Pouvoir d`agir et empowerment, une nouvelle perspective pour l
Transcription
Pouvoir d`agir et empowerment, une nouvelle perspective pour l
Marie-Hélène Bacqué Pouvoir d’agir et empowerment, une nouvelle perspective pour l’action associative ? En juin 2013, la Fédération des centres sociaux, un acteur important dans le monde de l’éducation populaire, tenait son congrès sur la thématique du Pouvoir d’agir. Pouvoir d’agir est aussi le nom d’un collectif constitué de plusieurs réseaux professionnels et associatifs qui défend la nécessité de « franchir un pas que la France n’a jamais osé, celui de l’empowerment ». Différents groupes locaux et nationaux se réfèrent par ailleurs à l’empowerment et aux pratiques du community organizing pour défendre de nouvelles méthodes et stratégies d’intervention. Comment comprendre le succès de ces approches dans le milieu associatif hexagonal ? Qu’indique l’importation de ce vocabulaire et des pratiques qui y sont liées de la transformation du rapport du monde associatif au champ politique dans le contexte républicain français ? Il n’est sans doute pas anodin que certains des acteurs qui contribuent à diffuser ces approches aient été formés aux États-Unis où les associations ou groupes communautaires entretiennent un rapport bien différent à la puissance publique et au champ politique. Faut-il alors y voir une logique de dépolitisation telle que décrite outre-Atlantique par Nina Eliasoph ? Ou bien s’agit-il d’une autre dynamique de politisation ? Il convient au préalable de rappeler la grande diversité de la nébuleuse associative qui juxtapose en France à la fois de grandes fédérations nationales et des groupes locaux, des prestataires de service et des collectifs revendicatifs. La diversité caractérise aussi les approches dites d’empowerment aux États-Unis et les acteurs qui s’en réclament en France. Enfin, les pratiques et théories de l’empowerment n’ont pas comme seule origine le terrain étasunien mais ont connu un terrain fertile dans les pays émergents, portées en particulier par les mouvements féministes. Le succès de ces approches en France se comprend d’abord au regard du contexte associatif et politique hexagonal. Au cours des trois dernières décennies, l’institutionnalisation a caractérisé une part importante des mouvements d’éducation populaire. Ces acteurs majeurs du mouvement associatif français sont pour une bonne part entrés dans une logique d’offre de service, engageant un processus de dépolitisation de l’éducation populaire vers une démarche de gestion sociale. Les politiques publiques, et en particulier la politique de la ville, ont favorisé cette évolution en enfermant l’action associative dans un carcan administratif et dans les logiques d’appel d’offre, de mise en concurrence et d’évaluation par le chiffre. Cette évolution est à la source d’une insatisfaction profonde, à la fois de professionnels aspirant à redonner du sens à leur travail et de militants à la recherche d’une perspective transformatrice (d’une certaine façon, une partie des organisations communautaires aux États-Unis ont connu la même évolution). Mais à côté de ces grandes fédérations associatives, existe aussi tout un tissu de collectifs locaux qui peinent à se faire reconnaître et sont à la recherche d’autres formes d’intervention. Dans les quartiers populaires, beaucoup de ces « petites » associations sont portées par des jeunes ou des adultes « issus de l’immigration » qui se sont souvent heurtés à un déni de reconnaissance, conduisant à ce qu’Olivier Masclet a qualifié de « rendez-vous manqué entre la Gauche et les cités ». La question de la discrimination et de l’héritage colonial est devenue une question majeure et, de ce point de vue, les États-Unis et le mouvement des droits civiques représentent depuis longtemps une référence dans le débat français. La première élection d’Obama, les modes de mobilisation utilisés au cours de sa campagne et la publicité faite à son passé d’organizer ont contribué au succès d’un « modèle » parfois importé sans discussion critique et réduit à une méthode. Que retiennent les importateurs de l’empowerment et que leur apporte de « nouveau » cette démarche ? Si les interprétations diffèrent, il se dégage néanmoins un corps commun : une approche pragmatique, une démarche de mobilisation par problèmes, basée sur des intérêts communs, qui serait caractérisée par son efficacité. La question du pouvoir individuel ou collectif apparaît centrale : « pouvoir de » plus que « pouvoir sur ». Ce corps commun renvoie à des évolutions du mouvement associatif déjà analysées en particulier par Jacques Ion qui montrait la volonté des « nouveaux » militants de voir le bout de leurs actes et l’affranchissement des modes d’engagement. De ces formes de mobilisation ne se dégage pas un grand projet de transformation sociale mais plutôt une défense des droits et de l’équité et des enjeux de reconnaissance. Selon les cas, l’insistance est mise sur les individus ou sur le collectif, ce qui n’est bien sûr pas sans incidence sur la nature du projet, sur la dynamique de politisation. Quelques uns insistent sur une perspective conflictuelle qui vise, selon l’approche d’Alinsky, à s’adresser à ceux qui ont du pouvoir dans un rapport de force. Il est significatif, au regard de l’histoire sociale et politique française, que ce soit la figure de Saul Alinsky qui soit convoquée comme modèle d’une démarche de lutte conflictuelle. Cela montre que, pour une partie au moins de la jeunesse française, l’histoire des luttes populaires et ouvrières, dans laquelle il faudrait intégrer celles de l’immigration, n’est pas un héritage assumé. Reconnaissance des individus comme acteurs cherchant à maîtriser leur destin, reconnaissance des collectifs, prise en compte des enjeux de pouvoir, telles sont les dimensions que le vocabulaire de l’empowerment contribue à exprimer et qui participent à retravailler le rapport entre associations et politique. Cette perspective n’ouvre pas sur une seule direction. La prise en compte des individus peut s’inscrire dans un projet d’émancipation si elle participe de logiques collectives et sociales comme elle peut conduire à une atomisation et faire reposer sur un individu entreprenarial l’entière responsabilité de sa situation. Elle participe alors bien d’un processus de dépolitisation. En revanche, appuyée sur la demande de reconnaissance de collectifs, problématique dans le contexte français, et sur la construction d’un projet de transformation sociale (donc pas donné d’avance), elle peut être la base d’une repolitisation associative qui appelle à repenser la place des individus et des collectifs et les rapports de pouvoir.