1 LA GESTION DES LICENCES DE MARQUE : L`APPORT DES
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1 LA GESTION DES LICENCES DE MARQUE : L`APPORT DES
LA GESTION DES LICENCES DE MARQUE : L'APPORT DES MODELES DYNAMIQUES 1 Jean-François Sattin (ATOM, Université Paris 1) Maria Smirnova (ATOM, Université Paris 1) Mai 2004 I. Introduction Une marque est un nom, mot, symbole ou design légalement protégé qui est utilisé par une entreprise industrielle ou commerciale afin d’identifier un produit ou service des autres biens disponibles sur le marché2. De par sa nature, une marque ne renseigne pas directement sur les caractéristiques des biens, mais identifie à la place le marqueur des produits achetés. La marque permet donc au consommateur d’inférer de son expérience passée certaines caractéristiques du bien en question. Tout comme pour les brevets d’invention, la question de l’optimalité d’un système légal de protection des marques a suscité de nombreux débats parmi les économistes. Brièvement, les justifications traditionnellement avancées à l’existence et à la protection des marques sont de deux ordres3 (Economides [1998]). 1 Nous remercions tout particulièrement Bentley MacLeod (INSEAD) pour ses conseils dispensés lors de la 2è session de l’ESNIE. 2 Il s’agit de la définition en vigueur aux Etats-Unis (C.F. 15 USC, § 1127). Selon l’article L711-1 du code français de la propriété intellectuelle, une marque de fabrique, de commerce ou de service est « un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». 3 Par ailleurs, Landes et Posner [1988] notent que le système de protection des marques participe à un phénomène d’enrichissement du langage. L’amélioration se fait à trois niveaux. Tout d’abord, les marques permettent d’économiser les coûts de communication en inventant de nouveaux mots liés aux produits. Elles permettent ensuite de créer des noms génériques qui ne désignent plus une marque spécifique, mais une classe de produits ( par exemple « Aspirine », « Thermos », « Frigidaire » et « Yo-yo » sont des marques actuellement tombées dans le 1 Tout d’abord, les marques permettent de faciliter et d’améliorer les décisions des consommateurs. Sur de nombreux marchés, les producteurs sont mieux informés sur les caractéristiques inobservables des produits que les consommateurs4. Dans ce cas, une marque permet de diminuer les coûts de recherche des clients potentiels en signalant aux consommateurs les produits les mieux adaptés à leur besoin. En transmettant de l’information, les marques permettent donc aux entreprises d’accroître la variété et la qualité de leurs productions d’une manière parfaitement efficiente puisqu’elle répond aux besoins des consommateurs. Ensuite, les marques permettent d’inciter les entreprises à maintenir certains standards de qualité. Elles permettent aux entreprises de se construire un capital réputationnel qui, parce qu’il génère des surprofits, leur permet de garantir de façon crédible une qualité minimale pour leurs produits (Klein et Leffler [1981]). Finalement, selon Economides [1988], le degré de succès d’une marque va être fonction • de la capacité des consommateurs à se souvenir de la marque (et donc du taux de dépréciation du capital réputationnel, ainsi que de la politique publicitaire de l’entreprise). • de la capacité de l’entreprise à internaliser ses investissements, et en particulier de la protection institutionnelle. • de la décision de l’entreprise de ne pas changer la qualité et les caractéristiques des biens vendus. La valeur d’engagement de la marque entraîne un dilemme lorsque l’horizon de la firme est limité. Dans ce cas, la tentation peut être forte pour l’entreprise de profiter de sa réputation pour vendre des biens de qualité inférieure au prix des articles de qualité supérieure, tout en laissant se déprécier son image de marque. Economides [1988] note que ce type de situation est à même d’arriver lorsque la firme rencontre d’importantes contraintes financières, ou lorsqu’elle est soumise à des contractions de la demande dues à des innovations sur son marché ou à des chocs macroéconomiques. Nous montrons dans ce papier comment les licences de marque constituent-elles aussi des sources de dépréciation pour le capital réputationnel du concédant. La thèse défendue ici est que, comme cas général, les licenciés sont incités à sous-investir dans l’image des marques concédées puisque leur horizon temporel est beaucoup plus court que celui du licencieur. Nous montrons par ailleurs que la dépréciation prévisible dépend en grande partie de la relation existante entre la domaine public). Enfin, elles permettent de créer des mots ou des phrases valorisées par les consommateurs pour leur aspect mélodique ou ludique. Toutefois, ces auteurs précisent que ces bénéfices sociaux ont toutes les chances d’être faibles, et ils expliquent par là certaines caractéristiques du droit des marques. 2 demande et le capital de marque, et que les incitations fortes peuvent seulement limiter la dépréciation du capital réputationnel, mais non l’éliminer complètement. La littérature traitant spécifiquement des licences de marque est extrêmement réduite et se focalise exclusivement sur les implications en terme de bien-être de ces contrats (Perry et Groff [1986]). Il existe toutefois un certain nombre de travaux portant sur des sujets connexes. Par exemple, les recherches portant sur la franchise sont très proches de nos préoccupations. En particulier ce travail doit beaucoup à l’article de Bai et Tao [2000] sur les perspectives multitâches dans les franchises commerciales5. Notre travail s’inspire également des articles présents en marketing qui décrivent les stratégies d’investissement optimales en image de marque (C.F. Feichtinger et al. [1994] pour une présentation de cette littérature). Ce papier est organisé comme suit. La section 2 revient sur la nature des investissements permettant à l’entreprise de se constituer un capital réputationnel. La section 3 présente le dilemme généré par les licences de marque. La section 4 détaille les solutions possibles à ce dilemme, tandis que la section 5 propose une étude des contrats de licence passés par les maisons de haute-couture. Enfin, la section 6 propose une brève conclusion. II. La Nature du Capital de Marque. Nous venons de voir que les recherches académiques entreprises afin de justifier le système de protection des marques mettent souvent en avant la nécessité pour le fabricant d’internaliser ses investissements en qualité. La nature du problème est identique à celle de la recherche-développement en l’absence d’un système de brevets. Nous pouvons donc nous attendre à un sous investissement en qualité de la part des industriels lorsque ceux-ci ne disposent pas d’un monopole effectif sur leur marque de fabrique. Toutefois, les investissements en qualité ne sont pas les seuls moyens dont dispose un industriel pour développer son capital réputationnel. En effet, de nombreux travaux6 suggèrent que la publicité permette parfois elle aussi d’augmenter la renommée d’une entreprise à qualité constante. Il n’est donc pas inintéressant de se pencher sur l’impact que peuvent avoir des 4 L’utilité des marques est donc importante sur les marchés où les problèmes d’antisélection sont particulièrement aigus. 5 Notons qu’une franchise est un contrat de licence de marque spécifique puisqu’il doit obligatoirement inclure un business plan. La famille des licences de marque comprend les franchises commerciales, mais aussi les contrats de licence de marque à finalité industrielle ou commerciale dans lequel les partenaires jouissent théoriquement d’une plus grande indépendance. 6 En particulier tous les économistes Cambridgiens (Harrod, Robinson…etc.) 3 stratégies publicitaires sur la formation de l’image de marque du fabricant. En particulier, ces précisions doivent nous permettre de mieux cerner la portée prescriptive du modèle développé dans la suite de ce papier. Les travaux en économie et en gestion reconnaissent généralement que les dépenses publicitaires peuvent remplir trois objectifs : • Un premier courant de la littérature met l’accent sur la dimension informative de la publicité (Stigler [1961]). Cette thèse est à rapprocher de l’argument informatif qui sert à justifier l’existence d’un système de protection pour les marques de fabrique. La publicité permet d’informer les consommateurs en leur communiquant les caractéristiques des produits disponibles. Elle sert donc de catalyseur au système de marque puisque son objectif est de réduire les asymétries d’information présentes sur le marché. De fait, en présence de réclames informatives, le consommateur n’est plus obligé de se référer à son expérience passée (ou à celles de ses connaissances) pour obtenir de l’information sur les biens à sa disposition. • Une seconde littérature met en avant la fonction de signalement des dépenses publicitaires (Nelson [1974], Klein et Leffler [1981]). L’argument peut là encore être rapproché de la dimension d’engagement liée aux marques de fabrique. Le rôle de la publicité n’est plus de transmettre de l’information sur les produits vendus, mais de renseigner sur la rentabilité du capital réputationnel de l’entreprise. Le consommateur infère du niveau des dépenses publicitaires l’importance de la rente de monopole gagnée par l’entreprise en commercialisant ses produits sous une marque donnée. Les acheteurs peuvent donc se forger une opinion sur l’importance de la perte que subirait la firme si elle décidait de fournir des articles de qualité inférieure. Une des conclusions de ces travaux est que la publicité transmet de l’information, même lorsque le message publicitaire n’est pas directement intelligible par les consommateurs7. • Un dernier courant théorique insiste sur le rôle persuasif des messages publicitaires (Papandreou [1956]8). L’objectif est de lier le produit à une image mentale qui le rend désirable. 7 Nous restons donc dans le domaine de la publicité informative. La distinction entre les deux premières catégories est donc plus une question de degré que de nature. 8 Selon Papandreou, une déclaration est informative si et seulement si : 1. Il existe des règles socialement acceptées pour établir leur vérité (dans l’absolu), ou pour les vérifier compte tenu de certaines évidences. 2. La vérité ou la confirmation de ces déclarations ne dépend pas de l’état d’esprit du récepteur de la communication. Ainsi la communication « l’objet X est long de 5 cm » remplit les 2 conditions et est donc informative, tandis que la déclaration « l’objet X est bon » ne les remplit pas. 4 Le consommateur achète alors l’image transmise par la publicité en même temps que le bien tangible ; et, dans son esprit, le produit acheté contient les deux9. Les dépenses publicitaires ne transmettent donc aucune information dans ce cas de figure. Leur objectif est de modifier la forme de la fonction de demande-en créant tout d’abord et en développant ensuite au travers de la publicité- un bien complémentaire au produit vendu (Becker et Murphy [1993]). C’est donc l’aptitude des publicités persuasives à agir directement sur le capital de réputation de l’entreprise permet de les distinguer des stratégies informatives ou de signalement. Au moins deux implications découlent de cette constatation : o Tout d’abord, contrairement aux réclames informatives, les publicités persuasives peuvent participer à la création d’un capital de marque même en l’absence d’investissement en qualité. Notons que pour les publicités informatives et de signalement, le fondement du capital de marque repose exclusivement sur la conformité des produits aux standards de qualité attendus par les consommateurs. La publicité permet de réduire les coûts de transaction, mais ne peut pas se substituer aux investissements en qualité qui seuls sont valorisés in fine par les consommateurs. Ce résultat ne tient plus lorsque nous avons affaire à des stratégies persuasives : les investissements en qualité et en publicité constituent alors des moyens partiellement substituables pour se forger un capital réputationnel (figure 1). Un même capital de réputation peut donc être atteint en arbitrant entre investissements en publicité et investissement en qualité. Action sur l’objet Action sur la demande QUALITE PUBLICITE Figure 1. La formation du capital de marque en présence de publicité persuasive o Ensuite, si l’ensemble des stratégies publicitaires permettent d’influencer la demande perçue par les entreprises, seules les publicités persuasives sont à même de modifier la demande exprimée par les consommateurs. Il s’ensuit que les revenus liés à l’investissement publicitaire sont limités aux montants des coûts de transaction dans le premier cas, alors qu’ils sont potentiellement illimités dans le deuxième cas. La figure 2 représente demande d’une quantité 9 Par exemple, les anciennes publicités pour les marques de cigarettes fonctionnaient sur ce principe : Marlboro permettait au consommateur de s’identifier à un cow-boy, Camel à un aventurier, etc.… 5 donnée de produit en fonction de la qualité attendue par les consommateurs. La qualité est portée en abscisse et le prix en ordonnée. En présence d’asymétries d’information sur les biens échangés, la fonction de demande perçue par les entreprises reste inférieure aux valorisations effectives des consommateurs. Notons D1 la demande « réelle » des consommateurs, et D’1 la demande adressée aux entreprises. D2 D’2 Prix D1 Prix D1 D’1 D’1 Qualité GRAPHIQUE 2.A Qualité GRAPHIQUE 2.B Figure 2. L’impact de la publicité sur la demande En présence de stratégies publicitaires visant à informer les consommateurs sur les caractéristiques des biens en question ou sur la profitabilité de la marque, la demande perçue par l’entreprise D’1 va se déplacer vers le haut au fur et à mesure que les coûts de transaction vont diminuer sur le marché. L'écart de D’1 avec la demande « réelle » des consommateurs D1 va se réduire au même rythme jusqu’à s’annuler complètement (graphique 2.a). A ce stade la productivité marginale de l’investissement publicitaire informatif est nul, et les consommateurs sont parfaitement informés sur les caractéristiques du produit ainsi que sur la profitabilité de la marque. Le processus est diffèrent en présence de stratégies publicitaires persuasives (graphique 2.b). L’investissement publicitaire n’influe pas sur les coûts de transaction, mais permet d’augmenter la demande du bien en question à qualité donnée. La valorisation du produit passe de D1 à D2 grâce à la publicité, ce qui entraîne une augmentation de la demande adressée aux 6 entreprises de D1’en D2’. La dynamique d’investissement n’est pas a priori bornée10 comme c’était le cas précédemment. Notons qu’à la suite de la campagne publicitaire, la demande perçue par l’entreprise est D2’, puisque les asymétries informationnelles restent présentes sur le marché. Finalement, la croissance du capital de marque d’une entreprise peut découler de deux politiques distinctes. Elle peut provenir alternativement de ses investissements passés en qualité, ou bien résulter de ses investissements publicitaires, à la seule condition que ceux-ci soient de nature persuasive. L’entreprise dispose donc deux outils pour atteindre un niveau de capital réputationnel donné. Ce sont justement la détermination et l'administration de ce niveau cible qui vont nous intéresser dans la section suivante. III. Le Dilemme des Licences de Marque 1. L'administration de la marque par son propriétaire La politique d'investissement en capital réputationnel peut se caractériser simplement pour une firme dont l'espérance de vie est infinie. Nerlove et Arrow [1962], par exemple, ont été les premiers à développer un modèle d'investissement en image de marque11 correspondant à une entreprise en monopole sur son marché. Leur modèle est particulièrement éclairant, en ce qu'il nous permet de visualiser quelle aurait été la politique suivie par le propriétaire de la marque en l'absence de licence12. Dans ce modèle, les investissements réalisés au niveau de la marque à la date t son notés u(t). Ils sont capitalisés dans le goodwill de l'entreprise noté G(t), et leur coût unitaire est a13. Cette grandeur vaut G0 à la date t=0. Elle se déprécie d'autre part au taux δ au fur et à mesure que les individus oublient leurs expériences passées. On trouve donc l'équation d'évolution du capital réputationnel : & = u − δG , G(0)=G0 G 10 Même s’il existe sans doute des rendements décroissants pour les investissements publicitaires persuasifs. L'article originel n'étudie que sur les investissements publicitaires, mais le modèle est transposable à tous les types d'investissement en image de marque. 12 Nerlove et Arrow [1962] résolvent leur modèle par le calcul des variations. Nous reprenons ici la résolution par le contrôle optimal présentée par Sethi [1977]. 13 La question de savoir si on doit considérer les dépenses publicitaires comme des charges courantes ou des investissements dépends fondamentalement du taux de dépréciation du capital. Les effets de réputations doivent durer plus d'un an pour que l'on puisse assimiler ces dépenses à des immobilisations incorporelles (C.F. Commanor et Wilson [1979] pour une présentation du débat). 11 7 Le taux d'escompte de l'entreprise est noté µ., et les quantités vendues S(p,G). Ces dernières dépendent du prix de vente et de l'image de marque. Le coût de production est fonction des quantités vendues et est noté c(S). Le revenu du propriétaire de la marque brut des coûts d'investissements peut alors s'écrire : R (p, G ) = p S(p, G ) − c(S) L'entreprise va donc chercher à résoudre le programme suivant : ∞ − µt Max J = e [R (p, G ) − au ]dt u ≥0 p≥0 0 ∫ & = u − δG , G(0)=G0 S/C G Comme le prix n'intervient pas dans l'équation d'évolution du capital, Nerlove et Arrow [1962] suggèrent de maximiser les ventes par rapport au prix, pour déterminer dans un second temps la politique d'investissement optimale à ce prix d'équilibre. Le prix de vente qui maximise le revenu de l'entreprise est noté p*, et est défini implicitement par la relation suivante : ∂R (p, G ) ∂S ∂c ∂S = S+ p − =0 ∂p ∂p ∂S ∂p En notant η = − p ∂S l'élasticité S ∂p (1) de la demande par rapport aux prix, on obtient la formule habituelle de tarification pour un monopoleur: p* = η ∂c η − 1 ∂S (2) En posant F(G ) = R (p*, G ) , le programme du propriétaire peut se réécrire : ∞ Max J = e −µt [F(G ) − au ]dt u ≥0 0 ∫ & = u − δG , G(0)=G0 S/C G Ce programme peut se résoudre grâce au principe du maximum. On trouve alors la fonction de Hamilton suivante : H = F(G ) − au + λ[u − δG ] 8 Cette fonction décrit l’évolution de la richesse de l’agent à chaque période. La variation de la richesse de l’entreprise est composée de deux éléments : un profit immédiat lié à son activité commerciale ( F(G ) − au ) auquel on ajoute l’investissement net en capital u − δG évalué à sa productivité marginale λ . Notre objectif est de trouver la fonction d’investissement u(t) qui permette de maximiser cette fonction à chaque point du temps, compte tenu des règles d’évolution de G et de λ . A l'instar de Nerlove et Arrow [1962], nous supposons qu'il existe une unique valeur du goodwill notée G qui maximise la fonction de profit net π(G ) = F(G ) − (µ + δ)G 14, et que la productivité marginale de G ( ∂F ) est décroissante. ∂G D'autre part, comme l'horizon temporel de la firme n'est pas borné, nous avons la condition de transversalité suivante : lim e −µt λ( t ) = 0 t →∞ Cette dernière relation précise que la valorisation faite aujourd'hui du capital réputationnel à la disposition de l'entreprise lorsque celle-ci cessera son activité doit être nulle15. Un fait remarquable est que notre hamiltonnien est linéaire en u. En effet, en modifiant légèrement l’écriture de H, nous trouvons : H = F(G ) − λδG + u (λ − a ) Si, à un quelconque point du temps, nous trouvons λ > a , alors notre hamiltonnien sera une fonction croissante de u. Le licencié sera donc incité à investir jusqu’à atteindre l’équilibre de first best du modèle de Nerlove et d’Arrow. A contrario, dès que la productivité marginale du capital passe en dessous de a, le licencié s’appauvrit en investissant. En bref, nous avons une situation qui est connue sous le nom de "bang-bang" dans la littérature traitant du contrôle optimal (Sethi [1977], Chiang [1992]), avec une politique d'investissement u* qui est discontinue à l'optimum. Formellement : G − G > u * (t ) = si λ( t ) a < 0 14 Si le goodwill était composé de capital ordinaire, le profit net correspondrait au résultat courant avant impôts (EBE moins amortissement du capital moins charges d'intérêt). Cette condition assure l'unicité de G . 15 Notons que les deux termes doivent tendre vers 0 lorsque t tend vers l'infini. 9 La dynamique de "bang bang" est illustrée par la Figure 3. La position de λ par rapport à a décide du signe de la pente du hamiltonnien par rapport à u. La politique d'investissement optimale en u connaît alors des bonds qui la font passer de 0 à G − G lorsque λ passe au-dessus de a. H( t, G, u, λ) λ>a λ<a u* = 0 si λ < a u* = G − G si λ > a u Figure 3. Le principe du maximum : cas linéaire Finalement, les conditions de premier ordre s’écrivent : ∂H ∂F = λµ − λ& = − λδ (3) ∂G ∂G ∂H & = G = u − δG ∂λ (4) La condition (2) est une équation d’évolution dynamique qui rappelle qu'à chaque instant le coût marginal d’opportunité de l’investissement en publicité ( λ(µ + δ)dt ) doit être égal à la somme des profits marginaux liés au goodwill ( ∂F dt )et des gains en capital réputationnel ( dλ = λ& dt ). ∂G En notant β l'élasticité de la demande par rapport au goodwill ( β = ∂S G ), on trouve grâce aux ∂G S relations (1) (2) et (3) l'équation d'évolution du goodwill au cours du temps : G* = βpS η[(δ + µ)λ − λ& ] En G , λ est constant et égal à a, donc : 10 G= β pS η ( δ + µ )a Ce résultat nous permet de distinguer plusieurs cas de figure (schéma 4) : G Cas 2 : G 0 > G u* = 0 u* = δG G u* = G − G 0 Cas 1 : G 0 < G t Figure 4. La dynamique d'investissement du propriétaire de la marque • Lorsque G0 est plus petit que G (cas 2), la productivité marginale de l'investissement en goodwill λ doit être supérieure à sont coût marginal a car le profit net augmente si on passe de G0 à G . Le propriétaire de la marque est donc incité à investir exactement la différence G − G 0 à la période 0. • A contrario, une valeur G0 supérieure à G implique λ supérieur à a (cas 1). Comme le propriétaire ne peut pas -par hypothèse16- détruire son capital de marque, ce dernier se bornera à ne pas entretenir sa réputation. Aucune dépense ne sera entreprise jusqu'à ce que G*= G . • Dès que G0 ou G* atteignent la valeur critique G , l'équilibre devient stationnaire. En effet, le propriétaire est incité à garder ce niveau de goodwill qui maximise son profit instantané. 16 L'hypothèse u ≥ 0 est sans doute extrêmement forte. Toutefois, la destruction d'une image de marque prend souvent du temps: les défauts de qualité ne touchent pas tous les individus en même temps, et certains consommateurs peuvent avoir du mal à admettre que leur marque fétiche ne respecte plus ses anciens standards qualitatifs. D'autre part, lorsque l'image de marque a été bâtie sur des publicités persuasives, il existe des effets sociaux d'entraînement qui peuvent limiter la dépréciation du capital réputationnel. Notons enfin que la relaxation de cette condition ne change pas les principales implications de notre modèle (si u peut être négatif et G0 > G alors le propriétaire désinvestit G 0 − G en t=0, et le reste de la dynamique est inchangé). 11 Comme ce capital se déprécie au taux δ, il est obligé d'investir δ G à chaque période17. Il est important de constater que, parce que l'horizon temporel du propriétaire de la marque n'est pas défini, la rentabilité marginale du goodwill reste constante à l'état stationnaire. De fait, λ ne varie pas à l'état stationnaire parce que, lorsque nous nous trouvons en G , tous les investissements effectués sont rentabilisés sur une même période infiniment grande. C'est précisément cette caractéristique de la politique d'investissement optimale qui va être remise en cause par l'octroi d'une licence de marque. 2. L'administration de la marque par le licencié Si le propriétaire de la marque peut se permettre de réaliser des investissements en goodwill à très long terme, les licences de marques sont généralement signées pour des durées finies. Même si des possibilités de reconduction existent dans de nombreux cas18, le licencié a un horizon temporel beaucoup plus court que celui du propriétaire de la marque19. Le concessionnaire est par conséquent incité à ne plus investir à partir d'une certaine date précédant la fin du contrat, puisqu'il ne pourra pas récupérer les fruits de ses efforts. Cet état de fait est particulièrement problématique pour le concédant. En effet, la licence de marque permet de générer d'importants profits grâce au paiement des royalties mais ceci s'effectue souvent au prix d'un sous investissement de la part du licencié en capital réputationnel. Si ce sous-investissement concerne potentiellement les deux sources du goodwill, le problème semble plus aigu pour la qualité que pour la publicité persuasive. En effet, cette dernière peut plus facilement être gérée directement par le licencieur où administrée grâce à des taux de dépenses publicitaires pour le licencié précisés dans la licence (Desai [1997]). A contrario, comme nous le verrons par la suite, les standards de qualités sont moins aisément définissables dans la licence, et le contrôle par le licencieur est plus délicat. D'autre part, le concédant peut difficilement se substituer au licencié pour ce qui concerne la gestion de la qualité. Il suit que la dépréciation du goodwill par le licencié découle le plus souvent d'une économie sur les coûts de qualité. 17 Plus précisément, le stock de goodwill passe en dessous de G à chaque période. Le propriétaire est donc incité à investir G − G = δG pour retrouver l'équilibre stationnaire. 18 C.F. Lafontaine et Raynaud [2000] pour une discussion portant sur le rôle des rentes dans le processus incitatif des franchises commerciales. 19 Par ailleurs, il existe des risques de comportements opportunistes de la part du propriétaire en cas d'investissement important du licencié dans la marque concédée. Ceux-ci peuvent par exemple conduire le licencieur à rompre la licence avant terme. Nous ne traitons ici pas de cet aspect des licences de marque. Le lecteur peut se référer à Bai et Tao [2000] pour un traitement de ces risques contractuels. 12 Notre modèle nous permet de formaliser la politique de désinvestissement progressif du licencié du licencié. Supposons que la licence soit prévue pour une durée T, et précise un taux de redevances α. Comme l'horizon temporel du concessionnaire est borné en T, son programme se réécrit : Max J = u ≥0 T ∫ 0 e − µt [F(G, α) − au ]dt & = u − δG , G(0)=G0 S/C G La condition de transversalité devient e−µT λ(T) = 0 , ce qui implique λ(T)=0. On comprend intuitivement le sens que revêt la modification de la condition de transversalité. Le stock résiduel de capital réputationnel n’est plus d’aucune utilité pour le licencié à la fin du contrat. En effet, comme le concessionnaire stoppe sa production d’articles de marque à la fin de la période T, le stock goodwill restant est perdu pour ce dernier car il ne lui permettra pas de générer des profits additionnels. Cette condition de transversalité implique que λ est inférieur à a dans la période précédant la fin du contrat. λ(t) va donc être une fonction décroissante du temps. En partant de T et en remontant dans le temps, on peut trouver τ qui est la dernière date où λ = a . Les différentes stratégies d'investissement du licencié sont représentées sur le graphique 520. Le coût marginal du licencié étant supérieur à celui du licencieur, l'investissement d'équilibre diminue et passe de G à G (α) . Le concessionnaire va donc appliquer la politique d'investissement qui aurait été suivie le licencieur entre les dates 0 et τ s'il avait supporté un coût marginal de C'S+α. Il va ensuite cesser d'investir dans l'image de marque à partir de τ, et ce, jusqu'à la fin du contrat. Comme le capital réputationnel se déprécie au taux δ, la perte totale en capital de marque à ce titres'élève à δT − τG (α) à la fin du contrat. Finalement, la licence contient deux sources de dépréciation pour le goodwill du licencieur : • Un effet statique qui va dépendre du montant des royalties présentes dans le contrat. • Un effet dynamique qui dépend des caractéristiques de l'accord. 20 Nous supposons implicitement que T est suffisamment élevé pour que nous ayons bien un état stationnaire 1 G0 (i.e. T > log ). Le lecteur intéressé par la situation inverse peut se reporter à Sethi [1977]. δ G 13 G G u* = 0 G (α ) u* = 0 u* = δG (α) δ T − τ G (α ) τ T t Figure 5. La dynamique d'investissement du licencié IV. Quelles Solutions pour les Licences de Marque ? La dégradation du capital de marque n'est toutefois pas une fatalité pour le concédant. Certes, comme nous venons de le voir, la nature profonde du contrat de licence pousse indubitablement le licencié à désinvestir en qualité au fur et à mesure que le terme du contrat se rapproche. Cependant, plusieurs facteurs annexes sont à prendre en considération. En premier lieu, la forme de la demande constitue un déterminant majeur des comportements opportunistes du licencié (§1). Ensuite, le licencieur a à sa disposition un certain nombre de moyens contractuels qui lui permettent de limiter les comportements déviants de son concessionnaire (§2). 1. Le rôle des complémentarités factorielles Nous avons supposé jusqu'à présent que le licencié pouvait influencer la demande des consommateurs seulement grâce à ses investissements en goodwill. Il s'agit d'une hypothèse extrêmement forte. En effet, nous avons vu plus haut que les publicités informatives peuventelles aussi avoir un impact sur la demande perçue par les entreprises lorsqu'il existe des asymétries informationnelles sur le marché. Le concessionnaire peut par ailleurs développer sa force de vente afin de toucher un plus grand nombre de consommateurs potentiels. Au final, le 14 licencié dispose d'un certain nombre de leviers qui lui permettent d'augmenter son chiffre d'affaire et qui ne participent pas à la création de goodwill21. Ces différents paramètres participent eux aussi à la détermination de la politique d'investissement du licencié, et, en particulier conditionnent le choix du niveau optimal de capital réputationnel ainsi que la date à laquelle le concessionnaire décide de désinvestir. Le questionnement majeur renvoie alors au degré de complémentarité de ces deux types de facteurs productifs. De fait, si les différentes composantes de la demande sont considérées comme complémentaires par les consommateurs, le licencié sera incité à conserver une valeur minimale pour le capital de marque puisque la dépréciation du goodwill réduit la profitabilité des deux facteurs de production. A contrario, si le licencié peut atteindre un même chiffre d'affaire en substituant de la force de vente à la qualité, la dégradation du capital de marque est quasi inévitable en fin de contrat. Son importance sera par ailleurs aussi conditionnée par la différence existante entre les coûts des investissements en goodwill et ceux des autres facteurs de production. 2. Les stratégies de rédaction des licences de marque L'augmentation de la durée du contrat s'impose naturellement comme une première possibilité. Toutefois, si cette option permet bien de limiter les pertes du concédant sur l'ensemble de la durée de vie de la marque en limitant le nombre de licences successives, elle n'apporte aucune solution à la dégradation du capital réputationnel au cours de chaque contrat. Seules les incitations monétaires et les procédures d'audit semblent à même de limiter la perte du concédant au cours d'un même contrat de licence. Les procédures d'audit Un audit de conformité peut tout d'abord être mené par le concédant sur les produits du licencié ou sur le montant de ses dépenses publicitaires. Les experts s'accordent pour affirmer qu'un audit de la qualité doit être mené de façon régulière par le licencieur en cas de transfert de marque (Gaudin [1993], Megantz [2002], Byrnes [1994]). On classe généralement les activités liées au contrôle de la qualité relèvent de deux domaines différents : le bon usage de la marque d'une part, et la conformité des produits aux standards de qualités d'autre part. 21 L'hypothèse d'une publicité informative non capitalisable est sans trop forte dans de nombreux secteurs d'activité. C'est toutefois le cas lorsque, à l'instar de la haute-couture, les gammes de produits se renouvellent régulièrement. 15 La partie du contrôle relevant du bon usage de la marque consiste principalement à vérifier que la forme, la place et la taille de la marque sont bien spécifiés sur les produits ainsi que sur la documentation qui lui est associée. Cette partie de l'audit constitue parfois une part importante des échanges licencieur-licencié, surtout lorsque le contrat prévoit que tous les produits ainsi que la documentation qui leur est associé doive être soumise au licencieur préalablement à toute commercialisation afin de vérifier ex-ante le bon usage de la marque. La partie la plus onéreuse du contrôle concerne à la vérification de la qualité des produits licenciés. Les spécifications techniques fournies au licencié sont souvent détaillées dans un cahier des charges, mais certaines licences ne prévoient qu'une obligation pour le licencié de maintenir une qualité minimale, sans pour autant préciser les différentes dimensions de cette qualité. Le contrôle en lui-même peut porter alternativement sur le produit final ou le processus de production. Dans le premier cas, si l'audit peut parfois être réalisé dans les locaux du licencieur sur la base d'échantillons envoyés par le licencié, il est souvent conseillé au concédant de se garder le droit de prélever de temps à autres des produits directement sur les lignes de montage du concessionnaire afin d'éviter toute dissimulation de la part du licencié. Parallèlement, un certain nombre de contrôles en amont peuvent être effectué chez le concessionnaire afin de vérifier les procédés de fabrication (processus de contrôle de la qualité, matériel utilisé, etc.). Plusieurs points doivent être notés concernant les procédures d'audit. • Tout d'abord, ces mesures ne se révèlent dissuasives pour le licencié que si elles sont associées à des sanctions appropriées en cas de manquement du concessionnaire. Ces sanctions sont parfois prévues contractuellement sous la forme d'une pénalité spécifiée d'avance. Toutefois, la majorité des contrats prévoient une rupture anticipée de la licence en cas de défaut de qualité des produits licenciés. Cette dernière disposition est particulièrement dissuasive lorsque des perspectives de renouvellement de la licence existent au départ. • Ensuite, les audits sont des procédures qui peuvent se révéler particulièrement gourmandes en temps et en argent pour le licencieur (Megantz [2003, p156]). Le concédant ne pourra donc généralement pas se garantir une qualité parfaite par ce seul moyen. Le contrôle in situ des installations peut en outre se heurter à la résistance du licencié, qui ne souhaite pas que le licencieur découvre certains de ses secrets de fabrique grâce au contrôle. Le concédant peut donc être poussé dans ce cas à se tourner vers d'autres solutions contractuelles afin de prévenir la dépréciation de son capital de marque. 16 La place des incitations monétaires La stratégie de contrôle direct des produits licencié est très suivie par les licencieurs à l'heure actuelle. Il est toutefois possible de lui substituer une politique incitative pour le licencié grâce une utilisation habile des schémas de rémunération inclus dans la licence. En anticipant un petit peu sur le papier suivant, nous noterons que les clauses de paiement incluses dans les contrats de licence prévoient souvent des paiements variables pour les licences de marque22. Une caractéristique bien connue des paiements variables est qu'ils permettent de contrôler le coût marginal du licencié, et donc, indirectement, la profitabilité de la licence. Le licencié stoppe ses investissements dans la marque à la date τ parce que la période d'exploitation est insuffisante pour le dédommager de ses frais d'investissement dans le goodwill. Le concédant qui ne désire pas accroître la durée de la licence peut toujours augmenter la profitabilité de la licence à partir de τ de façon à ce que l'investissement en goodwill redevienne intéressant pour le concessionnaire. Des baisses successives du taux de royalties sont donc à envisager au fur et à mesure que l'on se rapproche de la fin du contrat. Cette dynamique se comprend simplement grâce au modèle présenté plus haut. Nous nous souvenons que le sentier optimal pour la marque était donné par: G* = βpS η[(δ + µ)λ − λ& ] Supposons que le licencieur abaisse son taux de royalties à la date τ. Supposons d'autre part, comme le font Nerlove et Arrow [1962], que l'élasticité de la demande au goodwill soit constante23. Comme nous sommes en monopole, la recette totale pS va augmenter ce qui entraîne automatiquement une hausse de G* si les autres paramètres restent constants. Nous savons qu'en τ, λ(τ) = a, et que λ& < 0 . Le concédant désirant éviter la dépréciation de la marque en τ+1 devra baisser son taux de royalties de telle façon que la recette totale pS augmente jusqu'à atteindre p'S' qui se trouve défini implicitement par l'égalité : G= β pS βp'S' = η (δ + µ)a η[(δ + µ)a − λ& ] Une proposition testable de ce modèle est donc que les licences de marque impliquent plus souvent que la moyenne des taux de royalties décroissants dans le temps. 22 La préséance des paiements variables sur les paiements forfaitaires a été notée depuis longtemps dans les franchises commerciales (Lafontaine [1992]). Elle semble s'expliquer principalement par la présence d'un aléa moral double (Bhattacharyya et Lafontaine [1995]). 23 Cette hypothèse n'est pas trop restrictive. Elle renvoie en particulier aux fonctions de demande multiplicatives de type Cobb Douglas: S(p, G ) = p − η G β . 17 Ce type de stratégie incitative semble à même de limiter la dépréciation du capital de marque. Toutefois, deux points méritent d'être précisés : • Tout d'abord, en réduisant le taux de royalties dans le temps, le licencieur arrive certes à limiter la dépréciation du capital de marque, mais seulement au prix d'une diminution croissante du prix de la licence. Autrement dit, si cette stratégie permet d'augmenter les profits globaux, elle diminue aussi la part revenant au licencieur. Le concédant doit donc prendre en considération ces deux effets avant d'arrêter sa décision, et regarder si la baisse du taux de royalties ne fait pas plus que compenser l'augmentation des gains provenant de la hausse du G. • Le fait qu'il s'agisse de stratégies complexes à opérationnaliser est ensuite évident. La préservation du goodwill par la croissance des taux de royalties nécessite des informations précises sur l'état du marché ainsi que sur la structure des coûts du licencié dans plusieurs années. Ces renseignements ne sont pas toujours à la disposition du concédant lorsqu'il rédige le contrat de licence. Ceci s'explique bien entendu par les asymétries d'information entre le licencieur et le licencié, mais pas seulement. En effet, plus on anticipe ces variables longtemps à l'avance plus on a des chances se tromper, le progrès technique pouvant radicalement modifier la demande adressée au produit ainsi que les techniques de production du licencié. Au final, les complémentarités factorielles et les dispositions contractuelles permettent seulement de limiter la dépréciation du capital réputationnel, mais non de l'éliminer complètement. Il semble donc qu'il puisse exister des configurations où les licences de marque appauvrissent le licencieur au lieu de l'enrichir. V. L'Exemple du Secteur de la Haute-Couture Les maisons de haute-couture appartiennent à ce qu'on appelle communément "l'univers du luxe" (Dubois [1993], Catry [2002]). La gestion du capital de marque est donc primordiale pour ces entreprises et il n'est pas risqué d'affirmer que la majorité de leurs profits découle de la part de rêve qui est vendue avec chacun de leurs produits. Il s'agit par ailleurs d'un secteur où les licences de marque sont courantes et, paradoxalement, régulièrement décriées. Une analyse des contrats disponibles à l'INPI va nous permettre de mieux comprendre les tendances lourdes de ce secteur concernant la gestion du capital réputationnel. 18 1. La structure des licences dans la haute-couture Nous avons développé une base de contrat de licence de marque à partir du questionnaire présenté dans l'annexe 1. Cette base contient à ce jour 24 contrats de licence passés par 3 entreprises françaises ainsi que par un créateur italien. Bien qu'assez réduit, notre échantillon nous permet malgré noter un certain nombre de faits stylisés concernant les accords passés dans ce secteur. Les licences dans le secteur sont exclusives dans 92% des cas, ce qui permet de réduire les externalités entre les différents concessionnaires (Bai et Tao [2000]). Une caractéristique saillante de ces licences est leur faible durée de vie. La durée moyenne prévue dans le contrat est de 4.2 années avec un écart type de 1.1 an entre les licences étudiées. Cette durée semble particulièrement courte au regard des autres licences étudiées par ailleurs dans cette thèse24. Elle s'explique par la volonté des maisons de ne pas s'engager à trop long terme avec ses licenciés25. En effet, la sélection des licenciés répond souvent aux goûts du créateur. Or, le taux de rotation des créateurs entre les différentes maisons est extrêmement élevé, et ceux-ci ne restent généralement pas plus de 3 années dans la même entreprise. Nous devrions donc observer une décroissance successive du capital de marque de ces entreprises au fur et à mesure que se renouvellent ces contrats. La lecture des contrats de licence permet par ailleurs de confirmer l'existence du dilemme présenté plus haut. La préoccupation principale du concédant semble d'éviter que le licencié ne dégrade trop son capital réputationnel en conduisant des actions qui ne soit pas en phase avec l'image de la marque concédée26. Quatre paramètres semblent cruciaux à ce titre : la qualité des produits, la publicité, le prix et les canaux de distribution. . 25 Cette durée est donc légèrement plus courte pour les licences que pour les franchises, ce qui est confirmé sur notre échantillon. 26 Par exemple, le préambule du contrat précise :" La société concessionnaire (...) s'engage de façon générale: -Au maintien de la notoriété de la marque X -Au respect de l'obligation de confidentialité concernant les procédés et techniques concédées -Au respect de la qualité des articles vendus -A la poursuite d'une politique commerciale sélective en matière de points de vente -Au respect de la cohérence de l'image de marque X -A un usage de la marque strictement réservé à la vente d'articles de la marque X dans le strict respect de toutes les clauses du présent contrat. Ces préoccupations majeures de la société X constituent une raison déterminante de son acceptation à contracter. La société concessionnaire déclare les partager intégralement. Elles déterminent l'esprit dans lequel devra être interprété le présent contrat s'il survient quelque difficulté d'exécution." 19 La qualité des produits peut s'entendre au sens strict s'il s'agit d'une licence de production, ou renvoyer à la qualité du service clientèle lorsque nous avons une franchise commerciale. A la lecture des contrats, cette qualité semble contrôlée à plusieurs niveaux. Lorsqu'il s'agit d'une licence de production, les dessins et les plans doivent être approuvés par le licencieur avant la mise en fabrication27. Parallèlement, l'organisation du magasin doit correspondre fidèlement aux standards remis par le licencieur au nouveau franchisé à la signature du contrat. La qualité est ensuite généralement contrôlée en aval par le licencieur grâce aux opérations d'audit que nous avons présentés plus haut2829. La publicité, le prix et la politique de distribution sont les clés d'entrée de la maison dans l'univers du luxe. A ce titre, on peut les rattacher à de la publicité persuasive, car tous trois contribuent à associer au produit l'image luxueuse qui en fait la valeur. Le prix et la politique de distribution sont intimement liés. L'idée présente dans toutes les licences étudiées est qu'il faut éviter de vendre les produits dans des lieux inadaptés (grandes surfaces et magasins de maisons concurrentes30), ou à des prix sacrifiés (soldes31) afin d'éviter de banaliser le produits aux yeux du consommateur. La plupart des licences prévoient par ailleurs qu'une part constante du chiffre d'affaire du licencié doit être consacré à la publicité. Ce budget publicitaire est souvent reversé au licencieur, mais il peut être aussi dépensé par le licencié32. L'étude de notre échantillon nous indique en outre que les entreprises de ce secteur ont peu recours aux taux de royalties décroissants dans le temps pour inciter le licencié. En fait, seuls Plus brièvement, le contrat précise en préambule: "The franchisee acknowledges that the trademark enjoy an unequestionable repuation, having acquired great prestige in the public's eyes and maintaining the said reputation is the assignor's main concern, and have to be its own." 27 Par exemple, le contrat suivant précise : "Le concédant, a sa seule discrétion, pourra approuver, rejeter ou modifier unilatéralement les modèles et les modifications de modèles proposés par le concessionnaire. Tous les modèles et modifications de modèles approuvés par le concédant deviendront ensuite sa propriété exclusive." 28 Un de nos contrat comprend la clause suivante: " The duly authorized representatives of the licensor or any subsidary of the licensor shall have the right, at all reasonable times, to inspect the premises of the licensee or all manufacturing facilities whether owned by the licensee or subcontracted with the consent of the licensor, but only for purpose and to the extend required for a complete quality contrôl of the licensed articles." 29 La préoccupation de qualité s'étend aussi aux sous-traitants lorsque ceux-ci sont admis par le contrat. Une bonne illustration peut être trouvée dans un contrat : "Le concessionnaire reconnaît le haut niveau de normes de qualité des produits du concédant et la réputation de la marque de fabrique X. Le concessionnaire garantit au concédant que les dites normes seront respectes par le sous traitant et que, en conséquence, les conditions et stipulations suivantes seront respectées. De plus, les dites conditions et stipulations seront incluses dans le contrat à signer avec le concessionnaire et le sous-traitant, ledit contrat devant être soumis au concédant pour approbation préalable." 30 Nous trouvons dans une licence une disposition qui précise :" Le licencié reconnaît que la qualité du circuit de distribution des articles concédés ainsi que le respect de l'image de marque concédée son des conditions essentielles et déterminantes du présent contrat sans lesquelles Y n'aurait pas contracté. La distribution s'effectuera à travers les grands magasins et les détaillants spécialisés, à l'exclusion des magasins dits "populaires" de la grande distribution." 31 On peut lire dans une licence: "Special sales in the boutique shall not be held more than twice yearly, at time agreed upon jointly. Such sales may be announced in the press, but without ever mentionning the prices of the articles covered by the sales or of the percentage of reduction beeing granted. The execution of such sales may not harm the Z corporate image, and in particular no article sold of may be shown in a display ads window." 20 2 contrats sur 24 prévoient une telle disposition. Par ailleurs, une étude plus poussée de ces contrats nous enseigne que ces taux décroissants ne concernent que des franchises commerciales, et que ces taux se compensent exactement avec les taux dévolus aux dépenses publicitaires, de telle façon que le taux global payé par le licencié reste constant au cours du temps. Au final, il s'agit d'une décroissance des taux fictive. Elle n'a donc aucun effet incitatif et elle semble plutôt s'expliquer par les capitaux limités des franchisés. 2. La remise en cause des licences dans la haute-couture Le développement des maisons haute couture depuis un siècle s'est accompagné d'une croissance extrêmement forte du nombre de contrats de licence passés dans ce secteur- Les maisons ont souvent vu dans la licence un moyen peu onéreux de se développer à l'international. En outre, les licences leur ont permis d'entrer sur un certain nombre de marchés qui se trouvaient assez éloignés de leur métier de base (parfumerie, art de la table, etc.). L'utilisation de la licence comme stratégie de développement n'en reste pas moins assez récente dans ce secteur. Historiquement, les premières licences importantes ont été passées par Dior en 1948. Ces accords n'étaient toutefois considérés que comme des activités annexes à la création, censées générer des revenus marginaux. C'est P. Cardin qui a popularisé la licence de marque comme stratégie de développement pour les maisons de créateurs. La philosophie sousjacente à cette stratégie consiste à se désengager de tous les métiers de production pour ne plus gérer que l'image de la griffe (C.F. Figure 6). Perte en capital Gain en redevance Etape 2 : Production et baisse du capital de marque Etape 1 : Conclusion de la licence Bénéfice ou perte Etape 3 : Paiement des redevances Etape 4 : Régénération du capital de marque grâce aux royalties Figure 6. Le fonctionnement des licences dans l’univers du luxe 32 C'est notamment le cas lorsque le licencieur possède un droit de regard sur les supports publicitaires du licencié et que celui-ci connaît mieux son marché que le concédant. 21 Dans cette perspective, le concédant passe des contrats de licence pour la fabrication et la distribution de ses produits (étape 1). Ce faisant, il anticipe la dépréciation du capital réputationnel consécutive à l'accord (étape 2). La licence doit alors générer des revenus qui permettent au concédant de régénérer son image de marque (étape 3). Cette régénération peut s'effectuer grâce à des campagnes de communication ou des actions de prestige, comme les défilés de mode (étape 4). L'objectif principal du concédant est d'obtenir un reliquat sur les redevances une fois que les dépenses liées à l'entretien du capital réputationnel ont été déboursées. Le succès fulgurant de P.Cardin grâce à cette stratégie de croissance a accru l'attrait des licences dans ce secteur. Malgré quelques farouches opposants à l'externalisation33, la plupart des maisons de haute couture ont développé leur portefeuille de licences jusqu'au milieu des années 1990, parfois inconsidérément. En effet, pour qu'elle puisse permettre une croissance durable, la stratégie suivie par la maison Cardin nécessite que le capital de marque soit régulièrement reconstitué par le licencieur. De fait, la volonté de rentabiliser au maximum l'image de la griffe pousse de nombreux licenciés à développer des produits très commerciaux qui se trouvent en décalage avec l'imaginaire traditionnel du luxe. De même, la volonté de maximiser les profits à court terme pousse certains franchisés à économiser sur certains postes de frais (service après vente, conseils aux clients, etc.), et à développer des politiques de prix potentiellement nocives pour la réputation du concédant. Confronté à ce double problème, la figure 6 suggère que ce dernier puisse théoriquement agir à deux niveaux afin de préserver son goodwill: • A l'étape 2, tout d'abord, le licencieur peut tenter de limiter la dépréciation du capital de marque grâce à la rédaction d'un contrat approprié. Or, nous venons de voir que les licences conclues dans ce secteur d'activité étaient fortement désincitatives pour le concessionnaire (contrats courts et absence de décroissance des taux de redevance), et prévoyaient un contrôle important du licencié par le licencieur (clauses d'audit). • A l'étape 4, ensuite, le concédant peut utiliser ses royalties pour régénérer son goodwill grâce à des campagnes de communication. L'épuration du portefeuille de licence dans certaines maison de haute couture à donc tout naturellement découlé du double constat suivant : 33 Notamment la maison Hermès. 22 • Même si le texte du contrat confère des droits très étendus au licencieur, il peut s'avérer très difficile (et coûteux !) de contrôler en pratique les actions des licenciés. Les détails les plus subtils peuvent avoir leur importance34, et il faut souvent compter avec la résistance des licenciés aux décisions du licencieur. • Les stratégies de communication peuvent compenser la dégradation du goodwill seulement jusqu'à un certain point. Une trop grande amplitude laissée au licencié peut conduire à des consommations de goodwill que le concédant aura du mal à compenser par ce seul moyen. Lorsque le concédant se trouve dans ce double cas de figure, les accords de licence ne peuvent pas générer de croissance durable pour la maison à laquelle il appartient. Dans cette configuration, il vaut donc mieux internaliser la production et la commercialisation afin de préserver la valeur de la griffe35. VI. Conclusion Ce papier nous a permit de présenter les principaux arbitrages auquel doit faire face toute entreprise qui désire licencier une marque. Nous avons tout d'abord montré que les licences de marque génèrent invariablement des pertes en capital de marque qui sont croissantes dans le temps. Ces pertes en goodwill sont conditionnées par la structure de la demande d'une part, et par la structure contractuelle d'autre part. Plus précisément, nous avons souligné le rôle joué à ce titre dans la structure contractuelle par les clauses d'audit ainsi par les schémas de paiements. L'exemple du secteur de la haute couture nous a ensuite permis d'appliquer notre analyse théorique à un cas pratique. Il est finalement apparu que les licences de marque ne pouvaient générer un développement durable que si les redevances permettaient de reconstituer le goodwill consommé par les licenciés. Tout écart par rapport à cette règle de conduite amène inévitablement à la disparition de l'identité de la marque concédée. 34 Par exemple, en 1990, Yves Saint Laurent est entré en conflit avec son club de franchisés en Grande-Bretagne parce que celui-ci avait envoyé un prospectus où la griffe apparaissait en doré sur fond bleu, alors que la marque s'efforce d'apparaître en rouge sur fond gris. 35 Bien entendu, si le licencieur veut générer des profits importants à court terme, la solution alternative peut s'imposer. Mais à plus ou moins long terme, sa marque se trouvera banalisée et ne générera plus de surprofits. 23 RÉFÉRENCES Bai, C., Tao, Z., 2000, Franchising as a Nexus of incentives Devices for Production Involving Brand Name, Journal of Economics and Management Strategy, Becker, G.S., Murphy, K.M., 1993, A simple Theory of Advertising as Good or Bad, The Quaterly Journal of Economics, 108, 4, 941-964. 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Franchise Licence Entreprise française: Entreprise étrangère: Pays du licencié: L'entreprise française est le concédant: Il existe des liens en capitaux entre les parties: Il existe des contrats antérieurs entre les parties: oui oui oui non non non Quelle est la date de conclusion de l'accord? Quelles sont les ressources transférées (en plus de la marque) ? savoir-faire assistance technique input modèle Quel est l'objet du contrat? B. LES DISPOSITIONS CONTRACTUELLES GENERALES Quelle est la durée du contrat? Le contrat prévoit-il une reconduction tacite Quel est le degré d'exclusivité? exclusivité négociée non-exclusivité co-exclusivité Quels sont les territoires accordés concernant : a.La production : b.La vente : Présence d'une intuitu personae: oui non C. L'ORGANISATION DU PAIEMENT Quelle est la devise utilisée ? Montant du droit d'entrée: Montant du forfait: Montant des royalties sur les ventes: Montant des royalties à dépenser en publicité: 26 Les montants forfaitaires sont-ils croissants stables décroissants dans le temps ? Les montants variables sont-ils croissants stables décroissants dans le temps ? D. LES CLAUSES DE SAUVEGARDE Montant des royalties minimum: Les minimums garantis sont-ils croissants Les soldes sont-elles réglementées oui Il existe une clause de non concurrence stables décroissants dans le temps ? non oui non Il existe au minimum un veto du concédant sur les sous licences ou sous traitants: oui non E. LES CLAUSES DE CONTROLE Approbation nécessaire du licencieur avant commercialisation sur: la publicité les produits contractuels Le licencieur dispose d'un droit de contrôle sur: les produits contractuels les installations techniques la comptabilité 27