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TABLE DES MATIÈRES
Présentation de Lama Jigmé Rinpoché . . . . . . . . . . . . . . . . p. 10
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 12
I. Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 17
II. Côté Face . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 31
- Les 9 paradoxes de l’Espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 34
- Les 9 paradoxes du Temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 44
- Les 9 paradoxes du Mouvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 54
III. Côté Pile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 65
- Les 9 paradoxes pile dans le drame de la trame . . . . . . . p. 68
- Les 9 paradoxes pile dans l’envers de la trame . . . . . . . . p. 78
- Les 9 paradoxes pile dans le jeu de la trame . . . . . . . . . p. 88
IV. Côté Interface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 99
- Les 9 paradoxes de l’interface moi-autre . . . . . . . . . . . . . p. 102
- Les 9 paradoxes de l’interface animus-anima . . . . . . . . . . p. 112
- Les 9 paradoxes de l’interface être-non être . . . . . . . . . . . p. 122
V. Côté Pile ou Face . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 133
- Les 9 paradoxes au-dessus de tout . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 136
- Les 9 paradoxes en dessous de tout . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 146
- Les 9 paradoxes de l’au-delà au-dedans . . . . . . . . . . . . . . p. 156
VI. Tomber Pile & faire Face . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 167
VII. Postface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 197
PRÉSENTATION DE LAMA JIGMÉ RINPOCHÉ
Bien souvent, nous sommes amenés à penser :
– Cela dépendra des circonstances… car nous croyons fermement que
les conditions extérieures nous encerclent de toutes parts. Ces circonstances, qu’elles soient atténuantes ou aggravantes, se révèlent en fait
être nos invitées personnelles. Elles nous correspondent trait pour trait.
Elles ne surgissent ni de l’extérieur ni sans raison. Nous sommes au
cœur de tout ce qui nous arrive. En l’occurrence, ce qui advient de nous
dépend entièrement de la façon dont nous percevons notre entourage,
de l’accueil que nous lui faisons et de la façon de nous y adapter.
En un mot, de notre ouverture d’esprit.
Prenons un exemple très simple : la mauvaise humeur. Immédiatement, comme une porte qui claque, l’extérieur nous renvoie notre
manque d’amabilité. Cette mauvaise humeur ne provient pas du dehors,
mais de notre façon de réagir au dedans. Quand nous nous imaginons
agressés, nous nous trompons souvent nous-mêmes. Nous ne voyons
pas que nous sommes à l’origine du désastre et du mauvais climat
ambiant. Nous sommes dans ce cas les agresseurs. Personne dans la vie
ne nous oblige à être invivables.
Une fois l’esprit détendu, ces mêmes conditions évoluent dans un sens
beaucoup plus favorable. Cependant, dès lors qu’à nouveau nous nous
stressons, la situation une fois de plus réagit en notre défaveur.
Les circonstances dépendent-elles de nous ?
Y a-t-il un lien de cause à effet ?
Retournons le miroir. Au lieu d’observer le reflet projeté, observons la
source de cette confusion. À partir du moment où cette idée de l’origine de nos malaises est bien admise, se pose la question suivante : comment aborder le monde ?
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Autrement dit, comment développer à chaque instant le sens de la cordialité pour recevoir chaque occasion comme un présent unique,
chaque personne comme le maître de la situation ? Comment accueillir
les bons moments comme les mauvais. Et surtout les mauvais comme
les bons ? Et comment transformer les mauvais en bons ? Comment
s’éveiller à la pleine conscience ?
Quel que soit le nom que l’on donne à une telle disposition : méditation, cœur en paix, conscience large, esprit de l’Éveil… il s’agit encore
et toujours de se dégager l’esprit. Les situations les plus difficiles sont
paradoxalement les plus instructives car elles nous apprennent tout simplement à vivre et à garder notre calme et notre intelligence créative.
Même en période de grands troubles. Surtout en période de grands
troubles.
Quand l’esprit s’ouvre ainsi, les mots, les images, les phénomènes mentaux qui agitent la conscience en surface, les pensées les plus contraires
paraissent naturellement se réconcilier. Le haut s’approche du plus bas
par humilité et le bas s’élance vers le haut comme un arbrisseau vers le
ciel. L’extérieur rejoint l’intérieur. Le mobile, l’immobile… Il n’y a pas
d’opposition ou d’adversité qui ne soient sources d’équilibre, synthèse
créative, évolution favorable… apprentissage de la noble attitude : l’éveil
pour le bien de tous !
Puisse ce guide, Tomber pile & faire face, à travers ce chapelet de 108
images paradoxales, nous habituer à ne pas nous habituer et développer l’avant-goût d’une liberté d’esprit bien plus grande, une liberté sans
aucun dogmatisme qui dépasse tout ce qui pourrait se dire ou se penser. Une liberté qui accompagne chacun en vue de la seule place
agréable à vivre pour chacun : la place vacante.
Un maître de sagesse du VIIIe siècle, Saraha, nous le rappelle :
« Esprit fermé, prisonnier vous l’étiez, esprit ouvert, aucun doute,
prisonnier vous ne l’êtes plus. »
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“Le bon sens, c’est la continuité mouvante de notre attention à la vie” — Bergson.
INTRODUCTION
Le sens du paradoxe
De nos jours et depuis la plus haute antiquité, nos choix se font le plus
souvent logiquement, par exclusive. Entre deux propositions l’une est
vraie et l’autre doit nécessairement être fausse. De deux choses l’une et
vice versa. Haut contre bas. Occident contre Orient. Nord contre sud.
Futur contre présent. Homme contre femme. Jeune contre vieux. Élève
contre maître. Médecin contre malade. Gouvernement contre opposition.
Industrie contre nature. Producteur contre consommateur. Employé
contre sans emploi. Nanti contre démuni. Militaire contre civil. Porteur
de sceptre contre porteur de projet…
D’où l’expression commune : “je me heurte”. Mais qui se heurte à
l’autre quand on se dit : “je me heurte” ? “Je me heurte à un problème”.
“Je me heurte à des difficultés”. “Je me heurte à des refus de la part
de mes proches”. Ce douloureux antagonisme conduit à tendre nos
rapports à l’extrême. À buter nos esprits. À dénaturer le sens de nos
existences.
Les maîtres de Sagesse, ceux du pays des neiges comme ceux de la
mer Morte suggèrent d’utiliser au lieu du mot “sens”, le mot “bienfait”.
Les 5 sens signifient dans ce cas… les cinq bienfaits.
Le 6e sens… le sixième bienfait.
Les sens du mouvement, de l’observation et de l’humour… les bienfaits des rythmes, de l’attention et de la bonne humeur.
Le sens moral… le bienfait d’un excellent moral pour, chemin faisant,
entrevoir la morale de l’histoire de l’existence sans jamais manquer de
courage.
Le sens du paradoxe… le bienfait de la santé fondamentale de l’esprit.
Le livre que vous tenez entre vos mains : Tomber Pile & Faire Face
vous propose d’explorer les bienfaits des paradoxes. Ceci dit, bien que
je ne sois pas devin, je suis prêt à parier que votre choix ne s’est pas
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porté sur cet ouvrage par hasard. Ne vous sentez-vous, actuellement, à
la croisée des chemins ? Là où de nombreux dilemmes vous attendent
au tournant, tels que :
• décréter un nouveau départ ou battre en retraite…
• renouer les liens ou rompre les amarres…
• remonter la pente ou vous laisser glisser…
• foncer tout droit ou prendre la tangente…
• précipiter les choses ou perdre patience…
• ...
Comment faire face à toutes ces options apparemment contradictoires ?
Votre âme, à supposer qu’elle existe, peine. Votre conscience recherche
en vain les intimes convictions qu’elle appelle de ses vœux pour tomber pile, et les délais qu’elle requiert pour ne pas perdre la face. Vous
demeurez dans l’expectative, partagé, parfois même écartelé entre des
destinées contrariées. Dans ces conditions, comme n’importe quel ressortissant de ce monde en évolution, vous aimeriez acquérir le plan
d’ensemble de la situation pour remporter une grande victoire sur vousmême. Les angoisses les plus cuisantes, les inquiétudes les plus sourdes
seraient ainsi définitivement balayées, comme par magie, pour faire
place à un calme olympien devant lequel les événements se plieraient
aux décisions qui s’imposeraient. Mais… il y a un “mais”.
L’avantage pour les suivants
Un soir, alors que je me baladais pour échapper à une indéfinissable
tristesse, causée par je ne sais plus quel échec, j’aperçus, au détour d’un
chemin, un vieux monsieur qui empilait son bois. Bûche après bûche,
il entassait avec persévérance son précieux butin. Je le contemplais à
l’œuvre. Ni le crépuscule qui tombait, ni les rhumatismes qui le ralentissaient dans ses efforts ne semblaient pouvoir l’arrêter. À en juger par
le nombre de stères s’étalant sur plus de cinquante mètres, les prochains
hivers seraient rudes.
C’est étrange, bien souvent, la tristesse qui embrume les idées est le
signe avant-coureur d’une clarté d’esprit qui peut, par un brusque renversement de tendance, se lever d’un instant à l’autre. Dans le cas présent,
c’est le vieux monsieur qui m’offrit la clé du paradoxe “tristesse-joie”.
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Le ciel s’obscurcissait. Les arbres frissonnaient sous la lumière d’un
pauvre réverbère. Il se faisait tard et, près de cette maison dodue dont
la cheminée fumait, dans ce petit hameau oublié, au creux de ce vallon
déjà assoupi, le vieil homme, avec obstination, amassait consciencieusement son bois. Je m’approchai de lui et entamai un brin de causette.
Très heureux de rencontrer quelqu’un à qui parler, il m’apprit alors qu’il
venait de vendre sa ferme.
– C’est trop grand, trop d’entretien. Nous allons habiter, ma femme et
moi, maintenant que les enfants sont partis, une petite maison au centre
du village.
– Mais !… m’exclamai-je étonné, toutes ces bûches, tous ces stères,
pourquoi ? !
– Cette maison nous a apporté tellement d’avantages me répondit-il
simplement, que ce sera de l’avantage pour les suivants.
Oui, j’avais bien entendu, il avait dit : “de l’avantage pour les suivants” !
– Je vous remercie, monsieur, lui répliquai-je le cœur soudain plus
léger. Bon courage !
Tout en rangeant ses outils dans sa brouette, il tourna vers moi un visage
qui s’illuminait :
– Merci, monsieur, il en faut ! Bonsoir et bon courage pour vous aussi !
Le témoignage pour les présents
Lorsqu’une parole me touche, j’adore jardiner le langage afin d’en
approfondir le sens ou le bienfait. Aussi, de retour chez moi, plein d’allégresse, je me mis à fouiller dans mon vieux dictionnaire. Je ne tardais
pas à vérifier que les mots “tristesse” et “témoignage” provenaient des
mots latins tristis et terstis, issus d’une même racine sanskrite tra, qui
signifie “trois”.
Je comprenais mieux alors comment mon pincement au cœur s’était
subitement métamorphosé en feu de joie. À travers mes sombres pensées, la vie me paraissait triste. Les temps, durs. L’époque, difficile. Les
problèmes, injustes. Les gens, pénibles… Tristis, la tierce conscience,
s’était ratatinée, triste mentalité coincée dans des a priori et quelques
préjugés. Bref, un complet témoignage en la défaveur de tout ce qui
vivait. Un parfait faux témoignage. C’était oublier terstis, cette même
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tierce conscience, qui au-delà du pensable et même de l’impensable,
pouvait se transformer en “Conscience Témoin”. Ce monsieur agissait en
la faveur de ses successeurs quels qu’ils soient. Il faisait de son mieux
et de tout son possible. Il appartenait aux miracles de la nature, aux
femmes et aux hommes de bonne volonté qui remontent le niveau
général de l’humanité.
Les situations vues de loin sont malheureusement telles qu’on les
pense. Mais vues de près, elles changent. Les contrariétés, les contretemps, les désastres imminents, les inéluctables conséquences, les crises
en veux-tu en voilà, les coups du sort, les détours du chemin, les
épreuves… font appel à nous ; appel à témoin, un témoin favorable, un
irremplaçable passage de témoin. Tristis (tristesse, faux témoignage),
devient terstis (témoin par reconnaissance). Cette petite lueur que je
vois briller dans vos yeux comme dans les yeux de ce vieux monsieur,
apporte la preuve que vous souhaitez, vous aussi, davantage d’avantages pour tous ceux qui vous entourent.
Globe-trotters intersidéraux sur cette petite planète, gamines et gamins
de cette vie-ci, terriennes et terriens à titre temporaire, tous autant que
nous sommes, toi, moi, pèlerins sans frontières, braves gens de partout,
unissons-nous ! Créons un mouvement humanitaire sans esprit de chapelle, de caste ou de système, sans limite et sans barrière, afin de consacrer davantage d’avantages à nos suivants !
La liste des paradoxes abordés tout au long de ces pages est loin d’être
exhaustive. Elle reste ouverte. Cette version expurgée n’est qu’une première invitation à vous aventurer d’équivoques en équivoques et de
révélations en révélations, et à vous conforter dans votre joie d’emprunter d’autres modes de transport que le train-train quotidien dont les
rails des espoirs tout tracés vous mènent parfois en bateau. Voyageurs
pour l’inconcevable et l’inespéré, embarquement immédiat !
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« Mots, phrases, idées, si subtils et ingénieux soient-ils,
coups d’ailes les plus forcenés de la poésie,
rêves les plus profonds,
visions les plus hallucinantes,
ne sont que hiéroglyphes grossiers gravés
par la douleur et la souffrance
en commémoration d’un événement qui demeure intransmissible »
— Henri Miller.
I. PRÉ-FACE
PARADOXE,
OUVRE-MOI !
DU BON USAGE DES PARADOXES
Un homme entre dans un champ et se tue. Pourquoi ?
Il a oublié en sautant d’ouvrir son parachute.
Un autre entre dans sa vie et s’y habitue. Pourquoi ?
Il a oublié en vivant le bon usage des paradoxes.
Le parapluie nous épargne des averses.
Le paratonnerre protège de la foudre.
Le paravent et le parapet nous évitent bien des inconforts.
Le parachute nous évite de mal tomber.
Et le paradoxe de quoi nous met-il à l’abri ?
Un paradoxe se révèle être, en fait,
un remède très efficace contre les doxes :
c’est-à-dire les dogmes, tous les dogmes.
Conformismes bien établis,
sectarismes contagieux,
fanatismes galopants,
idées fixes et certitudes en tout genre
et tant d’autres calamités de notre époque très programmée.
Pour se refaire une santé mentale,
rajeunir ses neurones et surtout pour tenir le coup,
l’usage du paradoxe s’impose donc de toute urgence.
Rien de ce qui est écrit ne reste, mais fort heureusement,
la page blanche laisse toujours une marge de liberté.
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« L’océan de sagesse du fond de toi et moi
Libère la goutte d’eau dans laquelle on se noie.»
PILE DANS LA SITUATION
Des contingences, des équivoques, des péripéties, des difficultés, des
perplexités, des contradictions, des ambiguïtés… comme s’il en pleuvait.
La conjoncture actuelle au jour le jour,
semble mettre nos avenirs en danger.
Après nous le déluge ?
Faudra-t-il pour ne pas sombrer,
nager en plein paradoxe ?
Cela s’apprend-il ?
Où ?............ Ici !
Quand ?........ Maintenant !
FACE AU CHANGEMENT
La vie est malgré tout ce qu’on a de mieux au monde, non ? Il conviendrait d’en prendre soin. Un bonheur humain, ça peut toujours servir. Et
surtout, cela n’arrive jamais seul. Mieux vaut se garder en bon état de
marche au cas où… On ne sait jamais.
Nous sommes tous plongés dans le même bain. Embarqués sur le
même bateau. Pataugeant dans les mêmes troubles. Sujets aux mêmes
naufrages. Contemporains d’une époque riche en raz de marée. Si la
qualité de l’air continue à se dégrader, si l’eau devient une denrée rare,
si l’existence de certaines espèces dont la nôtre se trouve menacée, on
finira par faire une drôle de tête. À moins qu’on ne l’ait déjà perdue.
La relance de la consommation n’offre pas que des joies en perspective. Plus les valeurs financières seront en hausse, plus les valeurs
humaines baisseront. En fin de compte, obnubilés par les données chiffrées et la rentabilité immédiate ne risquons-nous pas, dans l’affolement
général, d’oublier l’essentiel : la vraie valeur de la vie ?
Face aux évolutions rapides (de plus en plus), aux accélérations (de
pire en pire), aux pressions (de toutes sortes), aux mutations (irréversibles ou non)… la situation peut-elle encore évoluer en mieux ?
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La tournure des événements dépend de la façon de les percevoir et de
les recevoir. L’esprit pleurnichard, prompt à geindre, exerce sur lui ses
propres représailles. Le revanchard qui cherche à tordre le cou au
moindre défaut augmente les torsions et les distorsions qu’il prétendait
corriger. Seul l’esprit en veine de réussir, disponible 24 heures sur 24,
inspiré, audacieux, harmonieux et créatif est capable de déceler la quantité inouïe de perfectionnements éventuels cachés au cœur même des
imperfections actuelles. L’esprit veinard, c’est ce que l’on peut se souhaiter de mieux dans cette époque de tables rases.
Il devient de plus en plus urgent de se repérer là où les repères manquent, de trouver la sécurité là où les appuis font défaut, de garder son
calme au milieu des mauvais présages et d’inventer des alternatives
quand bien même celles-ci paraissent ne plus exister. C’est une question
de vie ou de mort. Sinon pire…
Des êtres sensibles, ouverts au sentiment d’humanité qui refusent de
se réincarner en tant que robots, des gens qui aspirent à une vie plus
valeureuse, il y en a encore. L’esprit non pleurnichard, non revanchard
mais veinard commence dès l’instant où l’on quitte les logiques limitatives qui bloquent le système, telle la logique binaire (0-1), bien-mal,
bon-mauvais, normal-anormal. Les paradoxes nous permettent d’appréhender les choses de manière bien plus déployée, plus imaginative, plus
prospective, plus intrépide. Grâce à eux, on peut voir autrement et par
conséquent vivre autrement ; transformer le mal en bien plutôt que le
contraire. Ce n’est qu’en reconnaissant comment on se ferme que l’on
peut mieux s’ouvrir. Même si les problèmes de l’heure semblent fort
compliqués, il doit être possible d’avoir recours à un peu plus de simplicité d’esprit et de bonté d’âme. Mais possédons-nous encore ces produits en stock ?
L’entraînement à la pensée paradoxale est un grand pied de nez à tous
les partis pris et aussi une fête ! Rien n’est encore perdu ni gagné. Et je
vous parie tout ce que vous voulez contre tout ce que je ne veux plus
que les choses vont changer. Si c’est en pire : réparons-nous. Si c’est en
mieux : préparons-nous.
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« Représente-toi le monde comme un être unique et une âme unique,
considère comment tout contribue à la cause de tout
et de quelle manière les choses sont tissées, enroulées ensemble… » — Marc Aurèle.
LE TRAITEMENT
L’usage de la pensée paradoxale traite les maux actuels tels
que : crise d’identité, mentalité ordinaire, grise-mine,
télévisionite aiguë, manque d’humour, abus de stress,
surexcitation, suragitation, surpression, surconsommation, désastre écologique…
Sans oublier les maladies collectives qui en découlent : morosité, perte de l’esprit d’initiative, démoralisation, désordre économique, pillage inconsidéré
des ressources planétaires, exclusion, chacun pour
soi, famines, guerres, fanatismes, tribalismes, sectarismes,
purifications ethniques et toutes les montées de la violence…
LA POPULATION CONCERNÉE
L’ensemble des homologues de l’homosphère (chacun y compris) auquel
s’ajoutent les hétérologues, les idiots-logues et le commun des mortels
comme vous et moi…
Qu’on se le lise !
Les paradoxes recèlent des secrets éminemment vivants, très vivifiants
avec un rien d’étrange et de vacillant. Ça bouscule quelque peu le vieil
homme et bascule les vieux-je. Et cela agit tout seul, il n’y a pratiquement rien à faire.
Cependant, pas d’utilisation prolongée, sous peine d’exaspérer le
corps médical qui risque de moins voir ses patients pour cause de
bonne santé mentale retrouvée.
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« J’aime mieux être un homme à paradoxe
qu’un homme à préjugés » — Jean-Jacques Rousseau.
LA COMPOSITION
Par définition, un paradoxe est indéfinissable.
Étymologie : du grec paradoxa.
• Para : en dehors. Parare (italien) : éviter - para - protéger de la
chose nommée (parapluie, paravent, parascolaire).
• Doxa : opinion, croyance, idée toute faite…
Paradoxe : par-delà les croyances établies, au-delà des doxes et des
dogmes.
Les paradoxes nous mettent de bonne composition à partir du moment
où nous acceptons leur déplaisante manie de décomposer méthodiquement nos idées reçues au profit d’idées neuves. Ils soignent notamment
les aigreurs de la constipation mentale personnelle et favorisent le transit des luttes intestines mutuelles. Ils décontractent les esprits apeurés et
nous encouragent à aventurer nos pas sur les chemins du cœur.
LES INDICATIONS
• Équilibre mental personnel et collectif
Le paradoxe nous protège de la doxa. L’opinion qui s’installe, les a
priori et les préjugés de toutes sortes. Il nous dégage la tête. Mais le
nouveau point de vue bientôt s’épaissit, se solidifie, se durcit, se racornit et se transforme en concrétion. Une autre doxa apparaît qui nécessite un autre paradoxe.
En introduisant un déséquilibre, une indétermination, un étonnement,
une incertitude… au beau milieu des ornières de la pensée, le paradoxe
mobilise, à nouveau, la fraîcheur d’esprit. Jaillissent alors des sagesses
inédites quasiment déjà populaires avant même d’être exprimées.
À l’époque actuelle, la doxa intoxique les assistés par ordinateur que
nous sommes. Nous avons besoin, plus que jamais, d’échapper aux classifications et aux catégories.
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« Donnez-moi un point d’appui, je soulèverai le monde » — Archimède.
LE DIAGNOSTIC
• La maladie du dogmatisme
Au fond, tous les fondamentalistes religieux, politiques, économiques
ou scientifiques procèdent sur le même mode de fonctionnement. Ils
expriment le dessein profond et sincère d’atteindre un point d’appui qui
ferait basculer les hommes dans un monde meilleur. Pour la science,
l’idée fixe, c’est la connaissance de la matière. Pour l’économie, ce sont
les données chiffrées. Pour la politique, le rassemblement de tous autour
d’une grande idée. Pour la religion, le dogme.
La méthode dogmatique est simple. Il suffit de considérer les êtres
vivants comme des pions, des quantités négligeables et d’expérimenter
sur eux l’arsenal des méthodes qui permettra de les rendre heureux.
L’idéal du bonheur pour tous est toujours très beau, c’est quelque chose
d’étincelant, de fascinant, mais la triste réalité, pouah ! La suite des événements prouve que, terme à terme, les valeurs s’inversent. Le bien
devient le mal. Le très bon, très mauvais. L’éminemment désirable produit l’éminemment détestable. L’économique, la pauvreté. Le chercheur
de vérité, se croyant détenteur de la vérité, finit par détruire la vérité.
• L’extrémisme tout acabit
Aujourd’hui, la pensée unique de la libre concurrence et des lois du marché fait de nombreux exclus et même des affamés et des nécessiteux. Les
riches vivent au crochet des pauvres. Aux USA, par exemple, 1 % de la
population possède 39 % de la richesse.
Dans le domaine religieux, les extrémismes semblent subir le même
genre de dérapage. Je ne suis pas un expert, mais mon petit encéphale
me dit que l’inquisition n’était pas qu’une bavure parmi d’autres.
L’extrémisme demeure la plaie du monde. Cela consiste à se couper en
deux, l’extrême bien d’un côté et l’extrême mal de l’autre. Même si, paraîtil, les deux extrêmes se rejoignent à l’infini, pour le moment ils ne peuvent
pas se voir. C’est la lutte à mort. Un extrême provoque l’autre extrême, et
les deux s’entre-tuent. Une cure de décontamination est donc indispensable
pour la santé mentale du monde et plus particulièrement pour la sienne.
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