13 février 2012 MEDEA : REINE MÉDÉE – VIERGE MARIE Le

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13 février 2012 MEDEA : REINE MÉDÉE – VIERGE MARIE Le
13 février 2012
MEDEA : REINE MÉDÉE – VIERGE MARIE
Le Théâtre Paris-Villette ouvre
ses murs à la représentation
associée de la danseuse Carlotta
Ikeda et de l’auteur Pascal
Quignard.
Une
lecture
et
réécriture
de
la
tragédie
d’Euripide, Médée, soutenue par
le musicien Alain Mahé dans une
musique improvisée au coeur de
ce petit Palais des Papes. Le genre
de bâtisse déjà habitée et que
l’habillage de sons et de lumières
ravive dans son apparat théâtral.
Le décor est donc tout trouvé
pour revisiter la grande tragédie
grecque antique de Médée, le
mythe, dont se fait écho le
spectacle.
Peu de monde pour assister à la réapparition de Carlotta Ikeda ce soir, la grande
dame du butô dont l’âge, le sexe, ou la taille n’ont jamais limité l’extension
prodigieuse, demeurant encore aujourd’hui cette figure de la danse des ténèbres,
danse des corps meurtris et décompensés au lendemain des bombes d’Hiroshima et
de Nagasaki. C’est l’incarnation du chaos que représente le butô en l’action de ces
corps effacés dans leur ego, mis à nu, qui renaissent dans cet environnement
bouleversé, et que les danseurs ont fait migré par delà le monde entier, à travers leurs
propres corps blancs et absorbants. C’est cette danse de l’après-coup, celle de
l’adaptation des corps-sujets à un environnement branlé.
Fondatrice de la compagnie Ariadone dans les années soixante dix, d’interprètes
exclusivement féminines, Carlotta Ikeda a conduit le butô vers l’esthétisme de la
métamorphose. Elle s’offre avec le mythe de Médée un support dès plus parlant sur
cet état de transformation. Trop parlant pour supporter une adaptation figurative. La
danseuse traverse aisément le feu de Médée, lui empruntant ses petits chaussons
pour parcourir ce désir brûlant et embrasant de vengeance meurtrière qui la
traversera jusqu’au crime ultime. L’illustration du récit s’impose de fait. Peut-être
parce que ce n’est simplement pas son histoire, on la sent comme emprisonnée dans
ce collage, après ce découpage dramaturgique, en deux temps distincts, qui tait le
texte pour laisser parler le corps.
La présence incandescente de Sanae Ikeda, de son vrai nom, fait éclore Médée au
travers d’une vulve dessinée dans sa cape rouge, lorsqu’elle prend soin de l’accrocher
christiquement au centre de la scène, sous l’horloge solaire, avant de commettre
l’irréparable. L’esthétisme tant attendu s’impose alors royalement, toujours par la
voie de la chrysalide qui caractérise si fortement l’univers de Carlotta. Le mouvement
rejoint le symbolique, dépassant la simple suggestion, reprenant sa part belle. C’est
de cela que l’association du texte et de la danse peut se faire le privilège, de faire
naître des images de rêve, comme s’y attachent les mots de Quignard qui laissent
vagabonder l’esprit de Médée dans cet espace sans limite pour le concentrer ensuite
sur une démonstration figurée.
« Midi Médée médite », occurrence verbale de Quignard en possession de cette
captation de la femme, de la mère, de l’enfant qui a rendez-vous avec le Temps, son
Père, et le Soleil, son Grand-Père. D’une voix délicatement expirée, il nous souffle ces
images du Palais de Corinthe crépitant, extériorisant cette suggestion méditative de la
Mère meurtrière en repentir. Beaucoup d’images déjà présentes dans le récit de
cette« Reine Médée – Vierge Marie », avant qu’Ikeda ne le mette corporellement en
scène, en un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur. Une mise en scène qui se veut
épurée tout en étant chargée de symboles, de couleurs, de bruits, touchant du bout
des doigts à l’irascible Médée sans nous ouvrir réellement les bas-fonds de son âme
ensanglantée
Envoûtante, Carlotta Ikeda le demeure dans toute son intériorité, avec ses élans
avortés, ses cris extérieurs mais au regard porté sur Medea et sa contemporanéité,
l’engagement apparaît poussif et poussiéreux. L’écoute première du texte pouvant
amener ailleurs, on s’accroche à nos images, précédemment conçues, où Médée
devient Medea, personnage romantico-érotique que l’auteur nous livre assis, face
public, les lunettes au bout du nez, texte en mains sur la tablette.
Audrey Chazelle
Medea, du 7 au 19 Février 2012. Théâtre Paris-Villette
En parallèle du spectacle, la Dorothy’s Gallery (27 rue Keller, Paris 11ème) expose les
clichés de Laurencine Lot, en couleur et noir et blanc, sur le fil des trente années de
créations scéniques de la grande dame du butô. A voir jusqu’au 27 Mars.
Photo : Laurencine Lot