Un journal en prison, pourquoi ? L`écrit dans l`univers carcéral
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Un journal en prison, pourquoi ? L`écrit dans l`univers carcéral
Un journal en prison, pourquoi ? L'écrit dans l'univers carcéral occupe une place très importante. En effet, pour les détenus, toute demande d'activité (sport, soins, enseignement, formation, travail...) doit être écrite. De ce fait, l’écrit et les connotations dont il est porteur par le biais de l’orthographe, du vocabulaire, de la présentation, jouent un rôle considérable. Dans le Centre pénitentiaire de Rennes-Vezin, le journal «OuestFrance» est distribué gratuitement en cellule chaque jour aux détenus qui le souhaitent. En complément d'un travail régulier mené en classe autour de ce quotidien (lecture de la Une, activités de mathématiques et repères sur le monde...), la mise en place d'un atelier journal réalisé par et pour les détenus nous a semblé constituer un support pertinent et motivant, permettant de travailler de nombreuses compétences. Cette année nous avons donc lancé le projet. L'atelier journal fonctionne depuis septembre 2011. Le CDD numéro 1 (Canard Des Détenus) a vu le jour en décembre, le numéro 2 en mars et l'équipe de rédaction prépare actuellement le numéro 3. L'atelier est ouvert à tous les détenus volontaires, scolarisés ou non. Le groupe de rédaction se réunit en classe 1h30 par semaine. Il est hétérogène sur bien des plans : compétences scolaires et niveaux d'étude, origines socio-professionnelles, âge, centres d'intérêt... Chaque numéro est une aventure, qui se conclut par la distribution dans les cellules du journal réalisé. Dans le prochain numéro une enquête auprès des lecteurs permettra d'évaluer l'intérêt et l'impact du CDD à l'intérieur des murs. Mais d'ores et déjà nous pouvons témoigner de notre ressenti d'enseignants par rapport à ce projet. Nous nous sommes bien évidemment heurtés à un certain nombre de difficultés (flux des participants, contraintes matérielles censure...) que nous ne détaillerons pas ici, pour ne pas décourager celles et ceux qui auraient envie de se lancer dans l'aventure... En dépit de ces difficultés nous restons enthousiastes car le projet est porteur et dynamisant au delà de nos espérances. L'atelier journal est un projet qui place le détenu dans une situation authentique de communication, le journal est destiné à être lu et à intéresser...). L'implication de tous dans le projet est palpable. On observe une grande tolérance au sein du groupe de rédaction (discussions et entraide), un tutorat s'est instauré spontanément. Le journal a permis aux détenus d'oser : des mots pour dire, lire et écrire, débattre pacifiquement et écouter l'autre, rester en lien avec l'extérieur... Autant d'axes qui permettent au détenu de construire une image plus positive de lui- même, et d'envisager, peut être, l'avenir différemment. Quelques propos relevés au fil des ateliers : «J'ai appris qu'on ne pouvait pas tout dire, mais malgré ça c'est aussi un moyen d'expression.» «A travers l'écriture, on peut toucher beaucoup de monde, sept cents détenus ce n'est pas rien !» «Ça nous permet de libérer notre parole, à défaut d'être libre...» «Ça m'a montré qu'on pouvait faire des choses positives.» «Je suis très fier quand je vois un article publié, j'en crois pas mes yeux !» «En détention je me sens très isolé et écrire dans le journal m'aide à garder des relations sociales à travers les lecteurs. Je me dis que j'existe autrement que pour ce que j'ai fait et ce pourquoi je suis là.» «Ça me force à regarder autour de moi, à m'intéresser à autre chose.» «On peut débattre, discuter, ne pas être d'accord sans se taper dessus.» «On se sent engagé, on ne peut pas tout laisser comme ça.» La préparation et la réalisation d'interviews sont des moments forts, le groupe est centré sur une tâche commune qui nécessite d'apprendre à se décentrer, pour se placer dans une situation d'échange inhabituelle. Le journal permet bien sûr de mettre en valeur des productions d'écrits réalisées au sein des temps d'enseignement (groupes d'alphabétisation, préCFG et FLE en priorité), de favoriser l’expression et la créativité. Nous avons particulièrement apprécié de pouvoir ici travailler en duo. Cela nous a permis de confronter et croiser nos regards d'enseignants, de nous compléter, de partager le travail et de nous épauler dans les moments difficiles. Nous sommes bien décidés à poursuivre le projet l'année prochaine ! Anne Rubin-Crouan et Thierry Chevrolet enseignants Unité Locale d'Enseignement Centre Pénitentiaire de Rennes/Vezin