de Warlikowski, l`opéra est un jeu gagnant

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de Warlikowski, l`opéra est un jeu gagnant
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Avec la “Médée” de
Warlikowski, l’opéra est un
jeu gagnant
Compte-rendu | Grâce à la mise en scène inventive de Krzysztof
Warlikowski, l'opéra atteint des sommets d'émotion pure. Et
“Médée” prend des allures d'Amy Winehouse.
Le 11/12/2012 à 15h49 - Mis à jour le 12/12/2012 à 08h34
Gilles Macassar
Médée relookée en Amy Winehouse. © Vincent PontetWikiSpectacle
Décidément, les mythes grecs inspirent le metteur en scène polonais
Krzysztof Warlikowski, et lui réussissent magnifiquement. Après une
Iphigénie en Tauride de glorieuse mémoire, créée au Palais Garnier en
2006, cette Médée de Cherubini, inaugurée à Bruxelles en 2008,
reprise (et améliorée) en 2011, et maintenant installée avenue
Montaigne, atteint les mêmes sommets d'intensité théâtrale, de vérité
psychologique. D'émotion pure. Et par les mêmes moyens : conjuguer
le mythe et ses enjeux au présent de l'indicatif, parce que leurs
ressorts profonds – l'incertitude des identités et des sentiments, la
violence hypocrite de l'ordre social – ignorent les frontières du temps et
de l'espace.
Les détracteurs du dramaturge polonais ne s'y sont d'ailleurs pas
trompés. Comme ils avaient perturbé la « première » d'Iphigénie,
obligeant le chef, Marc Minkowski, à interrompre la musique de Gluck
et rappeler la salle à l'ordre, ils ont récidivé lundi soir, à l'entrée de
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Créon – roi de Corinthe en survêtement de sport, Ray-Ban sur le nez,
de retour d'un jogging élyséen. Grâce au sang-froid du chanteur
(Vincent Le Texier, d'un flegme sportif), la bronca a tourné court. Aux
saluts finals, les applaudissements enthousiastes ont eu raison des
huées. Et raison tout court.
Comment, en effet, dénier à cette transposition dans notre univers
d'aujourd'hui le gain d'humanité immédiate, de proximité imaginaire
qu'elle offre à l'intrigue et à ses héros ? Tout en ménageant une
distance ironique, par les clins d'œil vachards aux travers ou aux
impostures de notre époque. Inventive, la direction d'acteurs de
Krzysztof Warlikowski évite aux personnages de n'être que des pantins
ou des alibis – tel Créon, souverain névrosé un brin incestueux, Jason,
bellâtre rasta, en mal de légitimité officielle.
Médée étreint ses enfants. © Vincent Pontet-WikiSpectacle
C'est Médée qui est l'objet des attentions dramaturgiques les plus
travaillées et les plus fructueuses. Le metteur en scène polonais lui a
prêté le look déjanté de la chanteuse de soul Amy Winehouse,
retrouvée morte à Londres, en juillet 2011, à 27 ans. Une étrangère au
monde lyrique, comme Médée, magicienne de Colchide (l'actuelle
Géorgie) est étrangère à la Grèce d'Euripide et de Pythagore, où elle
est venue poursuivre Jason, l'homme qui l'a quittée, dont elle a eu
deux fils, et pour qui elle a tué et dépecé son frère.
Pieds nus ou perchée sur des talons aiguilles vertigineux, moulée de
cuir noir et les bras tatoués, la soprano allemande Nadja Michael
affiche dans le rôle-titre la distinction bravache, le chic orgueilleux des
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vrais parias. De ceux qui, par fidélité à un absolu passionnel, endurent
crânement le rejet des autres, affrontent sans ciller la réprobation
collective.
Qu'importe ses aigus criés : avec ses intervalles distendus, ses sauts
brusques du grave à l'aigu, l'écriture en dents de scie de Cherubini ne
ménage pas la voix, pas plus que les sentiments contradictoires de
l'héroïne, qui passent sans transition de l'amour à la haine, de la
compassion à la fureur, ne s'accommodent d'un jeu tiède ou classique.
Les liens ambivalents de Médée avec ses jeunes fils sont
bouleversants de tendresse maternelle, lorsqu'elle les aide à boutonner
leur pyjama, avec la même sollicitude qu'elle les poignardera dans leur
sommeil, quelques instants plus tard.
Médée. © Vincent Pontet-WikiSpectacle
La direction musicale de Christophe Rousset va dans le même sens
que la mise en scène : redonner de la vie et du sens au spectacle.
Mais par un chemin inverse : en retournant à l'état originel de la
partition, lors de sa création parisienne en 1797, en la nettoyant des
colmatages et rafistolages du XIXe siècle – récitatifs à la place des
dialogues parlés, traduction des paroles en italien.
Le diapason et les instruments d'époque des Talens lyriques restituent
à cette musique non seulement sa luminosité et sa limpidité, mais sa
virulence expressive, sa puissance architecturale. On comprend mieux
l'estime que portaient à Cherubini un Beethoven et un Weber, ou des
personnalités aussi différentes qu'un Wagner et un Brahms. « Love is a
losing game », chantait Amy Winehouse – l'amour est un jeu perdant,
un bon sous-titre pour Médée. Quand il est mis en scène par un
Krzysztof Warlikowski, l'opéra, lui, est un jeu gagnant.
A voir
Médée, Avec Nadja Michael, Elodie Kimmel, Varduhi Abrahamyan,
John Tessier, Vincent Le Texier, Chœur de Radio France, Les Talens
lyriques, dir. Christophe Rousset, mise en scène Krzysztof
Warlikowski.
Au Théâtre des Champs Elysées, les 12 et 14 décembre 2012 à 19 h
30 et le 16 décembre 2012 à 17 h.01 49 52 50 50
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