MOI AUSSI JE VEUX UN BEBE

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MOI AUSSI JE VEUX UN BEBE
”MOI AUSSI JE VEUX UN BEBE”
MARTINE AMMANN , ARTICLE DE FOND DANS LA REVUE INSIEME 3/1998
Désarmante de simplicité, cette petite phrase bouscule et interpelle ceux et celles qui
la reçoivent. Les parents souvent la rejettent parce qu’elle leur renvoie l’image de leur
enfant devenant adulte. Les éducateurs peinent à l’entendre dans la mesure où elle les
confronte à leurs représentations sociales, leurs principes éthiques et professionnels
et leur vécu. Expression évidente d’un désir profond, elle n’est pourtant pas
obligatoirement une revendication de la maternité. Mais elle demande une écoute
attentive et un accompagnement.
Recevoir une demande aussi directe et précise n’est chose aisée pour personne. En tant
que parents, elle interpelle notre vécu affectif, notre relation de couple, la mesure du temps
qui passe. Dans le cas présent, c’est aussi le rappel brutal du handicap mental de l’enfant
qui par sa demande nous signifie qu’il est ou qu’il veut devenir adulte. Pour les
professionnels qui entourent une personne mentalement handicapée, toute évocation
sexuelle verbale ou physique de celle-ci vient se mettre en résonance avec leurs propres
concepts éthiques ou moraux, leurs visions personnelles des conventions sociales, des
interdits d’usage et des obstacles qu’ils ne peuvent franchir. Il s’agira tout d’abord, pour
reprendre les objectifs d’un programme de formation d’adultes élaboré par deux animatrices
en éducation sexuelle, Catherine Aghte Diserens et Françoise Vatré, ”de faire ... le ménage
de nos peurs et de nos préjugés”. Travail de longue haleine que d’apprendre à entendre et à
comprendre une demande d’ordre sexuel au sens large du terme! ”La sexualité de l’autre, ou
des autres, réveille toujours d’une manière ou d’une autre un souvenir, une comparaison,
une réaction, une envie, un rejet: ce n’est jamais neutre. C’est pourquoi nous affirmons que
s’arrêter d’abord à soi et à notre interaction avec les autres sur un certain nombre de
facettes de la sexualité humaine, avant d’investiguer la sexualité des résidants, que celle-ci
soit problématique ou non, nous apparaît fondamental”.
Faire le ménage de ses peurs et de ses préjugés permet tout à la fois de mettre de l’ordre
dans ses concepts personnels, de relativiser ses ressentis et de se positionner face aux
attentes normalisantes d’une société qui, comme le balancier de la pendule, oscille entre un
réflexe eugénique de protection et la défense forcenée de l’inaliénabilité des droits de la
personne handicapée. Sexualité et handicap mental sont deux mots qui se juxtaposent
difficilement: plaisir, épanouissement, érotisme (parfois teinté de scandale) et procréation
d’un côté, dépendance, marginalité et souffrance, de l’autre. Devant la difficulté à rapprocher
deux concepts que l’on juge souvent inconciliables, la tentation est grande de repousser le
problème, de le nier, de se chercher de fausses excuses pour ne pas reconnaître que la
sexualité et ses manifestations les plus diverses sont certainement ce qu’il y a de plus
normal chez la personne mentalement handicapée.
Fédération suisse des associations de parents de personnes mentalement handicapées
Case postale 6819 - 3001 Berne - Tél. 031 305 13 13 - Fax 031 305 13 14 - e-mail: [email protected] - www.insieme.ch - Dons PC 25-15000
Lorsque la demande est énoncée aussi clairement “Moi aussi, je veux un enfant”, il n’y a plus
lieu de reculer. Il faut entendre, analyser et agir. Groupes de discussion, approches
thématiques, travail sur les émotions et les réactions, interventions répétées de
professionnelles de la santé et de l’éducation sexuelle permettront dans un premier temps
d’entendre ce désir et en quelque sorte de le décoder. L’accent est-il mis sur le ”moi aussi”?
Il faudra peut-être porter son attention sur le souhait profond de normalisation exprimé par la
personne handicapée mentale... ”Moi aussi, comme ma soeur, comme ma cousine, comme
les autres femmes de mon âge, je veux un bébé... comme les autres, je veux faire l’objet
d’attentions soutenues, je veux que l’on regarde mon ventre rond... ” Ou alors c’est peut-être
le mot ”bébé” l’élément porteur de la demande, le support qui permet d’exprimer un grand
besoin affectif, la volonté de serrer quelqu’un dans ses bras, d’être responsable, de s’investir
dans une relation, d’exercer un pouvoir, d’assumer un rôle. Les possibles sont nombreux et
divers, ils s’affineront dans le dialogue entre parents et professionnels, dans la
communication verbale ou non verbale avec l’intéressée et son éventuel partenaire, dans
une approche du couple, de ses besoins, de ses potentialités. La démarche préconisée et
appliquée dans plusieurs accompagnements par Catherine Aghte Diserens vise en premier
lieu à clarifier la demande. La femme mentalement handicapée a-t-elle les connaissances
anatomiques et physiologiques suffisantes pour intégrer les processus de grossesse et
d’accouchement? Le père potentiel a-t-il une place dans ce désir de maternité? Si ces
relations et d’autres encore ne peuvent être établies, le désir ne devrait pas être considéré
comme légitime et cette volonté d’avoir un bébé recouvre certainement une autre
signification.
Professionnels et parents tenteront alors d’élargir la demande et d’y apporter une réponse
satisfaisante en confiant peut-être un animal de compagnie à une personne assoiffée de
tendresse et avide de responsabilité, en proposant par des activités artistiques de sublimer
ce désir ou cet appel profond ou plus simplement encore en la mettant en contact ponctuel
avec de très jeunes enfants. Si, au contraire, le désir s’avère légitime, encore faudra-t-il avec
elle examiner de près ses capacités à soigner, à élever, à assumer dans le temps cet enfant
désiré. Confrontées à des situations concrètes en crèches ou auprès de bébés de leur
environnement proche, certaines jeunes femmes handicapées baisseront rapidement les
bras, jugeant l’entreprise trop audacieuse. Les raisons invoquées seront diverses, mais elles
ne se réfèreront toutefois que rarement à la conscience d’un handicap mental... ”Je ne peux
pas avoir de bébé parce que j’ai une jambe plus courte que l’autre, parce qu’un bébé coûte
trop cher, parce que je suis vite fatiguée... ”
Le processus de renoncement est souvent douloureux pour le couple concerné et difficile à
vivre et à accompagner pour des parents qui choisiront parfois d’éviter cet obstacle par une
stérilisation préalable ou par une mise à l’écart de toute vie relationnelle et sexuelle. Aux
yeux de Catherine Aghte Diserens, ce projet de vie, même s’il reste consciemment inachevé
et impossible, marque une étape importante dans la vie d’une femme mentalement
handicapée et dans sa quête d’identité personnelle et sexuelle. L’animatrice ajoutera à
l’adresse de parents légitimement soucieux du bien-être et du bonheur de leurs enfants
handicapés: ”Laissez vos enfants rêver, laissez-les échafauder des projets! Comme pour
tout un chacun, les souffrances et les chagrins qu’ils devront endurer les feront grandir”.
Jacqueline Delville, psychologue et médecin, cheffe de travaux au Département de
psychologie de l’Université de Namur, a centré ses recherches sur des expériences
d’accompagnement de personnes déficientes mentales face à la problématique de la
parentalité. Après avoir examiné de plus près les motivations du couple, elle subdivise le
chemin d’accompagnement en trois étapes bien distinctes: le savoir, le savoir-faire et le
savoir être. Les éventuels futurs parents connaissent-ils les besoins d’un nouveau-né, d’un
enfant et d’un adolescent? Ont-ils une notion de la responsabilité inhérente à l’état de
parents? Sont-ils réceptifs à leurs propres limites? Après avoir testé leur niveau de
conscience, il faudra s’attaquer aux connaissances pratiques (savoir-faire) en matière de
soins au bébé, entretien du ménage, préparation des repas. Le couple pourra à ce stade être
confronté déjà à des situations très concrètes comme de vivre quelques jours dans une
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famille avec des enfants d’âges différents ou d’effectuer un stage dans une crèche. La
réflexion autour du savoir être s’élaborera ensuite à l’aide de jeux de rôle pour analyser les
capacités du couple à vivre une relation au quotidien, à gérer des situations de stress, de
tension et d’agressivité. Il s’agira également d’examiner si le couple est suffisamment
entouré, s’il possède un réseau familial ou amical disposé à prêter main-forte en cas de
besoin, s’il a la capacité d’envisager l’avenir et d’anticiper les événements. Et, dernier point
soulevé par Jacqueline Delville et qui toutefois devrait sous-tendre toute la réflexion: l’avenir
de l’enfant potentiel. ”S’il avait un avocat, quelqu’un qui serait là pour défendre ses droits et
son bien-être, que dirait-il? Comment voit-on les choses, si l’on se place de son point de
vue? Comment imagine-t-on ses conditions de vie? Comment évalue-t-on les risques
éventuels qu’il pourrait courir (négligence, soins inappropriés, violence, difficulté de la
communication...)? Que pourrait-il se passer si le niveau intellectuel de l’enfant dépasse
celui des parents?”
Si, grâce à un accompagnement suivi et de qualité, de nombreuses femmes mentalement
handicapées abandonnent relativement sereinement leur projet de bébé, d’autres se
retrouvent un jour enceintes par ou contre leur volonté. Dans ces conditions, une grossesse
est souvent découverte fortuitement et tardivement, ce qui rend généralement un avortement
difficilement envisageable en raison de l’état d’avancement de la gestation, de l’absence de
consentement de l’intéressée ou encore des convictions éthiques et religieuses des milieux
proches. L’enfant est là ou presque et il s’agit d’accompagner la mère affectivement et
émotionnellement à franchir cette étape difficile qui la conduira soit à une séparation, si elle
n’est pas capable d’assumer son nouveau rôle, soit à un soutien et un encadrement de
longue durée. Différentes recherches menées aux Etats-Unis et au Canada préconisent de
centrer l’accompagnement de la nouvelle famille autant sur les aspects émotionnels et
comportementaux du développement que sur les stimulations cognitives. Favoriser les
relations précoces d’attachement entre la mère et le nourrisson permettra de poser les bases
d’un développement affectif positif de l’enfant.
La parentalité des personnes mentalement handicapées n’est que l’un des éléments de leur
vie affective et sexuelle. Et certainement le plus complexe et le plus délicat. Leur
épanouissement peut emprunter d’autres voies qui seront tracées par un long travail
d’éducation dès la petite enfance, d’apprentissage des relations humaines et de prévention.
BIBLIOGRAPHIE
• A.I.R., Association, Information, Recherche: Actes du Congrès sur les déficiences
intellectuelles et la parentalité, Lille, 5-7 novembre 1997
• ”Sexualité, vie affective et déficience mentale” de Jacqueline Delville et
Michel Mercier, Ed. De Boeck, 1997
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