Les projets de réforme relatifs aux produits dérivés en Europe
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Les projets de réforme relatifs aux produits dérivés en Europe
veille technique Droit des marchés financiers Les projets de réforme relatifs aux produits dérivés en Europe L’approche retenue par l’Europe pour réglementer les produits dérivés se caractérise par un éclatement des textes qui devront encadrer ces produits : du projet de règlement EMIR au texte sur les ventes à découvert, en passant par les réformes des directives MIFID et abus de marché. Sans oublier les discussions autour de l’importante question du netting… Hubert de Vauplane* Associé Kramer Levin Naftalis & Frankel Professeur associé Université Paris II Panthéon-Assas Président AEDBF (Europe) Retrouvez les chroniques de H. de Vauplane sur revue-banque.fr * Les propos de l’auteur n’engagent que celui-ci et ne sauraient constituer une opinion des institutions qu’il représente. A lors que l’Europe s’enfonce dans la crise de la dette souveraine et de l’euro et que les mesures législatives et réglementaires pour l’endiguer tardent à entrer en application, les institutions européennes continuent d’avancer sur les propositions de mesures faisant suite à la crise financière de 2008, notamment en ce qui concerne la régulation des produits dérivés. L’approche retenue par l’Europe pour réglementer les produits dérivés se caractérise par l’éclatement des textes de référence au sein desquels les questions relatives à ces produits sont traitées. Il est donc nécessaire d’examiner toute une série de textes pour avoir une vision holistique de la réglementation applicable aux produits dérivés en Europe. L’idée sous-jacente à toutes ces réformes est que le mode de fonctionnement actuel des produits dérivés, sous forme de gré à gré principalement, n’est pas transparent et qu’il est source de risques pour la stabilité financière internationale[1]. Or, pour dissuader ou à tout le moins freiner l’utilisation des produits dérivés de gré à gré, la solution la plus efficace ne passe pas par une sur-réglementation, mais par le renchérissement de leur utilisation. Celle-ci peut prendre deux voies : la fiscalité, qui n’est pas d’actualité, et le besoin de fonds propres à mettre en face de ces opérations, qui est clairement au cœur des discussions. Le projet de règlement EMIR La Commission européenne prévoit d’établir un nouveau règlement européen, EMIR[2], relatif aux infrastructures de marchés, en particulier pour les produits dérivés[3]. Ce texte [1] Conseil européen, « Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on OTC derivatives transactions, central contreparties and trade repositories », 6 sept. 2011, recital n° 4. [2] European Market Infrastructures Regulation. [3] « Produits dérivés et contreparties centrales : la constitue le miroir de certaines des dispositions de la loi Dodd-Frank aux États-Unis, mesures qui s’inscrivent dans la suite des décisions des sommets du G20. Les décisions prises lors de ces réunions sont au nombre de trois : −− les produits dérivés de gré à gré doivent, autant se faire que peut, être négociés sur des Bourses ou des plates-formes électroniques de négociation ; −− ils doivent être compensés par des chambres de compensation ad hoc, sans quoi ils feraient l’objet d’exigences de fonds propres supplémentaires pour leurs utilisateurs soumis aux contraintes règlementaires du Comité de Bâle ; −− enfin, ils doivent faire l’objet d’un reporting auprès d’agences spécialisées (trade repositories). proposition de Règlement de l’Union européenne à la loupe », Revue Banque n° 729, nov. 2010, p. 78 ; « La Réforme financière aux États-Unis », Revue Banque n° 727, sept. 2010, p. 82. Communiqué de la Commission européenne, IP/10/1125, 15 sept. 2010. octobre 2011 n° 740 Revue Banque 79 veille technique Ce sont ces mesures d’encadrement qui sont transposées dans l’ordre européen interne par le projet de règlement EMIR, présenté par la Commission européenne le 15 septembre 2010, après différentes consultations[4]. D’une manière schématique, le projet de Règlement européen, traite de trois problématiques : l’obligation de compensation pour les opérations de produits dérivés de gré à gré (et partant, la définition des « classes » de dérivés qui devront faire l’objet d’une compensation, la mise en œuvre de cette définition étant laissé à l’ESMA), le fonctionnement des chambres de compensation de produits dérivés, et celui des trade repositories. Plusieurs problèmes ont été soulevés lors des discussions au sein du Conseil[5] et du Parlement[6] : ainsi, dans quelle mesure cette proposition devait couvrir tous les produits dérivés ou bien seulement les produits dérivés de gré à gré (le compromis dégagé pendant l’été semblant se diriger vers un champ d’application restreint aux seuls dérivés OTC, sauf pour le reporting des transactions qui couvrirait toutes les transactions) ; la nécessité ou non de prévoir des exceptions pour certaines catégories d’intervenants ou types de transactions (sont visées ici les opérations dites Intra Groupes qui ne nécessiteraient pas de compensation sous certaines conditions et qui feraient l’objet de règles distinctes, selon qu’il s’agit de groupes financiers ou industriels et commerciaux) ou bien encore la difficile question de l’accès à la liquidité de la BCE pour les chambres de compensation (à cet [4] Commission européenne, « Driving European Recovery », 4 mars 2009 ; Communications de la Commission du 3 juillet 2009 et du 20 octobre 2009. La question des produits dérivés et des infrastructures de marché a fait l’objet d’une Consultation ouverte entre 14 juin 2010 et le 10 juillet 2010. [5] Position du Conseil européen du 20 juin 2011. [6] Position du Parlement européen du 24 mai 2011. 80 Revue Banque no 740 octobre 2011 “ Le nouveau règlement européen relatif aux infrastructures de marchés, en particulier pour les produits dérivés, constitue le miroir de certaines des dispositions de la loi Dodd-Frank aux États-Unis. ” mode de négociation (MTF, marchés réglementés, OTF ou gré à gré), dès lors, pour les produits dérivés, que ces opérations sont éligibles à une compensation par une chambre de compensation selon les termes prévus par le Règlement EMIR. ...et celle de la Directive abus de marché égard, on notera la récente action en justice intentée par la Grande-Bretagne contre la Banque Centrale Européenne (BCE) devant la CJUE sur la question de l’accès à la liquidité en monnaie centrale en euro pour les chambres de compensation non localisée dans la zone euro), ou celle du rôle de l’ESMA vis-à-vis des régulateurs nationaux. Tous ces points sont encore en discussion et le vote du Parlement européen est attendu pour la fin du mois de septembre 2011. La révision de MIFID... La Directive MIF fait l’objet d’une révision entamée en 2010 par la Commission européenne (MIFID II)[7]. L’un des objectifs de cette révision est d’accroître la transparence sur les dérivés sur marchandises. Il est proposé une définition large des OTF (Organized Trading Facility), à côté de celle de marchés réglementés et MTF, afin d’intégrer des obligations de transparence pour les opérations réalisées sur des platesformes organisées mais en dehors des MTF et des marchés réglementés. De la même manière, le projet prévoit d’étendre la transparence pré- et post-transactions pour toutes les opérations – quel que soit le [7] Cf. cette chronique, « Révision de la MIF : une chance oubliée de corriger les excès des marches », Revue Banque, n° 733, daté de févr. 2011, p. 76. La Directive abus de marchés fait elle aussi l’objet d’une révision depuis novembre 2008 (MAD II), afin de tenir compte des évolutions intervenues depuis son adoption en 2003. Au-delà des modifications propres à la matière et liées aux changements opérés par le fonctionnement des marchés, comme, par exemple, l’extension du champ d’application de la directive aux MTF, la Consultation prévoit une série de mesures propres aux produits dérivés : l’alignement de la définition des instruments financiers sur celle, plus large, de la Directive MIF, laquelle couvre par exemple les CFD[8], les dérivés de crédit et les dérivés climatiques, non visés actuellement par la Directive MAD. De la même manière, il est proposé de revoir la définition – actuellement vague – de l’information privilégiée propre aux dérivés sur marchandises, ou encore d’étendre l’obligation de déclaration de soupçon aux produits dérivés de gré à gré. La Commission a annoncé qu’elle publierait ses propositions relatives à MIFID II et MAD II en octobre 2011. L’épineuse question du netting... La question du netting des produits dérivés est sans doute l’une des plus complexes en la matière. Elle se situe au carrefour du droit des contrats et du droit de la faillite. Depuis plusieurs mois, cette question fait l’objet de nombreuses réflexions au sein [8] Contract For Difference. du Comité de Bâle comme des différentes instances du G20 dans le cadre des discussions relatives aux plans de résolution et aux institutions financières systémiques (SIFI’s)[9]. Il s’agit à la fois de s’assurer de l’efficacité des dispositifs de netting en période défaut, tout en limitant dans certaines circonstances leur pleine efficacité ! En Europe, la Commission a choisi d’examiner cette question dans deux cadres : d’une part, dans son projet d’initiative législative relative à la gestion de la crise et à sa résolution[10] ; d’autre part, dans le cadre d’un nouvel instrument législatif propre à la question du netting en cas de survenance d’un défaut d’une institution financière conduisant à l’adoption d’un plan de résolution. Compte tenu de la complexité du sujet, la Commission a lancé, le 6 janvier 2011, une consultation technique auprès de certains experts[11]. Retenons que ceux-ci estiment que le cadre européen actuel n’offre pas une sécurité suffisante quant à l’efficacité du netting, et que l’introduction de pouvoirs exorbitants au profit de l’autorité chargée d’administrer l’établissement financier dans le cadre d’un plan de résolution viendrait troubler encore plus la situation en créant des zones d’incertitudes. Les discussions au sein d’Unidroit Alors que l’Europe ne s’est pas encore prononcée sur les conditions de fonctionnement du netting en [9] Cf. cette chronique, « Gestion des crises bancaires et plans de résolution », Revue Banque, n° 730-731, daté de déc. 2010, p. 122. [10] « Legislative initiative on a framework for bank crisis management and resolution » : Commission Work Programme 2011, Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions, COM(2010) 623 final. [11] Consultation disponible sur : http://ec.europa. eu/internal_market/bank/crisis_management/ index_en.htm#consultation2011. cas de crise, la question prend une dimension plus large avec l’ouverture des débats au sein d’Unidroit, l’organisme chargé d’harmoniser le droit au niveau mondial. Cette institution a lancé les premières consultations auprès des experts nationaux au début de l’été 2011. À ce stade des discussions, il s’agit déjà de se mettre d’accord sur le champ du futur outil international – s’agira-t-il d’une Convention internationale qui s’impose directement dans l’ordre interne de chaque État membre ou plutôt de principes sans force obligatoire, voire d’un guide législatif à usage des pays qui veulent se doter d’une législation efficace sur le netting ? – et surtout sur son contenu. Or, alors que jusqu’à la crise financière de 2008, le netting bénéficiait de mesures de faveur exceptionnelles au bénéfice des créanciers en cas de faillite d’une contrepartie, depuis ces événements, les pouvoirs publics et les régulateurs sont beaucoup plus réticents à accorder les mêmes bénéfices à ces créanciers. En effet, toute mesure qui favorise les créanciers conduit ipso facto à mettre la contrepartie en défaut dans une situation moins favorable, jusqu’à, le cas échéant, prononcer une faillite, laquelle peut conduire l’État de résidence de l’entreprise en défaut à intervenir, y compris financièrement, dans la gestion de cette faillite. Autrement dit, c’est l’équation classique du droit de la faillite : convient-il, par des mesures législatives, de privilégier l’entreprise en défaut ou au contraire ses créanciers ? Fort de l’expérience de la crise où les États – et donc les contribuables – ont dû venir au secours de nombreux établissements bancaires en difficulté, la tendance des gouvernements aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, tout comme celle des régulateurs bancaires au nom de la stabilité financière, consiste à “ La tendance des gouvernements, tout comme celle des régulateurs bancaires au nom de la stabilité financière, consiste à ne plus accorder tous les avantages du netting en cas de défaut d’une contrepartie. ” ne plus accorder tous les avantages du netting en cas de défaut d’une contrepartie[12]. Une telle approche remet en cause les principes de base du fonctionnement des marchés de produits dérivés qui ont guidé depuis plus de 20 ans l’élaboration des différentes législations relatives au netting. Tel est le cas, par exemple, de deux mesures en discussion : −− permettre à l’administrateur provisoire de choisir les contrats qu’il va souhaiter continuer ou arrêter (risque connu sous l’expression de « cherry picking ») ; −− accorder le bénéfice d’une période – même très courte – au sein de laquelle il sera impossible pour les contreparties de l’établissement en défaut de prononcer l’exigibilité anticipée de tous les contrats en cours. Vers des exigences en fonds propres supplémentaires ? Toutes ces discussions ne sont pas neutres économiquement, dans la mesure où in fine ces modifications peuvent conduire à des exigences de fonds propres supplémentaires pour les établissements financiers. En effet, grâce à l’efficacité totale du netting en cas de faillite, les établissements de crédit ne calculent leurs besoins de fonds propres au regard du risque de contrepartie que sur une base nette (c’est-à-dire après compensation ou netting) des contrats en cours, et non sur une base brute. Dès lors que cette efficacité est remise, même partiellement, en cause, il n’est pas sûr que le bénéfice prudentiel pour les besoins de fonds propres jusque-là accordé demeure identique. Comme on le voit, ces discussions touchent de près à l’ordre économique propre à chaque État (le choix de privilégier les créanciers ou [12] Communiqué, IP/11/10, 6 janv. 2011. octobre 2011 no 740 Revue Banque 81 veille technique le débiteur est un choix de politique économique), alors que les conditions de fonctionnement du netting ressortent plutôt de l’ordre contractuel (l’accord de netting). Les débats au sein d’Unidroit ne concerneront que les aspects contractuels du netting, et non les aspects réglementaires ou ceux du droit de la faillite. C’est là une limite importante à la tentative d’harmonisation mondiale de la matière. Un projet de règlement européen sur les ventes à découvert... Plusieurs États membres européens ont adopté des mesures réglementaires, parfois contradictoires, visant à limiter, voire même interdire, les ventes à découvert à l’occasion de la crise bancaire, puis de la crise sur les dettes souveraines[13]. Le 15 septembre 2010[14], la Commission européenne a publié une proposition de règlement sur les ventes à découvert, afin d’instaurer un régime européen minimum en lieu et place des différentes réglementations nationales existantes, même si le nouveau texte laisse la possibilité aux États membres d’intervenir directement dans des circonstances exceptionnelles, sous réserve de notifier de ces mesures l’ESMA, qui tâchera alors de coordonner les actions de ces États sans pouvoir les bloquer. Autant dire que l’ESMA devra faire la police avec un son seul pouvoir de persuasion… Le nouveau régime des ventes à découvert s’appliquerait à tous les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou un MTF en Europe. Rien n’est cependant [13] Cette chronique, « Dettes souveraines et abus de marché », Revue Banque n° 737, daté de juin 2011, p. 70. [14] En ce qui concerne les ventes à découvert et les dérivés de crédit, la Commission a lancé une consultation entre le 14 juin et le 10 juillet 2010. La question des Dépositaires centaux de titres (CSD) a fait l’objet, quant à elle, d’une consultation ouverte entre le 13 janvier et le 1er mars 2011. 82 Revue Banque no 740 octobre 2011 “ Le projet européen de réglement des ventes à découvert s’appliquerait à tous les instruments financiers négociés sur un marché réglementé ou un MTF en Europe. ” prévu pour les OTF et, par définition, encore moins pour le gré à gré. Le projet met en place une obligation de déclaration des positions des vendeurs à découvert (qu’ils résident en Europe ou en dehors de l’Union européenne). Ainsi, en ce qui concerne les actions, le projet prévoit une déclaration aux autorités nationales compétentes pour toute position représentant 0,2 % du capital de la société émettrice et pour chaque 0,1 % supplémentaire ; au-delà de 0,5 %, cette déclaration sera publique. ...et sur les positions en instruments de dette souveraine Pour les positions relatives à des instruments de dette souveraine, le seuil de déclaration sera fixé par la Commission européenne, et celle-ci sera notifiée à l’autorité compétente (mais pas au public). Le projet prévoit aussi de limiter les positions à découvert : selon la proposition, la vente à découvert ne serait autorisée que si le vendeur dispose des titres ou en disposera au moment de la livraison aux termes d’un prêt de titres ou de toute autre convention permet- tant de disposer des titres. Mieux : lors des discussions au sein du Conseil ECON, il a été décidé que les ventes à découvert sous forme de CDS sur titres de dettes souveraine ne seraient possibles que si le vendeur détient préalablement les titres de dettes ou a acheté lesdits titres au plus tard à la fin de la journée de Bourse où le CDS a été conclu. Autrement dit, la vente à découvert n’est autorisée… que si le vendeur n’est pas à découvert ! Comme on le voit, l’actualité financière sur la crise de la dette grecque a largement influencé le contenu des discussions. De son côté, le Parlement européen a adopté, le 6 juillet 2011, le document amendé par le Conseil européen du 17 mai 2011 – lequel a apporté un certain nombre de précisions, notamment quant aux exceptions à la prohibition des ventes à découvert, pour les opérations de pensions livrées, de prêts de titres ou de contrats à terme ferme –, mais il ne s’agissait là que d’un vote indicatif. Le vote final du Parlement ne devrait pas intervenir avant la fin 2011. L’Europe est-elle en retard ? Si l’Europe a pris du retard par rapport aux États-Unis dans l’adoption de son paquet législatif relatif aux produits dérivés, on conviendra, d’une part, que les décisions prises dans le cadre du G20 étaient largement inspirées par la délégation américaine. Cependant, d’autre part, tant que les dizaines (un peu plus d’une centaine en réalité) de mesures d’application de la loi Dodd Franck n’ont pas été prises par la SEC et la CFTC, les États-Unis ne sont pas en mesure de dire que leur réactivité a été plus grande que celle des Européens. Qui sait d’ailleurs si nous ne serons pas ici face à la fable de La Fontaine du lièvre et de la tortue ? n