Qu`est-ce que le « développement du pouvoir d`agir

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Qu`est-ce que le « développement du pouvoir d`agir
Qu'est-ce que le « développement du pouvoir d'agir » ?
L'empowerment - sa traduction française la plus courante qui est le
développement du pouvoir d'agir - est un mot qui est l'objet de nombreuses
discussions, de négociations et conflits pour sa définition entre les acteurs du champ
social et politique. Il est donc important de clarifier ce qu'il représente pour nous.
La capacité à mettre ses propres mots sur une situation et de déterminer son
agenda est essentielle. Il s'agit pour nous d'être au côté de celles et ceux qui veulent
se nommer et engager un changement à partir de leur propre vision du monde et non
des intérêts institutionnels de ceux qui sollicitent une « parole » ou une
« participation » afin d'améliorer leur fonctionnement ou d'atteindre leurs objectifs.
Notre définition est la suivante :
« Le développement du pouvoir d'agir est un processus collectif visant
simultanément une transformation personnelle et sociale. Il est fondé sur le
libre-arbitre relatif des personnes mobilisées, leur délibération démocratique
et leur engagement dans une action concrète »
Pour nous, c'est un « processus », une spirale qui advient au fur et à mesure
de son déploiement.
« Voyageur, le chemin c'est les traces de tes pas ; voyageur,
il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant » Antonio Machado.
Ce n'est pas un résultat ou un objectif à atteindre tel qu'il est compris par de
nombreux travailleurs sociaux. A chaque étape, on doit se rapprocher du but. Par
exemple, si l'on souhaite améliorer l'accès aux ressources des personnes qui en ont le
moins, on doit le réaliser à chaque étape. Il s'agit de les nommer (informations, lieu,
argent...) et de les obtenir progressivement en ne les renvoyant pas à un « grand
soir » indéterminé.
Ce processus est « collectif » car on est toujours sous l'influence des rapports
sociaux. Nous sommes interdépendants, libres et liés.
« Tandis que la force est la qualité naturelle de l’individu isolé, la puissance
jaillit parmi les hommes lorsqu’ils agissent ensemble et se dissout dès qu’ils se
dispersent. » (Hanna Arendt)
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C'est donc aussi la relation qui fait que l'on peut trouver l'élan pour avancer, de
transformer plaisir et colère en énergie transformatrice.
« Personne ne libère autrui. Personne ne se libère seul. Les hommes se libèrent
ensemble » Paulo Freire.
Pour que le projet reste effectivement collectif, il faut constamment créer du
« commun » entre les personnes. Cependant, il faut faire attention à ce que l'action
collective ne soit pas « prescrite » ce qui reviendrait à créer une injonction paradoxale
(« développez votre pouvoir d'agir » comme « soyez spontané »). Certains peuvent
préférer rester seul, agir seul, penser seul (stratégie d'adaptation ou de passager
clandestin) mais relève du « libre arbitre relatif » de chacun.
« visant simultanément ». La transformation personnelle et sociale est
toujours pensée comme un affranchissement c'est à dire comme le dépassement
d'une difficulté considérée comme un obstacle. Il ne s'agit donc pas de s'adapter à
l'obstacle mais bien de l'éliminer pour qu'il ne fasse plus problème pour la personne
[Lebossé 2008]. Ce n'est qu'en ciblant un obstacle que l'on définit un objectif de
changement concret.
« une transformation»1. L'objectif de changement doit rester concret et
atteignable Il doit être observable dans la vie des personnes et pas simplement un
recadrage cognitif. C'est en ciblant un obstacle qu'on définit un objectif de
changement concret. Sinon, on risque d'en rester dans une forme d'impuissance.
« personnelle... ». Ce processus nécessite des
apprentissages individuels (apprendre à maîtriser et
orienter sa colère, se faire son avis, prendre la parole en
public, agir pour défendre ses droits...) qui changent nos
trajectoire de vie. Ces apprentissages ne sont pas
simplement mentaux et agissent sur notre corps2.
« La souffrance n'est pas uniquement définie par la
douleur physique, ni même par la douleur mentale,
mais par la diminution, voir la destruction, de la
capacité d'agir, de pouvoir faire, ressentie comme
une atteindre à l'intégrité de soi » Paul Ricoeur
La dimension d'affirmation d'un pouvoir intérieur, défendue par certaines féministes,
est essentiel.
Il faut savoir « écouter les nouvelles venues de l'intérieur de soi » Eschyle
« Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde » dit une
phrase prêtée à Gandhi.
1 Le changement suppose le passage d'une situation initiale à une situation dont au moins une des composantes a été
modifiée.
2 « La reconnaissance pratique par laquelle les dominés contribuent, souvent à leur insu, parfois contre leur gré, à
leur propre domination, en acceptant tacitement, par anticipation, les limites imposées prend souvent la forme de
l'émotion corporelle (honte, timidité, anxiété, culpabilité) (…). Elles se trahit dans des manifestations visibles,
comme le rougissement, l'embarras verbal, la maladresse, le tremblement, autant de manières de se soumettre, fût
ce malgré soi et à son corps défendant , au jugement dominant, autant de façons d'éprouver le conflit intérieur et le
« clivage du moi , la complicité souterraine qu'un corps qui se dérobe aux directives de la conscience et de la
volonté entretiens avec la violence des censures inhérentes aux structures sociales » (p.203) Pierre Bourdieu,
Méditations pascaliennes, Essais points, 2003
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« et sociale » Le changement de
rapports inégalitaires est essentiel car une
grande partie des problèmes est lié à une
inégalité d'accès aux ressources
(culturelles, économiques, politiques...).
En tant que femme, jeune, précaire,
victime de discriminations, nous vivons
des situations qui nous oppressent et
entravent notre liberté du fait de cette
répartition inégale des ressources.
Nous avons la capacité de modifier ces rapports inégalitaires à différentes échelles :
dans nos familles, dans nos organisations, localement, au niveau national, dans le
monde.
« ce n'est pas le noir de Montgomery que nous cherchons à améliorer mais
l'ensemble des citoyens de Montgomery » Martin Luther King
« Quand je fais valoir mes droits, je fais valoir les droits de tous et la justice ».
Il ne s'agit pas de changer uniquement la manière dont les personnes vivent avec des
situations de domination (ou la façon dont elles les perçoivent) mais ces situations
elle-mêmes. En cela, le développement du pouvoir d'agir ne peut être réduit à une
méthode de thérapie (fut-elle communautaire) ou à un processus éducatif (fut-il
populaire).
Les porteurs de ces rapports inégalitaires sont des institutions qu'il convient donc de
cibler et de transformer. Cela demande une action dans l'espace public, au-delà des
espaces privés.
Nous participons ainsi à la création d'autres rapports idéologiques (porteurs
d'ouvertures et d'enrichissement plutôt que de préjugés sexistes ou racistes),
économiques (une répartition des ressources plus justes), politiques (plus de
démocratie, des formes de représentation non détachées du groupe d'appartenance)
et écologiques (pour un rapport appaisé à la Terre-Gaïa).
« Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c'est vivre
d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres » Nelson Mandela
Les individus ne disparaissent pas derrière le groupe. C'est pourquoi, ce processus
doit rester « Il est fondé sur le libre-arbitre relatif ». Il ne s'agit pas que le
groupe détermine ses objectifs en écrasant les opinions ou intérêts des personnes qui
y participeraient. Il ne s'agit pas non plus de laisser penser que l'on peut s'extraire de
la société dans laquelle on vit : toute société doit pouvoir gérer sa violence par des
règles et obligations imposées par la puissance publique (ex : payer ses impôts,
enfermer ou accompagner des personnes dangereuses pour autrui...), ce qui pose des
limites collectives à chacun.
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Chacun doit rester libre de quitter le groupe. Chacun doit également pouvoir influer
sur les actions du groupe, par exemple en illustrant l'impact de celles-ci sur sa propre
vie ou en exprimant ses émotions.
« Il faut comprendre que la raison n’est qu’un moment ou une dimension de la
pensée, et qu’elle devient folle lorsqu’elle s’autonomise » Castoriadis
C'est là où la dimension poétique est importante pour faire grandir le groupe,
permettre à chacun d'y trouver sa place et ouvrir le champ des possibles.
« La justice écoute aux portes de la beauté » Césaire.
Au cœur du processus, il y a « des personnes mobilisées ». Il est important
de distinguer les personnes qui vivent avec les conséquences d'une situation, qui en
souffrent concrètement et celles qui veulent changer cette situation pour d'autres
raisons légitimes (idéologiques, affectives, institutionnelles...). La présence des
personnes qui vivent avec les conséquences d'une situation, et la prise en compte de
leur point de vue dans la détermination des objectifs, est pour nous essentielle.
Elle fonde ce processus et le différencie de méthodes managériale visant la
mobilisation des énergies au service d'intérêts « extérieurs » à celui du groupe (qu'il
s'agisse de celui d'une association ou des actionnaires d'une entreprise). Cela dit,
toutes les personnes qui souffrent d'une situation ne se mobilisent pas et celles qui se
mobilisent pour d'autres raisons n'en sont pas moins légitimes à vouloir un
changement.
« sur leur délibération démocratique». Cela suppose des temps avec la
participation réelle des personnes vivant des situations d'injustice ce qui implique
concrètement des règles du jeu communes, du temps d'information et de débat, de
compréhension du contexte, un processus de décision passant par la formulation d'un
consensus ou d'un vote pour dépasser des points de blocage...
La délibération, organisée par des dispositifs ouverts et variés, doit permettre de
pouvoir dépasser l'intérêt particulier pour arriver au bien commun. Cela demande
l'exercice d'une forme d'esprit critique face à la fabrique collective du consentement.
Il est indispensable qu'il soit explicitement négocié avec les personnes concernées. En
cela, le développement du pouvoir d'agir s'oppose à des démarches prescrites ou
implicites qui s'inscrivent dans des formes de « devoir d'agir » [Davidson & Martison].
« et l'engagement dans une action
concrète » Il s'agit de savoir se jeter à l'eau.
Le développement du pouvoir d'agir nécessite
un passage à l'acte. Les « prises de
consciences » seules ne transforment pas une
situation. C'est le fait d'agir ensemble puis
d'analyser collectivement l'action pour en tirer
des apprentissages qui changent les personnes
et la situation elle-même (en introduisant un
nouvel acteur, proposant un autre regard,
modifiant le rapport de force...).
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Le pouvoir est exercé (par la parole, par la contrainte ou la créativité) et non possédé.
« Je vous ai dit que sa liberté [celle de l'homme] consiste dans son pouvoir
d'agir, et non pas dans le pouvoir chimérique de vouloir vouloir » Voltaire
(1766).
L'action a également comme vertu d'élargir le cercle de ceux qui sont favorable au
changement, d'identifier ses adversaires, et de préciser et enrichir, à leur contact, le
projet du groupe.
« Nous avions une conception très carrée de la réalité. Lorsque nous nous
sommes heurtés à la réalité, ce carré s'est trouvé tout cabossé. Comme cette
roue qui se trouve là. Et il commence à rouler et à se polir au contact des
communautés » Marcos.
Ce sont les êtres humains qui font l'Histoire.
BIBLIOGRAPHIE
BALAZARD Hélène & GENESTIER Philippe, La notion d’empowerment : un analyseur des tensions
idéologiques britanniques et des tâtonnements philosophiques français,
http://polcomp.free.fr/textes/seance3_2_balazard_genestier.pdf
LEBOSSE Yann (2008), L’empowerment : de quel pouvoir s’agit-il ? Changer le monde (le petit et le
grand) au quotidien, p.137-149, http://www.erudit.org/revue/nps/2008/v21/n1/019363ar.pdf
LEBOSSE Yann (2003), « De l' « habilitation » au « pouvoir d'agir » : vers une appréhension plus
circonscrite de la notion d'empowerment », p.30-51, in Nouvelles pratiques sociales, vol.16, n°2, 2003.
http://id.erudit.org/iderudit/009841ar
NICOLAS-LE STRAT Pascal (2013), De la fabrication institutionnelle des « impuissances à agir » au
développement d’un empowerment (Notes de travail pour l’Atelier « Fabrique de sociologie », Montpellier –
25 mars 2013), http://www.les-seminaires.eu/de-la-fabrication-institutionnelle-des-impuissances-a-agir-audeveloppement-dun-empowerment/ , mise en ligne le 12 septembre 2013
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