Cour du Québec district de Beauharnois, 12 septembre 2001, n°760

Transcription

Cour du Québec district de Beauharnois, 12 septembre 2001, n°760
Contrat – erreur provoquée par le co-contractant (a. 1401 CCQ
Erreur inexcusable (a. 1400 CCQ) (oui)
Obligations – enrichissement injustifié (1493 CCQ)(non)
Subrogation légale (1656 al. 3 CCQ) (non)
C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE BEAUHARNOIS
NO: 760-22-001262-982
COUR
DU
QUÉBEC
Chambre civile
Salaberry-de-Valleyfield, le 12 janvier 2001
SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME LA
JUGE MARIE-ANDRÉE VILLENEUVE, J.C.Q
Partie demanderesse
C.
HOWARD HOLCOMB
Partie défenderesse
J U G E M E N T
La demanderesse réclame au défendeur 15 000,00$ de dommages. Elle fonde
son recours sur un contrat de vente d’automobile signé avec le défendeur dans lequel
elle aurait fait une erreur excusable dont le défendeur se serait rendu compte mais qu’il
n’aurait pas révélée. Elle allègue que ce dol ou cette réticence lui a causé un préjudice.
Subsidiairement, elle soutient que le défendeur s’est enrichi de façon injustifiée. Par
ailleurs, ajoute-t-elle, elle serait subrogée dans les droits de la Banque Royale contre le
défendeur.
Le défendeur conteste la réclamation et plaide que la demanderesse a commis
une erreur unilatérale et inexcusable, ce qui l’empêche de demander l’annulation du
contrat (P-3) et des dommages. De plus, il soutient que la demanderesse n’a pas
d’intérêt juridique pour poursuivre le défendeur parce qu’elle a cédé ses droits en
faveur de Nissan Canada Inc. Il plaide enfin qu’il n’existe pas de subrogation légale en
faveur de la demanderesse dans les droits de la Banque Royale, et qu’il n’y a pas eu,
d’autre part, d’enrichissement injustifié en sa faveur.
Questions en litige :
2001 CanLII 21212 (QC CQ)
ILE PERROT NISSAN
/2...
1)
Le défendeur a-t-il commis un dol qui a provoqué l’erreur de la
demanderesse ?
2)
L’erreur de la demanderesse est-elle inexcusable empêchant ainsi
le vice de consentement ?
3)
Si oui, y a-t-il eu enrichissement injustifié en faveur du
défendeur ?
4)
Sinon, y a-t-il eu subrogation des droits de la banque en faveur de
LES FAITS :
Les faits retenus par le Tribunal selon la prépondérance de preuve, malgré les
versions contradictoires, se résument ainsi:
Vers le 29 juillet 1996, le défendeur emprunte à la Banque Royale la somme de
30 000,00$ pour payer la location d’un véhicule Nissan Maxima 1996. Il s’engage à
payer cette somme plus les intérêts en 48 mois à raison de 458,29$ par mois.
Le 6 mars 1998, la demanderesse achète un véhicule Nissan Pathfinder 1998
pour la somme de 36 361,50$.
demanderesse démissionne.
Le 13 juillet 1998, le directeur commercial de la
Vers le 13 août 1998, le défendeur se rend chez la
demanderesse et s’intéresse au véhicule de modèle Pathfinder 1998. (Il s’agit d’un
véhicule en démonstration dont le kilométrage est d’environ 10 000km.) Il discute de la
possibilité d’une location avec M. McConomy, un représentant des ventes chez la
demanderesse. Comme celui-ci est occupé, le défendeur rencontre le président, M.
Yves Allard, qui évalue le véhicule Nissan Maxima que le défendeur offre en échange.
M. Allard en fixe la valeur à 15 000,00$. Le défendeur lui rappelle qu’il doit encore la
somme de 23 400,00$ à la Banque Royale. M. Allard lui mentionne qu’il est possible
de financer la somme de 8 400,00$ supplémentaire en sus du prix réel du véhicule
Pathfinder. Le défendeur lui explique qu’il ne veut pas débourser plus que 600,00$ par
mois.
Le 14 août 1998, M. Jean Brûlé, le directeur des ventes chez la demanderesse
confirme au défendeur que les mensualités seront de 664,77$. Ce même jour, M.
McConomy envoie au défendeur par télécopieur un formulaire de demande de crédit de
Nissan Canada Finance Inc. qu’il lui demande de compléter. M. Holcomb s’exécute
immédiatement.
2001 CanLII 21212 (QC CQ)
la demanderesse ?
/3...
Le 17 août 1998, M. Brûlé rencontre le défendeur en exprimant le désir
d’acheter le véhicule plutôt que de le louer en raison du taux d’intérêt moins élevé. M.
Brûlé recueille certaines données. Il inscrit 46 000,00$ comme prix de vente [en fait, il
s’agit du prix de vente de 37 600,00$ plus 8 400,00$, soit le financement de surplus
nécessaire sur le véhicule Maxima (23 400,00$ - 15 000,00$ = 8 400,00$)]. Il écrit
aussi 15 000,00$ à titre d’allocation d’échange pour le véhicule Maxima et 23 400,00$
pour le solde dû sur l’échange (emprunt à la Banque Royale). M. Brûlé et M. Holcomb
signent ensuite ce document.
Le 24 août 1998, M. Brûlé consigne les données de ce contrat dans le système
informatique de la demanderesse mais inscrit « 0 » à titre de solde dû sur l’échange à
contrat de vente à tempérament (D-2). En conséquence, au lieu d’un financement de
50 657,75$, le contrat prévoit un financement de 35 657,75$ (en fait la demanderesse
aurait dû inscrire 15 000,00$ à titre de solde dû sur l’échange et non 23 400,00$
puisque la somme de 8 400,00$ était compris dans le prix total de 46 000,00$).
Ce même jour, le défendeur rencontre M. McConomy qui lui montre les
contrats tout en revisant D-2 sommairement. M. Holcomb ne lit pas ces contrats. Il
constate que les versements mensuels seront de 664,77$ et s’en trouve satisfait. Il
signe alors les deux contrats que M. Jean Brûlé signe également.
Par la suite, Mme Carmen Mallette, comptable de la demanderesse, s’informe
auprès des représentants de la Banque Royale du montant précis qui lui est dû par le
défendeur. Elle émet donc un chèque de 23 472,09$ en date du 25 août 1998 en
faveur de la banque pour acquitter le solde complet. Le 25 août, M. Holcomb prend
possession du véhicule Pathfinder 1998.
Le lendemain, M. Brûlé communique avec le défendeur pour lui demander de
payer 72,09$ de surplus par rapport au montant de 23 400,00$ inscrit sur le contrat (en
fait, il s’agit d’intérêts quotidiens supplémentaires). M. Holcomb paie cette somme avec
sa carte de crédit le même jour.
Le 25 août 1998, la demanderesse signe un contrat de vente entre
commerçants pour le véhicule Maxima 1996 (celui que le défendeur avait remis en
échange) avec Occasions Auto Plus à un prix de 15 500,00$ (17 828,87$ T.T.C.) que la
demanderesse acquittera le 28 août 1998.
Vers le 2 septembre 1998, Mme Mallette informe M. Brûlé qu’il y a une erreur
de 15 000,00$ sur les contrats P-3 (contrat de vente sommaire) et D-2 (contrat de vente
à tempérament).
M. Brûlé rencontre le défendeur ce 2 septembre 1998 pour lui
expliquer l’erreur. Il lui montre la preuve du paiement de 23 472,00$ à la Banque
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la case « W » du contrat de vente informatisé (P-3). Une erreur se glisse aussi dans le
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Royale. M. Holcomb répond quant à l’erreur, « j’attendais que vous me le disiez ».
Cependant, M. Holcomb souligne qu’il s’informera auprès de la « Protection du
consommateur » pour connaître ses droits.
Le lendemain, M. Brûlé envoie au défendeur une lettre l’enjoignant de lui payer
la somme de 15 000,00$ dans les 10 jours suivants.
Le 15 septembre 1998, le défendeur, en vue de régler le litige, offre à la
demanderesse de reprendre son véhicule Maxima, de lui remettre le véhicule
Pathfinder et de se donner une quittance mutuelle et finale.
demeure de consentir à la correction du contrat de vente intervenu le 24 août 1998. Le
22 septembre 1998, le procureur de la demanderesse à l’époque, reçoit un appel du
défendeur qui admet connaître l’erreur mais qui lui annonce que la demanderesse
devra vivre avec son erreur.
Le 22 octobre 1998, le procureur de la demanderesse écrit au procureur du
défendeur pour lui suggérer de reprendre le véhicule Pathfinder, de remettre au
défendeur le véhicule Maxima et que celui-ci lui rembourse la somme de 23 400,00$ ou
bien de maintenir le statu quo à la condition que le défendeur remette à la
demanderesse un chèque certifié de 15 000,00$.
Le 29 octobre 1998, le défendeur refuse cette offre et réitère son offre originale
du 15 septembre 1998. La demanderesse la refuse.
Prétentions de la demanderesse :
La demanderesse prétend que l’erreur a vicié le consentement de la
demanderesse.
Elle invoque les articles 1400 et 1401 C.C.Q. et plaide que le
défendeur savait qu’il y avait une erreur puisqu’il était au courant que les paiements
seraient plus élevés en cas de vente qu’en cas de location. En demeurant silencieux,
le défendeur aurait commis un dol. La demanderesse souligne l’aveu du défendeur à
M. Brûlé, un des représentants de la demanderesse, puisqu’il lui a dit qu’il attendait que
quelqu’un lui parle de cette erreur.
La demanderesse souligne la mauvaise foi du défendeur. Elle rappelle les
propos de M. le juge Brossard dans la cause Versafood Services Ltd c. Alstar
Industries Ltd :
« Tel n’est pas, cependant, l’esprit suivant lequel les contrats, qu’ils soient
exécutés entre commerçants ou non-commerçants, doivent être envisagés (art.
1024 C.C.). Les règles de la preuve n’ont pas été conçues pour assujettir la
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Le 21 septembre 1998, la demanderesse écrit au défendeur pour le mettre en
/5...
validité et les effets des contrats à des règles qui tiennent plus des réticences
1
et des demi-vérités qu’à celles qui respectent la bonne foi et l’équité. »
Elle ajoute que l’article 1375 C.C.Q. énonce clairement ce principe de la bonne
foi :
« La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de
la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son
extinction. »
La demanderesse plaide aussi qu’en vertu de l’article 1399 C.C.Q. « le
juge Denis Lavergne dans l’affaire Banque Royale du Canada c. Audet qui se lisent
comme suit :
« Un consentement éclairé implique la réalisation satisfaisante de deux
obligations : l’obligation de renseigner et l’obligation de se renseigner.
L’obligation de renseigner tire sa source dans cette nouvelle moralité
contractuelle dont se trouve maintenant imprégné sans aucun doute le droit
des contrats. » 2
La demanderesse soutient que le défendeur en l’espèce n’a pas rempli son
obligation de renseignement. La demanderesse rappelle le propos de M. le juge Denis
Lavergne dans une autre affaire, soit celle de Serge Bolduc c. Decelles et al. dans
laquelle le tribunal concluait que le planificateur financier avait manqué à son obligation
de renseignement et que, de ce fait, le client n’avait pu donner un consentement libre et
éclairé :
« Le défendeur (planificateur) a fait preuve de déloyauté par dissimulation et,
de ce fait, commis une réticence équivalant à dol. » 3
De plus, la demanderesse soumet que le dol du défendeur peut être qualifié de
dol incident, c’est-à-dire « un dol qui a poussé la partie non à s’engager en tant que tel,
mais à s’engager à des conditions plus onéreuses que celles dans lesquelles elle l’eût
fait si elle eût antérieurement connu la tromperie et le dol incident donne droit à l’action
en diminution de prix et à l’action en dommages-intérêts. »
4 5
1
(1976) C.A. 391.
2
J.E. 97-882, 615-02-000167-958, 27-02-1997, p. 29.
3
(1996) R.J.Q. 805 et ss (C.Q.).
4
BAUDOUIN Jean-Louis, Les obligations, Cowansville, Ed. Yvon Blais
Ltée, 1983, p. 115 no 158.
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consentement doit être libre et éclairé ». Elle réfère alors aux commentaires de M. le
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La demanderesse admet toutefois que l’erreur inexcusable ne constitue pas un
vice de consentement tel que mentionné à l’article 1400 C.C.Q. in fine. Cependant, elle
refuse d’admettre avoir commis une telle erreur puisque la préparation d’un tel contrat
relevait du directeur commercial qui venait de démissionner.
En revanche, elle prétend que s’il y avait « erreur inexcusable » de sa part, elle
deviendrait excusable en raison de l’absence de bonne foi du défendeur. Pour appuyer
cette prétention, elle produit la décision de M. le juge Pierre Durand dans North
American Trust Co. c. Desjardins.
6
Dans cette affaire, celui-ci avait constaté que
l’acheteur n’avait pas lu le contrat ce qui aurait pu rendre son erreur inexcusable.
Cependant, M. le juge Durand a conclu qu’en agissant de mauvaise foi, le vendeur
La
demanderesse soutient qu’elle a été victime d’un dol du défendeur et qu’elle a le choix
du recours en se fondant sur les propos de M. le juge LeBel, au nom de la Cour
d’appel, dans l’arrêt Bélanger c. Demers :
« Le dol, faute commise par le contractant dans la conclusion du contrat, mérite
sanction. Il appartient à la partie qui contracte de déterminer le type de remède
qui lui permettra de se replacer dans un étant satisfaisant pour elle. Si elle est
satisfaite de maintenir la relation juridique, sa nullité étant relative et créée en
sa seule faveur, en pareil cas, l’on ne saurait lui imposer la voie de l’annulation
comme seul recours. Suivant les règles générales du droit des obligations, elle
peut alors réclamer l’indemnité qui sanctionnera la faute. Celle-ci peut prendre
7
la forme de recours en dommages ou d’un recours en diminution de prix. »
La demanderesse conclut à ce que le contrat de vente (P-3) du véhicule
Pathfinder 1998, soit déclaré en vigueur et que le défendeur lui rembourse la somme
de 15 000,00$.
Prétentions du défendeur :
Le défendeur plaide que la demanderesse n’a pas l’intérêt légal à poursuivre le
défendeur puisque les droits de cette dernière dans le contrat (D-2) ont été cédés à
Nissan Canada Finance Inc.
Bref, elle plaide que le défendeur a toujours révélé le solde de 23 400,00$ dû à
la Banque Royale quant au prêt relié à son véhicule Maxima (donné en échange à la
demanderesse). Il n’y a donc pas eu de dol de sa part et on ne peut lui reprocher de ne
5
Cyr c. Boucher et al., (1987) R.J.Q. 2079 à 2084 (C.S.) M. le juge André
Savoie.
6
J.E. 94-1010, 500-02-040095-924, le 13 avril 1994.
7
(1992) R.J.Q. 1762 (C.A.).
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avait mis l’acheteur en confiance ce qui rendait son erreur excusable.
/7...
pas avoir compris les chiffres du contrat d’autant plus que ceux-ci étaient difficiles à
comprendre pour qui que ce soit.
Le défendeur souligne que dans la cause Chrétien c. Longue Pointe Chrysler
Plymouth (1987) Ltée Mme la juge Pauzé a analysé le silence de l’acheteur d’un
véhicule automobile de cette façon :
« Il appartient à Longue Pointe de faire la preuve, de façon convaincante, de
l’erreur commise ou provoquée par le dol ou le silence du demandeur. Il faut
donc faire la preuve non seulement que M. Chrétien savait qu’une erreur était
commise mais qu’il l’a provoquée en se taisant.
Le défendeur soutient donc qu’il n’a pas provoqué l’erreur de la demanderesse.
Par ailleurs, il soumet que c’est la demanderesse elle-même qui a commis une
erreur inexcusable puisque les représentants de la demanderesse étaient des vendeurs
professionnels et qu’ils avaient toutes les informations nécessaires en main. En outre,
ils disposaient de plusieurs jours pour vérifier les documents avant la signature du
contrat et détecter eux-mêmes leur erreur.
Au sujet du caractère grossier ou inexcusable de l’erreur, le défendeur réfère
aux propos de l’auteur Jean-Louis Baudouin qui écrit ceci :
« Pour évaluer le caractère grossier ou inexcusable de l’erreur, la jurisprudence
devra tenir compte des circonstances particulières de chaque espèce et
retiendra donc une appréciation in concreto de l’erreur. Elle fera peser dans la
balance notamment, (comme pour la crainte d’ailleurs), l’âge, l’état mental,
l’intelligence, la position financière ou économique des parties, etc. » 9
Dans le cas précité de Chrétien c. Longue Pointe Chrysler Plymouth
8
Mme la
juge Pauzé a conclu que Longue Pointe était un vendeur professionnel de véhicules
automobiles, que l’acheteur savait qu’il faisait un bon achat et qu’il n’avait aucune
obligation à prévenir son vendeur qu’il trouvait le prix trop bas, puisque Longue Pointe
avait rempli le contrat, calculé les taxes et fait signer le document par l’acheteur. Elle
écrit :
« Toutes ces étapes font en sorte que le vendeur avait la possibilité de réaliser
son erreur et était en mesure de la constater sans prétendre que c’est le
silence de l’acheteur qui a empêché le consentement de naître.
8
R.E.J.B. 2000-19318 (C.Q.) le 28 juin 2000, p. 5.
9
BAUDOUIN Jean-Louis, Les obligations, Cowansville, Les Éd. Yvon
Blais Inc. 4e édition, p. 117, numéro 167.
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Le dol est le fait de provoquer volontairement une erreur dans l’esprit d’autrui
pour le pousser à conclure le contrat ou le conclure à des conditions
8
différentes. »
/8...
…
Ainsi donc, le contrat (même s’il contient une erreur) est valable, cette erreur
devenant inexcusable au sens de l’article 1400 C.C.Q. » 10
Le défendeur soumet que les mêmes conclusions s’imposent en l’espèce
d’autant plus que c’est la demanderesse qui invoque le caractère excusable qui a le
fardeau de preuve comme l’a mentionnée la Cour d’appel dans la cause Létourneau &
al. c. La Garantie, Compagnie d’Assurance de l’Amérique du Nord lorsqu’elle écrit :
Le défendeur conclut que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son
fardeau de preuve.
LE DROIT :
Intérêt :
Le Tribunal estime d’emblée que la demanderesse possède l’intérêt légal pour
poursuivre le défendeur. Il est vrai que les droits de la demanderesse dans le contrat
(D-2) (qui inclut le financement), ont été cédé à Nissan Canada Finance. Toutefois,
ceux du contrat P-3 ne l’ont pas été et c’est ce contrat qui contient l’erreur initiale. De
plus, c’est la demanderesse qui aurait en principe subi un préjudice et non pas Nissan
Canada Finance Inc.
Erreur :
Les dispositions pertinentes de la loi sur ce sujet, se retrouvent aux articles
1400 et 1401 du Code civil du Québec :
« 1400. L’erreur vicie le consentement des parties ou de l’une d’elles
lorsqu’elle porte sur la nature du contrat, sur l’objet de la prestation ou,
encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L’erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement. »
« 1401. L’erreur d’une partie, provoquée par le dol de l’autre partie ou à la
connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où,
sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des
conditions différentes. »
10
Précitée, note 8, p. 5.
11
R.E.J.B. 2000-16649, le 23 février 2000 (C.A.) p. 4.
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« Considérant que le fardeau de prouver l’erreur et le caractère excusable de
11
cette erreur repose sur les épaules de la parties qui l’invoque; »
/9...
Le Tribunal partage l’opinion qu’exprimait Mme la juge Pauzé dans l’affaire
Chrétien c. Longue Pointe Chrysler Plymouth (1987) Ltée :
« Le dol est le fait de provoquer volontairement une erreur dans l’esprit d’autrui
pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions
différentes. C’est donc l’acte, l’agissement qui provoque l’erreur. » 12
Dans ce jugement, le tribunal a conclu que le silence de l’acheteur quant au
bas prix du véhicule n’avait pas provoqué l’erreur. Celle-ci avait été commise par le
vendeur professionnel de véhicules automobiles qui avait préparé lui-même le contrat
Il en allait autrement dans l’affaire Bolduc c. Decelles
13
où le silence du
planificateur financier avait provoqué une erreur chez le client et avait vicié son
consentement.
Il est intéressant de lire les propos de M. le juge Lavergne quant au
consentement éclairé qui, selon lui :
« … implique la réalisation satisfaisante de deux obligations : l’obligation de
14
renseigner et de se renseigner. »
Dans cette affaire, le banquier avait, par son silence calculé, amené le client à
contracter un cautionnement qui augmentait considérablement son obligation. Dans
son analyse sur l’obligation de renseigner, le tribunal se réfère aux propos de M. le juge
Gonthier de la Cour suprême dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée :
« L’apparition de l’obligation de renseignement est reliée à un certain
rééquilibrage au sein du droit civil. Alors qu'auparavant il était de mise de
laisser le soin à chacun de se renseigner et de s’informer avant d’agir, le droit
civil est maintenant plus attentif aux inégalités informationnelles, et il impose
une obligation positive de renseignement dans les cas où une partie se trouve
dans une position informationnelle vulnérable, d’où des dommages pourraient
s’ensuivre. » 15
M. le juge Lavergne fait état donc cette « nouvelle moralité contractuelle »
imprégnée dans le droit des contrats d’où sa référence à l’article 1375 C.C.Q. quant à
la bonne foi. Il a donc conclu à la mauvaise foi du banquier en raison de son silence
12
Précitée, note 9, p 5.
13
Précitée, note 3, p. 805 et ss.
14
Précitée, note 2, p. 29.
15
Banque de Montréal c. Bail Ltée, (1992) 2 R.C.S. 554.
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et effectué tous les calculs.
/10...
calculé sur l’endettement de la société. C’est cela qui a provoqué l’erreur du client à
signer un nouveau cautionnement plus onéreux.
En l’espèce, le défendeur a témoigné qu’il ne voulait pas payer plus que
600,00$ par mois. Il a affirmé que les mensualités de 664,77$ le satisfaisaient. Il n’a
donc pas lu les contrats (P-3 et D-2) et n’a pas analysé ou vérifié les autres chiffres du
contrat.
Ceux-ci se sont d’ailleurs révélés très difficiles à comprendre lors de
l’audience.
Savait-il qu’il y avait une erreur quant au solde à payer à la Banque
Royale? La preuve démontre que dans les jours suivants la signature des contrats, il
savait qu’il y avait une erreur et ce, compte tenu de propos tenus envers Me Roberge et
M. Brûlé. S’en est-il rendu compte sur le coup? On peut raisonnablement conclure
Cependant, doit-on conclure comme dans les cas de jusprudence produits par
les parties que c’est le silence du défendeur qui a provoqué l’erreur? Le Tribunal ne le
croit pas.
C’est la demanderesse elle-même qui a commis l’erreur lors de la
préparation des contrats et ce, avant de les présenter pour signature au défendeur.
Celui-ci était complètement étranger à cette rédaction.
Les employés de la demanderesse agissaient comme des professionnels. Ils
ont participé aux étapes antérieures et ont eu la possibilité de se rendre compte de leur
erreur. Il leur était possible de la constater sans prétendre que le silence de l’acheteur
avait empêché leur consentement de naître.
Le Tribunal est d’avis que dans l’affaire North American Trust Co c. Desjardins,
16
c’est la mauvaise foi du vendeur qui a mis l’acheteur en confiance et qui a fait que
son erreur inexcusable (i.e. ne pas avoir lu le contrat) est devenu excusable. C’est la
mauvaise foi du vendeur qui a entraîné l’erreur de l’acheteur, erreur qui était donc
devenu excusable.
Dans le cas sous étude, ce n’est pas le silence du défendeur qui a entraîné ou
provoqué l’erreur de la demanderesse.
L’erreur avait déjà été commise par la
demanderesse qui avait elle-même préparé les contrats. C’était une erreur subjective,
unilatérale et en fait, inexcusable. Ce n’est pas parce que le directeur des ventes a
remplacé le directeur commercial qui avait démissionné durant le mois précédant le
contrat que l’erreur est excusable.
Le directeur des ventes possédait l’expérience
nécessaire pour vérifier correctement les contrats. L’intervention de d’autres personnes
(dont un vendeur et le président) au dossier rendait encore plus facile la détection de
cette erreur.
16
Précitée, note 6.
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qu’il devait savoir qu’il y avait probablement une erreur quelconque.
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Il est probable que l’erreur ait été commise et non perçue parce qu’il y a eu trop
d’intervenants et un manque de communication. À tout événement, l’ensemble de la
preuve amène le Tribunal à conclure que la demanderesse ne s’est pas déchargée de
son fardeau de prouver de façon prépondérante que son erreur était excusable et que
celle-ci constituait un vice de consentement au sens de l’article 1400 C.C.Q.
Enrichissement injustifié :
La demanderesse plaide subsidiairement l’existence d’un enrichissement
injustifié en faveur du défendeur. Elle invoque l’article 1493 C.C.Q. qui se lit comme
« Celui qui s’enrichit aux dépens d’autrui doit, jusqu’à concurrence de
son enrichissement, indemniser ce dernier de son appauvrissement
corrélatif s’il n’existe aucune justification à l’enrichissement ou à
l’appauvrissement. »
Elle
soutient
que
cet
article
codifie
les
principales
conditions
de
l’enrichissement injustifié déjà reconnues par la doctrine et la jurisprudence et plus
particulièrement dans l’affaire Cie Immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc. 17
Ces conditions, sont :
1)
Un enrichissement;
2)
Un appauvrissement;
3)
Une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement;
4)
L’absence de justification;
5)
L’absence de fraude à la loi;
6)
L’absence d’autre recours,
La demanderesse soumet que celles-ci se retrouvent dans le cas soumis et que le
défendeur devrait donc l’indemniser de son appauvrissement.
Le défendeur plaide qu’il y a une justification à l’enrichissement et qu’il n’y a
pas eu d’appauvrissement pour la demanderesse, ce qui empêche l’application de
l’article 1493 C.C.Q. Elle cite à l’appui les propos de Jean-Louis Baudouin quant à la
justification qui empêche l’enrichissement injustifié :
« L’enrichissement qui puise sa source dans une obligation légale, naturelle, ou
dans un acte juridique, ne peut être un enrichissement injustifié, puisqu’il trouve
17
(1977) 2 R.C.S. p. 67 et s.
2001 CanLII 21212 (QC CQ)
suit :
/12...
précisément sa justification dans cette obligation ou cet acte. Ainsi, l’exécution
d’un contrat de vente, par exemple, peut permettre à l’un des cocontractants de
s’enrichir, lorsque sa contrepartie est inférieure à celle de l’autre.
18
L’enrichissement contractuel est donc justifié. »
En l’espèce, y a-t-il absence de justification? Le professeur Baudouin, écrit ce
qui suit :
« L’enrichissement doit donc être sans raison juridique, c’est-à-dire sans
justification légale ou conventionnelle. » 19
titre Code civil du Québec annoté, il souligne qu’il ne peut y avoir ouverture à
enrichissement injustifié lorsque l’enrichissement a sa source dans un acte juridique
20
(exemple : contrat). Il réfère alors aux décisions Placement Monga Inc. c. Lalonde 21 et
dans Albert c. Proulx 22.
En fait, ce principe se retrouve codifié à l’article 1494 C.C.Q. :
« Il y a justification à l’enrichissement ou à l’appauvrissement lorsqu’il
résulte d’une obligation … »
En l’espèce, un contrat liait les parties. C’est en vertu de ce contrat qu’il y a eu
un enrichissement du défendeur. Cet enrichissement était donc « justifié ».
Comme il y a justification à l’enrichissement, il n’y a donc pas « absence de
justification », une condition essentielle pour conclure à l’enrichissement injustifié. Le
Tribunal ne peut donc retenir cet argument subsidiaire de la demanderesse.
Subrogation :
La demanderesse plaide qu’il y a une subrogation légale de la nature de celle
mentionnée à l’article 1656 al. 3 qui se lit comme suit :
18
Précitée, note 4, p. 345 no 639.
19
BAUDOUIN Jean-Louis, Les obligations, Cowansville, Les Éd. Yvon
Blais Inc. 5e édition, p. 438, numéro 562.
20
Baudouin Renaud, Code civil du Québec annoté, Wilson & Lafleur, 3e
édition 2000, p. 1731.
21
(1986) R.L. 264 (C.A.) J.E. 86-697.
22
(1941) 79 C.S. 179.
2001 CanLII 21212 (QC CQ)
D’ailleurs, dans son volume écrit en collaboration avec Yvon Renaud sous le
/13...
« La subrogation s’opère par le seul effet de la loi :
…
3. Au profit de celui qui paie une dette à laquelle il est tenu avec d’autres
ou pour d’autres et qu’il a intérêt à acquitter;
…»
Elle explique qu’en payant le solde du prêt dû par le défendeur à la Banque
Royale, elle devenait légalement subrogée quant aux droits de la banque en regard du
défendeur.
litige puisque la demanderesse n’était pas tenue de payer « à la place du débiteur »
comme le ferait une caution lorsqu’un débiteur est en défaut.
D’ailleurs, le défendeur souligne qu’il n’était nullement en défaut envers la
banque au moment où la demanderesse a payé le solde de la dette. À l’appui de ses
prétentions, il rappelle les propos de l’auteur Jean-Louis Baudouin :
« Le texte de l’article 1656 (3) C.c. est général et vise toutes les situations où
un individu est débiteur avec d’autres personnes, ou peut être tenu de la dette
d’autres personnes. La jurisprudence l’a donc largement utilisé comme l’a
signalé un auteur, tout en refusant de l’appliquer au débiteur qui acquitte une
dette qui lui est personnelle. Il touche principalement le cas du débiteur
solidaire tenu avec ses codébiteurs de payer le créancier, par exemple, à la
suite d’une faute commune, et celui de la caution qui, aux termes de la loi, est
tenue d’acquitter la dette à la place du débiteur de l’obligation lorsque celui-ci
fait défaut de le faire. » 23
Que faut-il comprendre de l’expression « pour d’autres » stipulée à l’article
1656 al. 3. L’auteur Jean-Louis Baudouin réfère à la caution qui est tenue d’acquitter la
dette à la place du débiteur. Il précise :
« La caution est tenue pour le débiteur principal. Si donc elle acquitte la dette
à sa place, elle est subrogée, par l’effet de la loi, dans les droits du créancier.
Toutefois, elle se trouve automatiquement déchargée dans la mesure du
préjudice qu’elle subit, si le créancier pose un acte qui rend impossible la
transmission des droits, priorités ou hypothèques qu’il détient contre le
débiteur. De plus, si plusieurs personnes ont cautionné la même dette, celle
qui paye le créancier pour toutes les autres ne peut exiger de ces dernières
que leurs part et portion respectives. Dans l’application du texte de l’article
1656(3) C.c., il faut toutefois considérer la créance du débiteur principal et non
le montant pour lequel la caution est assumée. La caution qui paye donc une
partie de la dette seulement, reste sujette aux dispositions de l’article 1658 C.c.
et le créancier conserve, de préférence à lelle, tous ses droits pour le solde. »
24
23
Précitée, note 4, p. 526 no 936.
24
Précitée, note 4, p. 527 no 938.
2001 CanLII 21212 (QC CQ)
Le défendeur répond que l’article 1656 al. 3 ne s’applique pas dans le présent
/14...
En l’espèce, la demanderesse n’agissait pas à titre de caution. Elle n’était pas
tenue de payer la dette du défendeur à la Banque Royale. Elle l’a tout simplement
payée parce qu’elle a accepté la prise en échange du véhicule du défendeur. Celui-ci,
par ailleurs, n’était pas en défaut dans ses versements mensuels.
Le Tribunal en arrive donc à la conclusion que l’article 1656 al. 3 n’est pas
applicable en l’occurence.
2001 CanLII 21212 (QC CQ)
PAR CES MOTIFS, LA COUR:
REJETTE l’action de la partie demanderesse ;
LE TOUT avec dépens.
MARIE-ANDRÉE
VILLENEUVE,
(JV0326)
Mes Ogilvy Renaud, procureurs de la partie demanderesse.
Mes Berkowitz Strauber, procureurs de la partie défenderesse.
J.C.Q.
/15...
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N.B. : Les pièces produites dans ce dossier seront détruites un an après la date
du présent jugement à moins que les parties n’en aient repris possession avant
cette échéance.