus d'Urbin, sans doute la plus belle figure féminine qu'il ait jamais peinte. Vénus d'Urbin, Titien ©lesartsdalexe.blogspot.com En 1525, Titien épouse Cecilia Soldano, fille d'un barbier, qui lui donne trois enfants. Elle meurt en 1530. La même année, Frédéric de Gonzague présente Titien à Charles Quint, empereur du Saint Empire romain germanique. Titien commence alors à peindre pour les plus grandes familles italiennes, comme les Este, les Gonzague, les Farnese. L'artiste devient le peintre des Habsbourg, Charles Quint lui accorde le titre de Conte Palatino et Cavaliere dello Sperone d'Oro, un honneur sans précédent pour un peintre. De nombreuses toiles sont commandées à Titien qui peint une série de portraits des proches de l'Empereur. Même après son abdication, Charles Quint lui commande toujours des œuvres, ce que continue Philippe II, son fils, qui lui succède sur le trône d'Espagne. Philippe II devient le plus grand commanditaire de l'artiste. Puis, Titien se fait vieux. Il voit mourir ses amis et surtout son fils préféré Orazio, atteint de la peste lors de la terrible épidémie de 1576 à Venise. Tout cela l'attriste et l'angoisse, ce qui se ressent dans ses œuvres, beaucoup plus sombres à la fin de sa vie. Titien s'éteint à l'âge de 86 ans, le 27 août 1576. Titien et l'art du portrait : Durant la seconde moitié du XVe siècle, la technique de la peinture à l'huile est adoptée par des artistes italiens. C'est certainement Antonello de Messine qui l'importe à Venise en 1475. La technique est ensuite adoptée par Giovanni Bellini. Giorgione, à sa suite, expérimente certaines caractéristiques de la peinture à l'huile, comme sa texture, grasse et souple, et son opacité potentielle. Les artistes commencent à travailler en couches successives : d'abord un fond teinté, ombré ensuite en monochrome pour donner le modelé, puis plusieurs couches de glacis appliqués en plusieurs plans qui accrochent la lumière, enfin, d'autres glacis plus localisés pour former les détails. Les peintres vénitiens sculptent la matière picturale et se mettent à dissoudre le contour des formes. Ils finissent par minimiser l'importance du dessin préparatoire, ce qui est à l'origine de la controverse théorique entre l'école florentine qui prône le la supériorité de la ligne et du dessin, et l'école vénitienne, qui lui oppose la touche et le coloris. Le succès de Titien réside dans son ingéniosité à marier ces deux innovations techniques. On assiste cependant à une transformation progressive de la couche picturale, de plus en plus éclatée et de plus en plus vibrante. Le fond prend le pas sur la forme, le travail de la couleur prime sur le dessin. L'art du portrait chez Titien s'est sans nul doute inspiré de l’œuvre de Giorgione qui, en s'inspirant lui-même de Léonard, est l'un des premiers à donner une épaisseur psychologique à ses sujets. Titien commence à peindre pour les princes des cours italiennes et à faire leurs portraits dans les années 1520. Cependant, avant cela, Titien s'est déjà essayé à l'art du portrait et a représenté de nombreux gentilshommes de la cour vénitienne dont l'identité demeure inconnue. Titien, dont les œuvres reflètent la personnalité et la psychologie du sujet, s'illustre très vite comme un portraitiste exceptionnel. Il soigne tout particulièrement le regard, donnant, ainsi, un côté vivant à ses personnages. Les couleurs, assez sombres, sont fondues, et Titien joue avec la lumière, ce qui rend l’œuvre très présente. C'est sans doute cette faculté à montrer le reflet de l'âme et de la personnalité du sujet autant que le physique, qui séduit dans les portraits de Titien. L'Homme au gant du Palais Fesch, « une œuvre monochromatique majeure » : C'est ainsi que le définit l'historien de l'art Paul Joannides. Les portraits de Titien peuvent être classés en plusieurs types suivant les coloris utilisés. Entre 1508 et 1523, Titien a peint vingt-et-un portraits d'hommes et trois portraits de femmes. Parmi les portraits masculins, cinq présentent des couleurs vives, quatre font apparaître des textures riches mais des couleurs moins intenses, le reste des portraits présente des tonalités sombres plus ou moins monochromes (bleu sombre, noir/brun) avec des zones de brun ou d'ocre. L'Homme au gant du Palais Fesch fait partie de la dernière catégorie. L’œuvre, très sombre, présente cependant quelques zones plus claires et plus éclairées : le gant de la main gauche, le col blanc du vêtement, le visage du jeune homme. Ce tableau fait partie des tableaux de jeunesse de l'artiste. Il aurait été peint aux alentours de 1518. Des collections royales au Palais Fesch... Le tableau fait partie des collections françaises depuis le règne de Louis XIV, qui fut une période très active et très féconde dans la constitution des collections royales de France. Les œuvres acquises pendant cette période sont tellement nombreuses qu'elles forment aujourd'hui encore la partie les plus importante des collections publiques françaises. Durant les dix premières années du gouvernement personnel du Roi-Soleil (de 1661 à 1665), Colbert s'efforça de relever le prestige de la monarchie française en mettant les collections royales au niveau de celles des grandes dynasties princières de l'Europe comme celles des Habsbourg à Vienne ou à Madrid. Les années 1661 et 1662 furent particulièrement riches : une cinquantaine d’œuvres de l'école vénitienne furent acquises, elles constituent aujourd'hui encore près de la moitié du fonds de peintures vénitiennes conservées dans les collections publiques françaises. Sous Louis XIV, les œuvres des collections passèrent de 200 à 2500, dont 25 sont attribuées à Titien. En 1792, le portrait de l'Homme au gant est transféré de Versailles au Louvre. Il y reste jusqu'en 1990, date de sa mise en dépôt au Palais Fesch. Depuis près de deux cents ans, les musées qui dépendent de la Direction des Musées de France, ont la possibilité de mettre en dépôt des œuvres de leurs collections dans des organismes ou des collectivités territoriales. Ainsi, un musée peut déposer un tableau dans une administration ou un autre musée pour compléter sa collection. En 1956, le musée du Louvre a mis en dépôt le Portrait de l'Homme au gant de Titien au musée Fesch. Ce tableau vient s'ajouter à la collection d’œuvres vénitiennes du musée, alors plutôt pauvre, et enrichit aussi la période du XVI e siècle. Une attribution longtemps incertaine L'attribution de l'Homme au gant à Titien n'a pas toujours été une évidence. Il faut dire que Titien, à la différence de Bellini, ne signait pas nécessairement ses œuvres d'où des difficultés d'identification de la paternité des œuvres de Titien. Le Brun, élevé au rang de Premier Peintre en 1664, recense l'Homme au gant, comme un tableau peint à la « manière de Georgion », c'est-à-dire Giorgione. Ce n'est qu'en 1792 que le tableau est attribué à Titien, au moment de son transfert de Versailles au Louvre. Cependant, en 1864, il est classé dans le catalogue de Villot comme le tableau d'un artiste anonyme, jusqu'à ce que Wilhelm Suida rétablisse l'attribution à Titien en 1930. Depuis, quelques doutes avaient été émis sur l'attribution à Titien. La nécessité d'une restauration et d'une étude a conduit la toile au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) en 2010. Les radiographies, rayons X, infrarouges, ultraviolets, ainsi que l'étude de Paul Joannides permettent aujourd'hui d'affirmer avec certitude que ce tableau est bien de la main du maître vénitien. Une œuvre récemment restaurée L'étude du tableau (photographies sous différentes lumières, radiographies, rayons X) a révélé plusieurs informations, notamment que le tableau a été agrandi grâce à une opération de rentoilage et de l'utilisation d'un châssis plus grand que celui d'origine. La radiographie met aussi en évidence tous les repentirs du peintre, c'est-à-dire des rectifications d'éléments qui ne lui convenaient pas : à l'origine, les cheveux étaient plus longs, le visage était plus large, la chemise était plus visible, etc. D'autres études nous ont appris les couleurs dont Titien s'est servi : terre d'ombre, vert, vermillon, brun, blanc, ocre. Les études ont également mis à jour les dégradations de la couche picturale et du support. Avant nettoyage, toutes les couleurs présentaient une dominante verdâtre, car le tableau était recouvert d'un vernis de résine naturelle jaune. Après l’allègement prononcé de celui-ci, le fond a recouvré son ton rougeâtre qui le différencie de l'habit et du bonnet de tonalité plus froide, dans les noirs et les gris bleutés. Pour la réouverture du musée en juin 2010, après des travaux de rénovation, l'Homme au gant a été présenté avec d'autres portraits de Titien présentant les mêmes caractéristiques. Composition du tableau Parmi les œuvres monochromatiques majeures de Titien, ce tableau est le plus ancien. Sur un fond sombre, le visage d'un jeune homme dont le costume se fond avec le décor, se détache. Il est richement vêtu : un costume noir à crevées et un large col blanc est complété par un chapeau à glands et écusson. Les deux mains du personnage, posées à même hauteur juste au-dessus du cadre, présentent des gants brun clair ; la main gauche est encore recouverte de son gant, tandis que la main droite le tient fermement. La main gauche est placée immédiatement sous le visage sur l'axe vertical central du tableau, ce qui permet de donner un certain équilibre à la composition. C'est la première fois que Titien utilise cette position : le portrait monochromatique de face plus long qu'en buste. Toutefois, comme le fait remarquer Paul Joannides, la nouvelle technique n'est pas encore tout à fait maîtrisée, ce qui explique l'utilisation un peu plus importante qu'à l'habitude d'ornements et de détails, peut-être pour donner un côté plus expressif au personnage, compenser ce qui pouvait être ressenti par Titien comme un manque de caractère. L'identité du jeune homme est totalement inconnue. Sur les 21 portraits qu'a réalisés Titien entre 1508 et 1523, seuls trois ont été identifiés, mais de manière peu sûre. Titien, à la différence de Raphaël, n'était pas encore un artiste de cour et, comme il ne dépendait pas de mécènes connus, il est improbable qu'on puisse un jour facilement identifier facilement ses modèles. C'est seulement quand Titien commence à portraiturer des grandes figures des cours du Nord de l'Italie à partir du milieu des années 1520, que les sujets deviennent plus facilement identifiables. Toutefois, la richesse du costume et les gants sont de précieux indices. En effet, le gant est un objet hautement symbolique. Existant depuis l'Antiquité, il est aux origines un objet de protection. Au XIVe siècle, le gant prend beaucoup de significations, notamment celle de l'autorité. Le port du gant indique également le rang auquel on appartient. La noblesse le porte de préférence à la main gauche. Par sa couleur et sa forme, le gant peut avoir plusieurs significations et renseigne sur la fonction de celui qui le porte. Il semblerait donc que le personnage de Titien soit un gentilhomme, son costume rappelle les costumes de la cour espagnole du XVI e siècle. Dans les portraits de Titien, les personnages représentés ont tous à peu près une vingtaine d'années, comme Titien. En matière de portraits individuels, Titien idéalisait ses modèles, tout en usant de réalisme quand les circonstances l'exigeaient. Quoi qu'il en soit, les portraits n'étaient jamais figés, c'est ce qui fait la particularité de l'art du portrait chez ce peintre. Ses portraits nous racontent une histoire, captent un moment expressif, souvent aux dépens du dessin. Ici, le personnage semble nous regarder. Un tableau monochromatique Mais pourquoi le tableau est-il si sombre ? C'est la question que l'on se pose immédiatement lorsqu'on voit le tableau pour la première fois. Bien que la datation des portraits de Titien pose problème, il est possible d'établir des arcs d'évolution dans l’œuvre du peintre. Au fil du temps, les portraits de Titien se font plus vivants, ils sont de moins en moins colorés, tendant quasiment vers le monochrome. Il est généralement admis que dans ses portraits, l'intérêt de Titien pour les couleurs et les textures variées a diminué peu à peu en faveur de couleurs sombres, notamment du noir. Cependant, la transition vers le noir et le lisse fut longue et, à l'origine, plutôt timide. Au début, Titien évitait même d'utiliser du noir dans les portraits individuels. Toutefois, le fait de réduire le costume des modèles à de la couleur noire, avec quelques petites zones de blanc et quelques minimes accents de couleur pour l'égayer n'était pas nouveau en soi : Giovanni Bellini représentaient des hommes en buste, souvent vêtus de noirs. Il faut dire que le noir semble avoir été courant à Venise, la couleur n'étant utilisée que lorsqu'elle servait à indiquer un rang ou un certain exploit. De plus, les guerres de la Ligue de Cambrai et les lois somptuaires, adoptées par le Sénat à l'occasion, ont contribué à un certain assombrissement des tenues de la seconde moitié du XVI e siècle. Quoi qu'il en soit, Titien semble adopter un style plus sombre dès 1511. Peut-être avait-il également saisi les avantages d'une telle technique ? En effet, la retenue du costume encourageait Titien à mettre l'accent sur les qualités morales et personnelles des modèles. Qui plus est, l'adoption d'une palette sombre le conduisait à jouer de façon virtuose avec les nuances de noir et de brun, ce qui est un véritable défi pour un peintre, et il fallait bien compenser la limitation dans le choix des couleurs par une nouvelle gamme de subtilités. Ainsi, les portraits monochromatiques ne le sont pas entièrement, ainsi qu'a pu le montrer la restauration de l'Homme au gant, qui a permis de souligner le travail subtil des couleurs allant du chamois au noir le plus sombre. Afin de faire contrepoint au costume noir, Titien incorporait dans ses œuvres des zones plus claires : le visage, une ou de mains et/ou un gant, une chemise. Ces trois détails se retrouvent dans l'Homme au gant du Palais Fesch. Le rectangle blanc qui figure la chemise permet d'éclairer le visage du jeune homme. Le côté droit du visage est plus particulièrement éclairé, et les yeux captivent immédiatement le spectateur. Ils nous suivent dans tous nos déplacements. Le jeune homme a l'air vivant. NB : La Guerre de la Ligue de Cambrai s'est déroulée de 1508 à 1516. Elle oppose dans un premier temps la France, les États pontificaux et la République de Venise. Afin de mettre fin à l'influence vénitienne en Italie du Nord, le pape Jules II crée la Ligue de Cambrai qui l'unit au roi de France, Louis XII. Cependant, en 1510, des dissensions éclatent entre le Pape et la France. Jules II finit par s'allier à Venise, et les Français sont finalement repoussés hors d'Italie en 1512. Mais une nouvelle alliance unit la France et Venise, ce qui permet aux Français de regagner le territoire perdu grâce à la victoire de Marignan en 1515. Le conflit prend fin l'année suivante. Réalisation : Document réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Secteur éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts Photographies : ©Palais Fesch-musée des Beaux Arts / RMN-Gérard Blot