Dossier : Les prisons
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Dossier : Les prisons
11 Dossier : Les prisons L’évolution du régime carcéral en Belgique I l y a quelques années, l’ancien Ministre de la Justice, Stéphane Declerck, écrivait : « Depuis des décennies, la Justice a été laissée pour compte, jusqu’il y a peu le régime pénitentiaire belge était un aspect peu connu de notre société. Cette matière ne suscitait guère l’intérêt des politiques et du public. Il s’agissait probablement d’un monde que l’on préférait ignorer, ce qui a contribué à faire de la détention un isolement non seulement physique mais également social »1. Il devait présenter devant la Commission de la Justice de la Chambre une note d’orientation en matière de « politique pénale et d’exécution des peines » confiant au professeur Lieven Dupont de la K.U.L. (Katholieke Universiteit Leuven) la charge de rédiger un « avantprojet de loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et l’exécution des peines privatives de liberté ». Prolongeant les travaux du professeur Dupont, un arrêté royal du 25 novembre 1997 institua, sous la présidence de ce dernier, une commission chargée d’élaborer une proposition de loi de principes concernant « l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus » qui devint la loi du 12 janvier 2005 : « Loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus »2 dont la mise en œuvre suppose une cinquantaine d’arrêtés royaux d’application. I. La loi de principes du 12 janvier 2005 1° Fondements de l’évolution Sachant que « la catégorie des détenus ne fait l’objet d’aucune disposition constitutionnelle spécifique, que leurs droits fondamentaux doivent dès lors être déterminés à partir des droits fondamentaux reconnus à tout citoyen », les détenus doivent être traités de manière que les droits dont ils restent titulaires soient respectés3. Les principes fondamentaux de la loi4 soulignent la nécessité du respect de la dignité humaine (Art. 5, § 1er)5. Ils rappellent, si besoin en était, que « le détenu n’est soumis à aucune limitation de ses droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que les limitations qui découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté, celles qui sont indissociables de la privation de liberté et celles qui sont déterminées par ou en vertu de la loi (Art. 6, § 1er). Cette reconnaissance des exigences qui doivent régir le régime carcéral implique en conséquence que, « durant l’exécution de la peine ou mesure privative de liberté, il convient d’empêcher les effets préjudiciables évitables de la détention » (Art. 6, § 2). Cette conception suppose une collaboration étroite entre le Fédéral et les Communautés et Régions, collaboration qui en est encore à ses premiers balbutiements6. 2° Des faveurs aux droits : affirmation de la citoyenneté des détenus Les objectifs de la réforme se placent dans le prolonge1 Les arbres et la forêt, réformer la Justice, Lannoo, 1997, p. 99. 2 Moniteur Belge (M.B.), 1er février 2005. 3 Civil Liège (référé) 9 novembre 1987, KELLENS ET ALII, Code pénitentiaire. 4 Voir la circulaire ministérielle n° 1791 du 11 janvier 2007 sur les principes fondamentaux. 5 Lois de réforme institutionnelle des 8 août 1980 et 8 août 1988, voir Rapport au gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 18 au 27 avril 2005, Strasbourg, 20 avril 2006. 6 Voir l’arrêt n°109/2006 du 28 juin 2006 de la Cour d’arbitrage. 12 ment de ceux qui présidaient à l’élaboration du règlement général des établissements pénitentiaires1, tels qu’ils avaient été définis par le Ministre de la Justice de l’époque2 : « Le régime auquel les condamnés sont soumis doit tendre à l’affermissement de leur sens moral, civique et familial. Il doit leur procurer suivant le cas, l’éducation, l’instruction, la connaissance d’un métier, l’habitude du travail ainsi que l’assistance médicale requise par leur état physique ou mental3. Les méthodes utilisées doivent cultiver chez les détenus le sentiment qu’ils continuent à faire partie de la communauté sociale. La conception et l’organisation de la discipline, des conditions d’hébergement, du travail, des études et des loisirs doivent s’inspirer plutôt de ce qui rapproche de l’existence libre que de ce qui les éloigne et elles tendent à sauvegarder ou à susciter le sens de la dignité et des responsabilités humaines ». Malgré cette déclaration qui conserve aujourd’hui toute son actualité, le règlement de 1965 se bornait à fixer les règles essentielles de l’organisation et du régime pénitentiaire. La loi de principes prend en compte : • les principes de base du traitement des détenus selon l’esprit des règles pénitentiaires européennes4 ainsi que des normes imposées par la Convention européenne des droits de l’homme5 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques6; • l’objectif de l’exécution de la peine de prison ; • les principes de base régissant le statut juridique du détenu en ce qui concerne les actes et décisions de l’autorité ayant trait à son existence en tant que pensionnaire de l’établissement pénitentiaire, à savoir le statut juridique matériel interne du détenu ; • le droit de plainte pour les détenus et le respect des procédures en matière disciplinaire7. La loi de principes justifie et annonce une réglementation légale de l’interruption de la détention et de l’achèvement du temps de détention, à savoir le statut juridique externe du détenu, dans lequel le pouvoir judiciaire se voit attribuer un rôle important que nous aborderons plus loin. 3° Le statut juridique interne des détenus sement d’un dossier portant sur la connaissance des éléments susceptibles : • d’assurer l’individualisation nécessaire à l’établissement d’un régime limitant le dommage carcéral ; • de permettre l’individualisation indispensable à une bonne gestion du temps de détention ; • d’adapter, aussi adéquatement que possible, la décision de placement du détenu aux informations recueillies lors de l’enquête préliminaire. C’est ainsi que sera élaboré avec le condamné un plan de détention destiné à assurer une gestion optimale du temps de détention et de permettre à ce dernier de préparer son retour dans la société. La loi pose le principe du droit du détenu à un espace de vie individuel, confirme l’évolution des conditions d’existence à l’intérieur des prisons et l’ouverture de celles-ci sur le monde extérieur (correspondance, téléphone, visite, contact avec les médias…). La loi consacre le droit d’un détenu de bénéficier des soins de santé nécessaires à son état ainsi que son droit à l’aide sociale. D’autre part, elle organise le régime disciplinaire et le droit de plainte des détenus qui s’inscrit dans la reconnaissance de la citoyenneté des personnes condamnées. Elle souligne également, si tant est que ce 1 Arrêté royal du 21 mai 1965. 2 Pierre VERMEYLEN, Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 21 mai 1965, M.B., 25 mai 1965. 3 Voir l’arrêté royal du 12 décembre 2005 fixant la date d’entrée en vigueur de l’article 98 de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus et réglant la composition, les compétences et le fonctionnement du Conseil pénitentiaire de la santé. Le susdit Conseil est appelé à donner un avis sur toute question soumise par le Ministre de la Justice concernant les soins de santé dans les prisons (Art. 3, § 1er). Doté d’un pouvoir d’initiative, il peut donner des avis notamment sur la qualité des soins de santé. 4 Conseil de coopération pénologique. Les règles pénitentiaires européennes 2006, Recommandation R (06)XX sur les règles pénitentiaires 2006. 5 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955. 6 Le détenu a droit au respect de sa dignité d’homme et à la reconnaissance de sa personnalité. Ceci entraîne, lors de son entrée en prison, un accueil et l’établis- Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé à New-York le 19 décembre 1966, approuvé par la loi du 15 mai 1981. 7 Voir la circulaire ministérielle n° 1777 du 2 mai 2005. 13 soit nécessaire, la qualité des détenus qui, tout en étant privés du droit d’aller et venir, continuent de jouir de tous les droits qui ne leur sont pas enlevés en vertu du jugement ou de la loi et à bénéficier des droits fondamentaux des citoyens libres. Le sort des détenus est indissolublement lié à celui du corps social au sein duquel ils reprendront leur place à l’expiration de leur peine. Le régime pénitentiaire ne peut se concevoir en dehors de l’exécution des peines par rapport à la libération et suppose l’organisation du statut externe des détenus dans le respect de la protection des victimes. II. Le statut juridique externe des personnes condamnées et le tribunal d’application des peines Prolongeant les travaux de la Commission Dupont, la Commission Holsters1 devait élaborer l’organisation légale du statut externe des détenus, travail qui devait aboutir aux lois du 17 mars 2006 relatives respectivement « au statut externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine » et à « l’instauration des tribunaux d’application des peines ». 1° Statut juridique externe Reprenant les différentes modalités d’exécution des peines privatives de liberté, la loi du 17 mai 2006 détermine à la fois les autorités compétentes pour en décider, les conditions d’octroi et les principes de base de l’exécution des décisions. a) Décisions appartenant au Ministre de la Justice À tout moment de la détention en vue de défendre des intérêts ou de subir des examens ou traitement médical en dehors de la prison ou, dans les deux années précédant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle, en vue de préparer son retour dans la société, le condamné peut bénéficier de permissions de sortie moyennant avis conforme du directeur de l’établissement et accord de l’intéressé sur les conditions attachées à la mesure. 1 Du nom de ce magistrat qui était président de chambre à la Cour de Cassation. D’autre part, dans l’année précédant la date d’admissibilité à la libération conditionnelle, le condamné pourra obtenir des congés pénitentiaires qui lui permettront de quitter l’établissement pour une durée de trois fois 36 heures par trimestre suivant les modalités reprises au paragraphe précédent. Exceptionnellement le Juge de l’application des peines ou le tribunal d’application des peines pourront intervenir dans le cadre de l’examen de l’octroi d’une détention limitée, d’une surveillance électronique ou d’une libération conditionnelle à titre transitoire (Art. 59). Pour des motifs graves et exceptionnels de caractère familial, une interruption de l’exécution de la peine pour une durée de trois mois maximum éventuellement renouvelable peut, à la demande du condamné, être accordée par le Ministre de la Justice après avis du directeur. b) Les Juges et les tribunaux d’exécution des peines A côté des mesures reprises supra, la loi organise la détention limitée qui permet au condamné de quitter, de manière régulière, l’établissement pénitentiaire pour une durée déterminée de maximum douze heures par jour. La décision est de la compétence du Juge d’application des peines, à la demande du condamné, après avis du directeur, si l’intéressé est un condamné détenu. Les conditions d’octroi varient suivant que le total des peines effectives est inférieur ou égal à trois ans. En cas de peine supérieure à trois ans, la décision sera prise par le tribunal d’application des peines à la demande du condamné, après avis du directeur. La surveillance électronique est synonyme d’exécution de la peine en dehors de la prison suivant un plan d’exécution déterminé et contrôlé notamment par des moyens électroniques. Si le total des peines effectives est inférieur ou égal à trois ans, la décision sera prise par le Juge d’application des peines. Si le total des peines effectives est supérieur à trois ans, la décision relève du tribunal d’application des peines. Moyennant le respect de conditions imposées pendant la durée du délai d’épreuve déterminé, le condamné peut bénéficier de la libération conditionnelle qui lui permettra d’exécuter sa peine en dehors de la prison. En cas de peines inférieures ou égales à trois ans, le Juge d’application des peines en examinera d’office l’octroi sur avis du directeur de l’établissement. Par contre si le total des peines effectives est supérieur à 14 trois ans, ce sera au tribunal d’exécution des peines à en décider après examen d’office et avis du directeur de l’établissement. La loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées prévoit en outre deux cas de libération provisoire. La première est accordée aux condamnés sans droit de séjour en vue de leur éloignement du territoire ou à ceux qui font l’objet d’une extradition ou d’une remise aux autorités étrangères en vertu d’un mandat d’arrêt européen. Si le total des peines effectives est inférieur ou égal à trois ans, la décision est prise par le Juge d’application des peines, sur avis du directeur sans qu’il soit besoin d’une demande du condamné. Si le total des peines effectives est supérieur à trois ans, la décision sera prise par le tribunal d’application des peines. Dans le second cas, la libération provisoire est accordée par le Juge d’application des peines sur avis du directeur pour raison médicale (phase terminale d’une maladie incurable, état de santé incompatible avec la détention). Comme dans les mesures visées supra, il convient qu’il n’existe aucune contre-indication1 et que le condamné donne son accord sur les conditions attachées à la mesure L’organisation de ces mesures suppose soit une décision du Juge de l’application des peines soit du tribunal d’application des peines sur base du montant des peines. Le Juge d’application des peines peut en outre remplacer la peine d’emprisonnement par une peine de travail à la demande du condamné. La décision suppose que : • la partie effective de la peine privative de liberté n’excède pas un an ; • de nouveaux éléments aient modifié, dans une large mesure, la situation sociale, familiale ou personnelle du condamné ; • les conditions générales d’octroi de la peine de travail soient respectées. 2° Evolution récentes Le Moniteur belge du 1er février 2007 a publié différents arrêtés royaux ayant pour objet notamment la protection des victimes en leur permettant de s’adresser, à tout moment, à un assistant de Justice pour obtenir des informations ; la détermination du cadre des assesseurs près les tribunaux d’application des peines et de leur compétence territoriale et la détermination du contenu concret de la détention limitée et de la surveillance électronique. Conclusion Cette synthèse quelque peu aride souligne la reconnaissance du condamné comme personne de droit. A ce titre, il dispose des droits énumérés au titre II de la Constitution, c’est-à-dire, les droits reconnus à tout citoyen. L’évolution du droit national et international place la personne humaine à l’avant-plan. Il en est de même du condamné qui reste un citoyen de la société qu’il a perturbée par son comportement2. Cette évolution ne saurait être complète sans la collaboration de la communauté qui par son attitude offre au condamné libéré du travail et un logement sans le condamner en raison de ses errements. La réinsertion est l’œuvre du corps social car, jamais, ce ne sera la prison qui la facilitera. En effet, ce n’est pas en isolant de la société qu’on facilitera ce retour du condamné au sein de celle-ci. Comme l’a écrit Jacques Leclercq : « l’épanouissement d’êtres multiples suppose qu’ils ne se détruisent pas les uns les autres, donc qu’ils s’accordent : c’est l’ordre »3. « Tous les êtres humains sont égaux dans le respect qui leur est dû en tant que ‘personnes humaines’ parce qu’ils ont la vie et qu’ils possèdent, quel que soit le poids de leur faute, une dimension métaphysique »4. Jean DETIENNE Président de la Commission royale des patronages Rue de la Bonté, 4A, bte 12 B-1000 Bruxelles 1 Par exemple, risque de commettre des infractions graves, absence de milieu d’accueil, risque d’importuner les victimes… 2 Marc VERDUSSEN, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 474 : « La catégorie des détenus ne fait l’objet d’aucune disposition constitutionnelle spécifique. Leurs droits fondamentaux doivent dès lors être déterminés à partir des droits fondamentaux reconnus à tout citoyen. Pour chacun d’eux, il s’agit de savoir dans quelle mesure la situation de détention justifie que des restrictions y soient apportées ». 3 Jacques LECLERCQ, Essais de morale catholique, T. IV, La vie en ordre, Casterman, Tournai, 1955, p. 16. 4 Pierre ARPAILLANGE., La simple Justice, Julliard, Paris, 1985, p. 93.